de François Roudié (Groupe ARE)
Nous avions déjà pas mal avancé l'an dernier (fin 1995 et début 1996) sur cette question. A titre d'information, je te rappelle où nous en étions:
L'IDENTIFICATION DES PRODUITS
Quelle que soit la procédure choisie (plainte SPG, boycott...), le premier problème est lié à l'identification des produits provenant des laogaïs.
- II est évident que l'importateur de produits faits en laogaïs fera tout pour en masquer la provenance.
- Il est possible que les importateurs européens de produits faits en laogaïs ne soient pas au courant de leur provenance (je te rappelle que tous les camps ont aussi un nom industriel bien séparé), soit en raison des multiples intermédiaires, soit car seulement des composants de ces produits sont faits en camps, ou bien seulement un certain nombres d'unités d'un produits sont faits en camps. Une fois un produit identifié, il faudra réunir les preuves nécessaires:
- cela implique de disposer des documents d'entrée des produits sur le marché européen détenus par les douanes du pays d'entrée (certificats d'origine)
- il faudrait pouvoir remonter une filière et prouver que le produit en question a été fabriqué en laogaï.
II faudra vraisemblablement cibler l'action sur des produits de consommation courante (pour toucher l'opinion dans sa vie quotidienne) si possible des produits de faible prix (les consommateurs n'hésiteront pas à payer un peu plus cher un produit déjà bon marché) et si possible un produit chargé émotionnellement (jouets, peluche...)
LA PLAINTE VIA LE MECANISME DE SANCTIONS DU SPG: L'ARTILLERIE LOURDE DIFFICILE A MANOEUVRER
Dans la mesure où un cadre juridique communautaire existe (le règlement sur le SPG: "système de préférence Généralisé" qui permet à certains états commerçants avec l'UE de bénéficier de droits de douanes plus bas) et que ce règlement prévoit une clause spéciale "droits de l'homme" avec procédure d'enquête en cas de suspicion de non respect, il peut paraître intéressant de lancer une telle procédure. Cela nous permettrait d'exploiter ta position de député européen, de placer le débat au niveau européen et, si la demande d'enquête au comité SPG aboutit, de bénéficier de l'infrastructure de recherche de la Commission et des Etats membres. II va de soi que si le comité SPG menait une enquête et certifiait que certains produits spécifiques sont faits en laogaïs, le choc serait énorme. Mais il est clair que les pressions seront gigantesques de la part des autorités chinoises mais aussi de la part de tous ceux qui ont intérêt à ne pas froisser les chinois (et ils sont beaucoup!). Ces pressions se manifesteront à de
s niveaux multiples: pressions et blocages de la Commission Européenne, des Etats membres au sein du Comité SPG (comitologie donc très opaque), jeux de procédure, difficultés à mener l'enquête et notamment à remonter la piste jusqu'en Chine... Dans la mesure où on ne peut déposer de plainte que sur la base d'un dossier en béton. II sera difficile à constituer vu la maigreur de nos moyens. II serait toutefois possible de s'appuyer sur la fondation Laogaïs d'Harry Wu, Human Rights Watch et son réseau d'ONG partenaires pour obtenir des informations. Le travail d'enquête proprement dit est énorme. II faudrait trouver quelqu'un pour le faire. Une bonne solution serait de préparer le travail en coordonnant la collecte d'infos ciblée sur un type précis de produit (voir plus loin) de les récupérer et, idéalement, d'envoyer une équipe de journalistes finaliser l'enquête. L'enquête nécessite des moyens énormes (temps, moyens financiers, capacité et moyens d'investigation) dont nous ne disposons pas. Lors d'une discuss
ion en janvier 1996 avec P. Itchert de la CES (confédération européenne des Syndicats) qui travaille beaucoup sur ce sujet et à notamment obtenu la première suspension du SPG pour la Birmanie, il m'avait fait part de sa réticence à s'attaquer via le SPG d'entrée au plus gros morceau: la Chine. Un an plus tard, après les succès de la Birmanie (levée du SPG agricole et sur les textiles) et le blocage actuel d'un dossier sur le Pakistan, ses réticences persistent. Il craint qu'une telle initiative se voit automatiquement bloquée par le comité de gestion SPG et en amont par la Commission. Il est clair que la Chine dispose d'un poids autrement plus important que la Birmanie et que le risque existe de paralyser le système par une plainte sur la Chine. De plus les discussions autour de la préparation de l'entrée de la Chine dans l'OMC, si elles mettent le sujet à l'ordre du jour, s'accompagnent d'une pression économique terrible sur la Commission. (NB on a vu la volte face de l'administration Clinton qui est passée
d'une certaine fermeté a l'annonce d'un voyage présidentiel). En bref la CES est très réticente à lancer une plainte SPG en l'état actuel des choses et préférerait plutôt explorer la voie des codes de conduites des entreprises (voir plus bas). Il faut toutefois noter que la CISL et beaucoup d'ONG souhaitent déposer un dossier SPG mais il semble que les arguments de P. Itchert soient pertinents. Une plainte via le SPG actuellement risquerait de brûler prématurément une cartouche essentielle. Elle ferait certainement plaisir aux ONG mais aurait très peu de chances d'aboutir à un résultat concret. Par contre, il semble intéressant d'y recourir une fois que les opinions publiques seront plus mobilisées (campagne Wei Jingsheng pour le Nobel...) et la pression plus forte sur les Etat membres.
LES CODES DE CONDUITES POUR LES ENTREPRISES
L'idée est d'inciter toutes les entreprises de l'UE qui veulent faire des affaires en Chine à signer un code de conduite incluant des normes de droits de l'Homme. Elles devront alors s'assurer que leurs fournisseurs respectent ces conditions. En France certaines entreprises comme Carrefour, les vêtements Camaïeu et d'autres sont intéressés par ce système. Leur soutien serait très utile. Il sera beaucoup plus facile pour nous de faire pression sur des entreprises et l'opinion publique sans avoir à traverser le mur institutionnel et bureaucratique de la procédure SPG. Il faut toutefois ne pas se faire d'illusions. Lorsqu'aux USA, Nike ou Reebok ont été accusés, preuves à l'appui, de se fournir dans des laogaïs, leurs armées d'avocats a su adroitement botter en touche en prétendant que ces produits faits en camps n'étaient que des contrefaçons. La compagnie s'en tire donc à bon compte mais une telle pression doit toutefois les mettre sur leur gardes et les forcer à être plus regardant sur l'identité de leurs fo
urnisseurs.
LE BOYCOTT
Une fois la provenance d'un produit venant d'un laogaï identifiée, un énorme travail d'information devra être lancé. Nous aurons pour cela besoin de relais dans les médias mais également de partenaires bien implantés localement dans toute l'Union Européenne (Amnesty International ne participera pas à ce type d'opération mais il peut être intéressant de tenter le coup avec la Fédération Internationale des droits de l'Homme et les relais de Human Rights Watch, militants écolos & Droits de l'Homme ?) pour mener une action sur le terrain (pétition, envoi de cartes postales...). Le boycott est toutefois très volatile, difficile à mettre en oeuvre (besoin de staff), et à contrôler.
COMBINER LES INSTRUMENTS
En bref, aucune solution ne semble vraiment idéale. Une procédure SPG lancée sans préparation sera vouée à l'échec, un boycott est terriblement lourd à lancer, les codes de conduites seuls ne vont pas très loin. C'est peut-être en combinant ces instruments que l'on peut parvenir à créer une pression suffisante pour faire aboutir un boycott et une plainte SPG ou au moins lancer le débat. En s'appuyant sur un travail d'enquête journalistique si possible TV (bien préparé en collaboration avec les ONG qui disposent des informations nécessaires) se focalisant:
- sur les filières d'entrées des produits laogaïs en Europe, et
- sur les sociétés qui proposent à des entrepreneurs européens de bénéficier de la main d'oeuvre des laogaïs;
- sur les entreprises européennes qui écoulent des produits faits en camps.
Il serait peut-être possible de lancer le débat dans les opinions publiques européennes par collecte de signatures et /ou publication d'un appel de personnalités...
L'élément déclencheur sera à mon avis la diffusion d'une enquête européenne sur ce dossier. Te parait-il possible d'intéresser une agence de presse ou une chaîne TV à ce sujet ?