SOMMAIRE: En publiant un article de Vercors sur l'affrontement politique qui se développe en France, "Gauche Radicale" souligne la nécessité de s'intéresser également à tout le contexte européen, dans le sens d'une solidarité commune du libéralisme supranational. En effet, le contenu d'espoir et de renouvellement des forces libérales est identique dans toute l'Europe.
"Gauche Radicale" exhorte à ne pas s'enfermer dans un provincialisme improductif, mais à réaliser d'autres formes de collaboration politique.
(GAUCHE RADICALE N. 3-4, janvier 1962)
"Ce n'est pas un hasard si pour la deuxième fois "Gauche Radicale" ouvre par un article se rapportant à la situation française, après "Nuremberg pour le colonialisme" de Jacques Vergès publié sur le dernier numéro. L'article de Vercors, combattant de la résistance et poète nous conduit à des observations importantes sur le type de bataille politique qui se développe aujourd'hui en France, et pas uniquement en France mais dans toute l'Europe. Si l'on considère les thèmes de cette bataille comme étant enfermés dans des schémas nationaux, on peut avoir l'impression que les questions françaises ne nous intéressent pas; mais si nous les comprenons dans le seul contexte valable aujourd'hui, c'est-à-dire dans le cadre de la solidarité commune du libéralisme européen et, davantage, dans le cadre créé par le vrai mouvement historique actuel où les phénomènes les plus importants ont largement prouvé d'être reliés sur un plan supranational, ce sont les thèmes de notre propre engagement moral et politique. C'est ce que
nous croyons avoir compris en analysant les événements contemporains, et c'est par contre ce que tendent à ignorer et à cacher non pas les réactionnaires de toute l'Europe, qui cherchent plutôt depuis longtemps des rapports et des ouvertures partout où c'est possible, mais justement les démocrates "nationaux" italiens et non italiens.
Là où - entre le langage de Vercors et le nôtre - il y a des différences, celles-ci sont assez marginales. Vercors, comme Sartre, parle de révolution socialiste, et ce n'est pas une thèse qui nous appartient. Mais le contenu d'espoir et de renouvellement est identique. Vercors semble inquiet du "destin" de la France, alors que cette indulgence pour les réalités nationales, qui sont aujourd'hui des occasions de la lutte politique combattue sur une plus vaste échelle, ne nous intéresse pas. Les termes qui nous paraissent aujourd'hui les plus appropriés sont ceux européens et de la solidarité de classe dans le cadre de la société européenne. Vercors semble en outre avoir des égards envers le parti de Thorez; il y a, en cela, l'ombre d'une tactique, peut-être même d'une hypocrisie. Mais dans les faits Vercors, Sartre, la grande majorité des intellectuels de la gauche française ont mis sous accusation la classe dirigeante sclérosée du PCF et ils s'en sont toujours différenciés et ils s'y sont souvent opposés. Mai
s ils savent qu'en France, aujourd'hui, la tranchée démocratique contre les forces de la non-liberté passent par l'unité des forces antifascistes de gauche. Dans son équilibrisme précaire, la vie politique italienne n'offre en réalité pas de débouchés différents à une authentique reprise de développement libéral. Face à une nouvelle Hongrie, face au chantage atomique, nous savons bien quelle est notre place; et les communistes aussi le savent bien. Mais que ces derniers poursuivent le processus de déstalinisation et le refus de la politique des blocs, jusqu'à leurs conclusions extrêmes, et nous, comme disait Salvemini (1), "nous frapperons unis". Il y a plus: nous affirmons qu'il appartient à nous démocrates, pas moins qu'aux communistes, de continuer ce processus de rapprochement du communisme à la démocratie et de ramener la thématique essentielle aux valeurs historiques de l'Europe occidentale. Ce processus, difficile et dialectiquement complexe, a déjà commencé pour nous. Vouloir affirmer que le but est
lointain est uniquement une façon de l'éloigner et le refuser.
Dans les prochains numéros nous espérons pouvoir réaliser d'autres formes de collaboration politique - confiant de pouvoir leur donner une base structurelle - avec la "new left" et le "comité des cent", la nouvelle gauche anglaise, avec des groupes d'amis suisses, avec des organisations portugaises et espagnoles avec lesquelles des contacts préliminaires ont été pris. Et nous espérons bientôt pouvoir lancer une collaboration avec les tunisiens de "Jeune Afrique", avec les marocains proches du syndicalisme de gauche et de Ben Barka, avec le FLN, à l'égard duquel notre solidarité ne doit pas rester idéale. Nous devons comprendre enfin que les valeurs interlocutrices des gauches sont celles-ci et uniquement celles-ci, et qu'éviter de telles responsabilités ne signifie que s'attarder dans un provincialisme et une étroitesse qui ne voit pas très loin. Schématiser les termes de la lutte démocratique sur des valeurs rebattues et consumées signifie devenir de fait - si ce n'est dans les intentions - des conservateur
s, auxquels il est donné peu de temps pour rester encore "illuminés" alors qu'il peut être assez facile de s'ensabler sur les bas-fonds où se trouvent déjà les Panfilo Gentile, les Vittorio Zincone, les Longanesi et les Missiroli".
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N.d.T.
1 - SALVEMINI GAETANO. (Molfetta 1873 - Sorrento 1957). Historien et homme politique italien. Socialiste à partir de 1893, méridionaliste, il fonda l'hebdomadaire "L'Unità", devenu très vite un lieu important de débats. En 1925, il fonda à Florence, avec les frères Rosselli, le périodique clandestin "Ne lâche pas". Il se réfugia ensuite à l'étranger (USA) où il lança des campagnes d'information antifascistes.