de Roberto Cicciomessere, Alberto Gardin, Valerio Minella, Alerino Peila, Gianni Rosa, Franco Suriano, Alberto TrevisanSOMMAIRE: Le système pour défendre l'ordre établi se sert d'instruments violents et répressifs et d'un conditionnement psychologique constant. L'armée est un de ces instruments: elle sert pour une éventuelle contre-guérilla, pour le contrôle politique; c'est une poche de chômage pour une masse de jeunes qui autrement augmenterait la pression sociale; elle a une fonction anti-grève et elle éduque à l'obéissance aveugle; c'est un gaspillage d'argent qui pourrait être utilisé pour des services et des oeuvres sociales et qui légitime l'existence d'industries d'armement, rendant ainsi possible la vente d'armes aux pays colonialistes et fascistes. Contre cette situation, il faut utiliser la méthode de la nonviolence, à travers l'objection de conscience de masse.
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Partout, à chaque instant de la vie sociale, on essaye d'imposer comme valeurs fondamentales et préjudicielles, dans la famille, à l'école, à l'usine, dans les bureaux, dans l'organisation des loisirs, "l'ordre et l'autorité".
LES INSTRUMENTS DONT SE SERT LE SYSTEME POUR IMPOSER LE CONSENSUS AU REGIME D'EXPLOITATION
Pour maintenir ce type d'"ordre établi", le pouvoir se sert d'une série de structures et d'instruments qui sont ouvertement violents et répressifs (police, magistrature, chantage sur l'emploi, etc.), ou qui tendent à créer un consensus à travers un conditionnement idéologique, et l'imposition de modèles de comportements qui servent à la logique du profit (famille, école, église, partis, instruments d'information, armée, etc.).
Ainsi des structures économiques et politiques qui sont présentées comme nécessaires et permanentes pour l'organisation sociale, nous sont proposées et imposées comme si elles étaient "au-dessus des parties": elles sont par contre utilisées pour la conservation du système.
L'ARMEE EST UN INSTRUMENT FONDAMENTAL
Pour imposer cette "civilité" à l'homme, l'armée est un instrument fondamental.
ELLE NE SERT PAS POUR LA DEFENSE DE LA "PATRIE"
En effet l'hypothèse d'utiliser l'armée soi-disant pour se défendre des menaces extérieures n'est pas réaliste pour les raisons suivantes:
1) La division du monde en blocs opposés et l'entrée de l'Italie dans l'OTAN font en sorte que la défense, c'est-à-dire la protection paternaliste en fonction des intérêts des grandes puissances économiques, des pays couverts par l'alliance militaire soit confiée non plus aux armées nationales mais entièrement à la machine de guerre de la puissance de référence, autrement dit les Etats-Unis pour l'Italie.
2) Les armées traditionnelles, les forces armées italiennes, ne sont pas préparées pour affronter une guerre moderne: l'évolution de la technologie militaire avec la conséquence de la hausse vertigineuse du coût des armements, l'exigence des grosses industries de guerre de produire sans cesse du matériel de plus en plus moderne et de posséder des marchés auxquels imposer le surplus de leur production permet uniquement aux puissances de référence de maintenir une armée conforme aux exigences de la guerre moderne.
ELLE SERT A LA REPRESSION
C'est pourquoi on confie aux armées traditionnelles, dans le cadre des alliances militaires-politiques-économiques, la tâche de conserver le statu quo, de l'entraînement pour une utilisation dans des actions de contre-guérilla: c'est dans ce sens que l'armée exerce des fonctions qu'il est juste de définir de police.
ELLE EST ENTRAINEE POUR LA CONTRE-GUERILLA, POUR LE CONTROLE POLITIQUE
L'armée italienne qui dispose donc d'un armement moderne anti-insurrectionnel (armes légères, chars, avions pour l'attaque à basse altitude, hélicoptères), d'unités spéciales (parachutistes, "lagunaire", bataillon S. Marco) et d'"armes" (carabiniers, P.S.) particulièrement entraînées à la contre-guérilla (les "battues" qui ont lieu selon les règles les plus modernes de ce type de "guerre" en Sardaigne à la chasse des bandits qui pour cela sont inventés ou construits et qui servent justement dans cette perspective), d'une structure diffusée de manière capillaire sur le territoire national, avec des concentrations et des casernes notamment dans les grandes villes et dans les zones de développement économique, d'un énorme service de renseignements et de fichage absolument incontrôlé et incontrôlable (SIFAD, à présent SID), de grosses allocations pour les forces armées de terre et en particulier pour les Carabiniers (306 milliards pour 1972), a ainsi la possibilité de contrôler une grande partie de la population
active (300 mille jeunes chaque année) qui peut au moins être immobilisée dans les casernes, complètement à l'obscur de ce qui pourrait se passer à l'extérieur.
L'ARMEE COMME POCHE DE CHôMAGE
En outre l'occupation périodique et continue d'une si grande partie de la population active fait en sorte que le service militaire soit une valve de sécurité pour le système, une poche de chômage. En effet, si cette masse de jeunes n'était pas enrôlée elle irait grossir les rangs des chômeurs et elle augmenterait donc sensiblement la pression sociale, avec des conséquences qui ne seraient pas négligeables sur la stabilité du système.
L'ARMEE COMME INSTRUMENT POUR BRISER LES GREVES
Parmi les fonctions de l'armée il faut rappeler sa fonction anti-grève. Aussi bien pour le nombre que pour la spécialisation des hommes dont elle dispose (service de communications téléphoniques et télégraphiques; génie ferroviaire; service sanitaire; service de transport public), elle a la possibilité de faire fonctionner avec une certaine régularité des service sociaux importants à l'occasion de grèves générales, venant ainsi à avoir une incidence négative sur la capacité contractuelle des travailleurs, dans l'indifférence la plus totale des syndicats.
En outre il faut tenir compte de la fonction "éducative" que l'armée exerce sur les jeunes du contingent. Dans les manuels distribuées aux recrues on parle de "formation spirituelle et psychologique", mais cela s'exprime en pratique avec une négation totale des valeurs telles que la liberté, l'égalité, la justice sociale. Tout cela conduit à l'indifférence, à la passivité et à la renonciation de toute décision personnelle.
LE LAVAGE DU CERVEAU POUR EDUQUER A L'OBEISSANCE AVEUGLE
En effet sous les drapeaux on ne parle pas de politique, on ne peut pas faire grève, c'est un crime que d'avancer des protestations collectives, les punitions sont purgées même si elles sont injustes, il n'y a pas de liberté d'information et de religion, en résumé beaucoup d'articles de la constitution ne sont même pas respectés.
Ainsi l'ambiance du service éduque à l'indifférentisme, au respect de l'autorité supérieure, quelle qu'elle soit: ce processus de dépersonnalisation se révèle comme une vraie...
ELLE PREPARE A OBEIR AUX PATRONS
De cette façon les jeunes, revenus à la vie civile, habitués à dire 'oui, mon capitaine' continueront à obéir passivement, à 'monsieur le chef de bureau' ou à 'monsieur le proviseur', 'monsieur l'évêque', etc. devenant de bons serviteurs du système. Un autre problème de grande ampleur sont les dépenses militaires qui en 5 ans ont subi une hausse de plus de 581 milliards de lires, arrivant au budget prévu pour 1972 de 1.891 milliards (environ 15% du budget national) auquel devraient s'ajouter d'autres articles qui n'y sont pas compris, dont un qui concerne notre contribution à l'OTAN et dont on sait très peu.
C'EST UN VOL AUX DEPENDS DU PEUPLE
Cette somme d'argent très importante, en plus d'être improductive pour les masses populaires, qui la supportent d'ailleurs directement, et qui ont besoin par contre d'oeuvres et de service sociaux qui ne sont pas encore assurés, représente une occasion de gains sûrs pour des petits groupes capitalistes.
ON FOURNIT DES ARMES AUX PAYS FASCISTES ET COLONIALISTES
L'industrie militaire italienne est surtout caractérisée par un lien technologique avec l'industrie américaine, et par la vente d'armes à des pays à régime fasciste comme le Portugal, l'Afrique du Sud, la Rhodésie, qui s'en servent pour combattre les mouvements de libération dans les colonies. Il existe par conséquent une évidente convergence d'intérêts économiques et politiques entre le gouvernement (seul acheteur national de la production militaire) et le capitalisme tant international que national.
Si chaque armée, par sa nature et sa fonction historique, ne peut être qu'une école d'assassinat, d'obéissance, de démissions morales et civiles, un instrument d'oppression d'une classe sur une société, une cause de mort, de massacres, de répression, nous ne pouvons pas accepter d'en faire partie, d'avaliser par notre présence les fausses valeurs, les mythes qui soutiennent cette institution. Notamment, nous ne pouvons pas fournir d'alibi à ceux qui affirment depuis toujours vouloir la paix, mais qui préparent et soutiennent des armées de plus en plus mortelles et puissantes.
LA METHODE DE LUTTE NONVIOLENTE
L'objection de conscience, en engageant les individus directement, devient une méthode de lutte anti-aliénante, qui responsabilise et habitue à une participation active, indispensable pour la construction d'une communauté auto-gérée. Nous sommes en effet convaincus que la construction d'une société différente comporte l'utilisation de méthodes qui soient conformes à l'objectif que nous nous proposons, c'est-à-dire la libération de l'homme de l'esclavage. La méthode du refus, de la non-collaboration, de la désobéissance civile, est, dans la situation politique actuelle, objectivement la plus efficace pour combattre les structures autoritaires.
L'UTOPIE REFORMISTE DE LA "GAUCHE"
Mais à l'occasion de ce choix de notre part, de cette action politique que nous sommes de plus en plus nombreux à mener et à promouvoir, nous devons préciser d'autres problèmes qui touchent spécialement la situation italienne, notre armée, nos partis, notre condition de militants. Les forces démocratiques et populaires ne cessent, depuis vingt ans, de répéter en vain qu'elles sont favorables à l'utopie d'une armée démocratique et républicaine, à sa réforme, sans rien obtenir d'autre que le renforcement évident de son caractère autoritaire, des tentations et des expressions militaristes, de la "dégénération" antipopulaire de son oeuvre. Très vite, face à la cécité de l'actuelle classe dirigeante "démocratique les hiérarchies militaires elles-mêmes ou les partis qui au Parlement expriment l'idéologie militariste fourniront des propositions d'amélioration, de modernisation, de "démocratisation" même des forces armées parfaitement adaptées au rôle qu'a une armée efficiente dans la société.
LUTTE DE BASE POUR UNE LOI QUI INAUGURE DE NOUVEAUX ESPACES D'INTERVENTION POLITIQUE
La volonté d'imposer au Parlement - qui, encore une fois sourd aux exigences de la société civile, n'a même pas acquis les lois que la social-démocratie, dans le monde entier, a depuis longtemps adopté - l'approbation d'une loi qui reconnaisse effectivement le droit civil à l'objection de conscience n'est pas marginale. Le projet qui a été approuvé par le Sénat et que seule la mobilisation des groupes antimilitaristes a empêché qu'elle soit définitivement acquise par la Chambre, est une loi escroquerie, honteuse pour les partis de la gauche qui, avec leur silence, l'ont fondamentalement avalisée, une loi qui sert exclusivement à reconnaître et à punir sévèrement le crime d'objection de conscience. L'objectif d'une loi qui reconnaisse pour tous et pour toute raison l'objection de conscience, qui ne prévoie pas de commissions de contrôle, qui soustraie à la juridiction militaire l'objecteur qui effectue un service civil, qui sanctionne la soustraction des dépenses du service civil du budget de la défense, c'es
t ce qu'un antimilitariste, aujourd'hui, doit aussi se proposer pour l'acquisition d'instruments qui favorisent le développement du mouvement et de nouveaux espaces d'intervention politique. Ce premier objectif pourra naturellement être atteint sans négociations au sommet, mais avec une lutte de base, autogérée, menée avec des instruments libertaires.
D'AUTRES FORMES DE LUTTE CONTRE L'ARMEE
Mais également d'autres manières et d'autres formes doivent concourir à la lutte antimilitariste: la proposition qu'avec notre refus d'aujourd'hui nous faisons à tous les jeunes qui sont obligés d'avaliser l'existence de l'armée, ne peut pas et ne veut pas se limiter uniquement au soutien de ce que nous sommes en train de faire et au simple témoignage d'une volonté politique.
Ce doit être le début d'une mobilisation populaire de camarades de plus en plus nombreux sous toutes les formes possibles contre une société qui est en train de se militariser de plus en plus.
OBJECTION DE CONSCIENCE DE MASSE COMME PROPOSITION DE LUTTE CONTRE LES STRUCTURES AUTORITAIRES
Aujourd'hui nous sommes encore peu nombreux, demain nous devons être nombreux à objecter contre l'armée, à refuser de dire 'oui, mon capitaine', pour mieux combattre et refuser l'ordre et l'autorité qu'à chaque instant de notre vie les puissants voudraient nous imposer. Pour le droit au bonheur, à la possibilité de construire une société fondée sur l'homme pour l'homme, sans exploités ni exploiteurs.