par Angiolo BandinelliSOMMAIRE: Deux positions contrastantes ont été prises au cours du débat sur la légalisation de l'avortement (provoqué par une initiative du MLF): la catholique et la communiste. Les points de vue respectifs ont été rapportés sur l'"Osservatore Romano" et "Civiltà Cattolica" pour l'Eglise Catholique et sur l'"Unità" et "Rinascita" pour le Parti communiste.
Le point fondamental pour l'auteur est que le débat organisé par le Mouvement de Libération de la Femme ne s'épuise pas.
(LA PROVA RADICALE N.2, EDITIONS BENIAMINO CARUCCI, Hiver 1972)
L'initiative lancée par le Mouvement de Libération de la Femme, pour la légalisation de l'avortement dans le cadre d'une ample confrontation sur les thèmes des droits civils de la femme et de la société, a finalement provoqué et fait ouvrir, sur ce sujet, un débat dans lequel sont intervenues des forces politiques, culturelles et sociales les plus diverses: de la presse aux parlementaires qui sont allés jusqu'à présenter des projets de lois spécifiques, des bureaux féminins des partis à l'église catholique.
Si ce que des témoins au-dessus de tout soupçon ont admis ou confirmé - eux-mêmes presque incrédules face à la constatation - correspond à la vérité, autrement dit que la science officielle italienne, les bureaucraties sanitaires, avaient évité jusqu'à hier d'effectuer ne fut-ce que les premiers relevés sociologiques et statistiques essentiels sur le problème, s'il est également vrai que les "grandes" associations féminines des partis ont délégué pendant des années uniquement à l'AIED (1) de De Marchi la dénonciation du poids et du coût, sur la condition féminine, de la "taxe" sur l'avortement, on ne peut éviter de reconnaître qu'une première bataille radicale essentielle a été gagnée par le MLF. Aux modèles et aux comportements d'une société paysanne dans laquelle la praticienne et l'aiguille à tricoter coloraient d'horreur le tabou du "paquet rouge", l'initiative du MLF est en train de remplacer, et espérons définitivement, ceux d'une société qui s'interroge responsablement sur la question et l'affronte, d
ans un dialogue et une confrontation laïque et ouverte à tous, e premier lieu aux femmes; et dans laquelle le bien commun, qui n'est manipulé par des clercs d'aucune couleur, devient et s'affirme comme une affaire publique.
Dans le débat, l'indication de la légalisation de l'avortement s'est surtout heurtée, durement, contre deux positions, la catholique et celle des associations et des représentants de la gauche, notamment communiste. L'"Osservatore Romano" et "Civiltà Cattolica" (2) s'étaient occupés à plusieurs reprises d'avortement, pour nier jusqu'à la possibilité de concevoir une législation civile en la matière. Et enfin, hier, l'intervention méditée et pesante - prélude probable à d'autres interventions plus imposantes des évêques italiens - avec un document du Conseil permanent de la CEI (3) rendu public le 17 janvier dernier. Sur l'"Unità" (4) et sur "Rinascita" (5) sont apparues à plusieurs reprises des interventions polémiques (sauf une, si nos souvenirs sont bons, signée par Laura Conti, sur l'"Unità", intelligente et pouvant être amplement partagée) contre ce qui est défini fondamentalement comme le "malthusianisme" petit bourgeois du féminisme du MLF, alors que la commission féminine du Parti communiste répondait
, au début de la campagne radicale, en refusant cet objectif politique, avec la justification qu'il n'aurait pas été "compris" par les "masses féminines catholiques".
Notre premier souhait est que le débat grandisse encore et qu'il se développe amplement. Il contribuera à dissiper les équivoques et, surtout, dans une grande mesure, ce "sentiment de culpabilité" qui entourerait autrement - et qui entoure en fait - l'avortement procuré chez les femmes qui ont dû résoudre jusqu'à présent un problème d'une telle délicatesse dans l'obscurité d'une conscience à laquelle le dialogue est empêché, et donc angoissée et opprimée: de la condamnation "rituelle", "sacrée" (la même qui, dans des sociétés plus anciennes et même dans des sociétés ecclésiales contemporaines, investissait et investit, ne l'oublions pas, jusqu'aux "règles" mensuelles) passons par conséquent à une confrontation qui est elle-même libératrice.
Libératrice aussi pour la société religieuse. La prise même de l'épiscopat, par la complexité de ses arguments, par la casuistique et les problèmes qu'il affronte, par les contradictions qu'il finit par faire ressortir dans les thèses du monde catholique et dans le monde catholique lui-même (comme une intervention de Ruggero Orfei sur "Settegiorni" le met en lumière) est un hommage à la société civile et au droit à l'information, aux valeurs du débat, de l'affrontement idéal et de principes. Le document de la CEI outre que se prononcer, sans anathème ni scandale, sur des sujets moralement discutables comme les "filles mères", ou la "validité théorique" (finalement reconnue, grâce à Dieu) du principe de la "tolérance civile" pour lequel chaque transgression d'une norme morale ne doit pas être nécessairement poursuivie pénalement", aborde des problèmes tels que - nous les citons textuellement - "la mortalité suite à des pratiques clandestines, la spéculation facile de la part de personnel sanitaire complaisant
, le risque de l'augmentation excessive de la population", ou ceux relatifs aux difficultés "dans lesquelles la femme enceinte ou la progéniture se trouvent dans certains cas, la violence subie, le jeune age, la peur du déshonneur, le danger grave pour la mère, le diagnostic précoce de malformations de l'enfant" et ainsi de suite. Le document de la CEI est ainsi bien supérieur à l'article pourtant influent de Vittorio Marcozzi, S.J., paru "Civiltà Cattolica" du 3 avril 1971, dans lequel l'attaque se répète, que nous avons déjà écouté pour le divorce et dont le ton est médiéval, contre "certaines nations, considérées progressistes" qui seraient au premier rang dans les statistiques "du nombre d'avortements légaux, de divorces, de suicides, d'enfants illégitimes, de productions pornographiques"; un texte, celui-ci, que dans aucune nation parmi toutes celles auxquelles il fait allusion aucun nonce ou évêque n'oserait diffuser, car ni l'opinion publique ni même la loi le lui permettrait.
Et toutefois, il est certain que le document officiel des évêques italiens confirme un barrage absolu contre toute forme de légalisation de l'avortement, même dans la mesure insuffisante et ambiguë représentée par les deux projets de loi des socialistes. Il est même prévisible - comme des voix journalistiques ont rapporté - que cette première intervention plus estompée soit le prélude d'une prise de position plus draconienne et autoritaire.
Il serait facile d'entame rune discussion sérieuse pour répondre ponctuellement aux thèses évêques. Mais ce n'est pas l'endroit pour le faire, car il est trop limité. D'une part, cependant, nous nous contentons d'observer que les raisons avancées par ceux qui sont contre la légalisation ne doivent pas être tellement convaincantes ni efficaces, vu qu'elles n'ont pas réussi à empêcher que des mesures de libéralisation même avancées, soient annoncées dans des pays et même par des législateurs chrétiens et également catholiques. De l'autre, nous devons par contre préciser ou répéter certaines données essentielles. La législation punitive actuelle de l'avortement volontaire et procuré est une fiction colossale, dont tous sont parfaitement conscients, les médecins, les autorités sanitaires, l'autorité judiciaire et l'opinion publique. Paradoxalement, seules les femmes qui ont été exposées, au cours de l'avortement, à des difficultés médicales et gynécologiques et qui ont risqué de mourir, restent empêtrées dans ce
tte réalité. La pratique en vigueur est donc absolument discrétionnaire et casuelle, ce qui contraste en soi avec cet impératif de la certitude qui doit être le propre de la loi. Et ce n'est pas le cas d'insister sur les caractéristiques de classe de la discrimination qu'elle favorise. Ce que nous voulons souligner c'est que la législation punitive actuelle représente elle aussi une donnée juridique de type "rituel", qui n'a jamais eu une efficience normative et coercitive sur la conscience commune, sur le comportement collectif, sur la détermination d'un sens moral vraiment vivant. L'horreur de l'avortement et les discriminations à l'égard des femmes ont eu, tout au plus, la force de dicter certains comportements sociaux, du genre "politesse", mais certainement pas 'influencer les choix éthiques de millions de femmes et d'hommes de toute époque et toute condition sociale. Partout, l'avortement a été et est pratiqué, à des niveaux difficilement quantifiables mais surement très élevés. Le même développement e
t enracinement d'un véritable "rituel" de l'avortement procuré chez les classes moins cultivées, dans les campagnes et ainsi de suite, témoigne de l'ampleur et de la quotidienneté du phénomène (et il n'est ni sérieux ni moral que dans son intervention sur "La Civiltà Cattolica" du 15 janvier 1972, Salvatore Lener S.J. en vienne à prendre des tons de femme de charité du dix-neuvième siècle lorsqu'il affirme que "il n'y a que dans les milieux les plus désespérés du sous-prolétariat, vivant dans des grottes et des baraques, que l'on confesse impudemment et que l'on augmente même pour apitoyer les assistants sociaux, un nombre presque invraisemblable d'avortements procurés").
"Dans ce cadre - comme l'a rappelé Liliana Merlini, du MLF, au congrès romain de l'UDI - l'avortement clandestin crée l'échappatoire qui rend possible un mythe insoutenable; l'interdiction légale sert de renfort au mythe. Tout à sa place, comme le péché et la confession: sans l'arrangement d'une confession absolutoire, quel sens aurait une interdiction insoutenable? elle ne serait tout simplement pas respectée. La perpétuation d'une mentalité coupable, d'un régime confessionnel et autoritaire a un rôle important. L'avortement est fonctionnel pourvu qu'il n'échappe pas au contrôle du pouvoir, qu'il ait lieu uniquement lorsque celui-ci l'impose et qu'il soit toujours éventuellement qualifié crime par la loi pour faire l'objet de chantages plus ou moins directs...".
Une loi qui serait parfaitement inutile si elle ne servait pas créer - seulement et exclusivement - un climat de chantage et de refus de la prise de conscience collective et sociale est donc une mauvaise loi, contradictoire et inéquitable. Si cela ne suggère rien à l'épiscopat, il est pour le moins étrange que ce ne soit pas un élément de jugement valable pour les forces de la gauche. Les bureaucraties de l'UDI sont peut-être en train de s'en rendre compte, du moins d'après certains comptes-rendus, publiés par l'"Unità", de leur récent colloque romain du 29-30 janvier. Malgré un débat amplement négatif et contrôlé, dans son déroulement, par une pratique sectaire, il semble que soit ressortie au moins l'exigence d'une "dépénalisation" de l'avortement effectué dans les "établissements sanitaires publics" et d'une modification du "système" de contrôle et de sanction, de façon à ce que ne soit punis que "ceux qui voudraient encore exploiter l'avortement pour spéculer ou pour couvrir des intérêts".
Il s'agit d'une possibilité encore insuffisante, et c'est prouvé par le caractère générique de sa formulation et, surtout, par le déroulement du débat et des travaux, où des considérations abstraites ont été faites sur une opposition présumée entre la "valeur sociale" de la maternité et un "individualisme" (naturellement "malthusien") pas mieux précisé. Toutefois, l'admission est importante. Il reste à présent à faire le plus, saisir du problème les responsabilités publiques, en premier lieu le législateur. Il faut en substance que sur ce point aussi se forme une large coalition de forces qui serve à repousser les projets de loi insuffisants d'origine socialiste et à entamer le cheminement parlementaire du projet qui semble le mieux correspondre jusqu'à présent aux exigences de la société: le projet du MLF.
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N.d.T
1 - AIED. Association italienne pour l'éducation démographique.
2 - "L'Osservatore Romano" est le quotidien du Vatican et "Civiltà Cattolica" est un hebdomadaire qui lui est très proche.
3 - CEI. Sigle de la Conférence Episcopale Italienne, l'organisme qui réunit les évêques italiens.
4 - L'UNITA. Quotidien du PCI, Parti communiste italien (ensuite du PDS, Parti démocratique de la gauche), fondé en 1924 par Antonio Gramsci.
5 - RINASCITA. Nom de l'hebdomadaire politique du Parti communiste italien (PCI), fondé en 1944 par Palmiro Togliatti pour la recherche théorique marxiste de haut niveau. Avec l'ouverture du débat sur le changement de nom du parti, sa direction fut confiée au prof. Alberto Asor Rosa, hostile au changement. Actuellement, la publication est interrompue.