par Marco PannellaSOMMAIRE: Pour empêcher l'échec total de l'expérience du Parti radical, Marco Pannella propose un secrétariat et une direction unitaire entre les trois positions qui coexistent dans le parti (celle de "Il Mondo", celle qui se réfère à Piccardi et à "L'Espresso" et celle de "gauche radicale"). L'abandon continu du PR de la part de ceux qui furent promoteurs de sa fondation (Valiani, Paggi, Boneschi, Carandini, Calogero, Salvadori), le nombre insuffisant d'inscrits (trois mille environ) donnent la mesure de l'échec de la classe dirigeante actuelle. Pannella illustre ensuite les positions de la "gauche radicale", qui d'ailleurs sont déjà contenues dans le document préparé avec Giuliano Rendi à l'occasion du Conseil national du mois de novembre 1960 (texte n. 855). En politique étrangère: fédéralisme européen, désarmement atomique et conventionnel, fin des blocs militaires, soutien des mouvements d'émancipation du colonialisme; en politique intérieure: alternative à la Démocratie chrétienne, autonomie par rappo
rt au Parti socialiste, réalisation de la Constitution, relance des positions laïques dans l'enseignement, dans les moyens d'information (RAI-TV, presse, censure), dans la famille (divorce, contrôle des naissances, égalité femme-homme, soutien de la CGIL).
(TRIBUNE RADICALE, fascicule pour le II Congrès national du Parti radical "Les radicaux pour la défense de l'Etat laïque et le progrès social du Pays", Rome, Palazzo Brancaccio, 26, 27, 28 mai 1961)
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Plus par incapacité que par calcul, la Direction, avec le Secrétariat qui la domine, ne réussit pas à organiser et à promouvoir un débat d'idées dans le Parti. Pour vivre, elle a besoin de conformisme et de tranquillité.
Nous avons eu raison de le prévoir et de le dénoncer au Parti, mais nous avons aussi commis l'erreur de nous perdre dans un lent défilé de dénonciations, aussi vraies qu'inutiles, de reproches, de récriminations. Ce n'est désormais pas sa faute, mais au-delà de toute intention c'est la limite obligée de sa politique; la conséquence directe d'avoir lié, par un choix qui risque de devenir définitif, le Parti Radical aux exigences tactiques du courant de Nenni. De plus en plus inquiète de ces rapports et des liens et des prudences qu'ils comportent, la Direction ne peut plus ramener uniquement avec de la bonne volonté le Parti à sa vivacité et son originalité précédentes. Le faire ou ne pas le faire, cela dépend de nous, du Parti dans son ensemble et de la minorité, qui n'avait jamais cessé d'avertir sur les dangers dans lesquels on est tombés par la suite.
Nous avons l'intention d'empecher l'échec final, prêts à des sollicitations pour demander une nouvelle ligne et une nouvelle direction. Nous savons que ce congrès se présente en partie préparé d'avance, mais nous ne voulons pas qu'il s'agisse du dernier congrès radical et nous demandons un secrétariat et une direction unitaires, pour que cela devienne possible. Les trois positions qui coexistent à l'intérieur du Parti doivent trouver la force de se mettre d'accord: les deux qui appartiennent à la majorité, celle de "Il Mondo" (1) et celle de Piccardi qui comprennent les positions de "L'Espresso", et celle de la minorité qui n'a jamais cessé d'agir comme telle depuis le début de la constitution du Parti. Nous expliquerons au Congrès comment cette dernière peut prétendre exprimer complètement dans son action les positions d'amis comme le Prof. Rossi (2), même si des sentiments personnels ont amené ce dernier à refuser une fonction politique précise dans le Parti.
A la veille du Congrès, je considère juste d'informer les amis de la majorité que ce qui s'est vérifié ces deux dernières années, à savoir l'abandon des positions traditionnelles et les plus avancées du Parti, l'absence fautive de débat et de démocratie interne, nous ont amené à considérer récemment la possibilité, certainement douloureuse, mais qui ne nous a pas du tout effrayée, de créer un nouveau parti radical. Nous le disons parce que, sans paradoxes, seule une heureuse contingence adverse nous en a dissuadés, et il est enfin nécessaire que le Parti se protège contre des divorces graves ou contre l'hémorragie incessante de démissions avec sa propre efficacité politique et pas uniquement grâce à l'aide de circonstances externes.
Seuls ceux qui ne réfléchissent pas concrètement sur la situation peuvent sourire de ce discours; seuls ceux qui tombent dans le piège publicitaire et sans contenu d'une certaine information radicale peuvent croire qu'il n'existe aucune initiative radicale possible au-delà des notables qui se sont introduits dans le Parti ou que ce dernier a exprimés. Je ne crois pas que le Parti Radical atteigne trois mille inscrits.
Parmi eux, la plupart des intellectuels, des amis qui furent ses promoteurs ne sont plus engagés sur le plan politique. Si vous pensez à tous ceux qui ont quitté ou qui ne sont plus réinscrits, à tous ceux, comme Valiani, Paggi, Boneschi, Carandini, Calogero et Salvadori, qui ont fini par être absents de l'élaboration de notre politique, vous aurez la mesure de l'échec de l'oeuvre de la classe dirigeante actuelle: si on la considère pour ce qu'elle est, une direction de parti et pas un groupe de pression. Vous aurez la preuve du peu d'influence des journaux radicaux en vue d'une expansion du parti et de son renforcement et pas par rapport à d'autres choses qui intéressent directement leur politique d'édition. Les trois mille inscrits au Parti (ou beaucoup moins) sont le résultat des groupes fondateurs et pas d'un développement qui a fait totalement défaut et qu'en bonne partie on n'a même pas voulu.
Pour ma part, c'est la dernière fois que je reviens sur ce sujet: j'ai voulu déblayer le terrain pour le débat politique car je suis convaincu que ce qui nous sépare ce n'est pas uniquement les diversités de méthodes mais aussi diverses appréciations sur le fond de la bataille politique que nous menons et sur le rôle de notre autonomie dans le cadre de la lutte de la gauche italienne contre le cléricalisme, toute sorte de nationalismes, les maîtres de la vapeur et la manumission cléricale de l'Etat. Ce qui nous caractérise d'autre part c'est une plus grande conviction de la valeur politique des batailles et des revendications sur lesquelles le Parti s'est affirmé, et qui en représentaient et représentent plus profondément les caractéristiques spécifiques.
Nos positions de congrès n'offriront pas de nouveautés particulières. Nous nous rapportons au document de propositions, diffusé en novembre dernier et dans les mois suivants et qui est encore à disposition de ceux que cela intéresse. Cet ensemble de motions représente avec une approximation suffisante les préoccupations, les jugements, les problèmes et les objectifs qui nous intéressent et que nous confierons au débat du Congrès.
Mais il est peut-être opportun de souligner certaines convictions et certaines propositions concernant la politique étrangère et la politique intérieure de la gauche.
Politique étrangère. -- Une position a été sollicitée un nombre infini de fois, mais elle doit encore être prise. Et ce n'est pas, comme on l'a dit, parce que le Parti n'était pas prêt à l'affronter mais parce que la majorité, qui s'est constituée sur des affinités de langage et de génération et non sur des affinités et des concordes politiques, aurait dû se diviser à son propos et mettre en plein jour une crainte des idées qui la caractérise souvent.
Nous considérons que le Parti Radical doit se prononcer pour la Fédération de l'Europe occidentale; pour le désarmement atomique et conventionnel de toute la région européenne, tant occidentale qu'orientale, avec le retrait des troupes américaines et russes qui stationnent encore sur le continent; pour la dénonciation de l'UEO et du Pacte de Varsovie et pour l'opposition à l'OTAN; pour le soutien des formes d'organisation économique et sociale européennes, en soutenant la fin de toute forme de discrimination contre n'importe quelle force de la gauche et notamment contre la CGIL (3); pour le traité de paix séparé avec les deux Allemagne, garantie d'équilibre politique en Europe et expression appropriée de nouvelles situations historiques et éthiques-politiques; pour une politique anti-colonialiste et de solidarité active avec les mouvements d'émancipation populaire que le capitalisme international, la politique des blocs opposés et les intérêts des grandes puissances mettent en danger.
Politique intérieure. -- Le Parti Radical doit poursuivre, dans ses programmes, dans ses perspectives idéales et dans ses batailles institutionnelles, une politique d'alternance à la Démocratie chrétienne. Il devra promouvoir et chercher des solutions unitaires dans la gauche, parmi ses deux composantes de gauche démocratique et de gauche communiste.
Nous ne devrons pas donner l'alliance avec le Parti Socialiste pour escomptée, mais la chercher sur des thèmes, des objectifs et des luttes clairement précisées, sans admettre aucune délégation de fait des positions radicales au Parti socialiste, conservant une autonomie absolue à son égard et refusant de se considérer comme une base externe du courant autonomiste. Des rapports seront tenus avec tout le Parti et avec tous les courants socialistes, notamment avec les positions de Bassi et avec ceux qui se réfèrent à Lombardi et Codignola. Nous soulignons les points suivants:
1) Lutte intransigeante pour la mise à effet de la Constitution et son interprétation laïque et progressive - notamment une politique unitaire pour l'institution des régions.
2) Nationalisation de tous les états économiques en tant que tel, indépendamment aussi de leur politique actuelle: de FIAT à EDISON.
3) Relance des positions laïques (et non défense des situations préexistantes) sur un plan de conquête laïque de l'Etat et de l'opinion publique, qui considère le secteur de l'enseignement, des moyens d'information et de culture de masse (RAI-TV, presse, censure, etc.), de la famille (divorce, contrôle des naissances, égalisation juridique de la femme et de l'homme dans tous les domaines et notamment dans la famille). Développer les initiatives politique sur ces problèmes, car ils sont caractéristiques de notre parti, même s'ils devaient mettre en crise la politique socialiste.
4) Soutien officiel du Parti Radical à la CGIL. Invitation à l'UGI et à l'ADESSPI, à la CGIL, de promouvoir des actions unitaires. Promotion pour les membres des professions libérales et les techniciens de formes syndicales d'organisation et de lutte contre les positions corporatives des ordres professionnels.
Ce sont les thèmes qui seront présents entre autres, au congrès, à différents niveaux. Tous les amis qui pensent être intéressés par les lignes générales de notre action, et qui sentent la nécessité d'une clarification honnête et radicale de notre parti, pour permettre et imposer une solution unitaire, renouvelée sur le plan politique et responsable du congrès, sont invités à la réunion des conseillers nationaux et des délégués de la gauche radicale qui se tiendra dans la soirée qui précède le congrès au siège du parti. A l'ordre du jour sera aussi l'opportunité d'organiser formellement le courant, en vue du renforcement de l'action démocratique et unitaire du parti, et du parti dans le pays.
MARCO PANNELLA
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N.d.T
1 - IL MONDO. Hebdomadaire de politique et culture, fondé à Rome en 1949 par Mario Pannunzio. Pendant dix-sept ans il fut l'expression et le symbole de la meilleure tradition laïque, libérale, radicale et démocratique italienne. La plupart de ses journalistes participèrent à la fondation du Parti radical. Il cessa ses publications en 1966, et fut repris par Arrigo Benedetti en 1969. Il s'est transformé par la suite en hebdomadaire économique.
2 - ROSSI ERNESTO. (Caserta 1897 - Rome 1967). Homme politique et journaliste italien. Leader du mouvement "Justice et Liberté", arrêté et condamné en 1930 par le fascisme, il resta en prison ou en exil jusqu'à la fin de la guerre. Il écrivit avec A. Spinelli le "Manifeste de Ventotene" et fut à la tête du Mouvement Fédéraliste Européen et de la campagne pour l'Europe unie. Parmi les fondateurs du Parti radical. Essayiste et journaliste, il lança des colonnes du "Mondo" des campagnes très vives contre les ingérences cléricales dans la vie politique, contre les grands états économiques, contre le protectionnisme industriel et agraire, les concentrations de pouvoir privées et publiques, etc. Ses articles furent rassemblés dans des livres fameux ("Les maîtres de la vapeur", etc). Après la dissolution du Parti radical en 1962, et la rupture conséquente avec le directeur du "Mondo" M. Pannunzio, il fonda "L'Astrolabe" des colonnes duquel il continua ses polémiques. Dans ses dernières années il se rapprocha et s'i
nscrivit au "nouveau" Parti radical avec lequel il lança, en 1967, l'"Année Anticléricale".
3 - CGIL. Sigle de la Confédération Générale Italienne du Travail. Fondée en 1906 par des socialistes réformistes, actuellement expression notamment des forces communistes et socialistes, dont elle fut (surtout du Parti communiste) "la courroie de transmission" dans le monde du travail, où elle est encore fortement majoritaire. Parmi ses représentants les plus célèbres: Giuseppe Di Vittorio, Luciano Lama, Silvio Trentin, Ottaviano Del Turco, etc.