par Mario PaggiSOMMAIRE. Malagodi a essayé en vain de "faire face à la sortie de la gauche" en faisant approuver par le Congrès libéral trois lois "typiquement combattues par la droite économique". Le groupe parlementaire a tout de suite démenti le nouveau secrétaire du Parti libéral (PLI), en ne votant pas les lois qu'il avait proposé. La formation d'une "droite constitutionnelle" est plus difficile que prévu. Il est de toute façon à souhaiter que beaucoup comprendront que la "voie de la conservation" est la "réforme libérale de la société". Autrement, nous aurons "la rencontre fatale" entre la Démocratie chrétienne "intégriste" et le Parti socialiste "nationalisateur et dirigiste".
En ce qui concerne "le renforcement de l'Etat", l'opération est difficile. Certes, les sociaux-démocrates, les républicains et les libéraux ont en quelque sorte accompli "une oeuvre historique d'endiguement de la droite", mais en attendant l'Etat ne réussissait pas à reprendre de l'altitude". Les problèmes à résoudre sont "la modernisation technique" et une sérieuse réévaluation des salaires", surtout dans trois secteurs: l'école, le fisc et la magistrature. En ce qui concerne la politique économique et la politique étrangère, il faudra s'orienter vers "une hausse générale du revenu national", la réorganisation des entreprises dépendants de l'Etat, la croissance des moyennes entreprises, etc, alors qu'en politique étrangère l'adhésion à l'ONU nous permettra de considérer aussi d'autres situations "seulement marginales en perspective", sur lesquelles nous pourrions avoir une certaine influence.
(IL MERCURIO, 24 décembre 1955)
("Umberto Segre a déjà parlé de la scission du Parti Libéral Italien et des perspectives qui s'ouvrent à la nouvelle formation politique à laquelle ont donné naissance les hommes qui appartenaient hier encore à l'aile gauche du P.L.I. dans le dernier numéro de "Il Mercurio". Mais une évaluation plus passionnée de la genèse et des orientations radicales est celle que nous publions ici, par Mario Paggi, qui est parmi les promoteurs et les fondateurs du nouveau parti.")
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Que la scission du Parti Libéral et la constitution du Parti Radical soient des événements éphémères et épidermiques dans la vie politique italienne, ou qu'ils soient destinés par contre à laisser des traces profondes et durables, c'est une question que seuls les Tiresia de profession ou par plaisir pourraient se poser.
Il nous semblerait toutefois hasardé de nier que les deux événements ait mis à nu ce qu'il y avait d'inconsistant et d'arbitraire dans la tentative du Parti Libéral de devenir à la fois paladin des raisons de la droite économique et partisan d'un Gouvernement tripartite nécessairement destiné à des solutions de gauche économique.
UNE DROITE CONSTITUTIONNELLE
La tentative de Malagodi (1) de faire face à la sortie de la gauche en forçant le Congrès à approuver 3 lois typiquement combattues par la droite économique, la péréquation fiscale, les hydrocarbures, les pactes agraires, a engendré jusqu'à présent deux conséquences claires: la première a été la révolte de la droite authentique du Parti, qui a tenté légitimement de mettre le Congrès face aux effets de la politique poursuivie depuis plus d'un an et demi, une révolte qui n'a été domptée que difficilement par la manoeuvre la plus sagace de ce centre ministériel qui est resté fidèle à la vieille formation; la seconde conséquence a été le vote du groupe parlementaire sur la loi de péréquation tributaire. Tous les députés absents sauf Marzotto qui a voté contre. La vraie volonté du Congrès, mal suffoquée par l'unanimité formelle sur la motion centriste, montra ainsi ses vraies finalités. Le groupe parlementaire continua et perfectionna pour son compte la révolution nocturne de la droite.
Et ceci n'est encore rien, parce que sur les trois projets approuvés par le Congrès libéral, celui sur la péréquation tributaire est le moins important pour les intérêts de la droite économique italienne. Nous verrons ce qui se passera lorsque les deux autres projets arriveront à être discutés et votés. Et le meilleur c'est que - après le défilement des députés ministériels, qui auraient dû soutenir les projets de loi approuvés par leur direction, et leur Congrès terminé depuis quelques heures - une certaine presse italienne se plaignait fortement du remplacement des majorités.
La scission libérale a donc dit que le processus de formation de la droite constitutionnelle (qui paraissait, et était, la seule justification politique de l'action du dernier Secrétariat libéral) est plus difficile que cela ne paraissait aux intelligences de ceux qui reconnaissaient, comme seul obstacle à l'opération, la présence dans le parti de la gauche libérale. Il est possible que pour Lauro la voie passe par les collèges électoraux du sud, mais il est tout à fait impossible que la voie pour la droite économique du Nord passe à travers le projet de loi Cortese sur les hydrocarbures et le compromis Segni (2) sur les pactes agraires. Il se peut donc que la droite constitutionnelle, celle qui est consciente de la fatuité de l'inutilité totale des positions extrémistes monarchiques ou de droite, ait perdu une de ses dernières grandes occasions avec les résultats du récent Congrès libéral. Ce qui ne pourrait pas être tout à fait positif pour les résultats des prochaines luttes politiques italiennes, si l'on
ne pouvait pas espérer que beaucoup tireraient de cette expérience que la seule voie de la conservation (pas celle du "conservatisme") est celle de la réforme libérale de la société, et celle de la manoeuvre libérale des instruments moraux et économiques de l'Etat. Autrement le sort de l'Italie est clairement marqué par la rencontre fatale entre la Démocratie chrétienne intégriste et le Parti Socialiste nationalisateur et dirigiste. Au fond de ce chemin, il y a la victoire certaine et définitive de l'intégrisme catholique, plus riche de cadres, d'alliances internationales, de moyens et de confiance financière, et qui, à la foi commune dans la manoeuvre planificatrice des instruments d'Etat, en ajoute une autre plus élevée, plus homogène, plus unificatrice.
C'est pour empêcher cette involution qui est déjà dans les choses, et qui est facilitée par un esprit public désormais sceptique, déprimé, et avili par la sensation d'un échec imminent, que s'est constitué le Parti Radical.
LE RENFORCEMENT DE L'ETAT
Atteindre le but semble difficile et presque impossible, tellement forte est désormais la tension de la tendance indiquée ci-dessus. Mais les cieux ne parlent depuis des siècles que de la gloire de Dieu; celle des hommes est à écrire chaque jour sur terre. Et en attendant il n'est pas facile de nier que quelque chose de nouveau apparait dans ce secteur du centre gauche, où a été le plus sentie la poussée de la nouvelle formation. Il semble qu'une nouvelle clarté et une nouvelle volonté circule dans ces milieux, même si Saragat (3) - comme la gauche, et pour les mêmes raisons illusoires - a perdu de nouveau une grande occasion.
Au lieu de se sentir renforcé, et d'agir en conséquence il s'est senti - absurdement - affaibli (les erreurs habituelles de la politique réduite à pur calcul électoraliste) et s'est comporté en conséquence.
Mais les temps semblent désormais révolus où les sociaux-démocrates pouvaient aspirer à diriger le secteur de centre-gauche du Pays. Leur action apparut alourdie par le principe d'une certaine nostalgie marxiste, tout à fait incapable de gagner la faveur des classes moyennes intellectuelles; successivement le manque de prise de conscience de la réalité sociale et psychologique du pays, aussi variée, multi-âmes et ne pouvant être réduite à des schématismes faciles, augmenta les difficultés déjà graves d'une vocation ministérielle pourtant nécessaire.
Alors que la guerre froide sévissait, et que les droites semblaient enhardies par l'exclusion temporaire des classes prolétaires du Gouvernement, les sociaux-démocrates, et au fur et à mesure les républicains et les libéraux, accomplirent au Gouvernement une oeuvre historique d'endiguement de la droite. Mais en attendant, alors que toute la société italienne renaissait avec difficulté des ruines de la guerre, l'Etat italien, dans son administration et dans sa fonction de guide, ne réussissait pas à se relever. A présent le moment est venu où l'Etat doit être renforcé, ou bien la société risque elle aussi de décliner. Et les agitations actuelles de tous les salariés de l'Etat en sont une démonstration nécessaire.
Il y a sur ce problème un point d'accord unanime: et c'est qu'on ne pourra pas redonner de l'efficacité et du prestige à l'Etat tant que l'on n'entamera pas un processus de modernisation technique, et un ajustement nécessaire des salaires qui mette l'Etat - si ce n'est à même de participer efficacement avec les organisations privés à l'acquisition d'un personnel plus préparé - du moins en condition de permettre à ceux qui autrefois s'appelaient ses serviteurs non seulement une dignité de vie, mais surtout la possibilité d'un perfectionnement technique. Le problème apparait particulièrement délicat dans deux secteurs pour des raisons différentes: le secteur de l'école et celui du fisc; pour ne pas parler de la Magistrature qui, momentanément satisfaite dans ses revendications économiques, voit encore éloigné l'objectif de son efficacité instrumentale.
Mais ici, parvenus au point de la découverte des fonds nécessaires, l'accord se termine. Il apparait évident que seule une attitude consciente et ferme d'"austérité nationale" proclamée, soutenue et montrée par une classe dirigeante digne de ce nom, peut être en mesure de surmonter ce point mort de la vie nationale.
Sur le plan social il faudra reprendre en examen les problèmes de la famille, et tant qu'il ne sera pas possible d'en porter les instituts sur la ligne de toutes les Nations occidentales, il faudra au moins empêcher que l'on continue à faciliter une hausse démographique sans discrimination, comme on l'a fait aussi récemment dans la loi pour la péréquation tributaire.
POLITIQUE ECONOMIQUE ET POLITIQUE ETRANGERE
La ligne économique devra être fixée en harmonie avec la nécessité absolue d'une hausse générale du revenu national, avec celle de la réabsorption du plus grand nombre possible de chômeurs, avec la réorganisation rapide des industries sous le contrôle de l'Etat, et avec une défense résolue et un renforcement certain des petites et moyennes entreprises, qui formaient l'ossature la plus saine de la vie économique italienne. Les grands ensembles industriels et commerciaux, qui sont un produit inévitable de la technique moderne, devront être contrôlés pour que leur puissance économique ne devienne pas une puissance politique. l'admission de l'Italie à l'ONU pousse finalement à une révision totale de notre politique étrangère, certainement pas en ce qui concerne nos problèmes fondamentaux de coalition et d'équilibre internationaux - qui sont des résultats acquis et qui ne doivent plus être mis en discussion - mais plutôt sur les problèmes qui ne sont que marginaux en perspective, et sur lesquels notre absence de
l'ONU nous avait permis de ne pas nous prononcer. Je fais particulièrement allusion aux rapports entre Israël et les Etats Arabes, et à la situation de la France en Afrique du Nord: des problèmes qui pourront revenir à l'Assemblée des Nations Unies dans un prochain avenir.
Et alors qu'empêcher toute menace contre Israël apparait comme une tache fondamentale de civilité, de progrès et d'équilibre en Méditerranée, une action de soutien et une politique française manquant de sous-entendus colonialistes, libre de camarillas et d'oligarchies locales, visant à guider les populations indigènes vers les formes de l'auto-gouvernement, pourrait représenter le premier pas vers cette entente italo-française permanente qui apparait désormais comme le premier pas réaliste et indispensable pour une plus large Communauté Européenne. Le chemin est long et difficile. Il faut le commencer.
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N.d.T.
1 - MALAGODI GIOVANNI. (Londres 1904 - Rome 1991). secrétaire du Parti libéral italien (PLI) de 1954 à 1972. Modéré.
2 - SEGNI ANTONIO. (Sassari 1891 - Rome 1972). Démocrate-chrétien, italien. Ministre de l'agriculture en 1946, il élabora la réforme agraire de 1949. Il fut Président du Conseil (1955-57 et 1959-60), puis Président de la République en 1962, il dut se démettre en 1964 car gravement malade. On parla de lui comme fauteur possible d'un coup d'état pour renverser le premier centre-gauche, trop "progressiste".
3 - SARAGAT GIUSEPPE. (Turin 1898 - Rome 1988). Socialiste, exilé en Autriche sous le fascisme. Ministre dans le premier gouvernement Bonomi de 1944, président de l'Assemblée Constituante en 1946. En 1947 il dirigea la scission de l'aile droite du Parti socialiste italien (PSI) fondant le PSLI (Parti socialiste des travailleurs italiens), ensuite PSDI (Parti socialiste démocrate italien). Vice-président du Conseil et Président de la République de 1964 à 1971.