par Ernesto RossiSOMMAIRE: Ernesto Rossi et avec lui Carlo e Nello Rosselli eurent de l'enseignement de Salvemini la révélation des valeurs auxquelles ils consacrèrent toute leur vie. Il s'agît de la rencontre singulière d'intelligences et de caractères particulièrement enclins à se compléter. Leurs rapports, leurs correspondances, leurs propos et leurs réalisations appartiennent à l'histoire récente de notre civilisation et représentent de façon exemplaire la meilleure partie de l'Italie qui aujourd'hui encore n'est pas sortie de l'ombre où l'a reléguée une pratique politique qui est souvent à l'opposé de ce qu'ils espéraient voir se réaliser.
Autant dans les écrits de Salvemini que dans ceux de Rossi le souvenir de leur amitié revient fréquemment, une amitié qui se prolongea inchangée et fructueuse de 1919 jusqu'à la mort de Salvemini.
Ce fut une rencontre qui eut lieu sous le signe d'origine communes remontant à l'illuminisme et à l'empirisme, à la tradition démocrate de la Renaissance italienne et particulièrement à Cattaneo (*) (ce n'est pas un hasard si Salvemini mourant le mentionna et que Rossi le fit participer à une des dernières conversations). Sous l'influx de tels facteurs et toujours stimulé par le dialogue avec Salvemini, Rossi commença à se tourner du libéralisme initial vers des positions plus proches d'un socialisme ouvert.
A la mort de Salvemini il apparut clairement que Rossi et lui seul avait la force, la préparation, la veine polémique, la finesse, la répugnance pour toute forme de fanatisme, qui étaient nécessaires pour assumer le lourd héritage spirituel de ce grand homme et de la tradition splendide qu'il avait incarné. Rossi le démontra pleinement en dénonçant sans demi mesures la corruption, les privilèges, les ingérences illicites dans la gestion de la chose publique, le mauvais fonctionnement d'un état dont les structures étaient passées indemnes à travers le fascisme.
Le "problémisme" salvéminien, héritier direct de la méthode de Cattaneo, également distant d'attitudes de signe idéaliste comme d'autres d'ascendance irrationaliste, trouva chez Rossi un continuateur naturel; et une histoire d'Italie différente de celle courante, plus respectueuse du vrai et affranchie de celles que Salvemini appela "usines d'ombre", devrait reconsidérer avec plus d'attention ce qu'ont été et ce qu'ont fait ces deux hommes.
Cet écrit confirme la vigueur exceptionnelle, la limpidité et l'efficacité de la prose de Rossi et nous rappelle la dette que beaucoup ont à son égard.
(IL MONDO, 17 septembre 1957, réédité par QUADERNI RADICALI, n. 11/12, janvier-juin 1981)
Quand après vingt ans d'exil Salvemini revint parmi nous en juillet 1947, je fis précéder l'article (1), par lequel je lui donnais la bienvenue, par les paroles d'Alcibiade sur Socrate, dans le Banquet:
"Il ressemble très fort à ces silènes que l'on voit dans les ateliers des sculpteurs, auxquels les artistes donnent un air avec des musettes et des flûtes, et quand tu l'ouvres, dedans tu peux voir les simulacres des dieux".
Ce passage me revient à l'esprit, maintenant que Salvemini nous a quitté (2).
Salvemini comme Socrate ressemblait à un vieux silène: un grand crâne, modelé avec vigueur, un grand front large que la calvitie rendait plus large encore; de petits yeux, dans lesquels on lisait la bonté et l'intelligence; le nez camus; les pommettes prononcées; une grande bouche, qui quand elle souriait découvrait une large rangée de dents sur une barbe en pointe; les épaules larges; l'aspect trapu; le pas lourd.
Un homme qui venait des champs - pas des salons littéraires.
Et comme avec Socrate, celui qui l'ouvrait trouvait à l'intérieur les dieux les plus précieux (3).
Avec l'aide d'une mémoire prodigieuse et sur le fondement d'une très vaste culture humaniste - dont il avait fait la moelle de ses os et le sang de son sang - Salvemini saisissait avec une promptitude extraordinaire les rapports entre les idées les plus éloignées et en déduisait les conséquences implicites avec une rigueur logique qui ne laissait aucune faille à l'équivoque.
La clarté équivalait vraiment pour lui à l'honnêteté. Il se donnait toujours la peine de mettre bien en lumière les premiers principes, les prémisses non-logiques, de ses raisonnements.
L'interlocuteur pouvait aussi les refuser, déclarant une différente échelle de valeurs. Salvemini était l'homme le plus tolérant du monde: il admettait qu'un autre considérât les événements de points de vue même opposés aux siens. Mais il ne discutait pas pour le plaisir de bavarder: il discutait pour convaincre, ou pour être convaincu, et il savait qu'il n'est pas possible de nous comprendre si l'on ne parle pas le même langage. A celui qui refusait les prémisses de son raisonnement il ne demandait que de prendre conscience de ce que signifiait un tel refus, et d'en tirer les conséquences jusqu'au fond, conformant son action à sa pensée. (L'athéisme de Salvemini ne l'empêchait pas, par exemple, d'avoir le plus grand respect pour les gens qui étaient religieux: il fallait le démontrer par toute sa vie; et ne pas se contenter de marmotter des oraisons à l'église).
Si son interlocuteur acceptait - même seulement comme hypothèse provisoire, comme instrument de travail - d'accrocher le premier anneau des syllogismes à son propre arpion, il était conduit à ses conclusions, par la même nécessité qui amène celui qui accepte les postulats de la géométrie euclidienne à accepter tous les théorèmes qui en sont déduits.
L'enseignement de Salvemini n'était jamais dogmatique: son souci était plus celui de former l'esprit critique que celui d'accroître les connaissances dans les cerveaux des disciples. Tout comme Socrate, il ne voulait être que l'obstétricien qui aide à mettre au jour la vérité: la vérité que chacun porte à l'intérieur de soi.
Parlant avec un jeune, il ne profitait jamais de sa supériorité pour lui fermer la bouche; il essayait, au contraire, de trouver ce qu'il y avait de bon, ce qu'il fallait prendre au sérieux dans ce qu'il disait.
- C'est ça que tu as voulu dire, n'est-ce-pas? -demandait-il. Et même dans la vase des idées les plus confuses il réussissait toujours à tamiser quelques paillettes d'or. Le jeune reconnaissait que cette paillette était d'or. Le jeune reconnaissait que cette paillette lui appartenait, et acquérait confiance en lui-même. Il apprenait petit à petit à n'accueillir aucune affirmation, même venant du Père Eternel, sans la soumettre au crible de sa raison; il apprenait à se demander à quoi servent les habitudes et les institutions existantes, même les plus vénérables; il apprenait à donner des coups de poing sur le crépi des mots pour sentir ce qu'il y a derrière: le plâtre, la pierre vive ou le vide; il apprenait à présenter les problèmes dans leurs justes termes, sans se laisser détourner par la passion; il apprenait à définir le sens des mots et à le garder fermement jusqu'au fond du discours; il apprenait à ne pas avoir honte de répéter mille fois qu'il ne comprenait pas, même quand tous assuraient avoir compr
is. Il apprenait à être non-conformiste.
Salvemini savait aussi qu'il n'est pas possible de renoncer totalement aux mots abstraits et aux théories générales; mais il essayait de limiter le plus possible leur terrain d'application. Il ne pouvait supporter les fabricateurs de systèmes, qui voltigent sur le trapèze des "universaux", convaincus de dire des choses qui sont d'autant plus profondes qu'elles résultent incompréhensibles au vulgaire profane (4). Le prototype de ces "philosophes" était, pour lui, Giovanni Gentile (5).
"Son cerveau est comme un filtre au contraire - j'ai trouvé de vieilles notes qui lui appartiennent. Si vous y versez dedans des idées claires, elles en sortent troublent. Si vous posez une question à Gentile et qu'il vous répond, vous ne réussissez même plus à comprendre votre question".
Au lieu de présenter le Peuple, le Progrès, la Démocratie, la Révolution comme protagonistes de l'Histoire, Salvemini essayait de comprendre ce que chaque personnage en particulier avait pensé, ce qu'il avait voulu: Pierre, Paul, tout le monde, fils de parents donnés, élevés dans un certain milieu, qui exerçaient un métier donné. Plutôt que parler de la Liberté avec un "L" majuscule, valable en tout temps et dans le monde entier, il préférait parler des libertés particulières: la liberté de presse, la liberté d'association, la liberté de grève, en telle année, dans tel pays. Il n'opposait jamais le prolétariat en bloc à la bourgeoisie en bloc. Il distinguait la bourgeoisie en groupes, selon la diversité des intérêts, de la puissance, de la fonction sociale. Et, contre la conception mythique de l'"unité du prolétariat", il remarquait que les travailleurs septentrionaux ont des intérêts opposés à ceux des travailleurs méridionaux; les travailleurs des campagnes ont des intérêts opposés à ceux des travailleurs
des villes; les ouvriers des grandes industries parasitaires ont des intérêts opposés à ceux des ouvriers qui vivent hors de la zone de privilège, et font même cause commune avec les entrepreneurs et les capitalistes des industries où ils sont occupés, pour mieux exploiter la population restante (6).
Aux théories générales, aux "systèmes", il préférait l'étude des problèmes concrets, définis de façon à bien pouvoir les saisir dans tous leurs détails: suffrage universel, tarif douanier, coéquation fiscale, construction scolaire, indépendance de la magistrature.
Quand l'année dernière nous tînmes à Rome un congrès (7) des "amis du Monde" sur le problème de l'école, il critiqua l'ampleur excessive du thème. Nous aurions mieux fait de mettre en discussion le choix des enseignants, ou alors le système des examens, ou bien le contrôle de l'enseignement privé. Discuter de la réforme de l'école en général c'était comme discuter de la réforme sociale. Celui qui embrasse trop ne serre rien.
Puis le fait que des gens d'origines différentes arrivassent aux mêmes conclusions se rappelant à des théories positivistes ou à des théories idéalistes, au libéralisme ou au socialisme, au christianisme ou au laïcisme, avait pour lui peu d'importance. L'important était qu'ils se missent d'accord sur des solutions pratiques valables pendant quelques années sur des problèmes concrets particuliers.
Un jour, dans les premiers temps de notre amitié, discutant à propos du socialisme, je lui déclarai que jamais je n'aurais pu entrer dans le parti socialiste car je considérais infondée la théorie de la plus-value, sur laquelle Karl Marx avait construit tout son système.
- Mais que t'importes le système? - répliqua Salvemini. - Regarde si les chambres du travail, les coopératives, les socialistes ont fait et peuvent encore faire quelque chose pour améliorer les conditions de vie des pauvres gens. C'est sur cela que tu dois juger le socialisme; pas sur les idéologies. Il n'y a que quelques dizaines de personnes en Italie qui ont lu le Capital et très peu l'ont compris, même si des milliers de socialistes jurent dans le verbe "scientifique" de Marx (8).
A son retour des Etats-Unis, il notait à la date du 5 août 1947, dans un journal où chaque soir il résumait les conversations qu'il avait eu pendant la journée, pour s'informer de la situation politique italienne: "On a discuté de socialisme, de marxisme et autres chose semblables. J'ai dit franchement que je ne crois désormais qu'en Criton de Platon et que dans le discours de la Montagne. Voici mon socialisme, et je le garde inexprimé dans ma pensée, parce que j'ai l'impression de le profaner en l'exprimant. J'essaye de l'exprimer au mieux de mes capacités dans mes oeuvres. Affronter des problèmes concrets immédiats, suivant les directives de marche dictées par la morale chrétienne, et ne pas perdre de temps dans des recherches théoriques sur ce qu'est, sur ce que devrait être, sur ce que sera la démocratie, le marxisme, le socialisme, l'anarchie, le libéralisme, que tous s'en aillent au diable. Perdre du temps à piétiner de l'eau dans le mortier des abstractions, c'est de la lâcheté; c'est échapper au devo
ir de l'action immédiate; c'est se rendre complice de la conservation du statu quo".
Dans l'Italie du "casque de Scipion" et de "arme la proue et appareille vers le monde", un casse-pieds comme Salvemini, qui opposait les statistiques aux sacres et qui voulait que le peu de moyens à disposition, plutôt qu'aux aventures héroïques, eut servi à construire des routes, des aqueducs, des égouts, des logements sociaux, à combattre l'analphabétisme, à aider les dernières couches de la population à se soulever de leurs conditions de vie bestiales - un casse-pieds qui démontrait, par des données irréfutables, que la Lybie n'était pas une terre promise, telle que l'exaltaient les journaux des sidérurgiques et des affairistes du "Banco di Roma", mais une "grande boîte de sable" où notre main d'oeuvre exubérante (9) n'aurait pas pu trouver de travail; un casse-pieds qui expliquait sur son "Unità" (10) que l'annexion de la Dalmatie, demandée par les généraux de l'Etat-major pour accroître les effectifs, aurait rendu la défense du territoire national beaucoup plus coûteuse et beaucoup plus difficile...c'ét
ait nécessairement un "défaitiste" - ou plutôt le "défaitiste" par antonomase.
Je crois que le degré d'impopularité atteint par Salvemini à certains moments - spécialement dans les années qui ont immédiatement suivi la première guerre mondiale - n'a jamais été atteint par aucun autre homme politique italien.
La première fois que dans la rue je remarquai sa figure étrange (il portait alors un "macfarlane" noir, passé de mode depuis plusieurs années, que même les cochers de fiacre ne portaient plus, et le chapeau en pain de sucre des paysans des Pouilles) ce fut en 1919, alors que je me trouvais dans un tramway: un énergumène se pencha à la portière de la plate-forme pour lui hurler au visage l'insulte: "Défaitiste!".
C'est par ce titre que Salvemini a été connu par toute une génération de "patriotes", même par ceux qui n'avaient jamais lu son nom sur "Magnats et gens du peuple à Florence" (11) et sur l'"Histoire de la Révolution française" (12).
Malgré la sévérité de ses principes moraux, qui n'admettaient aucune espèce de compromis à l'avantage de sa "personne" et qui laissaient très peu de place au repos et aux distractions, Salvemini était un compagnon sociable, gai, toujours prompt à la république amusante. Il riait de tout coeur, comme un enfant, quand on lui racontait une bonne blague.
Parmi le peu de lettres de lui que j'ai réussi à sauver, j'en ai trouvé deux qu'il m'écrivit en 1923 d' Angleterre, où il avait retrouvé Carlo Rosselli.
"Rosselli et moi - écrivait-il le 23 août - avons passé trois semaines merveilleuses à Hindhead. Rosselli fit fureur chez la gent féminine: mais je crois qu'il ne soit jamais allé plus loin que les menus frais. Moi, pauvre petit vieux que je suis, je n'ai pas à me plaindre. Nous étions en concurrence pour la plus belle dame de la communauté: une irlandaise junonienne, veuve de guerre, entre 35 et 40 ans, vraiment belle, pianiste et cantatrice délicieuse qui... nous servait à table: parce que le service était assuré par des étudiants de Cambridge et d'Oxford, par des professeurs de sciences et de lettres, par des artistes et autres ingrédients de ce genre. Donc Rosselli admirait cette dame very much: moi aussi. Rosselli se lançait à l'attaque avec l'hardiesse de la jeunesse. Moi je boitais à l'arrière-garde. Le dernier soir elle nous invita tous deux pour une promenade au clair de lune. Rosselli était agressif: moi taciturne. A la fin la belle déclara que c'était moi qui lui plaisait le plus. Désastre irrépar
able! Rosselli nous plante là et s'en va. Je reste le seul maître des eaux. Je ne peux pas dire ce qui se passa alors dans la solitude...car il ne se passa rien. Les femmes anglaises sont comme l'Italie: il ne se passe jamais rien, et rien ne dure jamais".
Et dans une lettre successive, après avoir dit que "s'il n'avait pas eu la ferme intention de ne pas quitter l'Italie tant qu'il n'y serait pas obligé, et tant qu'il aurait pu se dire - quoi qu'il advint - qu'il avait été obligé de le faire", au lieu de revenir à Florence, où il n'aurait certainement pas pu reprendre sa vie d'étude et d'enseignement, il serait resté à Londres "pour cirer les chaussures ou jouer de la clarinette dans les rues", il continuait:
"Tu me diras: comment ferais-tu à jouer de la clarinette? - N'aies pas peur, je te réponds. Ici tu peux faire tout ce que tu veux. Plus tu joues mal de la clarinette et plus les gens ont pitié de toi, comme d'un malheureux incapable de gagner sa vie, et ils te laissent un penny dans la soucoupe.
Il y a quelques années il avait écrit une lettre au "Mondo" dans laquelle il proposait, pour les immeubles qui appartenaient anciennement aux organisations fascistes, une solution anti-étatiste que je considérais irréalisable.
"Cela me semble - ai-je observé - une de ces propositions que mes camarades anarchistes de prison ou d'exil faisaient souvent. De très braves gens que j'estimais beaucoup et dont je partageais presque tous les idéaux, mais auxquels je reprochais de manquer de sens historique. Je ne peux certainement pas dire la même chose de toi, qui fait l'historien de profession depuis si longtemps.
Ce n'est pas le sens historique qui me manque - répliqua promptement Salvemini -, c'est le sens commun.
Nous avons ri ensemble. Mais à présent, en y repensant, je reconnais qu'en plaisantant, il disait la vérité, si par sens commun on entend par là ce qu'en général les bien-pensants entendent par là: "laisse toi vivre et pense à la santé". S'il avait eu un peu de ce sens commun, Salvemini n'aurait pas combattu toute sa vie les injustices et les privilèges; il ne s'en serait pas pris à nouveau avec les socialistes; il n'aurait pas refusé le siège à la Chambre, quand il découvrit que ses électeurs avaient fait des tripotages électoraux pour combattre les tripotages électoraux du candidat adversaire; il n'aurait pas écrit "Le Ministre des délinquants" (13) alors que Giolitti (14) était au comble de sa puissance; lui l'interventionniste, il n'aurait pas fait les violentes campagnes qu'il fit contre Sonnino (15) pour sa politique nationaliste, et contre D'Annunzio (16), au temps de l'action de Fiume; il ne serait pas allé en prison pour avoir écrit "Ne lâche pas" (17), il n'aurait pas démissionné de sa Chaire à l'U
niversité de Florence, quand il devint impossible d'enseigner librement; il ne serait pas resté pendant tant d'années loin de son pays, qu'il aimait tant, pour ne pas reconnaître les mérites de l'Homme de la Providence.
Jusque sur son lit de mort, Salvemini a conservé l'humour qui était le sien.
A la mi-août (après de longs mois de maladie, il n'y avait plus d'espoir de le sauver) je suis allé à Sorrento où il avait trouvé depuis 4 ans l'hospitalité la plus généreuse et la plus attentionnée chez son amie très-aimée, donna Titina, la fille de Ferdinando Martini (18). Je désirais discuter encore avec lui le programme de publication de ses oeuvres parues et inédites. A mon baiser il s'est éveillé avec fatigue de la lourde torpeur que lui procurait l'empoisonnement de son sang. Il n'était plus capable de rester assis dans son lit soutenu par des oreillers. Le visage émacié par les jeûnes et par les souffrances semblait d'ivoire. Il parlait avec un fil de voix, que j'entendais à peine en approchant une oreille de ses lèvres.
- Ce coeur cruel, il ne veut pas lâcher - m'a-t-il dit.
- Avec leurs traitements les médecins prolongent mon agonie: pas ma vie. Je voudrais seulement qu'ils fassent en sorte que je m'endorme pour ne jamais plus me réveiller...
Je lui ai exposé le plan de publication: nous réunirons - lui ai-je expliqué - une vingtaine de volumes. Il a légèrement souri, secouant la tête, et disant non avec la main: ça ne valait pas la peine de ressortir tant de choses. Je lui ai demandé s'il se souvenait d'autres écrits pour compléter ma liste:
- J'y ai beaucoup pensé, sais-tu, dans les derniers temps. J'aurais eu besoin d'une prolongation de trois mois pour tout remettre en ordre.
Il se souvenait avec précision des titres, des éditeurs, des dates d'impression.
- Je crois que tu oublies un ouvrage - ai-je observé - Il devrait y avoir un de tes discours inaugural à l'Université de Messine, sur le caractère et le sens de l'histoire. Je ne le connais pas; mais on m'a dit qu'il était important.
- Non, non... c'est une bêtise - a-t-il répondu dans un souffle - figure-toi... en ce temps-là je croyais que l'histoire fut une science.
Quatre jours avant la fin, Giuliana - la bonne, la chère fille de donna Titina qui l'a assisté pendant tant de mois avec dévotion - m'a téléphoné pour me dire que Gaetano était aux extrêmes. Je suis revenu l'embrasser encore une fois. Dans les deux dernières semaines il ne s'était nourri que de quelques gorgées d'eau. Il était encore plus épuisé et sa voix m'était devenue imperceptible. Il restait les yeux fermés et il s'assoupissait de temps en temps. Mais quand il se réveillait il était tout à fait lucide. Maritza servait d'interprète, répétant plus fort ses paroles. Ses rapports avec ses amis, groupés autour de son lit, étaient - comme d'habitude - de sincérité totale. Il ne venait même à l'esprit de personne de feindre pour le consoler.
Il a demandé ce qu'avait dit le docteur:
- Il a trouvé ton coeur très faible - lui a répondu Maritza. - Désormais on n'entend plus les pulsations.
- Voilà une bonne nouvelle.
Il a souhaité que son cercueil soit porté sur les épaules par ses amis les plus jeunes (19). Il s'est souvenu aussi de don Rosario, le bon prêtre qui était devenu son ami, et auquel il avait déjà dit adieu quelques jours auparavant:
- S'il veut suivre les funérailles qu'il vienne donc, mais "habillé en homme".
Il a même parlé de politique.
- Les socialistes de la fin du siècle dernier étaient bons. Ils voulaient donner un quignon de pain aux pauvres gens. Turati (20) était très bon. Les communistes (21) ne sont pas bons, ce sont des dogmatiques. Les prêtres... les prêtres... c'est le système qui fait ce qu'ils sont.
Je l'ai remercié pour le bien qu'il nous avait fait pendant toute sa vie.
- Tu continueras à en faire par tes écrits, qui resteront après toi.
Il a souri, secouant la tête.
Après Cattaneo (*) - ai-je insisté - les choses les plus belles et les plus importantes sur la politique de notre pays, je t'assure, c'est toi qui les a écrites.
De Cattaneo - a-t-il dit - je me souviens d'une pensée qui me plaît beaucoup: et c'est que les peuples anglo-saxons feront l'unité du monde. Eux seuls en ont la force et la capacité. Ils continueront à se disputer entre eux... mais c'est le seul espoir.
- Où Cattaneo l'a-t-il écrit?
- Demande-le à Sestan (22).
Pour chaque ami il a trouvé une bonne parole, personnelle.
Deux de ses élèves se sont penchées sur lui pour l'embrasser;
- Quel beau sourire vous avez! - a-t-il dit - Quel plaisir de voir encore un aussi beau sourire.
Et il a continué à chuchoter à leur oreille des compliments plaisants, que Maritza ne traduisait pas: mais le visage des deux jeunes-filles était illuminé par ses paroles; elles riaient heureuses, tandis que lui aussi esquissait un sourire.
Quand Armando Borghi (23), son vieil ami anarchique, l'a embrassé, il lui a dit qu'il avait encore l'âme candide d'un enfant.
- Tu as l'air d'avoir douze ans.
- Ce matin - ai-je remarqué - quand tu l'as grondé parce qu'il avait lâché un juron, tu as dit qu'il avait l'air d'avoir quatorze ans.
- Ca veut dire que je ne sais plus tenir les comptes. Mais je suis justifié. Borghi, au contraire, n'a jamais su les tenir toute sa vie.
- Vous n'avez pas idée - a-t-il répété à plusieurs reprises - comme je suis content de mourir ainsi. Avoir la conscience tranquille c'est la seule chose qui importe... Mourir en souriant: c'est précisément ce que je voudrais...Par curiosité je voudrais savoir le moment du passage de la vie à la mort... Je ne comprend pas pourquoi les gens aient tellement peur de mourir... Pour mes amitiés j'ai eu de la chance toute ma vie et j'ai de la chance dans la mort aussi... Je ne pouvais pas avoir une fin aussi sereine, plus heureuse que celle-ci, entouré par mes proches amis et par ceux qui sont loin... Je voudrais tous vous embrasser... Je suis à la fin de la corde... (24).
Comme Socrate, Salvemini avait un très haut concept de la dignité humaine, et, comme Socrate, il cherchait la justice pour la même exigence morale et avec la même passion avec laquelle il cherchait la vérité; c'est pourquoi il a été un maître de vie pour tant de jeunes; c'est pourquoi il a été l'adversaire le plus décidé du fascisme, dès le début.
A la moitié du mois de novembre 1923, Mussolini présenta son gouvernement à la Chambre par le "discours du bivouac", traitant les députés de l'opposition comme des marmitons qu'il aurait pu renvoyer d'un jour à l'autre, s'il l'avait voulu. J'étais dans la rue avec Salvemini quand sortirent à Florence les éditions extraordinaires qui rapportaient le discours. Salvemini acheta le journal à un crieur et s'arrêta sur le trottoir pour le lire. Au fur et à mesure qu'il lisait, son visage se faisait plus sombre - jusqu'au moment où il ne tînt plus; il arracha son chapeau en pain de sucre et le jeta violemment par terre. Puis ensuite, honteux de ne pas avoir su se contrôler, il le ramassa et le remit tout poussiéreux sur sa tête.
- Ils lui ont laissé dire ces choses, sans même l'interrompre - éclata-t-il d'une voix frémissante - Et demain nous lirons dans les journaux les répliques élégantes de ces messieurs de l'opposition...
Il resta bouleversé jusqu'à la porte de l'Université. Il me quitta sans même me saluer.
Après l'assassinat de Matteotti (25), tandis que tous les Saints Pères du libéralisme et du socialisme conseillaient la prudence, pour ne pas casser les oeufs dans le panier des grosses têtes de l'Aventin, qui étaient en train de prendre des accords avec le roi, avec le pape, avec les généraux, avec Delcroix, avec les fascistes dissidents, avec le commandement des carabiniers (26), pour envoyer Mussolini en prison, Salvemini incita de suite tous les amis à l'action illégale: s'il ne nous était plus permis d'écrire ce que nous pensions sur les journaux, nous devions publier dans la presse clandestine - s'il ne nous était plus permis de nous organiser à la lumière du jour, nous devions former des sociétés secrètes. Que chacun de nous fasse ce qu'il pouvait, sans proportionner son action à la possibilité de succès: pour conserver le respect de soi-même, pour ne pas devenir, même seulement par le silence, complice du fascisme.
Salvemini fut, à Florence, l'âme de la révolte morale contre le "régime": ce fut lui qui dirigea le "Ne lâche pas"; presque tous les articles de cette feuille clandestine sont les siens; une grande partie de l'argent pour l'imprimer fut recueillie par lui; ce fut lui qui se procura le mémorial Filippelli sur l'assassinat de Matteotti et d'autres documents que nous publiâmes alors.
Pour le "Ne lâche pas" Salvemini fut arrêté et subit un procès en juillet 1925 (27). Après la première audience il obtint la liberté provisoire, et en profita pour expatrier clandestinement en France. Ce fut une des plus graves erreurs de Mussolini: s'être laissé échappé des mains son adversaire le plus décidé et le plus intelligent. Si Salvemini était resté à Florence trois mois de plus, on l'aurait certainement éliminé dans la nuit de sang du 4 octobre.
Pendant toute la résistance au fascisme, Salvemini fut présent en Italie avec ses écrits et avec l'action des "giellisti" (28) qui se tenaient en contact avec lui. Même dans les années les plus sombres, partout où se trouvait quelqu'un encore disposé à risquer dans la lutte pour la liberté, il s'agissait toujours d'un "salveminien": quelqu'un qui avait été lecteur de son "Unità", ou quelqu'un qui en quelque sorte avait ressenti l'influence de sa pensée.
En juillet 1929, Carlo Rosselli, avec Lussu et Fausto Nitti, réussit à s'évader de son exil de Lipari, et à rejoindre Salvemini à Paris (29). Plus qu'un disciple, Carlo était un fils spirituel de Salvemini. A travers Carlo, "Giustizia e Libertà" fut en grande partie oeuvre de Salvemini. Salvemini écrivit le premier programme de G.L.; il fit des tournées de conférences en Amérique pour financer G.L.; sur la revue et sur l'hebdomadaire de G.L. il publia certains de ses meilleurs essais politiques; beaucoup d'opuscules que G.L. distribua clandestinement en Italie sont de Salvemini (30).
En 1933, il fut appelé comme professeur d'histoire à l'Université de Harvard (31) et s'établit aux Etats-Unis; mais même pour une journée il ne cessa d'expliquer aux étrangers ce qu'était le fascisme, il ne cessa d'attirer l'attention de l'opinion publique des pays libres sur l'aide que leurs gouvernements donnaient à un gouvernement tyrannique; de défendre le peuple italien contre l'accusation d'être indigne des libertés politiques, dont jouissaient les autres peuples civils; d'insister sur le danger que le "régime" représentait pour toutes les démocraties et pour la paix dans le monde.
Une armée de propagandistes, avec les archives des ministères romains à leur disposition, ne suffisait pas à s'opposer à cet irréductible "réfugié politique", qui, presque seul, réussissait à suivre tout ce qui était publié en Italie pour étayer ses thèses: livres, journaux, lois, statistiques, actes parlementaires, bilans de sociétés, sentences de tribunaux, contrats de travail, rien ne lui échappait. Alors que Salvemini démasquait continuellement les mensonges de la propagande fasciste, je crois que les fascistes n'ont pas même réussi une seule fois à démontrer l'inexactitude de ses affirmations, toujours documentées par des citations précises, rassemblées avec la patience d'un bénédictin et avec la méthode critique apprise lors des recherches scrupuleuses d'archives.
Si - comme je l'espère - ses polémiques politiques en anglais seront très bientôt traduites et publiées chez nous (32), elles constitueront la meilleure preuve de l'oeuvre accomplie par cet "antinational", pour défendre l'honneur et l'avenir de l'Italie.
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NOTES
(*) Carlo Cattaneo (1801-1869): Historien et homme politique. Rédacteur des "Annales universelles de statistique", il fonda la revue "Il Politecnico" (1839-1844), divulguant le savoir scientifique et technique en fonction du progrès civil et social, mettant en valeur le rôle de la bourgeoisie et du capitalisme. Exilé en Suisse (1848), il soutint des positions fédéralistes-républicaines, ainsi qu'un programme politique de larges autonomies locales.
1. L'article, dont le titre est "Gaetano Salvemini, parut dans l'"Italie Socialiste" du 13 juillet 1974. Dans la même année Rossi écrivit pour "Il Ponte" (a. III, pages 892-895) la note "Comment ai-je fait la connaissance de Salvemini".
2. Salvemini mourut à Sorrento le 16 septembre 1957.
3. Le rapprochement entre Salvemini et Socrate avait déjà été fait plus d'une fois par Rossi: écrivant à sa mère de la maison d'arrêt de Pallanza, le 21 septembre 1931, il avait rappelé les années où il l'avait rencontré chaque jour, et où "il avait l'impression d'avoir près de lui le bon Socrate, habitué à garder toujours les pieds solidement sur terre, comme le bon fils de paysan qu'il était lui aussi; et sage, plus parce qu'il comprenait l'âme des hommes que parce qu'il connaissait beaucoup de choses"; et écrivant à sa femme de la maison d'arrêt de Rome, le 26 août 1938, il avait confirmé ce rapprochement avec une chaleur particulière.
4. La même aversion pour les philosophes de profession (que Salvemini nourrit toujours, par exemple, se méfiant de la "confusion universelle" qui naissait de chaque proposition où Croce avait mis "sa patte": lettre du 9 mai 1949 à Ernesto Rossi, dans "Lettres de l'Amérique", 1947-1949, par Alberto Merola, Bari, Laterza, 1968, p. 282) fut partagée par Rossi, dont on se rappelle les vers moqueurs consacrés de sa prison à l'exposition des doctrines de Croce professées par son compagnon de cellule Riccardo Bauer.
5. Giovanni Gentile: (1875-1944) philosophe italien. Collabore avec Croce au journal "La Critica"; en 1923, adhère au parti fasciste; ministre de l'Instruction (1922-1924) accomplit une vaste réforme de l'école. Partisan d'un retour à l'idéalisme hégélien.
6. Ce sont les thèses que Salvemini soutint dans les années du gouvernement de Giolitti contre les orientations officielles du parti socialiste et des organisations des travailleurs de la grande industrie.
7. Les actes du congrès peuvent être lus dans le volume de Leopoldo Piccardi, Raffaello Morghen, Guido Calogero, Lamberto Borghi, Umberto Zanotti Bianco, "Débat sur l'école", par Adolfo Battaglia, Bari, Laterza, 1956. Rossi fut le premier animateur et organisateur des congrès du "Mondo", comme, ensuite, de ceux du "Mouvement Salvemini".
8. Salvemini ne renia jamais son aspiration à une solution socialiste des problèmes italiens.
9. Avec le titre "Comment sommes-nous allés en Lybie" Salvemini réunit dans un volume, en 1914, pour les éditions "Voce" des écrits personnels et d'autres auteurs contre l'entreprise africaine, les faisant précéder d'une introduction, " Pourquoi sommes-nous allés en Lybie".
10. L'"Unità" fut le périodique fondé et dirigé par Salvemini entre 1911 et 1920.
11. "Magnats et gens du peuple à Florence de 1280 à 1295" est le titre de l'oeuvre la plus importante de Salvemini comme historien du Moyen-Age, parue pour la première fois à Florence en 1899 (rééditée successivement par la Maison d'édition Einaudi à Turin en 1960).
12. "La Révolution française (1788-1792)" est peut-être l'oeuvre la plus diffusée de Salvemini, parue pour la première fois en 1905, et rééditée à plusieurs reprises (jusqu'à l'édition définitive (Bari, Laterza, 1954).
13. Le célèbre pamphlet "Le Ministre des délinquants. Nouvelles et documents sur les élections dans l'Italie du Sud sous Giolitti" qui, avec "Les Mémoires d'un candidat", illustre de quelle façon l'homme d'état piémontais truquait les élections dans les provinces du Sud, peut être lu à présent dans le volume "Le Ministre des délinquants et autres écrits sur l'Italie sous Giolitti" par Elio Apih, Milan, FeltrinellI, 1962.
14. Giovanni Giolitti: (1842-1928) Homme politique italien. Député libéral depuis 1882, ministre du Trésor sous Crispi (1889-90), président du conseil à plusieurs reprises dans la période 1892-1921. Président du conseil à l'arrivée du fascisme, il le sous-évalua et ne passa à une franche opposition qu'après le délit Matteotti (1924)
15. Giorgio Sonnino (1847- 1922) Homme politique italien. Conservateur, opposé à la politique de Giolitti, il fut Président du Conseil (1906, 1909-1910), Ministre des Affaires étrangères (1915-1919).
16. Gabriele D'Annunzio: (1863-1938) Ecrivain, le plus haut exposant du mouvement littéraire décadent italien. En 1915, mène une intense propagande interventionniste, s'enrôle volontaire et organise le vol sur Vienne (1918), la marche de Ronchi et l'occupation de Fiume (1919).
17. Du "Ne lâche pas" paru à Florence entre janvier et octobre 1925, a été publiée une reproduction photographique (Florence, La Nouvelle Italie, 1955 et 1968) précédée de trois essais de Rossi, Calamandrei et Salvemini.
18. Sur les dernières années de Salvemini: Ebe Flamini "Salvemini à Sorrento" dans "Gaetano Salvemini dans la culture et dans la politique italienne", Rome, Editions de la Voix, 1968, pages 183-187).
19. Salvemini fut enterré dans le cimetière de Sorrento. En 1961, ses dépouilles furent transportées à Florence, où elles reçurent l'hommage du Président de la République et furent inhumées à Trespiano, près de celles de Carlo e Nello Rosselli, là où repose aussi Ernesto Rossi.
20. Filippo Turati (1857-1932): Homme politique italien. Parmi les fondateurs du Parti socialiste (1892); député depuis 1896, il fut à la tête de la minorité réformiste du PSI qui en 1922 donna vie au PSU (Parti socialiste unifié). Antifasciste, il s'exila en France et continua la lutte contre la dictature.
21. Sur les communistes, dont, comme des catholiques cléricaux, il avait toujours voulu se distinguer, Salvemini avait manifesté, au cours des dernières années, des opinions moins drastiques que celles inévitablement axiomatiques qui furent recueillies de ses lèvres au moment de sa mort. Nous rappelons à ce propos que concluant un de ses derniers essais ("Molfetta 1954", dans le volume "Ecrits sur la question méridionale", Turin, Einaudi, 1955, p. 659) il avait, dans la perspective future d'une décennie d'histoire italienne, imaginé comme inévitable un redressement politique qui aurait vu l'introduction des communistes parmi les forces engagées dans la solution des problèmes du pays.
22. Ernesto Sestan, élève de Salvemini, collabora avec lui à l'édition des quatre volumes de "Ecrits historiques et géographiques" de Carlo Cattaneo (Florence, Le Monnier, 1957).
23. A un volume d'Armando Borghi, "Mussolini en chemise", Naples, Editions scientifiques italiennes, 1961, Rossi écrivit une préface affectueuse, dans laquelle il rappela l'amitié du vieil anarchiste pour Salvemini.
24. Les derniers mots de Salvemini mourant, recueillis par ses amis, sténographiés et contrôlés, peuvent se lire intégralement, sous le titre "Mots d'adieu", dans "Le Pont", a XIII (1957), n. 8-9, p. 1158.
25. Giacomo Matteotti: (1885-1924) homme politique italien. secrétaire du Parti socialiste unitaire (1922), réformiste, s'est opposé au fascisme. En 1924, fut enlevé par un escadron fasciste et assassiné.
26. Carabinieri: corps de l'armée italienne qui a des fonctions de police militaire, de sécurité publique et de police judiciaire.
27. Sur les événements de Florence qui virent les fascistes et la partie réactionnaire de l'Université déchaînés contre Salvemini et sur le procès qui en suivit, il faut lire le très bel essai de Piero Calamandrei, "La matraque, la culture et la justice".
28. "Giellisti": membres du Mouvement Giustizia e Libertà (Justice et Liberté): Mouvement antifasciste d'inspiration libéral-socialiste fondée en 1929 par des exilés italiens. En 1949, donna naissance au Parti d'action qui pendant la résistance appela GL ses propres brigades partisanes.
29. L'évasion a été décrite par Fausto Nitti dans le volume "Nos prisons et notre évasion", Naples, Editions scientifiques italiennes, 1946, et le témoignage "La fuite de Lipari", dans "Trente ans d'histoire italienne" (1915-1945), Turin, Einaudi, 1961, pages 199-202. Sur l'épisode voir aussi Alberto Tarchiani, "L'entreprise de Lipari", dans le volume cité "Non au fascisme", pages 73-126.
30. Des nouvelles et des documents sur les réfugiés politiques, et particulièrement sur l'activité des membres de "Giustizia e Libertà", peuvent se lire dans le volume d'Aldo Garosci, "Histoire des réfugiés politiques", Bari, Laterza, 1953. Sur ce que fit G.L. en Italie avant le "procès aux intellectuels", de mai 1930, voir le volume de Rossi "Un espion du régime", Milan, Feltrinelli, 1955, et, pour des souvenirs personnels, l'essai "Fuite du train", oeuvre citée "Non au fascisme". Une réédition des douze "Cahiers de Giustizia e Libertà" qui précédèrent le périodique dirigé par Carlo Rosselli a été soignée par la Bottega d'Erasmo, Turin, 1959. Des rapports de Salvemini avec Carlo Rosselli, Aldo Garosci nous réfère amplement dans les deux volumes de "La vie de Carlo Rosselli", Rome - Florence - Milan Editions U, 1945.
31. Salvemini occupa la chaire d'Histoire de la civilisation italienne instituée suite à une donation de la fiancée américaine de Lauro De Bosis.
32. Elles ont été traduites et publiées dans "L'Italie vue de l'Amérique", par Enzo Tagliacozzo, Milan, Feltrinelli, 1969.