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Gramsci Antonio - 1 ottobre 1973
Concordat (2): Gramsci, Donati, Salvemini

ANTONIO GRAMSCI (*)

SOMMAIRE: Au moment où, avec le "compromis historique", le Parti communiste italien croit pouvoir récolter les fruits du vote avec lequel, en 1947, il appuya la reconnaissance constitutionnelle du Concordat stipulé en 1929 entre l'Eglise Catholique et l'Etat fasciste (art. 7 de la Constitution italienne), le mensuel radical "La Prova radicale" propose encore une fois trois textes de Gramsci, Donati et Salvemini sur le concordat pour montrer combien cette décision fut myope.

Pour Antonio Gramsci, avec le Concordat "l'Eglise... s'engage vers une forme de gouvernement déterminée... à promouvoir ce consensus d'une partie des gouvernés que l'Etat reconnait explicitement ne pas pouvoir obtenir par ses propres moyens...".

(LA PROVA RADICALE, n. 10-11-12 août-octobre 1973)

Quand commencèrent les négociations pour le Concordat? le discours du 1 janvier 1926 (1) se référait-il au Concordat? Les négociations durent avoir plusieurs phases, plus ou moins officieuses, avant d'entrer dans la phase officielle, diplomatique: c'est pourquoi le date initiale ne peut être changée et la tendance à la changer pour faire apparaître son cours plus rapide est naturelle. Dans le numéro de "Civiltà cattolica" du 19 décembre 1931, page 548 (2), il est écrit: "...évoque fidèlement l'histoire des négociations qui de 1926 se prolongèrent jusqu'en 1929".

Concordats et traités internationaux.

La capitulation de l'Etat moderne qui se vérifie pour les concordats est masquée en identifiant verbalement les concordats avec les traités internationaux. Mais un concordat n'est pas un simple traité international: dans le concordat se réalise de fait une interférence de souveraineté dans un seul territoire national, puisque tous les articles d'un concordat se réfèrent aux citoyens d'un seul des Etats contractants, sur lesquels le pouvoir souverain d'un Etat étranger justifie et revendique des droits déterminés et des pouvoirs de juridiction (même s'il s'agit d'une juridiction spéciale et déterminée). Quels pouvoirs le Reich a-t-il acquis sur le Vatican en vertu du récent Concordat? (3) Et la fondation de la Cité du Vatican donne encore une apparence de légitimité à la fiction juridique que le Concordat soit un simple traité bilatéral. Mais on stipulait des concordats bien avant l'existence de la Cité du Vatican, ce qui signifie que son territoire n'est pas essentiel pour l'autorité pontificale (à ce point

de vue du moins). Une apparence, car alors que le concordat limite l'autorité d'état d'une des parties contractantes, sur son propre territoire, et qu'il influence et détermine sa législation et son administration, il n'est fait aucune allusion à des limitations sur le territoire de l'autre: s'il existe une limitation pour l'autre partie, elle se réfère à l'activité exercée sur le territoire du premier Etat, aussi bien de la part des citoyens du Vatican que des citoyens de l'autre Etat qui se font représenter par le Vatican. Le Concordat est donc la reconnaissance explicite d'une double souveraineté sur un même territoire national. Il ne s'agit certainement pas de la même forme de souveraineté supranationale (suzeraineté), telle qu'elle était formellement reconnue au pape au moyen-age, jusqu'aux monarchies absolues et également plus tard sous une autre forme, jusqu'en 1848; mais c'est une de ses conséquences de compromis nécessaires.

Pa railleurs, même dans les périodes les plus brillantes de la papauté supranationale, les choses n'allèrent pas toujours simplement: la suprématie du pape, même si elle était reconnue juridiquement, était contrastée de fait de manière souvent très dure et, dans la meilleur des cas, elle se réduisait aux privilèges politiques, économiques et fiscaux de l'épiscopat de chaque pays.

Les concordats affectent de manière essentielle le caractère d'autonomie de la souveraineté de l'Etat moderne. L'Etat obtient-il une contre-partie? Certainement, mais il l'obtient sur son propre territoire en ce qui concerne ses propres citoyens. L'Etat obtient (et dans ce cas il vaudrait mieux dire le gouvernement) que l'Eglise n'empêche pas l'exercice du pouvoir, mais qu'elle le favorise au contraire et le soutienne, comme la béquille soutient l'invalide. Autrement dit, l'Eglise s'engage envers une forme déterminée de gouvernement (qui est déterminée de l'extérieur, comme le documente le Concordat lui-même) à promouvoir le consensus d'une partie des gouvernés que l'Etat reconnait explicitement ne pas pouvoir obtenir par ses propres moyens: voilà en quoi consiste la capitulation de l'état, car il accepte de fait la tutelle d'une souveraineté extérieure dont il reconnait pratiquement la supériorité. Le mot "concordat" lui-même est symptomatique...

Les articles publiés dans les "Nouvelles Etudes" sur le Concordat sont parmi les plus intéressants et elles se prêtent facilement à la réfutation. (Rappelez-vous le "traité" subi par la république démocratique géorgienne après l'échec du général Denikin) (4).

Mais dans le monde moderne aussi, que signifie pratiquement la situation créée dans un Etat par la stipulation d'un concordat? Cela signifie la reconnaissance publique accordée à une caste de citoyens du même Etat de privilèges politiques déterminés. La forme n'est plus celle du moyen-age, mais le fond est le même. Au cours de l'histoire moderne, cette caste avait vu attaqué et détruit un monopole de fonction sociale qui expliquait et justifiait son existence, le monopole de la culture et de l'éducation. Le concordat reconnait à nouveau ce monopole, bien qu'atténué et contrôlé, puisqu'il assure à la caste des positions et des conditions préliminaires qu'avec ses propres forces uniquement elle ne pourrait garder et avoir, avec l'adhésion intrinsèque de sa conception du monde à la réalité effective.

Cela signifie donc la lutte sourde et sordide des intellectuels laïques et laïcistes contre les intellectuels de caste, pour sauver leur autonomie et leur fonction. Mais leur capitulation intrinsèque et leur séparation de l'Etat est indéniable. Le caractère éthique d'un Etat concret, d'un Etat déterminé, est défini dans sa législation en vigueur et non par les polémiques des francs-tireurs de la culture. Si ces derniers affirment: "L'Etat c'est nous", ils affirment uniquement que l'Etat pour ainsi dire unitaire est justement uniquement "pour ainsi dire", car il existe de fait dans son sein une scission très grave, d'autant plus grave qu'elle est affirmée implicitement par les législateurs eux-mêmes et par les gouvernants qui disent en effet que l'Etat est à la fois deux choses: l'Etat des lois écrites et appliquées et celui des consciences qui intimement ne reconnaissent pas ces lois comme étant efficaces et qui essayent de les vider de leur contenu éthique (ou du moins d'en limiter l'application). Il s

'agit d'un machiavélisme de petits politiciens; on peut dire que les philosophes de l'idéalisme actuel, surtout dans la section perroquets instruits des "Nouvelles Etudes" peuvent être considérés comme les victimes les plus célèbres du machiavélisme. Il est utile d'étudier la division du travail qu'on essaye d'établir entre la caste et les intellectuels laïques: à la première est laissée la formation intellectuelle et morale des tous jeunes (écoles primaires et secondaires), aux autres le développement ultérieur du jeune à l'université. Mais l'université n'est pas soumise au même régime de monopole que subit par contre l'école primaire et secondaire. Il existe l'Université du Sacré Coeur, et d'autres universités catholiques équivalentes aux autres universités publiques pourront être créées. Les conséquences sont évidentes: l'école primaire et secondaire est l'école publique et de la petite bourgeoisie, des couches sociales qui sont monopolisées du point de vue éducatif par la caste, puisque la plupart de leu

rs éléments n'atteignent pas l'université, ils ne connaîtront pas autrement dit l'éducation moderne dans sa phase supérieure critique-historique, mais ils ne connaîtront que l'éducation dogmatique.

L'université est l'école particulière de la classe (et du personnel) dirigeante, c'est le mécanisme par lequel a lieu la sélection des individus des autres classes qui doivent être incorporés dans le personnel gouvernemental, administratif, dirigeant. Mais avec l'existence à conditions égales d'universités catholiques, la formation même de ce personnel ne sera plus unitaire et homogène. Non seulement, mais la caste, dans ses propres universités, effectuera une concentration de culture laïque-religieuse, comme on ne la voyait plus depuis des décennies et se trouvera de fait dans des conditions bien meilleures que la concentration laïque-publique. L'efficacité de l'Eglise qui soutient comme un bloc sa propre université n'est même pas comparable à l'efficacité d'organisation de la culture laïque. Si l'Etat (même dans le sens plus vaste de société civile) ne s'exprime pas dans une organisation culturelle suivant un plan centralisé et ne peut même pas le faire, parce que sa législation en matière de religion

est celle qu'elle est, et que son caractère équivoque ne peut pas ne pas être favorable à l'Eglise, vue la structure massive de celle-ci et le poids relatif et absolu qu'exprime cette structure homogène, et si les diplômes des deux types d'université sont équivalents, il est évident que la tendance se créera à ce que les universités catholiques soient elles-mêmes le mécanisme sélectif des éléments les plus intelligents et capables des classes inférieures qui doivent être introduits dans le personnel dirigeant.

Cette tendance sera favorisée par: le fait qu'il n'y a pas de discontinuité éducative entre les écoles secondaires et l'université catholique, alors que cette discontinuité existe pour les universités laïques-publiques; le fait que l'Eglise, dans toute sa structure, est déjà équipée pour ce travail d'élaboration et de sélection du bas. L'Eglise, à ce point de vue, est un organisme parfaitement démocratique (dans le sens paternaliste): le fils d'un paysan ou d'un artisan, s'il est intelligent et capable, et s'il est suffisamment malléable pour se laisser assimiler par la structure ecclésiastique et pour en sentir l'esprit spécial de corps et de conservation et la valeur de ses intérêts présents et futurs, peut, théoriquement, devenir cardinal et pape. Si dans la haute hiérarchie ecclésiastique l'origine démocratique est moins fréquente qu'elle ne pourrait l'être, cela est dû à des raisons complexes, où la pression des grandes familles aristocratiques catholiques ou la raison d'Etat (internationale) n'a q

u'une influence partielle; une raison très forte est la suivante: beaucoup de séminaires sont assez mal équipés et ne peuvent éduquer complètement l'homme du peuple intelligent, alors que le jeune aristocrate reçoit sans effort de son propre milieu une série de comportements et de qualités qui sont de premier ordre pour sa carrière ecclésiastique: l'assurance tranquille de sa propre dignité et autorité, et l'art de traiter et de gouverner les autres.

Une raison de faiblesse de l'Eglise dans le passé consistait en cela: que la religion donnait peu de possibilités de carrière, en dehors de la carrière ecclésiastique, le clergé lui-même étant détérioré qualitativement par le "peu de vocations", ou uniquement par les vocations d'éléments intellectuellement subalternes. Cette crise était déjà fort évidente avant la guerre; c'était un aspect de la crise générale des carrières à revenu fixe avec des effectifs lents et lourds, c'est-à-dire de l'inquiétude sociale de l'état intellectuel subalterne (professeurs, enseignants, prêtres, etc.) où agissait la concurrence des professions liées au développement de l'industrie et de l'organisation capitaliste privée en général (le journalisme, par exemple, qui absorba beaucoup d'enseignants, etc.). L'invasion des écoles normales d'instituteurs de la part des femmes et des prêtres, auxquels la curie (après les lois Credaro) (5) ne pouvait pas interdire de se procurer un diplôme public qui permît aussi de concourir pou

r un poste public et augmenter ainsi la "finance" individuelle. Beaucoup de ces prêtres, une fois le diplôme public obtenu, abandonnèrent l'Eglise (durant la guerre, à cause de la mobilisation et du contact avec des milieux moins suffoqués et moins étroits que les milieux ecclésiastiques, ce phénomène connût une certaine ampleur).

L'organisation ecclésiastique subissait donc une crise constitutionnelle qui pouvait être fatale pour sa puissance, si l'Etat avait maintenu intégralement sa position de laïcité, même sans besoin d'une lutte active. Dans la lutte entre les formes de vie, l'Eglise était en train de mourir automatiquement, par épuisement direct. L'Etat sauva l'Eglise.

Les conditions économiques du clergé furent améliorées à plusieurs reprises, alors que le niveau de vie général diminuait, surtout chez les classes moyennes. L'amélioration a été telle que les "vocations" se sont merveilleusement multipliées, impressionnant le pape lui-même, qui les expliquait justement avec la nouvelle situation économique. La base du choix des aptes au cléricat a donc été étendue, permettant plus de rigueur et davantage d'exigences culturelles. Mais la carrière ecclésiastique, si elle représente le base la plus solide de la puissance vaticane, n'épuise pas ses possibilités. La nouvelle structure scolaire permet l'introduction dans le personnel dirigeant laïque de cellules catholiques qui se renforceront de plus en plus, d'éléments qui ne devront leur position qu'à l'Eglise. On peut penser que l'infiltration cléricale dans l'organisation de l'Etat soit sur le point d'augmenter progressivement, puisque dans l'art de sélectionner les individus et de les garder liés en permanence à soi l'

Eglise est pratiquement imbattable. Contrôlant les lycées et les autres écoles secondaires, à travers ses fiduciaires, elle suivra, avec la ténacité qui lui est propre, les jeunes les plus capables des classes pauvres et elle les aidera à poursuivre leurs études dans les universités catholiques. Avec les universités, des bourses d'étude subventionnées par des collèges, organisés avec le maximum d'économie, permettront cette action.

L'Eglise, dans sa phase actuelle, avec l'impulsion donnée par le pape actuel à l'Action catholique, ne peut pas se contenter uniquement de créer des prêtres; elle veut pénétrer l'Etat (rappelez-vous la théorie du gouvernement indirect élaborée par Bellarmino (6) et c'est pourquoi les laïques sont nécessaires, il faut une concentration de culture catholique représentée par des laïques. Beaucoup de personnalités peuvent devenir des auxiliaires plus précieux de l'Eglise comme professeurs d'université, comme hauts fonctionnaires de l'administration, etc., que comme cardinaux ou évêques.

Une fois élargie la base de choix des "vocations", une telle activité laïque-culturelle a de fortes possibilités de s'étendre. L'Université du Sacré Coeur et le centre néo-scolastique sont les premières cellules de ce travail. En attendant, le congrès philosophique de 1929 (8) a été symptomatique: les idéalistes actuels et les néo-scolastiques s'y affrontèrent et ces derniers participèrent au congrès animés par un esprit combatif de conquête. Le groupe néo-scolastique, après le Concordat, voulait justement apparaître combatif, sûr de lui pour intéresser les jeunes. Il faut tenir compte du fait qu'une des forces des catholiques consiste en ce qu'ils se moquent des "réfutations péremptoires" de leurs adversaires non-catholiques: ils reprennent imperturbables la thèse réfutée, comme si de rien n'était. Le "désintérêt intellectuel", la loyauté et l'honnêteté scientifique, ils ne les comprennent pas ou alors ils les comprennent comme une faiblesse et une naïveté des autres. Ils comptent sur la puissance de l

eur organisation mondiale qui s'impose comme si elle était une preuve de vérité, et sur le fait que la grande majorité de la population n'est pas encore "moderne", et qu'elle est encore ptolémaïque dans sa conception du monde et de la science.

Si l'Etat renonce à être le centre actif et actif en permanence d'une culture autonome qui lui est propre, l'Eglise ne peut que triompher fondamentalement. Mais l'Etat non seulement n'intervient pas en tant que centre autonome, mais il détruit tout opposant de l'Eglise qui ait la capacité d'en limiter la domination spirituelle sur les masses. On peut prévoir que les conséquences d'une telle situation de fait, le cadre général des circonstances restant inchangé, peuvent être de la plus grande importance.

L'Eglise est un Shylock (10) encore plus implacable que le Shylock shakespearien: elle voudra sa livre de viande, quitte même à saigner à blanc sa victime et avec ténacité, changeant sans cesses ses méthodes, elle tendra à atteindre son programme maximum. En utilisant l'expression de Disraeli (11): "les chrétiens sont les juifs les plus intelligents, qui ont compris ce qu'il fallait faire pour conquérir le monde".

L'Eglise ne peut être réduite à sa force "normale" avec la réfutation du point de vue philosophique de ses postulats théoriques et avec les affirmations platoniques d'une autonomie publique (qui ne soit pas militante); mais uniquement avec l'action pratique quotidienne, avec l'exaltation des forces humaines dans toute la sphère sociale.

Un aspect de la question qu'il faut bien évaluer est celui des possibilités financières du Vatican. L'organisation du catholicisme qui se développe de plus en plus aux Etats-Unis offre la possibilité de récolter des fonds très importants, en plus des revenus normaux désormais assurés (mais qui diminueront en 1937 de quinze millions par an à cause de la conversion de la dette publique de 5 à 3,50%) et de l'obole de Saint-Pierre.

Des questions internationales pourraient-elles surgir à cause de l'intervention de l'Eglise dans les affaires intérieures des pays, avec l'Etat qui subventionne l'Eglise en permanence? La question est élégante, comme on dit. La question financière rend fort intéressant le problème de l'indissolubilité prétendue entre le traité et le Concordat proclamée par le pape. En admettant que le Pape se trouve dans la nécessité d'avoir recours à ce moyen politique de pression sur l'Etat, le problème de la restitution des sommes encaissées (qui sont liées justement au traité et non au Concordat) ne se poserait-il pas? Mais elles sont tellement importantes et on peut penser qu'elles auront été dépensées en grande partie dans les premières années, que leur restitution peut être considérée pratiquement impossible. Aucun Etat ne pourrait accorder un prêt aussi important au pape pour le tirer d'embarras, et encore moins un particulier ou une banque. La dénonciation du traité déchaînerait une telle crise sur l'organisation pr

atique de l'Eglise, que la solvabilité de cette dernière, même à long terme, serait anéantie. La convention financière en annexe du traité (12) doit donc être considérée comme la partie essentielle du traité lui-même, comme la garantie d'une quasi impossibilité de dénonciation du traité, avancée pour des raisons polémiques et de pression politique.

Un passage de la lettre de Léon XIII à Francesco Giuseppe (13). "Et nous ne tairons pas, que dans de telles difficultés, nous sommes aussi dans l'incapacité de subvenir directement aux exigences incessantes et multiples, concernant le gouvernement de l'Eglise. Il est vrai que les offres spontanées de la charité nous viennent en aide; mais nous pensons toujours à regret qu'elles sont un poids pour nos Enfants, et du reste on ne doit pas prétendre que la charité publique soit inépuisable". Cela signifie particulièrement: "recouvrement des impôts des citoyens d'un Etat pontifical, pour les sacrifices desquels on n'éprouve pas de regret, à ce qu'il semble; il semble naturel que les populations italiennes payent les dépenses de l'Eglise universelle.

Sur le Concordat il faut lire également le livre de Vincenzo Morello, "Il conflitto dopo la Conciliazione" (14) et la réponse d'Egilberto Martire, "Ragioni della Conciliazione" (15). Sur la polémique Morello-Martire il faut lire l'article signé "Novus" dans le numéro du 1 novembre 1933 de "Critica fascista" ("Une polémique sur la Conciliation"). Morello fait ressortir non seulement les points du Concordat où l'Etat a échoué, où il a abdiqué à sa souveraineté, mais, semble-t-il, il met aussi en évidence la façon dont sur certains points les concessions faites à l'Eglise sont plus amples que celles faites à d'autres pays concordataires. Les points controverses sont principalement quatre: 1) le mariage: pour l'article 43 du Concordat le mariage (16) est discipliné par le droit canon, c'est-à-dire qu'on applique dans le domaine public un droit qui lui est étranger. Pour celui-ci les catholiques, sur la base d'un droit étranger à l'Etat, peuvent voir leur mariage annulé, contrairement à ceux qui ne sont pas

catholiques, alors que le fait d'"être ou ne pas être catholique" devrait être insignifiant aux effets civils"; 2) pour l'art. 5, paragraphe 3, il existe l'interdiction de certaines fonctions publiques pour les prêtres apostasiés ou sujets à la censure, c'est-à-dire qu'on applique une "peine" du code pénal à des gens qui n'ont commis aucun crime punissable face à l'Etat; l'art. 1 du code veut par contre qu'aucun citoyen ne puisse être puni si ce n'est pour un fait qui est expressément prévu par la loi pénale comme un crime; 3) pour Morello on ne voit donc pas quelles sont les raisons utiles pour lesquelles l'Etat a fait table rase des lois destructives (17), reconnaissant aux organismes ecclésiastiques et aux ordres religieux une existence juridique, la faculté de posséder et administrer leurs propres biens; 4) l'enseignement (18): l'exclusion résolue et totale de l'Etat des écoles ecclésiastiques, et donc pas uniquement de celles qui préparent techniquement les prêtres (c'est-à-dire l'exclusion du contrôle

public de l'enseignement de la théologie, etc.), mais de celles consacrées à l'enseignement général. L'art. 39 du concordat se réfère en effet aussi aux écoles primaires et secondaires gérées par le clergé dans beaucoup de séminaires, de collèges et de couvents, dont le clergé se sert pour attirer des enfants et des jeunes vers le sacerdoce et la vie monastique, mais qui ne sont pas encore spécialisés. Ces élèves devraient avoir droit à la protection de l'Etat. Il parait que dans d'autres concordats on a tenu compte de certaines garanties envers l'Etat, pour que le clergé aussi ne soit pas formé de manière contraire aux lois et à l'ordre national, et précisément en imposant que pour beaucoup de fonctions ecclésiastiques il fallait avoir un diplôme d'études public (celui qui donne accès à l'université).

La nature des Concordats

Dans sa lettre au cardinal Gasparri (19) du 30 mai 1929, Pie XI écrit: "dans le Concordat aussi sont en présence, sinon deux Etats, très certainement deux souverainetés surement telles, c'est-à-dire pleinement parfaites, chacune dans son ordre, un ordre nécessairement déterminé par les finalités respectives, où il est à peine nécessaire d'ajouter que la dignité objective des finalités détermine tout aussi objectivement et nécessairement la supériorité absolue de l'Eglise".

Tel est le terrain de l'Eglise: ayant accepté deux instruments distincts en établissant les rapports entre l'Etat et l'Eglise, le traité et le Concordat, on a accepté nécessairement ce terrain, le traité détermine les rapports entre deux Etats, le Concordat détermine les rapports entre deux souverainetés dans le "même Etat", on admet autrement dit que dans le même Etat il y ait deux souverainetés égales, puisqu'ils traitent sure un pied d'égalité (chacune dans son ordre). Naturellement l'Eglise aussi soutient qu'il n'y a pas de confusion de souveraineté, mais parce qu'elle soutient qu'il n'appartient pas à l'Etat d'avoir une souveraineté dans le "spirituel" et si l'Etat se l'arroge, il commet une usurpation. L'Eglise soutient aussi qu'il ne peut y avoir une double souveraineté dans le même ordre de finalités, mais elle soutient justement la distinction des finalités et se déclare comme la seule souveraine dans le domaine du spirituel.

Le père Luigi Taparelli, dans son livre "Esame critico degli ordini rappresentativi nella società moderna", définit les concordats de la façon suivante: "... Ce sont des conventions entre deux autorités gouvernant une même nation catholique". Lorsqu'on établit une convention, les interprétations de la convention même qu'en donnent les deux parties ont au moins la même importance juridique.

Les catholiques après le Concordat

La réponse du pape aux voeux de Noël du Saint collège des cardinaux publiée par "Civiltà Cattolica" le 4 janvier 1930 est fort importante. Dans "Civiltà Cattolica" du 18 janvier est publiée l'encyclique du pape "Quinquagesimo ante anno" (pour les cinquante ans de sacerdoce de Pie XI), où il est répété que le Traité et le Concordat sont inséparables: "ou bien tous deux restent, ou alors ils disparaissent nécessairement tous les deux". Cette affirmation répétée par le pape a une grande valeur: elle a peut-être été faite et répétée, non seulement à l'attention du gouvernement italien, avec lequel les deux actes ont été conclus, mais surtout comme une protection dans le cas d'un changement de gouvernement. La difficulté est dans le fait que si le traité déchoit, le pape devrait rembourser les sommes qui ont été versées entre-temps par l'Etat italien en vertu du traité: et le prétexte possible basé sur la loi des garanties n'aurait pas de valeur. Il faudra voir pourquoi la somme que l'Etat avait alloué au Vatica

n après les lois de garantie était inscrite dans les bilans de l'Etat, alors qu'il existait une mise en demeure que cette obligation venait à manquer si, cinq ans après la loi, le Vatican refusait de l'encaisser.

La société civile

Il faut distinguer la société civile, telle qu'elle est entendue par Hegel, et dans le sens où elle est souvent utilisée dans ces notes (c'est-à-dire dans le sens d'hégémonie politique et culturelle d'un groupe social sur toute la société, comme contenu éthique de l'Etat) du sens que lui donnent les catholiques, pour lesquels la société civile est au contraire la société politique et l'Etat, par rapport à la société familiale et de l'Eglise. Pie XI dit dans son encyclique sur l'éducation ("Civiltà cattolica" du 1· février 1930): "Trois sont les société nécessaires, distinctes et pourtant harmonieusement réunies par Dieu, au sein desquelles naît l'homme: deux sociétés d'ordre naturel, comme la famille et la société civile; la troisième, l'Eglise, d'un ordre supranaturel. D'abord la famille, instituée immédiatement par Dieu pour sa propre finalité, qui est la procréation et l'éducation de la progéniture, qui a par conséquent la priorité naturelle, et donc une priorité de droits, par rapport à la société civile

. Néanmoins la famille est une société imparfaite, car elle n'a pas en elle tous les moyens pour sa finalité qui est le bien commun temporel, de sorte que, à ce propos, c'est-à-dire en ce qui concerne le bien temporel, celui-ci l'emporte sur la famille, qui atteint justement dans la société civile sa juste perfection temporelle. La troisième société, dans laquelle l'homme naît, à travers le baptème, à la vie divine de la grâce, est l'Eglise, une société d'ordre supranaturel et universel, une société parfaite, car elle a en soi tous les moyens nécessaires pour sa finalité, qui est le salut éternel des hommes, et qui est donc suprême dans son ordre". Pour le catholicisme, celle qu'on appelle "société civile" dans le langage hégélien n'est pas nécessaire, c'est-à-dire qu'elle est purement historique ou contingente. Dans la conception catholique l'Etat n'est que l'Eglise, et c'est un Etat universel et supranaturel: théoriquement la conception médiévale est pleinement maintenue.

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NOTE

*****(*) De: Antonio Gramsci, "Il Vaticano e l'Italia", Editori Riuniti 1967.

*****(1) Il s'agit surement de l'allocution papale du 14 décembre 1925 dans laquelle PIE XI, faisant un bilan de l'année sainte, exprima sa gratitude à l'égard du gouvernement italien pour ce qu'il avait fait pour assurer le succès des pèlerinages et dans l'intérêt de la religion, se plaignant cependant à la fois que ce travail ne suffisait pas à redresser les torts subis précédemment par l'Eglise et par la religion. Le pape faisait ensuite ouvertement l'éloge du gouvernement fasciste, déclarant apprécier les efforts visant à régler les querelles intestines et en venait à déplorer ouvertement l'attentat de Zaniboni contre Mussolini.

*****(2) Note bibliographique sur le livre: Wilfrid Parson, "The Pope and Italy", Washington, Tip. Ed. "The America Press", 1929, in-16·, page 134: Parson est directeur de la revue "America" (note de Gramsci).

*****(3) En effet le concordat entre la Cité du Vatican et la Prusse, du 14 juin 1929, conclu après de longues négociations, rétablissait ou instituait de nouveaux privilèges en faveur de l'Eglise catholique en Allemagne, tels que le rétablissement du siège épiscopal d'Acquisgrana, la participation de l'Etat à la création de nouvelles paroisses, la réglementation des édifices et des fonds de l'Etat destinés aux finalités de l'Eglise, etc.

*****(4) Allusion probable au contrôle exercé par les interventistes anglo-américains sur la vie politique et économique de la République géorgienne après l'échec de Denikin et le retrait des troupes allemandes, en juillet 1918.

*****(5) Luigi Credaro (1860-1939), pédagogue et homme politique, fut ministre de l'éducation nationale entre 1911 et 1914, fondateur et directeur de la "Rivista pedagogica". Il donna son nom à la loi sur l'éducation primaire de 1910-11 qui, avec la création des conseils scolaires provinciaux, confiait à l'Etat l'éducation primaire dans la plupart des communes italiennes. La loi fut durement combattue par l'Eglise qui avait eu jusqu'alors le monopole presque total de l'éducation primaire.

*****(6) Le cardinal Roberto Bellarmino (1542-1621), sans doute le principal théoricien de la Contre-réforme, fut l'"auteur de la formule du pouvoir indirect de l'Eglise sur toutes les souverainetés civiles".

*****(7) Centre néoscolastique: mouvement philosophique né en Italie au début du XIX siècle, fondé sur une orientation Aristotélienne-thomiste. Il eut parmi ses principaux promoteurs le père Luigi Taparelli d'Azeglio et il faut sanctionné en 1879 par l'encyclique "Aeterni patris" (Du Père Eternel) de Léon XIII. La Conciliation donna un nouveau souffle au néoscolasticisme avec la fondation de la "Rivista di filosofia neoscolastica" et de l'université catholique du Sacré Coeur (1929), toutes deux dues à l'initiative du Père Gemelli.

*****(8) Le congrès de philosophie du 26-29 mai 1929, qui avait en programme le débat des problèmes soulevés par le concordat - fondamentalement la question de la suprématie de la religion sur la philosophie ou de la philosophie sur la religion - marqua le point de crise du laïcisme et du libéralisme. L'affrontement fut dur entre Gentile et Gemelli, c'est-à-dire entre deux idéalistes actuels et néoscolastiques (Cf. sur le congrès E. Garin, "Cronache di filosofia italiana", Bari, 1955, page 490 et passim).

*****(9) Autrement dit le monde est encore représenté selon la vieille conception du géographe grec Phtolémée, pour lequel la terre était le centre de l'univers, et non selon la conception scientifique moderne, née avec Copernic, qui fut le premier à affirmer que la Terre n'est qu'une des planètes qui tournent autour du soleil.

*****(10) Shylock, usurier juif, personnage de la comédie de Shakespeare, "Le marchand de Venise", qui engage le marchand Antonio à lui céder une livre de sa propre chair s'il ne paye pas sa dette.

*****(11) L'homme d'état et intellectuel anglais Beniamin Disraeli, comte de Beacosfield (1804-1881), réorganisa le parti conservateur anglais et fut plusieurs fois ministre et président du conseil, en 1868 et en 1874; il favorisa une politique étrangère d'expansion, mettant un frein aux visées russes.

*****(12) Sur la base d'une convention financière en annexe du Traité de Latran, l'Italie devait payer au Vatican 750 millions de lires en argent liquide et un milliard en titres à 5% au porteur. (Cf. Candeloro, "Il movimento cattolico in Italia", Roma 1961, pages 504-505).

*****(13) A la date, semble-t-il, du ... juin 1892, rapportée à la page 244 et suivantes du livre de Francesco Salata, "Per la storia diplomatica della Quistione Romana", I, Treves, 1929 (note de Gramsci).

*****(14) Bompiani, 1931, (note de Gramsci).

*****(15) Rome, "Rassegna Romana", 1932, (note de Gramsci).

*****(16) Il vaut la peine de rappeler que la loi concordataire sur le mariage a été décrite par un écrivain catholique comme Jemolo comme étant "complexe et confuse", comme "l'embrouillamini le plus colossal... qu'il soit permis d'imaginer" (Cf. A. C. Jemolo, "Chiesa e Stato in Italia negli ultimi cento anni", Turin, 1948, page 647 et suivantes).

*****(17) C'est-à-dire des lois détruisant les privilèges de l'Eglise catholique.

*****(18) Le Concordat aggrava encore le caractère confessionnel donné à l'école par la réforme Gentile, en étendant à l'école secondaire inférieure le principe de l'éducation religieuse et reconnaissant pratiquement la religion catholique comme la seule religion de l'Etat italien.

*****(19) Publiée sur "Civiltà cattolica" du 15 juin suivant, vol. II, p.483.

 
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