par Marco Pannella(repubblichini: du Nouveau Parti Fasciste Républicain -1943-1945- armée de Mussolini asservie aux Nazis - N.D.T.)
SOMMAIRE: Durant la Deuxième Guerre Mondiale, Giorgio Almirante - qui sera par la suite, dans les années 70-80, et presque jusqu'à sa mort, Secrétaire du Movimento Sociale Italiano - avait été un haut-fonctionnaire de la République de Salò. Un passé connu de tous et qui ne l'avait pas empêché de participer à la vie politique d'après-guerre et d'être élu au parlement dès 1946. Ce passé - et en particulier un "avis" qui condamnait des résistants à être fusillés - devint, en 1971/1972, l'objet d'une campagne de la part des groupes de la gauche extraparlementaire, champions de l'"antifascisme militant".
L'intervention de Pannella réagit contre ces polémiques aveugles et rappelle la juste laïcité de la lutte politique démocratique qui doit trouver aujourd'hui les motifs des choix d'engagement et de lutte.
("Notizie Radicali" - Janvier 1972 - extrait de "Marco Pannella - Ecrits et Discours - 1950-1980", Gammalibri Editeur, Janvier 1982)
Avouons que cette histoire d'"Avis" d'Almirante nous a cassé les oreilles et qu'elle ne nous intéresse pas le moins du monde. Elle dénote un climat et des méthodes qui ne nous plaisent pas et qui ne servent, à notre avis, ni à l'antifascisme ni à la lutte politique démocratique. Almirante a été un haut-fonctionnaire, à savoir un responsable politique de la République de Salò. La République de Salò est le sigle que se sont donnés Mussolini et les autres fascistes, lorsqu'ils ont choisi de collaborer avec les Allemands et les nazis, contre le gouvernement légal, contre ceux qui combattaient contre Hitler pour éliminer, par la lutte politique concrète, l'immonde et inhumain régime nazi. Ces choix les ont amenés, moralement et souvent aussi physiquement, à être les assassins des résistants, des populations désarmées ou qui se révoltaient au nom des idéaux de liberté, de justice, de simple humanité. Ils ont fini par être les complices des hyènes de Buchenwald et d'Auschwitz, les plus vieux d'entre-nous nous
les ont connus, quelques fois sous la torture et comme persécuteurs et assassins de leurs camarades.
C'est ce que les "repubblichini de Salò représentent pour nous. Pour la plupart, c'étaient des jeunes. Il n'est pas possible de penser qu'ils étaient consciemment des assassins et que leur choix se réduise à celui de l'assassinat. Ceux qui avaient alors un minimum de culture ou d'information, savaient très bien que la guerre était irrémédiablement perdue pour Hitler et ses "quislings" italiens. Ceux qui n'avaient ni l'une ni l'autre, plutôt victime que bourreau, n'étaient pas nécessairement de mauvaise foi; ceux qui avaient l'une et l'autre, et qui avaient vingt-ans, étaient nécessairement de bonne foi.
Lorsque l'on me dit que le directeur de l'"Espresso", Livio Zanetti - il avait vingt-ans - sous-lieutenant de la RSI, combattait contre la Résistance, je répond que je ne sais pas si cela est vrai; mais que, si c'était vrai, je souhaite qu'il puisse aujourd'hui et dans l'avenir, dire et faire ce qu'il pense être juste: et, s'il croit aujourd'hui (comme je sais qu'il croit) dans les libertés et dans la Démocratie, qu'il montre le même courage et la même rigueur qu'il montra alors pour la cause et les valeurs qui étaient les siennes. Ce dont je ne suis pas toujours sûr.
Je peux affirmer cela tranquilement dans la seule mesure où je suis disposé à défendre même et avant tout, les fascistes d'aujourd'hui, contre les lynchages et la chasse au passé, dans l'odieuse polémique "ad hominem". Et ce n'est pas peu dire.
J'avoue que ça ne m'intéresse pas non plus d'essayer de comprendre si Almirante était alors de bonne ou de mauvaise foi. Si je devais le juger à travers ce qu'il est aujourd'hui, sa façon d'être, je dirais que c'était probablement un cynique et vulgaire opportuniste qui avait mal fait ses calculs et qu'il avait misé sur de mauvais chevaux. Mais s'il est vrai, comme je le pense, qu'il a signé et fait afficher l'"Avis" qu'on lui attribue, je demeure encore une fois indifférent. Si, au Parlement et dans le Pays il y a des anciens-résistants, des gens parmi la population, qui furent victime de ce fait, il est improbable que les partis démocratiques et anti-fascistes n'en sussent rien jusqu'à maintenant. Et leur zèle soudain nous semble suspect.
Mais que lui reproche-t-on au juste? Non pas quelque chose qui, à mon sens, doit-être prouvé, mais ce qui, pour n'importe quel "repubblichino" qui n'avait pas vingt-ans, me semble être un fait certain, jusqu'à preuve du contraire. A savoir, sa pleine responsabilité morale et juridique, lorsque celle-ci se représente par rapport au passé. Voilà tout.
Cela ne suffit pas? Il faut arriver en 1971 pour en faire un thème de polémique politique quotidienne? Et ses camarades, croyez-vous qu'ils étaient différents? et nos camarades d'aujourd'hui, qui avaient alors fait ce choix? Etes-vous vraiment sûrs qu'ils soient les meilleurs dignitaires de la monarchie fasciste? Que Badoglio et Graziani étaient d'une pâte différente? Et le roi, le lâche, meilleur que le dictateur repubblichino de Salò? Et Fanfani, ou Leone, ou Moro, meilleurs qu'un jeune des brigades noires? Mais est-ce qu'il est juste, "laïc", tolérant (dans le bon sens voltairien), civil, de faire aujourd'hui de la lutte politique à coup de souvenirs et de haine? Est-il acceptable, ou au contraire intolérable, pour un laïc, d'accabler de réprobations morales, de volonté donc d'anéantissement, un adversaire politique? Et si cela n'est ni acceptable ni juste, mais humainement compréhensible, pourquoi diriger la révolte, la rage, le mépris, vers les responsables des noirceurs d'hier? Pour mieux protéger
le dialogue avec le régime d'aujourd'hui?
Bien sûr, nous savons que c'est vraiment des égoûts que de nombreuses canailles d'extrême-droite ont été repêchées. Mais de quels égoûts? Ceux d'il y a trente ans, ou ceux d'aujourd'hui? Et où sont-ils? Et où se forme, où vit-il sa tragédie le sous-prolétaire d'aujourd'hui, le fanatique, le cynique, le désespéré, le révolté qui peut-être soudoyé, et par qui peut-il l'être?
Croire qu'Almirante, qui ne fut un péril même pas pour le pauvre petit comptable Arturo Michelini, est aujourd'hui l'adversaire à abattre, et le responsable ou le plus grand soutien pour les petits malfrats ou les virages autoritaires, est tout simplement ridicule.
Qui paye le MSI? Qui paye la faune des malfrats de ces gens-là? Qui construit la charpente pour des desseins encore plus périlleux et organisés, sinon les services secrets nationaux et internationaux, les polices parallèles qui prospèrent dans le régime démochrétien? Est-ce l'armée qui produit les fascistes ou bien le contraire? Les chefs de l'Etat qui ont des années durant servi la République en ayant à leurs côtés, à la place d'honneur, les De Lorenzo, les Aloia, les Birindelli et les Allavena, n'ont-ils pas fourni un exemple? Et quel exemple!
Et aujourd'hui, qui a fait de la Sécurité Sociale cet immonde "lager" dont aimait parler, tant qu'il avait droit au chapître et l'espoir de jouer vraiment au "socialiste" au gouvernement, le ministre Mariotti? Qui a corrompu depuis toujours les institutions et la vie publique? Qui a donné à Rome de la force à la horde du MSI, deux decennies durant, sinon les société immobilières vaticanes qui les ont toujours eu comme alliés et clients?
Et qui, avec ténacité, a empêché la réalisation de la Constitution, pour laisser en place le Code fasciste et façonner, sur les principes et les structures qui impliquent et provoquent la police, l'ordre dans notre pays? Et qui, pendant vingt-ans, pendant la vie d'une génération, s'est constitué en régime, en créant des complots et en massacrant les institutions, les règles démocratiques, de la vie civile, et a dénaturé le Parlement, en le ridiculisant, en lui retirant tout vrai pouvoir? Qui, aujourd'hui, est le produit et le mandant de la volonté et des intérêts des "patrons" - d'Etat et privés? Qui a produit le scepticisme, l'indignation, la nausée et le germe de la révolte chez les "braves gens", chez les jeunes? La galerie des puissants et des chefs du régime est-elle démochrétienne ou paléofasciste? Qui a massacré, qualitativement et quantativement, l'école publique? Qui a essayé d'imposer encore une fois les hallucinantes visions autoritaires et répressives en matière de coutumes et de familles et
d'éducation de la contre-réforme et de l'obscurantisme clérical?
Devrions-nous dire les valets, ou plutôt les patrons? Devrions-nous penser vraiment que des foules de petits-bourgeois, de jeunes, accourent vers les places pour applaudir ici et là Almirante parcequ'ils sont contre la démocratie "promise", ou alors qu'ils se mobilisent contre la démocratie "chrétienne" reçue en échange de l'autre? Et le fait qu'ils se trompent, n'est-ce pas de notre faute? Ceux qui ne comprennent pas qu'il n'y a pas d'alternative mais soutien et complicité et dépendance et fonctions seulement différentes mais convergentes entre les clérico-fascistes et les clérico-démocrates, ce n'est peut-être pas avant tout la faute de ceux qui ont pensé et pensent encore que l'on puisse et que l'on doive détourner contre le passé l'indignation, la révolte, la nécessité et l'exigence désespérée d'alternative qui monte contre les De Mita, les Misasi, les Forlani, les Colombo, les Andreotti, les Rumor et leurs "loyaux" et "corrects" interlocuteurs et adversaires?
Et, à la fin, est-il vrai ou pas que dans le mezzogiorno, deux vagues d'extrême-droite ont déjà démontré que seulement après que se brisent, les digues cléricales, classistes, corporatives de la DC et du pouvoir clérical, s'ouvre pour la gauche, la possibilité d'acquisition de masses sous-prolétaires? On peut dire que la force électorale et politique, en partie, de la gauche, dans le mezzogiorno, s'est formée après les vagues des désengagés. Croyez-vous vraiment que les Ciccio Franco, qui seront peut-être élus à coups de sous-prolétariat, ont la force, avec le Msi, de donner un exutoire aux exigences populaire et aux classes frustrées, de surmonter les contradictions explosives des classes qui aujourd'hui se sont formées en de nombreux blocs sociaux et économiques de notre pays?
Il est certainement plus facile de penser justement que les "révoltes fascistes" se traduisent en une défaite des intérêts réactionnaires et classistes existants dans notre pays, que d'attendre un apport démocratique quelconque des masses sous-prolétaires, tant qu'elles seront gouvernées par les De Mita à Avellino, par les Misasi en Calabre, par les Gioia et par les Lima à Palerme, comme - à un niveau différent des classes moyennes organisées par la machine vaticano-cléricale des Petrucci et des Andreotti à Rome.
Nous avons dit que nous refusons, par convention laïque, tout lynchage et toute méthode destinée à imposer un aspect "moral" à la polémique politique. Nous nous rendons compte que ce risque nous poursuit et qu'il devient souvent la réalité que l'on peut nous reprocher. Mais nous pouvons en toute tranquillité affirmer que les polémiques radicales se sont toujours déroulées toujours à partir de faits et de situations existantes, qu'il était urgent de modifier et de toucher là où les "massacres" moraux et physiques étaient et sont en cours, en sachant que l'unique moyen de se défendre des victimes et celui de toucher les puissants qui persécutent, tandis qu'elles les persécutent.
Constater que pour s'opposer à une vague de sicaires, de matraqueurs, de zouaves pontificaux qui acquièrent, mieux nourris et armés, quelque hardiesse, on utilise l'"antifascisme", pour hisser sur les tribunes et sur les masses démocratiques qui répondent à l'appel, les Darida et les De Mita, les Misasi et les hommes les plus puissants et les plus responsables de ce régime; pour qualifier d'"antifasciste" et "constitutionnelles" des forces et une classe politique qui ont depuis plus d'un quart de siècle, jour après jour, trahi la Constitution, les espérances de la Résistance, l'essence-même de l'antifascisme: C'est ce qu'il nous paraît urgent de dénoncer; C'est ce qui nous indigne et nous épouvante.