par Roberto Cicciomessere (*)SOMMAIRE: Le récit de la vie dans la prison militaire de l'objecteur de conscience Roberto Cicciomessere. Secrétaire du Parti radical, il est engagé dans la campagne pour la reconnaissance du droit de refuser les armes. Quelques mois après son arrestation, grâce à la mobilisation de l'opinion publique organisée par le Parti radical, le Parlement italien approuve, le 15 décembre 1972, une loi qui reconnait le droit civil à l'objection de conscience au service militaire.
("La prova radicale", été 1972, n. 4)
Le 11 mars, après la manifestation de la place Lagrange à Turin, nous nous livrons aux carabiniers. Nous sommes trois: Valerio Minnella, Gianni Rosa, et moi. Alerino Peila a déjà été arrêté, un peu avant le commencement du cortège.
Les carabiniers mettent plusieurs heures à trouver nos mandats d'arrêt. Dans la soirée ils prennent nos empreintes digitales, ils prennent nos photos et nous amènent, sans menottes, à la prison de Turin. Nous passons la nuit dans les cellules de rigueur du sous-sol. Ce sont des cellules pour une personne, très petites, fort humides, avec un cabinet à la turque. Le gardien passe périodiquement pendant la nuit. Il allume la lumière et contrôle, à travers le judas, l'intérieur de la cellule. Il est difficile de dormir.
12 mars - On nous traduit, sur deux voitures, à la prison militaire de Peschiera. Je suis menottes aux poignets avec Alerino; Valerio et Gianni sont dans une autre voiture. Les chauffeurs sont obligés de faire beaucoup de détours dans Peschiera, avant de réussir à trouver l'entrée de la prison. Peschiera est en effet occupée militairement par les carabiniers et la police, les voies d'accès à la prison sont bloquées par des tréteaux; on attend la manifestation des groupes antimilitaristes. On nous ôte les fers, nous signons le registre (je réussis à voir le nombre de détenus présents: 202) et nous sommes tout de suite accompagnés par l'adjudant Doni dans les cellules de rigueur. Ce sont des pièces de 4 mètres carrés, occupés en bonne partie par la planche, avec une petite fenêtre qui donne sur la cour, la lumière d'une ampoule toujours allumée, plutôt froides et humides. Nous occupons quatre des cinq cellules existantes: dans la première se trouve le lit de contention: le matelas a un trou au centre pour les
besoins physiologiques, de grosses sangles sont fixées au lit pour immobiliser le détenu qui est nu. Le moral est bon, malgré tout. Nous entrons en prison préparés, sans regrets, par un choix politique précis. Valerio et Alerino, qui en sont à leur seconde objection, nous servent de guides et m'expliquent ainsi qu'à Gianni, en criant par les judas des cellules, le fonctionnement de la prison, ils nous indiquent les "bons" et les "mauvais" gardiens, ils nous rassurent sur notre séjour dans ces cellules, qui ne sont pas trop confortables: "ce soir au plus tard, après la douche et après nous avoir donné nos habits, ils nous amèneront dans la chambrée". Je suis impatient de connaître les autres prisonniers, de vivre - désormais - ce que j'ai lu dans le journal de Pizzola.
Il n'en sera pas ainsi.
14 mars - Nous avons passé, par contre, deux jours dans nos cellules. Nous demandons d'être reçus par le commandant, pour obtenir des explications sur ce traitement spécial. Nous commençons à refuser la soupe. Nestorini nous appelle un par un et nous explique que selon le règlement nous devons rester en isolement jusqu'à ce que nous soyons interrogés par le procureur militaire. La règle n'est jamais appliquée, mais uniquement parce qu'il y a peu de cellules: Il ne fait donc qu'appliquer le règlement. A la question pourquoi ce zèle soudain il répond très vaguement. A moi en particulier il fait tout de suite comprendre que refuser la soupe est un délit punissable selon le code militaire, un délit qui devient encore plus grave s'il est commis par plusieurs personnes et après un accord préventif.
De retour dans ma cellule, accompagné par l'adjudant Doni, je m'adresse aux autres camarades qui doivent se rendre à leur tour chez le commandant Nestorini, en leur disant "ne lâchez pas".
15 mars - Après la douche Doni, tandis qu'il fait accompagner mes autres camarades dans les chambrées, me communique que je dois encore rester en cellule. Je continue à ne pas manger, même si la chose devient de plus en plus difficile, par manque de lait. J'avais déjà fait une grève de la faim pour le divorce et pour l'objection de conscience, jusqu'à onze jours mais jamais en isolement total et dans une situation qui m'apparait chaque jour plus difficile.
19 mars - Les douleurs à l'estomac deviennent insupportables et j'arrête ma grève de la faim. Le même jour le Capitaine Nestorini, le lieutenant Zanzottera, le sous-lieutenant médecin et l'aumônier, en somme tout le staff de direction, me communiquent, en venant personnellement dans le couloir des cellules, que pour le "ne lâchez pas" j'ai été puni par dix jours de CPR, de cellule de rigueur. La décision m'est présentée comme un acte magnanime, parce que dans la phrase on pouvait trouver les éléments pour un délit beaucoup plus grave, comme l'instigation de militaires à désobéir punissable avec bien d'autres peines. Ils affichent de s'assurer que mon séjour en cellule est "confortable", m'accordant matelas et couvertures également pendant la journée, la possibilité de fumer et de lire. Claudio Bedussi, Giacomo Secco, Valerio Minnella réussissent même à entrer dans le corridor des cellules et à m'apporter du lait, des livres, des petits billets avec diverses nouvelles. L'aumonier fait de courtes apparitions,
se montrant très gentil, en me faisant même cadeau de cigarettes. Il n'a aucune envie de parler avec moi même si, dans ma condition d'isolé, j'en sens évidemment fort le besoin. Ce traitement spécial est peut-être l'effet des télégrammes de Loris Fortuna, de Lino Jannuzzi, d'Ennio Bonea que l'on apporte dans ma cellule: Nestorini comprend que l'affaire est suivie de l'extérieur, également par des forces organisées, et qu'il n'y a donc pas avantage à faire les durs, risquer d'attirer l'attention sur la prison et sur le traitement réservé aux prisonniers. Et la "Prova Radicale" avec le journal de Mario et l'annonce que nous continuerons sur cette voie ne peut pas ne pas peser également. Pour beaucoup moins il n'avait pas hésiter, d'autres fois, à dénoncer d'autres camarades détenus.
21 mars - Je passe ces journées en cellule sans grosses difficultés, en lisant beaucoup (Bedussi a une bibliothèque très fournie et il me passe tous les jours d'excellents livres), très serein. Je commence à connaître les personnes qui sont enfermées dans la prison, en parlant à travers le judas avec les nouveaux arrivés qui passent quelques heures dans ces cellules, avant qu'on leur assigne une chambrée. Renato Bianco, "bersaglier", me demande angoissé de parler avec lui: il est dedans pour avoir apporté chez lui, pendant une permission, une veste militaire confiée expérimentalement à son bataillon. Je réussis à parler avec trois chasseurs alpins qui se sont éloignés du poste de garde, la nuit, dans la neige, cinq minutes avant la fin de leur tour de garde.
22 mars - Le onzième jour d'isolement, deux jours plus tôt que prévu, je suis conduit dans une chambrée. Mes camarades objecteurs insinuent en blaguant que je dois remercier ma mère qui a cassé les pieds pendant plusieurs jours à Nestorini et l'a obligé à me faire la grâce de deux jours. C'est en fait un geste de bonne volonté de Nestorini, pour me faire comprendre que si je ne casse pas les pieds on peut se mettre d'accord. C'est un discours qui fonctionne avec beaucoup de détenus et qui hélas risque de fonctionner aussi - probablement pour un excès de confiance en soi - avec un objecteur.
23 mars - La chambrée dans laquelle on m'amène peut contenir de quinze à vingt-deux personnes. Ses seules fenêtres qui donnent sur la rue sont presque entièrement obturées par un petit mur. La lumière est, par conséquent, toujours allumée. L'ameublement est constitué par les lits de camp militaires et par les armoires métalliques. Le matin il faut faire la queue pour pouvoir se laver. il n'y a pas de radiateurs, il fait froid et humide l'été aussi à cause de la proximité du lac de Garde et du Mincio sur lequel s'élève la prison, une vieille forteresse autrichienne. C'est dans cette pièce que l'on passe le plus grand nombre d'heures, 18 sur 24. Environ six heures, trois le matin et trois l'après-midi, constituent la ration d'"air" à "prendre" dans une cour assez vaste, fermée par un grand mur sur lequel se promènent les sentinelles et sur lequel se trouve une guérite avec le réflecteur. Là on peut jouer aussi au ping-pong, au volley-ball et au football (si les témoins de Jéhovah le permettent). Mon premier co
ntact avec mes camarades de chambrée est, comme prévu, plutôt difficile. Comme dans la caserne, les détenus déchargent leur agressivité réprimée, l'oppression continuelle, sur les plus faibles, en créant des règles et des hiérarchies fictives qui ont évidemment pour seul effet de diviser les détenus, les rendre faibles et non préparés devant les supérieurs, ajouter des difficultés à une vie de prison déjà difficile. Ainsi, dans ma chambrée aussi il y a un "chef de chambrée", il y a des anciens qui considèrent avoir des pouvoirs sur les nouveaux arrivés, il y a l'habitude des blagues stupides comme les brimades, les "dentifrices" et autres liturgies encore plus cruelles, prises telles quelles de l'ambiance de caserne que certains voudraient recréer. Eliminer cet état de choses, préjudiciel à la prise de conscience des causes communes de notre condition de prisonniers, c'est l'engagement le plus difficile mais aussi le plus important de notre groupe d'objecteurs. Dès mon entrée dans la chambrée, "Veneziano", l
e "chef de chambrée", m'annonce parmi les gloussements des autres que l'habitude en vigueur est d'enfiler un suppositoire à chaque nouveau détenu. Il me communique que si je ne me le laisserai pas introduire par les "bonnes", les "anciens" seront obligés d'utiliser les mauvaises manières. Fermement, mais sans hargne, j'explique le sens de mon refus, la nécessité que dans la chambrée on ne crée pas de divisions entre les détenus mais une unité complète pour mieux contraster le pouvoir excessif et les abus des supérieurs, l'identité fondamentale des raisons qui nous ont tous amenés dans cette prison militaire. Je déclare n'avoir aucunement l'intention de réagir violemment à un acte de force éventuel de leur part. Cette réaction, évidemment, le déconcerte: inconsciemment ils espéraient une réponse violente de ma part à laquelle ils auraient pu répondre par une violence encore plus grande et "gagnante". C'est le sens même du "jeu", si on veut laisser de côté d'autres implications plus troubles et inconscientes.
Ils ont uniquement connu des objecteurs comme les témoins de Jéhovah et mon discours, qui ne fait pas de discriminations entre prisonniers "de droit commun" et politiques ou religieux, les laisse interdits. Ils désistent pour le moment de l'"opération". Ils reviendront à la charge les jours suivants, avec de moins en moins de conviction. Je commence à connaître mes camarades de chambrée. Plus de la moitié sont des "repris de justice", avec plusieurs années de prison "civile" derrière eux. Il n'est pas difficile d'entamer un dialogue avec eux: ils semblent les plus durs mais, la barrière de la méfiance une fois surmontée, ils se défoulent en me racontant leur vie, leurs problèmes, les raisons de leur condition actuelle. Girolamo Gullace entre quelques jours après moi, et ils essayent tout de suite avec le suppositoire. Il est habitué depuis toujours aux ambiances violentes du "milieu", c'est un "dur" qui ne laisse personne lui "marcher sur les pieds" et, par conséquent, les camarades de cellule comprennent qu
e ça pourrait mal se terminer pour tout le monde et le laissent tranquille. J'interviens dans la discussion, en sa faveur. Il m'en est très reconnaissant. Il me raconte qu'à quinze ans il supplée à l'impossibilité de ses parents de lui donner rarement ne fut-ce que quelques lires en volant avec ses amis dans les voitures laissées ouvertes, ou avec des vols de quelques milliers de lires dans les magasins. A seize ans il finit dans une maison de correction, l'école primaire du "crime". Là il commence à apprendre les systèmes pour ouvrir les voitures, pour effectuer des vols à la tire ou de petites escroqueries. Une fois sorti, il décide cependant de trouver un travail. Pendant près d'un an, émigré à Turin, il cherche un emploi quelconque: en outre la réponse à ses demandes, lorsqu'il repasse, est toujours la même: "nous sommes au complet, réessayez dans quelques mois". Personne ne se fie d'un repris de justice. L'argent manque, la famille est loin et de toute façon elle ne peut lui fournir aucune aide, et il s
e trouve donc introduit dans le "milieu", d'abord comme sous-ordre, puis en commençant à faire personnellement "des petits travaux". La prison, où il finit périodiquement, perfectionne sa technique.
Ce sont ensuite des histoires incroyables (que j'aurai bien vite la possibilité de vérifier) des conditions inhumaines des prisons "civiles", des rossées, de la tentative de suicide comme seule façon de ne pas subir davantage de vexations, de la lame de rasoir toujours en bouche prête à l'usage ou à la menace de l'utiliser, de l'imposition ponctuelle des rapports homosexuels, de l'exploitation organisée de cette main d'oeuvre à bon marché. Parlant il devient furieux et maudit sa situation, il maudit ceux qui le contraignent d'abord à voler et puis l'envoient en prison ou le font tabasser par la police en lui refusant toute possibilité de sortir de cette situation. Comment lui donner tort? Je ne peux que lui répéter qu'on ne peut pas condamner celui qui vole quelques milliers ou parfois quelques millions de lires quand on permet le vol de milliards et l'assassinat de masse légalisés, qu'il n'est pas possible de condamner ceux qui, lorsqu'ils sont nés, étaient déjà condamnés à la misère et à être exploités ou
au vol, sans condamner les causes et les raisons de la misère et de l'exploitation.
Il comprend que je suis fondamentalement avec lui, contre ceux qui l'ont obligé à une vie qui, il n'a pas de difficultés à le comprendre, est sans débouchés. Nous lions amitié. J'essaye d'imaginer avec lui des solutions possibles. Je ne les trouve pas. "Si je réussis à faire un bon coup je monte un atelier de confection de chemises avec ma copine et j'arrête de faire cette vie". Il est probable qu'il n'y réussira jamais. Pendant qu'il m'explique pourquoi il est dedans pour insoumission, deux prisonniers commencent à s'insulter. Ils passent aux faits, un couteau fait son apparition. Valerio m'avait averti des bagarres fréquentes et m'avait conseillé de ne jamais intervenir: on peut attraper des coups de couteau! J'essaye de les diviser, très effrayé, et de lancer une discussion sur les conditions pénitentiaires. Tous deux ils m'envoient me faire foutre en me disant de ne pas les ennuyer avec la politique, mais au moins ils arrêtent de se disputer.
Les événements de cette journée ne finissent pas là: vers minuit on entend un bruit de voix dans le corridor et je vois par la grille des caporaux qui portent un détenu l'écume à la bouche. Dix minutes plus tard la même scène se répète. On l'avait d'abord conduit à l'infirmerie, maintenant on le conduit dehors. Je réussis à apprendre d'un infirmier qu'il s'agit de Paolo Costantino - pour la seconde fois en prison pour insoumission - qui a avalé un poison pour rats, après l'avoir prélevé dans la cuisine où il travaille. Il reste plus d'une demi-heure dans l'entrée de la prison jusqu'à ce que l'adjudant de service réussisse à trouver une voiture pour l'amener à l'Hôpital de Vérone. Il restera dans le coma pendant quelques jours, mais il s'en sortira. Timide, introverti, doux, il ne sait pas se défendre: de plus, d'autres prisonniers se moquent de lui, et recréent - à ses dépends - leur "supériorité". "Mieux vaut mourir".
Presque chaque soir je suis témoin de crises hystériques, de tentatives de suicide. Le médecin, un sous-lieutenant du contingent, est presque obligé chaque nuit de venir dans la prison. Un prisonnier qui travaille à l'infirmerie nous raconte ce qu'il voit.
Claudio m'indique, dans la cour, un prisonnier qui est assis tout seul, sur un banc. Il s'appelle Sala. Epileptique, ses conditions se sont aggravées après un accident de la route, on le flanque à Peschiera pour insoumission, il passe dix jours à l'Hôpital militaire de Vérone, et puis revient en prison. Il est pris d'une crise. Il se tord dans son lit. Maseracchia flanque des coups de pied dans son lit. Il le menace de le fourrer dans une cellule s'il n'arrête pas pas sa crise. Avec deux coups de pied, il le pousse dans la cour. Les crises et les pleurs de Sala continuent: il ne veut pas appeler l'infirmier parce qu'il craint les menaces de Maseracchia.
(Valerio Minnella risque une plainte en diffamation suite à la publication sur la revue Settegiorni d'un journal dans lequel on raconte cet épisode et qui lui est attribué. Beaucoup de témoins ont été présents au fait qui est ici reconstruit de façon précise).
27 mars - Dans les heures d'"air" j'ai pu voir mes camarades objecteurs de conscience du bras Est, Minnella, Peila, Rosa et Bedussi. Dans l'autre bras sont enfermés Amari, Truddaiu, Bovi Campeggi et Reggiori, avec qui je réussirai seulement à avoir des rencontres rapides à la cuisine ou chez le coiffeur. Ce sont les heures où nous nous échangeons nos expériences de chambrée, où nous discutons des problèmes que chaque jour notre condition de prisonniers nous propose. Le dessein de Nestorini de nous séparer dans des chambrées différentes, parce qu'ensemble nous aurions pu organiser je ne sais pas quoi, se révèle une erreur: divisés par chambrée, nous réussissons pratiquement tous à intervenir auprès de tous les prisonniers, à connaître chaque nouveau, à savoir pratiquement tout ce qui se passe dans la prison.
Dans les heures d'"air" nous pouvons ensuite nous voir facilement et nous informer réciproquement. La situation est différente pour Gianni Rosa et Valerio Minnella qui sont dans la chambrée des témoins de Jéhovah. Ces derniers (54 personnes, réparties dans trois chambrées) sont les seuls prisonniers avec qui nous ne réussissons pas à entamer un dialogue quelconque. Décidément sectaires, privilégiés pour beaucoup de choses, ils professent leur neutralité dans les choses de la prison. Inutilement, on essaye de leur faire comprendre qu'il ne peut y avoir de "neutralité" face à l'injustice manifeste que représente la prison; que, lors d'abus et de violences contre d'autres camarades prisonniers, faire partie à part, signifie fondamentalement être du côté du plus fort, de ceux qui accomplissent des abus car ces derniers comptent aussi sur l'indifférence, sur la neutralité, sur la peur des autres. J'essaye de les faire réfléchir sur le sens de ces choses en citant le verset de la Bible (qui est leur seul "livre de
texte") "Celui qui n'est pas avec moi, est contre moi". Rien à faire. Pour eux la prison est le séminaire par lequel passent tous les nouveaux adeptes. Ils organisent en effet leurs journées avec le maximum de discipline, avec des cours sur la Bible, des discussions, des travaux manuels, des fonctions religieuses. Dans leurs chambrées est accroché un tableau où sont indiquées les activités et les heures où elles doivent rigoureusement avoir lieu. Ils ont la permission de recevoir et même de diffuser leur hebdomadaire "La Tour de Garde", de faire de la propagande et des adeptes parmi les prisonniers et parmi les caporaux, de garder en prison tous les instruments dont ils ont besoin comme des couteaux, des scies, des foreuses, des clous, des cordes, de recevoir la visite de leur famille, quand et pendant le temps qu'ils veulent, d'envoyer "des lettres de témoignage" aux adresses qu'ils trouvent dans la prison pour faire de la propagande pou leur organisation.
Le capitaine est bien content de permettre ces privilèges, absolument interdits aux prisonniers communs, parce que ces "prisonniers modèles" représentent l'obstacle insurmontable pour toute protestation collective, pour toute tentative de refus de services particulièrement durs: les "témoins" sont toujours disponibles pour tous les travaux qui leur sont demandés par la direction. Ils sont donc détestés par tous les autres, car leurs chambrées sont aussi pleines de nourriture et d'objets absolument inconnus de tous. Ils traitent ensuite avec mépris les "communs", ou au maximum en tant qu'objets de conversion.
29 mars - J'approfondis la connaissance de mes autres camarades de chambrée: le groupe des chasseurs alpins dénoncés pour violation de consigne, pour s'être éloignés du poste de garde, ils me racontent leur travail infernal dans le bataillon d'artillerie de montagne: "Les mulets comptaient plus que nous, s'ils se blessaient ou s'ils avaient été mal étrillés nous étions punis tandis que pour les coups de pied dans la figure ou dans les couilles qu'ils nous refilaient de temps en temps rien ne se passait"..."mieux vaut la prison que cette vie d'enfer, à monter la garde, la nuit dans la neige, aux mulets ou à une poudrière vide, et le lieutenant qui surgit à l'improviste pour contrôler si nous étions réveillés et sur nos gardes"... L'un d'entre eux dit: "Nous l'aurions tué, s'ils s'étaient présenté encore à l'improviste la nuit pendant notre tour de garde; nous avons l'ordre de tirer contre les inconnus qui s'approchent"; Walter, maçon, avait prolongé sa permission d'une semaine pour rester encore avec sa fianc
ée; Vincenzo Fortemurato, le corps marqué de tatouages, émigré en Allemagne, rapatrié après six mois de prison pour vol, arrêté à la frontière pour insoumission. Gino, arrêté pour désertion; sans parents, ni famille, ni amis, fort timide, ne supportait pas la vie de caserne où il était la cible de toutes les blagues les plus cruelles. Il n'allait jamais en permission, il ne savait pas où aller et il n'avait de toute façon pas d'argent pour se déplacer. Il avait trouvé un travail de commis dans une librairie à Turin et avait déserté pendant plus de six mois. Giuseppe, sarde, était sorti de caserne sans permission et avait été attrapé par la ronde et par un petit lieutenant, mais il avait réussi à s'échapper et à rentrer dans la caserne. Le petit lieutenant l'avait cherché et l'avait trouvé dans la chambrée, le couvrant d'insultes. Giuseppe avait réagi en le prenant à coups de poing. Renato Bianco, le bersaglier dénoncé parce qu'il s'était approprié d'un uniforme expérimental, me raconte la nouvelle utilisatio
n de son Arme: "nous sommes d'abord intervenus dans un lycée de Rovigo. Le premier jour les étudiants ont eu le dessus. Le lendemain nous les avons attendus dans les salles de cours et nous les avons tabassés. L'ordre était de taper avec la crosse du fusil mais de ne pas la casser, sinon nous aurions été punis pour endommagement. Durant l'été 1971 ils nous ont tous transférés à Bari et puis nous sommes allés à Reggio Calabria avec les M 113. J'avais très peur, je devais tirer le premier pour ne pas être tué. Nous avons même tiré. Le 2 juin j'étais en Sardaigne et nous sommes intervenus contre une manifestation de la population sarde qui ne voulait pas les parades militaires, les casernes, les bases OTAN. Nous avons tiré en l'air. Mon ami s'est trompé et a tiré une rafale à quelques centimètres au dessus de la tête des manifestants.
En Sardaigne ils nous massacraient avec les entraînements. Des courses en plein soleil pendant des kilomètres, des entraînements en montagne". "Mais ça ne te dégoûtait pas de taper les manifestants?". "C'était l'ordre, si nous ne le faisions pas ils nous auraient envoyés à Gaeta et de toute façon nous aurions reçu des coups des manifestants. Mieux vaut eux que nous." Les jours suivants il changera beaucoup de ses idées.
1 avril - Chaque nouvel arrivé, chaque cas personnel, les procès, les condamnations absurdes, le climat d'autoritarisme et de menace sont des occasions pour parler, pour commenter. Même les plus réticents à se déboutonner, comme Veneziano, commencent à participer aux discussions qui ont lieu dans la chambrée. Dans les moments de plus grande rogne pour une punition, lorsque la majorité voudrait, du moins à paroles, "tout casser comme à la "Nuove", il n'est pas facile de les convaincre qu'en agissant ainsi nous ferions le jeu des supérieurs, nous donnerions l'occasion pour des punitions très dures. J'essaye de développer le discours nonviolent, en parlant des moyens de désobéissance collective, de la nécessité qu'il y ait un minimum d'unité entre les prisonniers.
Mais tout semble mourir avant de commencer, à cause d'une méfiance réciproque. Chaque détenu sait que le commandant a mille façons de le faire chanter: le rapport qui sera remis aux juges, les petits travaux mal payés de la prison, la censure sur la poste, les visites, la possibilité d'acheter des choses à l'extérieur, le règlement, ensuite, qui pend comme une véritable épée de Damoclès sur la tête du prisonnier militaire. Je me rends compte que seul un long travail, avec les risques dus au fait que Peschiera est une prison de passage, pourrait permettre quelques résultats et la conquête de quelques droits internes. L'élément fondamental, la chose que craint la direction de la prison, c'est la liaison organisée avec l'extérieur, la publicité sur ce qui se passe en prison.
3 avril - Dans la cour je réussis à engager la conversation avec le lieutenant Zanzottera: une occasion pour créer des moments de débat collectif sur les problèmes qui concernent notre condition, l'armée. Le lieutenant se montre disponible, avec une attitude paternaliste il se promène dans la cour en discutant avec les prisonniers. Il est assez facile de l'arrêter, de le provoquer à la discussion avec des considérations sur l'armée, d'entraîner d'autres prisonniers. La discussion continue ensuite dans les chambrées. Cette scène s'est déjà répétée plusieurs fois, avec l'immanquable déclaration du lieutenant: "Maintenant je devrai me punir tout seul parce que j'ai permis que l'on parle de politique en prison!". Bedussi est très inquiet pour mon activité qu'il considère trop ouverte. Il est encore en train de payer son attitude dure et sans compromis avec le commandant: il a été condamné à deux mois de prison pour ne pas avoir décroché rapidement deux poésies d'amour du mur de sa cellule.
Durant l'heure d'air je connais d'autres prisonniers: Onesti est le sympathique de la prison. Il est un peu "beat" et réussit à se payer la tête des sous-officiers et même de Zanzottera. Avant, il faisait la sentinelle sur les gradins de la prison et pouvait comprendre, par conséquent, nos conditions de vie. Un soir il écrit "cette prison ne devrait pas exister, parce qu'elle est un symbole de répression anti-sociale et de dictature. Nous sommes en 1972 et ils peuvent tout faire sauf arrêter le temps". Il purge à présent sept mois de prison.
Les deux policiers arrêtés pour la manifestation de 500 agents de Turin sont désormais acceptés par tous. Bedussi me raconte qu'au début les "communs" voulaient les tabasser. Avec le temps ils ont réussi à se faire accepter, en changeant beaucoup de leurs idées. Je parle avec Trevi qui est le plus intelligent et le plus sympathique: "Je suis entré dans la police après m'être disputé avec mon père qui gère une pompe à essence à Latina. Je voulais être indépendant et j'en avais assez de cette vie ennuyeuse". "Que s'est-il passé à Turin?". "La manifestation a été totalement déformée par les journaux. Ce fut peut-être une chance. Elle était née comme une démonstration de "droite". Mes collègues voulaient appliquer le règlement, faire fermer tous les commerces publics illégaux, c'est-à-dire la majorité, mettre une amende maximum aux automobilistes surpris en tort, faire une sorte de grève blanche pour protester contre les limitations qui sont mises à nos prérogatives de policiers et pour la réforme de quelques no
rmes internes, comme l'interdiction de se marier avant 26 ans. J'ai réussi à les convaincre de ne rien faire de tout cela et à marcher, par contre, encadrés sur Via Roma, la nuit. Quelqu'un doit avoir appelé un photographe et c'est comme ça que le bordel est né. Ils nous arrêtés, Papa et moi, parce que nous étions les plus anciens et les seuls qui n'ont pas chié dans leurs frocs devant le commandant".
Après des mois de prison, en contact direct avec les "voleurs" il s'est au moins convaincu que ce n'est pas vrai qu'"ils n'ont pas envie de travailler et qu'ils préfèrent la belle vie". Il n'a pas encore décidé s'il restera dans la police.
Le moment de la distribution de la poste est celui que nous attendons avec le plus d'impatience. Lorsque le sergent entre dans la cour avec le paquet de lettres nous accourrons, tous, faméliques, espérant recevoir quelque chose du "monde", de nous retrouver finalement avec tout ce que nous avons laissé dehors. Cette espèce de raptus collectif frappe aussi celui qui ne recevra jamais rien parce que personne ne sait, personne ne soupçonne sa condition de prisonnier, dans la "Caserne XXX Mai". Celui-ci se contente de se laisser informer, sur les nouveautés du "monde", par les chançards: Fortemurato..., Bedussi..., Peila...; Peila... ce sont ses soeurs et sa fiancée qui lui écrivent tous les jours...; Minnella... ça doit être Inès avec ses très belles lettres à la Ginsberg et ses dessins psychédéliques, ou une de ses nombreuses copines; Rosa... finalement, ça faisait des jours qu'il attendait.
La poste arrive toujours avec plusieurs jours de retard. Elle est souvent envoyée au parquet de Turin pour la censure et de là elle met souvent un mois pour arriver à Peschiera. Des réponses nous pouvons aussi constater les retards incroyables avec lesquelles les lettres sont envoyées. Les lettres plus politiques sont régulièrement photocopiées par le lieutenant Milano, qui s'occupe de la censure. Toute notre correspondance passe de toute façon entre les mains du commandant. On veut éviter que des nouvelles sur la prison sortent à l'extérieur, ou que de toute façon, il y ait des actions coordonnées. Une lettre de Magda où elle me parle de ses chats et de ses fleurs reste plusieurs semaines dans les bureaux du parquet de Turin (les lettres censurées à Turin sont timbrées de façon spéciale): ils soupçonnent que "chats" et "fleurs" fassent partie d'un "code chiffré" entre nous.
Ma première lettre arrive après deux jours de prison, le 13. Elle vient de Fausta Mancini Lapenna. J'avais parlé avec elle pendant quelques minutes, à Udine, avant un débat sur l'objection de conscience que nous avions organisé en février.
"... je vous écris pour vous exprimer mon amitié et ma sympathie. A vrai dire je voudrais vraiment vous prier de nous tutoyer. J'ignore si tu sais que je fais moi aussi partie du P.R. En outre depuis plusieurs années une infinité de jeunes m'ont adoptée comme leur tante et m'appellent Zifà et me tutoient. Nous nous connaissons peu, mais c'est dans les traits essentiels que se concentrent les sympathies réciproques. Nous vivons les mêmes anxiétés pour des finalités communes et cela, beaucoup plus que la monnaie qui est en cours aujourd'hui, lie les êtres humains par des liens sérieux...".
La lettre me parvient en cellule et elle me fait énormément plaisir.
Le 14 parviennent les télégrammes de Lino Jannuzzi et des radicaux de Reggio Emilia. Le lendemain ceux de Ennio Bonea, Canestrini, Loris Fortuna. Le caporal qui me les amène me demande ce que j'ai fait pour attirer les attentions des députés. Le 16 me parvient un livre, c'est Zifà qui me l'envoie: Victor-Emmanuel II, de Mack Smith. Le 24, Nestorini m'appelle pour me remettre personnellement une lettre où Marco me raconte les dernières nouveautés du parti, les rapports avec "Il Manifesto". Giancarlo et Daniela et la Communauté S.Paolo le 30. Le procès pour le 2 juin a été repoussé parce que tous les accusés n'avaient pas été avertis... J'ai reçu il y a quelques jours la convocation pour le 25 mai... je pense que la portière s'est effrayée, elle me regarde toujours comme si elle voulait me demander des explications: toi dans une prison militaire, moi les carabiniers; dès que j'aurai le temps je lui ferai un petit meeting à elle et à la commère d'en-bas... baisers, baisers." Liliana, 11 avril.
"... je suis content que tu t'habitues à ce service renforcé. Tu sortiras certainement renforcé de cette expérience, même si te le dire me rend triste parce que ça signifie mythifier ou de toute façon privilégier le "sacrifice", auquel on veut faire remonter la force et la qualité de notre caractère et de notre volonté. Et tu sais qu'il s'agit là d'un beau discours de "violence" avec lequel on essaye de conditionner de l'intérieur, de son propre moi, l'homme, pour le rendre instrument docile de la morale commune, alors que la nonviolence devrait être avant tout appliquée à l'égard de nous-mêmes.
Je pense, donc, que cette expérience pourra t'être utile non pas pour le sacrifice qu'elle comporte, mais uniquement parce qu'elle est gérée par nous et par toi, par les radicaux, avec un vrai esprit nonviolent et avec la possibilité d'être transformée dans une des nombreuses batailles libertaires et civiles, auxquelles notre engagement, stimulé par la nécessité contingente, donne les perspectives d'une victoire concrète et actuelle... le 10 avril tu as été cité en justice en référé, avec Marco, pour le manifeste et le numéro de Nouvelles Radicales relatif à "Lorsque la patrie appelle nous répondons NON...".
Giuseppe Ramadori, 11 avril.
5 avril - Nous entendons, de nos chambrées, des hurlements provenir des cellules de rigueur. "Ça doit être Doni, qui s'entraîne au karaté" commente un prisonnier. J'apprends qu'il s'agit de Provenzano, du bras Ouest, qui a refusé de partir pour la prison de Gaeta. On me dit qu'il a été traîné de tout son poids dans une cellule, et "caressé" par Doni, Maseracchia, et d'autres sergents. Nous en discutons beaucoup dans la chambrée. Que peut-on faire? Rien, pour l'instant. Je demande aux détenus anciens si la chose a lieu souvent. La réponse est affirmative. Je l'avais d'ailleurs lu aussi dans le journal de Mario Pizzola. Je commence à prendre des notes: les noms, les dates.
Angelino Giovanni revient à bout de son procès. Je ne le connaissais que de vue. Il jouait toujours au football ou au volley-ball. Il vient de Naples, il est à moitié analphabète, totalement dépolitisé. Il a été condamné par le tribunal de Padoue à un an et 4 mois, pour avoir imité le bruit d'un moustique devant un sous-lieutenant. Dans le langage de caserne (et de chambrée) le "moustique" est le blanc-bec, le nouveau venu. Pendant la soupe Angelino avait émis ce "son" en présence d'un nouveau sous-lieutenant susceptible. Ses camarades l'avaient invité à le répéter et il l'avait fait.
Le procès a été très rapide. Le juge s'est attardé à demander aux témoins combien de fois Angelino avait fait "zzz"... Le président a aussi invité Angelino à le refaire "... mais je dois vraiment le faire?". "Bien sûr, je te l'ordonne!" "zzz...". "Lieutenant vous confirmez? C'était "zzz" ou "sss"? Pendant combien de temps?". "Un an et six mois ici dedans? Je deviens fou, je me tue!". Nous essayons de le calmer. Je lui promet d'écrire à un bon avocat pour le défendre devant le Tribunal Suprême. La nouvelle circule, explose comme une bombe dans toute la prison. Voilà ce que signifient les conditionnements de classe. "Je savais" ce que signifie la "défense" d'office; avec le parti nous avions organisé des contestations judiciaires sur ce point. Mais je suis quand même surpris par l'instantanéité, par l'importance que prend un "service" que j'avais proposé tout à fait naturellement.
C'est la première étincelle. J'en parle beaucoup, également dans les "petits meeting" avec Zanzottera. Ça me parait un cas qui illustre parfaitement le rôle de ces tribunaux, et pas uniquement de ces derniers. Bedussi m'avertit que j'exagère, que je m'expose trop. En sortant de la chambrée, le sergent Maseracchia, un "dur" un peu crétin qui lit avec ostentation "Il Borghese", m'invite dans un coin de l'infirmerie. Il dit qu'il doit me parler. "Si tu parles encore de politique je te casse les os. Je t'ai averti". Je reste comme un con. Je ne m'y attendais pas.
Dans la chambrée l'entente augmente. Je parle beaucoup avec Renato, le bersaglier, et avec Girolamo Gullace. Girolamo me raconte ses histoires de prison, les vols, son enfance. Je l'aide à écrire les lettres à sa fiancée. "Elle me suit depuis des années à travers toutes les prisons d'Italie. Je lui rends la vie impossible. Quand nous sommes à la maison la nuit, elle a peur de tous les bruits. Elle s'attend toujours à une irruption de la police. Nous avons une fille. Je devrais en finir avec cette vie infernale".
Le bohémien, arrêté pour insoumission pendant qu'il voyageait avec une foire, essaye d'écrire son nom. Il est analphabète. Avant il allait à l'école de la prison, mais il se sentait traité comme un enfant par l'instituteur, qui est aussi le maire de Peschiera. Vincenzo Fontemurato reçoit la lettre habituelle de l'avocat d'office, Roberto De Leo. C'est une circulaire, avec le nom du prisonnier écrit à la main, dans laquelle on communique: que le délit prévoit une peine de prison de "...deux" ans (écrit à la main) et que le tarif pour la nomination comme avocat de confiance est de "... 40.000 lires" (écrit à la main). Naturellement Vincenzo la déchire. Presque tous les prisonniers que je connais sont défendus par un avocat d'office, soit parce qu'ils n'ont pas d'argent soit sous conseil de leurs commandants respectifs. C'est la raison pour laquelle les procès ne durent que quelques minutes. Il est difficile que quelqu'un soit acquitté.
Voilà un nouveau prisonnier, Roberto, chasseur alpin, inscrit au Parti communiste. Il désobéissait toujours. Il s'était fait 100 jours de cellule de rigueur, puis ils l'avaient flanqué à Peschiera. Il parle peu et lit beaucoup de bandes dessinées. Il n'en manque certainement pas. Dans la prison circulent des Diabolik, Satanik, Hessa, Lucrezia, qui font l'objet d'échanges entre les chambrées et même avec les caporaux. Le prêtre distribue "Famiglia Cristiana" qui est généralement utilisé pour allumer les fourneaux à alcool dans les chambrées. A la cantine sont en vente deux ou trois exemplaires de ""Il Giorno" et "Il Corriere della Sera". "ABC" entre en cachette et fait l'objet de trocs. J'amène dans la chambrée "Il Messagero" et "Il Giorno" auxquels je suis abonné. Tout le monde les lit et les commente. "Nouvelles Radicales" que nous avons réussi à faire entrer, est vraiment en mauvais état. Je dois le plier et le cacher dans mes habits pour le faire lire au plus grand nombre de personnes. Ils ne sont intéres
sés que par le fait qu'il y a ma photo et par la marche antimilitariste? Renato, frioulan, m'assura qu'il viendra. Valerio est enthousiaste du projet festival-pop: "S'ils me donnent 4 mois et 20 jours comme à Scapin je peux venir à la marche!".
Les prévisions et les illusions sur les condamnations commencent. Des camarades de chambrée me posent des questions sur le parti radical, mais seulement sur le plan de la curiosité. Avec Claudio, Valerio, Alerino et Gianni nous en discutons beaucoup. La fonction irremplaçable du parti nous apparait encore plus évidente. Le parti est le point de repère de chaque initiative, de chaque projet. "Mais alors pourquoi est-ce que tu ne t'inscris pas?". "J'y penserai".
7 avril - Veneziano, le "chef de chambrée", qui jusqu'aujourd'hui a fait un peu le rufian, en s'occupant du nettoyage de la chambrée et des roulements pour les autres services, faisant même des travaux de couture pour les caporaux, parce qu'il espère une bonne "note" du commandant de la prison pour son procès de révision, éclate: "Le commandant de mon régiment m'avait écrit de ne pas nommer d'avocats de confiance, mais seulement des gens du milieu, parce que de la sorte il aurait mis un bon mot, et je l'ai fait. Nestorini m'avait dit que si je me comportais bien ils auraient certainement diminué ma condamnation, et j'ai toujours fait le lèche-cul, pendant six mois. Ça suffit! J'ai vraiment été con! Et je me suis même coupé les cheveux pour le procès! Je démissionne de chef de chambrée. Faites ce que vous voulez. Et en ce qui me concerne, ces cons leurs habits ils se les feront coudre par le tailleur". Je suis très content de cette décision. Elle est très importante, elle représente le premier succès de notre
action.
9 avril - De Simoni est dans une cellule. J'apprends qu'il a été "caressé" deux fois. La technique est toujours la même: Doni, Maseracchia et trois ou quatre autres sous-officiers entrent dans la cellule et sous prétexte d'une perquisition réglementaire t'obligent à te déshabiller entièrement. La cellule est étroite, le prisonnier peut considérer ces attentions excessives, les sous-officiers peuvent être obligés de se défendre des violences du prisonnier et à le tabasser, évidemment par légitime défense! Dix jours de cellule seront suffisants pour que les marques sur le corps disparaissent, et pour faire comprendre de toute façon au prisonnier qu'il vaut mieux ne pas se mettre contre les "supérieurs". En tout cas six témoins sont toujours suffisants pour faire condamner quiconque pour violence, outrage, voire insubordination.
Cette fois nous essayons de faire quelque chose.
Je commence moi aussi à savoir me comporter. Je réussis à faire avoir à De Simone des cigarettes, du lait, des bandes dessinées. J'écris mon nom sur le carton de lait, pour faire comprendre à Domenico que nous nous occupons de la chose. Je réussis à échanger quelques mots avec lui, à travers la petite fenêtre du cabinet des cellules, mais je dois m'éloigner tout de suite à l'arrivée de l'adjudant. Bedussi réessaie et se fait confirmer les mauvais traitements. Je parle de ce qui se passe dans les cellules de façon de plus en plus explicite, même avec Zanzottera. Je remarque que l'attention des sous-officiers augmente pour nos discussions: il y a toujours un gradé qui s'approche lorsque nous nous réunissons pour parler. Nous réussissons à faire sortir ces nouvelles. Des caporaux surmontent leur peur et nous donnent u coup de main. Mais nous avons aussi d'autres moyens pour communiquer avec l'extérieur: la prison rend ingénieux. Eugenio Scalfari nous envoie un télégramme. Il nous sollicite, entre autre à contin
uer à envoyer aux parlementaires des informations sur les conditions de vie des prisonniers. Evidemment, Scalfari fait allusion au journal de Pizzola et aux informations données en général, et en temps voulu, par le parti. D'une part nous sommes contents de l'attention et de la liaison réussie avec les parlementaires, mais nous en avons aussi peur. Peur qu'en parler puisse être interprété comme l'indice d'une activité interne de notre part, et accentuer les contrôles déjà rigoureux, et rendre en définitive notre action encore plus difficile. Nous sommes aussi inquiets du retard avec lequel nous est remis le télégramme: arrivé du bureau de poste de Peschiera le 30 mars, nous le recevons aujourd'hui.
10 avril - Trois prêtres "missionnaires" arrivent pour un cycle de réunions. Le matin, le plus jeune introduit l'assemblée, c'est aussi le plus disponible au dialogue sur nos problèmes. A la question sur la raison pour laquelle nous nous trouvons dedans nous répondons tous, presque quatre-vingt: "Nous sommes objecteurs". C'est un gros succès. L'action développée précédemment pour la prise de conscience de l'identité fondamentale de notre condition de prisonniers militaires obtient un premier résultat. Le prêtre reste déconcerté. Nous réussissons à imposer un ordre de discussion pour les autres réunions: Autorité, justice, conditions et fonctions de la prison, témoignages, conclusions opérationnelles.
Dans l'après-midi, évidemment après un colloque avec Nestorini qui comprend parfaitement la dangerosité de ces discussions, le prêtre missionnaire plus ancien, après avoir totalement "oublié" le programme établi, poursuit pendant plus d'une heure un discours sur l'existence de Dieu, d'une banalité déconcertante. Quelques prisonniers, qu'ils avaient convaincu à participer à la réunion au lieu de jouer au ballon, commencent à s'en aller ou à montrer des signes d'intolérance. J'essaye d'interrompre le prêtre, mais rien n'y fait. Il continue encore pendant une demi-heure. Bedussi prend beaucoup de notes sur le débat, les voici:
Premier prêtre: nous sommes venus vous apporter une parole de compréhension, de fraternité de la part du Christ; et nous voulons vous faire un discours de clarté et de loyauté. Nous accepterons vos contestations. Nous sentons votre amertume et nous essayons de faire ce que nous devons, d'abord devant Dieu, puis devant l'homme. Nous faisons ce que nous pouvons, mais du reste il ne dépend ni de moi ni de vous de changer les choses. Vous les jeunes vous êtes pleins de charge idéale et de justice et espérons que vous continuerez dans le futur. Nous, nous devons prêcher Dieu en dehors et par dessus tout. Tout en partageant vos idéaux de justice nous essayons de faire un discours plus religieux. Vous saurez au moins qu'il existe une voix et un visage ami. Je n'ai jamais demandé à personne de quel parti il était - tu es un frère -, je disais, et un climat chaleureux s'instaurait immédiatement. Tout passe: la prison, le service militaire, mais il reste la fraternité, l'homme avec son besoin d'amour qui est toujours
insatisfait. Puis, nous laissons à Dieu le développement de la graine que nous mettons dans vos coeurs. Nous avons parlé avec des prisonniers, des personnes âgées, des fiancés, des parents, et ces rencontres ont été pour nous un enrichissement intérieur.
(Qu'est-ce que ça signifie enrichissement intérieur? - me demande un prisonnier assis à côté de moi.)
Nous nous inclinons - poursuit le missionnaire - devant certaines personnes qui payent personnellement, mais vous comprenez que la douleur dans la vie se manifeste sous tellement de formes. C'est pourquoi nous devons nous demander:
- C'est Dieu qui l'a voulu? C'est Dieu qui a voulu la douleur? Ça a toujours été comme ça dans l'histoire? Et pourquoi la douleur? Quel est le sens de ma vie? Même si j'avais tout, même l'amour, est-ce que mon existence se termine là?
Certes les biens sont merveilleux, mais nous voyons qu'ils ne suffisent pas. Ce n'est pas facile de le dire à des jeunes inexperts comme vous, parce qu'en général la jeunesse s'arrête aux valeurs du moment et ne va pas plus loin. Je demande: il n'y a pas quelque chose en plus?
Vous connaissez Pavese? Eh bien avec son métier de vivre, il a même échoué, il s'est suicidé. Et il voulait peut-être enseigner aussi aux autres ce métier. Et Ardigò, un philosophe, déclara: Pourquoi la vie? et il se suicida avec sa philosophie incapable de l'aider à vivre. Hélas tu peux arrêter beaucoup de gens dans la rue et si tu leur demandes le sens de la vie ils te répondent: plus de justice, etc., etc.
Mais moi je dis que ça ne suffit pas. Le coeur humain va plus loin, il contient des aspirations plus profondes, au-delà de la limite humaine. Et vous ici qui vous demandez la raison de beaucoup de choses qui ne vont pas maintenant vous comprenez que ces problèmes vous devez les résoudre personnellement, ah, mais je ne voudrais pas être mal compris, je ne parle pas des problèmes sociaux: mais des problèmes spirituels et religieux qui sont la clé pour comprendre la douleur du monde.
Vous direz: nous avons des problèmes immédiats que nous devons résoudre. Eh bien, il n'en est pas ainsi. Chacun de vous se demande à un certain point la raison de cette injustice et puis, étant donné l'impossibilité de répondre il passe à d'autres questions: pourquoi je vis?
Et à ces questions les dégourdis trouvent toujours une réponse. Remontons la chaîne: je suis né de mes parents et mes parents des leurs et ainsi de suite, jusqu'au moment où nous devons nous arrêter et dire, ça va, mais au commencement?
Quelqu'un répond: le monde s'est fait tout seul.
Il répond, vous comprenez, qu'alors la cigarette que nous avons en main s'est faite aussi toute seule.
Alors un autre réplique: Ah, vous les prêtres vous avez étudié et avec vous il est impossible de raisonner.
A ce point le discours dure désormais depuis longtemps et d'après ce que je peux voir les prisonniers ne font plus attention.
Intervention de Cicciomessere: Mais ça devait être un débat, pas un meeting.
Premier prêtre: ça va, j'arrête tout de suite.
Ciccio: C'est clairement une façon de se moquer de nous. On comprend pourquoi la religion est le soutien du pouvoir.
Jésus Christ a convaincu les ignorants et les analphabètes parce qu'il est allé avec eux en ne faisant pas de discours de cause à effet. Vérifions donc si présenter les problèmes de justice immédiate ne soit pas développer le discours de la foi. Personne ici dedans ne cherche le bien-être, mais bien le pain. Vous avez démontré amplement que dans cette prison on ne peut pas parler, étant donné que ce matin le discours avait été établi de façon différente, mais ensuite les entretiens que vous avez eu ici avec les dirigeants de la prison...
L'autre prêtre: Ce matin nous avons essayé d'établir la discussion comme vous le vouliez. Mais ensuite en parlant entre nous, la ligne qui est apparue est d'abord le discours religieux et ensuite le discours social qui pourrait ressortir éventuellement de la discussion. Chacun a ses problèmes et si quelqu'un veut rester plus tard.
Ciccio: Nous avons tous les mêmes problèmes, vu que nous sommes ici dedans.
Premier prêtre: C'est un discours le tien qui nous est étranger, notre intérêt est le suivant: RELIGIEUX.
Un autre prisonnier: Mais ce matin il n'en était pas ainsi.
Autre prêtre: Oui, mais à mieux voir les choses, en parlant entre nous, nous avons décidé de parler de nos perspectives, pour vous aider un peu.
Ciccio: Mais pratiquement qu'est-ce que vous avez à nous dire?
Premier prêtre: Tu vois le Christ uniquement sous l'aspect sociologique et ce n'est pas juste. Christ n'est pas venu pour résoudre le problème du pain, mais pour faire un discours spirituel.
A ce point nous lisons Libanio (un livre épistolaire écrit par un dominicain prisonnier en Amérique Latine avec quatre de ses compagnons pour avoir donné asile à des persécutés politiques. Dans le livre on parle d'une église de la prison, de l'incarcération dans la réalité sociale du croyant, l'aide au frère qui n'est plus vu uniquement sous l'aspect charité - des tapes dans le dos - invitation aux riches à l'aumône, mais comme un engagement concret de modifier toutes les structures-causes économiques et sociales qui amènent à l'exploitation. Nous en lisons une lettre.)
Premier prêtre: Nous sommes d'accord avec Libanio, vraiment.
Ciccio: Mais comment pouvez-vous dire que vous êtes d'accord si pas une seule phrase de ce que vous avez lu ne concorde je ne dis avec vos actions, mais même pas avec ce que vous dîtes, avec ce que vous avez dit jusqu'à présent.
Il y a ici des gens mariés, avec des enfants, qui n'ont jamais eu un travail, une famille, qui pour un rien se retrouvent ici dedans, vous voyez, ici il y en a qui s'est pris 16 mois de prison pour avoir imiter le bruit d'un moustique devant un lieutenant. Il y a des gens qui vont faire leur service militaire et qui doivent déserter pour s'occuper de leur famille chez eux. Et puis il y a le discours de la prison. Vous savez ce qui se passe dans les cellules? Pourquoi est-ce que vous ne venez pas voir nos chambrées, dans quel état nous vivons, sans avoir rien à faire toute la journée. Il n'y a pas d'autres journaux que le "Corriere" et le "Giorno" (maintenant même ce dernier a disparu).
Malheureusement je ne suis pas un sténographe et je perds la partie la plus importante du discours, là où Cicciomessere commence à analyser la fonction de l'armée et le résultat de réalité pénitentiaire qu'elle est devenue pour les militaires en général et pour les présents en particulier. Entre temps je suis intervenu moi aussi.
Excusez-moi mais je crois que vous êtes en train de parler dans un désert. Non seulement vous utilisez des termes qui souvent ne sont pas compris, mais même le texte de votre discours va très bien pour des bourgeois tranquille qui assis dans un fauteuil après un repas copieux ont la possibilité de penser à l'origine du monde.
Troisième prêtre: Nous voulons annoncer le Christ. Qui pourra recueillir cette parole? ça dépend de la grâce et de la volonté de chacun. C'est pourquoi je voudrais qu'à partir de maintenant les entretiens aient une ligne bien précise. Le père propose un argument et les discussions doivent uniquement porter sur cet argument. Nous ne voulons pas être exploités et amenés dans des discussions qui ne sont pas conformes à notre ligne.
Peu nous importe de rester à cinq ou six, nous pourrons toujours dire: Nous sommes allés à Peschiera et nous avons parlé du Christ à des âmes". A ce moment-là on appelle Valerio pour une visite. Il me vient à l'esprit qu'ils sont en train de très bien organiser le fractionnement des visites. Leur peur est évidente que quatre objecteurs en même temps qui reçoivent des visites un dimanche auraient pu créer "quelques inconvénients".
Entre-temps la discussion continue.
Un prisonnier: Mon père, voici un des mes compatriotes, il est marié et a un enfant, qui est gravement malade ces jours-ci, vous pensez que ce soit juste de le garder ici?
Un autre objecteur: Comment pouvez-vous vous déclarer nos amis, partager nos souffrance si vous n'avez jamais été, si vous n'avez jamais éprouvé ce que ça signifie de se sentir jour après jour impuissants à décider sa propre vie, parce qu'il y a toujours une règle, une imposition à chaque instant qui te vole ta capacité d'être un homme.
Premier prêtre: Oui. Bien sûr... Bien sûr...
Troisième prêtre: Ça suffit, il est inutile de discuter, j'ai dit...
Ciccio: C'est une claire invitation à ce qu'on s'en aille, votre discours sur: "ça suffit, inutile de discuter, ou vous nous suivez sur notre plan ou personne ne vous oblige à rester".
Autre objecteur: Toujours sur la même ligne.
Premier prêtre: Assez, assez, inutile de discuter j'ai dit...
Attention quelqu'un se lève... tout le monde se lève... tout le monde sort. Sortie collective. Un seul reste pour des choses qui le regardent.
Dans la cour nous sommes tous très excités de ce qui s'est passé: sans aucun accord au préalable, nous avons exprimé un refus collectif: nous avons exposé publiquement les critiques que nous gardions tous à l'intérieur de nous-mêmes depuis longtemps ou que nous discutions à quelques-uns; nous avons dénoncé ce qui se passe dans les cellules; nous avons prouvé notre unité au commandant. Les deux propositions que nous avons fait aux prêtres avant de sortir, d'entrer dans les cellules de rigueur pour parler avec De Simoni et se faire raconter ce qui s'est passé et de venir dans les chambrées pour parler sans trop de témoins, n'ont pas été acceptées; ils rendent ainsi plus claire à tous les prisonniers la fonction subalterne et fondamentalement co-responsable de l'oppression pénitentiaire de ces gérants de la religion d'état. L'aumônier militaire de la prison est furieux. Dans la cour il ne nous daigne même pas d'un salut. Le jeune prêtre me raconte qu'il s'est lancé contre moi, en disant que je suis un provocate
ur et de plus un athée sans aucun titre pour parler de choses religieuses. Il se rend probablement compte d'être le principal responsable, également pour la soutane qu'il porte, de la grave situation pénitentiaire. Depuis des années il voit et connaît ce qui se passe en prison, jamais il ne trouve des mots et des actions pour l'empêcher. Il ne réussit qu'à apporter des cigarettes à ceux qui sont dans les cellules.
Je rentre dans la chambrée après la soupe. Doni m'ordonne d'amener mon lit et mon armoire dans la chambrée des témoins. Vincenzo et Girolamo ébauchent une protestation. Lorsque je sors dans l'après-midi dans la cour j'apprends que Nestorini a commencé à interroger mes camarades de chambrée. Avec des menaces de condamnation "de 5 à 15 ans", avec des chantages à peine voilés sur le plan personnel, avec des mensonges et des doubles jeux, il réussit à extorquer des admissions concernant mes tentatives présumées d'organiser un soulèvement des prisonniers. Je sens que la situation est en train de précipiter. Dans la chambrée des témoins je commence à écrire une lettre à faire parvenir à Marco, pour l'informer de ce qui est en train de se passer. Je lui parle des faits qui ont eu lieu dans la cellule de rigueur, des tentatives de suicide; des noms, des dates... je raconte l'histoire des missionnaires, j'énumère quelques cas de condamnations qui plus que d'autres méritent d'être connus.
Je prévois des perquisitions et, par conséquent, je demande à Lorenzo Gallo, un témoin avec lequel j'avais parfois réussi à discuter, de garder la lettre, tant qu'il n'aura pas réussi à la faire sortir de prison. C'est le discours habituel sur la neutralité qui ressort. C'est le refus habituel de prendre ne fut-ce que la moindre position: au-delà des bavardages, c'est la peur de perdre les privilèges. Je me fous en rogne, en lui rappelant qu'un de leurs "frères" avait été témoin, dans une cellule, des mauvais traitements, lorsque j'entends un bruit de clefs et apparait l'adjudant Doni qui m'ordonne de le suivre. Je met en vrac la lettre dans mon armoire en regardant Lorenzo avec insistance. Dans le couloir, la porte des cellules est ouverte. Je comprends que je dois y entrer sans que Doni ne doive me le dire. Je me retrouve, donc, dans la cellule en pantoufles, sans rien. Nous y sommes. Je comprends ce que Claudio voulait me dire.
Cette fois le règlement de la prison est respecté rigoureusement: pas de matelas et de couvertures pendant toute la journée, pas de cigarettes, pas de livres, aucun contact avec l'extérieur, avec d'autres camarades. Je suis le seul prisonnier dans les cellules. J'ai l'impression d'entendre le bruit de mon armoire qu'on amène hors de la chambrée. Je commence à espérer que Lorenzo a ôté la lettre, dont il connaît le contenu.
Je ne suis plus ni sûr ni calme. La cellule est froide, la planche est dure, je suis inquiet et, par conséquent, je ne réussis pas à dormir. Je ne peux rien faire d'autre que regarder le mur avec les inscriptions des prisonniers précédents (beaucoup de symboles pacifistes, des malédictions sur la prison et sur les gardiens, des noms et des périodes de détention) et penser à la situation qui m'apparait de plus en plus grave. Pour réussir à aller au cabinet je dois crier pendant plusieurs minutes et, ensuite, attendre Doni, qui est devenu le seul dépositaire de la clef des cellules. Déjà ce premier jour, je grave sur le mur une petite barre pour ne pas perdre le contrôle du temps. Le plateau des repas me permet d'avoir une idée approximative de l'heure. Je demande avec insistance de parler avec le capitaine pour connaître la raison de mon isolement. Aucune réponse. Ils veulent me laisser dans l'ignorance la plus totale des accusations qui me sont faites, pour que je sois rongé par les doutes et par la peur. To
ut ça est assez atroce.
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N.d.T.
(*) CICCIOMESSERE ROBERTO. (Bolzano 1946). Ancien député du Parti radical et de la Lista Pannella.
Inscrit au Parti Radical depuis 1967. Objecteur de conscience, il a été en prison pour l'affirmation de ce droit. Suite à cette initiative, en Italie le droit à l'objection de conscience au service militaire a été reconnu en 1972. En 1973 il fonda la Ligue pour l'objection de conscience - loc - dont il reste Secrétaire national pendant trois ans. Trésorier du PR en 1970. Secrétaire en 1971 et en 1984. En 1969 il a été secrétaire d'organisation de la LID (Ligue Italienne pour le Divorce). Il a été parlementaire européen. Il a lancé et préparé le système de communication télématique multilingue Agorà télématique. Il a été Vice-président du Groupe parlementaire Fédéraliste Européen.