SOMMAIRE: Alors que l'Eglise utilise chaque argument en défense d'un régime obscurantiste, on demande aux partisans du divorce de garder la confrontation dans des limites "civiles". Ce sera possible si cela signifiera "répondre au terrorisme idéologique avec la force de la raison", mais l'affrontement restera également dur: c'est la seule garantie de "civilité". Ceux qui voulaient éviter le référendum craignaient deux choses: le 'monopolitisme' de l'Eglise et la "rupture de l'unité des travailleurs". Mais les deux craintes se sont révélées sans fondement. Le vrai danger est dans la façon dont les forces laïques vont à l'affrontement, "divisées, en ordre épars", alors que seuls les radicaux organisent des "manifestations de masse". Un autre danger est l'utilisation sans scrupules que la Démocratie chrétienne de Fanfani fait de l'information. C'est contre ces dangers que la Ligue se battra.
[Suivent une série de "fiches" ("réponses aux cléricaux") relatives aux divers thèmes de l'affrontement pour contrebattre à la propagande adversaire: 1) Le divorce n'est pas la cause, mais un remède pour la crise de la famille; 2) La Loi Fortuna-Baslini est la plus sévère du monde; 3) Le divorce n'intéresse pas uniquement les riches; 4) La Loi Fortuna défend la femme et les enfants; 5) La Loi Fortuna anticipe la réforme du droit de famille; 6) Il est faux que le divorce récompense le conjoint coupable; 7) Ou il y aura le divorce ou c'est le monopole de la Rote qui restera; 8) La Loi fortuna est une loi normale]
Le 12 mai le choix ne sera pas entre le divorce et l'indissolubilité du mariage, mais entre le divorce et la Rote. En paroles, l'annulation de la Rote est autre chose que le divorce, mais dans les faits cette distinction n'est qu'une "hypocrisie". Et après la guerre les annulations ont augmenté démesurément, mais seulement pour ceux qui ont de l'argent. Toute la procédure d'annulation est fausse, hypocrite et "extravagante". Mais, surtout, l'annulation est un "divorce de classe", facile et "irresponsable", et non un droit civil égal pour tous. Même au Parlement il y a une armée "d'annulés", surtout démocrates- chrétiens et du Mouvement Social, tous contre le divorce. Mais, désormais, l'affrontement ne peut plus concerner uniquement le mariage et le divorce: il faut "récolter les signatures pour les référendums qui abrogent le Concordat...".
8 référendums contre le régime: en 1975 il y aura huit référendums abrogatifs, pour attaquer le régime clérical voulu par Fanfani. Fanfani espère "consolider la domination gouvernementale de la Démocratie chrétienne", c'est pourquoi il ne faut pas se contenter de le "battre sur le divorce". Les radicaux, la Ligue, etc, lui opposent "un projet tout aussi ambitieux": battre "le parti de régime", sans rester en défense du divorce, mais en passant "à l'attaque". Pour gagner cette grande bataille, il faut "multiplier à présent l'effort" en multipliant les points de récolte pour les signatures sur les huit référendums.
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On dit de plusieurs cotés que la confrontation sur le divorce doit être maintenue dans les limites d'une confrontation et d'un débat "civil". Mais il n'est pas civil de demander dans ce pays et en 1974 l'abolition d'une institution que tous les autres pays du monde ont désormais depuis des décennies et dans beaucoup de cas depuis des siècles. Il n'est pas civil de mener la lutte contre le divorce en déchaînant dans le pays une campagne de signe sanfédiste et obscurantiste, en ayant recours au pire terrorisme idéologique. Il n'est pas civil, après le Concile Vatican II, d'essayer de restaurer certains parmi les pires instruments du pouvoir temporel de l'Eglise (Rote (1) et Tribunaux ecclésiastiques), aux dépends de l'autonomie et de la laïcité de l'Etat. Et enfin, il n'est Même pas civil de traiter les catholiques italiens comme des catholiques et des citoyens de seconde catégorie, en leur demandant un engagement contre le divorce qui serait considéré absurde et anachronique si on le demandait aux catholiques
de tout autre pays du monde.
Nous serons donc civils si la civilité signifie répondre au terrorisme idéologique par la force de la raison, aux mensonges par la vérité, aux prétentions cléricales par la lutte pour la laïcité de l'Etat et pour le renouvellement religieux. Mais nous n'accepterons pas d'atténuer en rien la dureté de l'affrontement politique et idéal qui a lieu autour du divorce. Dans un pays qui n'a pas connu une réforme religieuse ni une vraie révolution bourgeoise, qui est profondément pollué par la culture contre-réformiste, qui a été soumis pendant vingt ans au régime fasciste et pendant trente autres années au régime démocrate-chrétien, la dureté et la vérité de cet affrontement est la seule garantie de "civilité". Et c'est un affrontement contre la DC (2).
Ceux qui auraient voulu éviter le référendum, craignaient surtout deux choses: Le monolithisme et la fidélité totale aux prétentions temporelles de l'Eglise de la part de l'ensemble du monde catholique; la rupture de l'unité des travailleurs, affectée par une dissension de nature religieuse. Mais ce sont deux craintes qui se sont révélées infondées. Non seulement les communautés ecclésiales de la dissension qui représentent aujourd'hui une partie importante du "Peuple de Dieu", pas uniquement les îles protestantes et de croyants de toute autre foi religieuse, en commençant par les juifs, se sont coalisés pour le "NON", mais également des secteurs importants de l'intellectualité catholique, alors que de nombreux évêques ont pris leurs distances des positions de la CEI (3), en revendiquant le respect du principe de la "liberté de conscience", adopté par le Concile après trois siècles de culture laïque.
Quant aux inquiétudes pour l'unité syndicale elles ont été tout de suite démenties par la prise de position immédiate pour le "NON" de la très grande majorité des syndicalistes d'origine catholique. Le danger vient de la façon dont les forces laïques se préparent à affronter cette bataille, divisées, en ordre épars, sans aucune coordination. En janvier, février et dans la première moitié du mois de mars les seules manifestations de masse pour la défense du divorce ont été organisées par la LID (4) et par le Parti Radical. Il n'y a que maintenant que la plus grande force favorable au divorce, le Parti communiste, est en train de montrer qu'elle entend récupérer son retard avec une mobilisation massive, alors que les autres partis laïques hésitent encore à descendre sur le terrain.
Le danger vient en outre, encore une fois, de l'utilisation sans scrupules que Fanfani (5) et la DC se préparent à faire de tous les instruments de pouvoir du régime, en commençant par la RAI-TV (6) et par la marginalisation des forces qui ont promu de manière autonome dans ce pays la bataille pour le divorce, en premier lieu la LID et le Parti Radical.
C'est contre ces dangers que se battra la Ligue dans la campagne pour le référendum, pour défendre l'institution du divorce avec la même détermination avec laquelle dans le passé elle s'est battue pour l'obtenir. Contre la DC, contre le cléricalisme, contre le régime.
REPONSES AUX CLERICAUX
La campagne contre le divorce est combattue par les adversaires du divorce et par les cléricaux non seulement avec les armes du pire terrorisme idéologique d'école sanfédiste, mais en ayant aussi recours à une série d'arguments et de slogans qui représentent autant de mensonges et de faussetés, répétés de manière accablante durant la campagne du référendum. Au terrorisme idéologique et sanfédiste nous devons répondre par la force de la raison. Aux mensonges nous devons répondre par la force de la vérité.
1 - Le divorce n'est pas la cause mais un remède nécessaire pour la crise de la famille
Les prévisions catastrophiques des adversaires du divorce selon lesquelles l'institution du divorce aurait multiplié les cas de dissolution de la famille ont été démenties par les faits.
En 1971 les sentences de divorce ont été 55.516, en 1972 elles ont été 20.410, en 1973 moins de 15.000. En 1972, la dernière année pour laquelle on dispose de données définitives, le nombre de couples qui ont divorcé a été, en moyenne pour tout le pays, de 37,7 pour cent mille habitants. Dans la grande majorité des cas le divorce a servi à légitimer des situations irrégulières (couples et enfants illégitimes) qui existaient depuis longtemps, dans certains cas depuis des dizaines d'années. Les adversaires du divorce objectent cependant que ces dernières années le nombre de séparations entre conjoints a augmenté. C'est faux. Le nombre de séparations légales avait déjà augmenté avant la loi Fortuna (7) (de près de 10.000 séparations par an au début des années soixante, à plus de 15.000 en 1968). L'augmentation s'est poursuivie avec la même proportion dans les années suivantes jusqu'à atteindre 22.000 séparations en 1972. En outre, avant le divorce beaucoup de couples séparés ne s'adressaient pas au juge. La sép
aration légale n'était demandée que par les couples séparés qui devaient résoudre des questions patrimoniales ou qui n'avaient pas atteint un accord sur leurs enfants. Mais à présent la séparation légale est une condition nécessaire pour pouvoir obtenir ensuite le divorce. Il est donc naturel que le phénomène des séparations de fait, qui existait auparavant en large mesure sans être enregistré par les statistiques, ait tendance à disparaître.
2 - La loi Fortuna-Baslini est la loi la plus sévère parmi toutes les lois sur le divorce dans le monde entier
La loi prévoit la possibilité de dissolution du mariage uniquement dans certains cas très graves (condamnation pénale de l'autre conjoint à plus de quinze ans de réclusion; condamnation de l'autre conjoint pour des crimes infamants contre la famille comme la tentative de viol sur les enfants, rapt et actes libidineux, incitation ou exploitation de la prostitution du conjoint ou des enfants, etc.) ou lorsque les deux conjoints sont séparés avec une disposition du juge depuis plus de cinq ans.
La loi Fortuna n'est donc pas une loi "facile", mais une loi sévère et juste. Par conséquent l'image que les adversaires du divorce essayent de donner d'un "divorce à l'américaine" est totalement fausse.
En pratique, pour ce qui concerne aussi les normes qui peuvent intéresser l'ensemble des citoyens, le divorce se contente de prendre acte d'une rupture désormais irréparable et prouvée par une longue période de séparation. Pour obtenir le divorce il faut en pratique des procédures judiciaires différentes: tout d'abord celle de séparation et puis, après plusieurs années, la procédure de dissolution du mariage. Il s'agit d'une des procédures de divorce les plus longues du monde: pas moins de huit ans dans les cas les plus simples, qui peuvent monter à dix dans le cas d'opposition au divorce de la part du conjoint innocent. Il faut tenir compte en effet des délais généralement très longs de la justice italienne (pas moins d'un an, un et an et demi pour la cause de séparation; autant pour celle de divorce). Il n'y a que pour les Tribunaux ecclésiastiques, après les réformes introduites par Paul VI avec le "motu proprio", que l'on peut parler d'"annulations faciles" et d'"annulations éclair".
3 - Le divorce concerne tout le monde et pas uniquement les riches
Parmi les nombreuses sottises soutenues par les cléricaux il y a aussi celle-ci: que le divorce est très cher et qu'il ne concerne par conséquent que les riches. Les riches n'ont jamais eu en Italie des problèmes de divorce: lorsqu'ils ne changeaient pas de nationalité dans le seul but d'obtenir la dissolution du mariage dans un autre Etat, c'est la Rote qui s'en occupait. Ce sont les petits bourgeois, les prolétaires, les pauvres qui se séparent et qui divorcent uniquement en cas de nécessité extrême et uniquement pour des raisons très graves, et qui avant la loi Fortuna n'avaient aucune possibilité de résoudre leurs situations familiales, parfois dramatiques. A présent cette possibilité est aussi à leur portée. Et le coût de l'exercice de ce droit civil est relativement modeste: pas plus de 200-300 mille lires.
La loi pour le divorce, en plus d'être extrêmement sévère, est aussi une loi juste. La simplicité du jugement du divorce élimine des frais de procès très chers, et rend inutile le recours au "grand avocat" et le payement d'autres honoraires. Dans ce cas aussi est valable la comparaison avec les annulations ecclésiastiques, dont le coût n'est jamais ou presque jamais inférieur à 600.000 lires même dans les cas les plus simples. Le divorce de la Rote est le vrai "divorce de classe": le divorce auquel préfèrent encore avoir recours les parlementaires contraires au divorce, les acteurs célèbres, les grands industriels.
4 - La loi Fortuna protège la femme et les enfants
"Les victimes du divorce sont les femmes et les enfants" lit-on sur les pages spéciales du "Popolo" et sur les affiches cléricales. Il suffit d'une statistique pour renverser cette affirmation. En 1970 sur 6.760 procès de séparation judiciaire, 4.461 ont été demandés par des femmes, 2.087 par des maris et 216 par les deux conjoints; sur 10.263 causes de séparation consensuelle, 2.030 ont été demandées par des femmes, 1.092 par des hommes et 6.871 par les deux conjoints.
Dans la majorité des cas, ce sont donc les femmes qui prennent l'initiative de se séparer pour divorcer ensuite de leurs maris. La vérité est qu'il n'y a pas de victimes du divorce, mais uniquement des victimes de situations matrimoniales qui ont échoué et qui sont impossibles. Les partisans de l'indissolubilité du mariage veulent rendre esclaves ces femmes pendant toute leur vie, en les clouant en vertu d'une loi à une condition de douleur et en les empêchant de former une nouvelle famille.
5 - La loi Fortuna anticipe la réforme du droit de famille que la DC a bloqué au Parlement
La loi qui a introduit le divorce en Italie a très fort amélioré le traitement économique du conjoint le plus faible et, en ce qui concerne l'éducation des enfants, elle a anticipé la réforme du droit de famille, en attribuant dans des conditions d'égalité le pouvoir paternel aux deux conjoints. La loi s'est aussi occupée de défendre de la meilleure façon possible le conjoint le plus faible également du point de vue de l'assistance et de la sécurité sociale. Certes, la loi sur le divorce ne pouvait pas résoudre les problèmes qui doivent être résolus avec la réforme du droit de famille et avec la réforme sanitaire et des pensions. Mais ces réformes c'est la DC qui les retarde et qui ne les veut pas. Celle du droit de famille, approuvée par la Chambre presque à l'unanimité, a été bloquée au Sénat par le parti clérical depuis désormais trois ans. Et dans ce cas aussi les adversaires du divorce se gardent bien d'accepter la comparaison avec les annulations ecclésiastiques: les déclarations de nullité ôtent tout
droit aux femmes et aux enfants car, après une annulation, c'est comme si le mariage n'avait jamais existé.
6 - Il est faux que le divorce récompense le conjoint coupable
C'est un autre mensonge sur lequel se base la campagne des cléricaux. Les adversaires du divorce soutiennent que le divorce équivaut à une répudiation, que le conjoint innocent ne peut rien faire pour s'opposer à la prétention de divorcer du conjoint coupable. C'est faux. Pour obtenir le divorce il faut une mesure judiciaire de séparation qui peut être de deux types: consensuelle (c'est-à-dire obtenue d'un commun accord par les deux conjoints) ou judiciaire (c'est-à-dire par la faute d'un des conjoints). En cas de non-accord entre les conjoints, la séparation peut être décrétée par le juge uniquement si elle est demandée ou accordée par le conjoint innocent. Sans l'initiative ou le consensus du conjoint innocent, il ne peut même pas y avoir la sentence successive de divorce. Il est même faux, par conséquent, que la faute n'ait aucune valeur juridique dans le cause de divorce: le juge en tient compte dans le jugement de séparation, aussi bien dans la définition des aspects économiques, que de l'assignation et
de l'éducation des enfants. En outre, au cas où le jugement suivant de divorce soit demandé par le conjoint coupable, le délai qui doit s'écouler pour le divorce n'est plus de cinq ans mais de sept.
7 - Ceux qui demandent l'abolition du divorce veulent rétablir le monopole de la Rote
Les adversaires du divorce soutiennent que leur lutte contre la loi Fortuna-Baslini n'est pas motivée par la défense des intérêts cléricaux mais par des inquiétudes uniquement civiles et sociales. C'est faux. Grâce au Concordat (8) entre l'Etat et l'Eglise de 1929, les Tribunaux ecclésiastiques jouissent d'un véritable monopole juridictionnel en matière de mariage. Leurs sentences d'annulation des mariages avaient et ont une efficacité immédiate dans le système juridique italien. Après l'approbation de la loi Fortuna-Baslini, Paul VI a introduit une série de réformes qui rendent les annulations de plus en plus faciles, rapides et peu chères pour permettre aux Tribunaux ecclésiastiques de faire concurrence aux tribunaux civils. On essaye à présent de rendre à la Rote, en abolissant le divorce, le monopole des annulations. C'est uniquement cela qui a déterminé la protestation du Saint-Siège et qui a poussé l'Eglise à mettre ses paroisses à disposition des adversaires du divorce pour récolter les signatures néc
essaires pour promouvoir le référendum. Au Portugal et à Haïti seulement les annulations ecclésiastiques ont une valeur civile. Dans aucun pays catholique (en France, en Autriche, en Amérique Latine), l'Eglise ne s'est jamais permise de demander l'abolition du divorce.
8 - La loi Fortuna est une loi normale
Avec une étrange contradiction les adversaires du divorce affirment que le divorce est "l'antichambre du lupanar", et ils soutiennent ensuite que le concubinage est préférable au divorce. Cette prétention de défendre également l'indissolubilité des mariages civils est étrange, du moment que ce sont eux justement qui ont toujours soutenu que les personnes mariées devant le maire sont des "concubins publics".
L'évêque de Prato, mons. Fiordelli, un des évêques les plus engagés dans la campagne contre le divorce, appliqua cette marque infamante aux époux Bellandi. Par ailleurs l'Eglise ne s'inquiète pas de respecter cette indissolubilité des mariages civils: Almirante (9) a deux femmes, la première mariée uniquement à la commune, la seconde mariée uniquement à l'Eglise. Le leader de la droite nationale est un adversaire cohérent du divorce parce qu'il n'a demandé ni le divorce de la première ni l'annulation de la seconde. Mais que représente Almirante pour l'Eglise: un concubin, un bigame, ou l'un et l'autre?
Les adversaires du divorce se présentent comme les défenseurs de la famille. Pour sa sévérité la loi Fortuna a été prise comme exemple dans leurs législations par l'Etat de New York, par la France et par la Grande-Bretagne. Mais dans tous ces pays la séparation ne doit pas durer plus de trois ans. A New York une loi analogue à la loi Fortuna a été proposée par les évêques catholiques, qui entendaient moraliser la situation créée par la loi précédente sur le divorce, qui permettait la dissolution du mariage uniquement en cas d'adultère.
LE PARTI DES ANNULES
Le 12 mai le choix pour le citoyen appelé aux urnes pour le référendum sur le divorce ne sera pas, à vrai dire, entre le divorce et l'indissolubilité du mariage, mais entre le divorce et la Rote. L'indissolubilité du mariage est hors de cause. Avant tout parce que, au cas où, ce serait paradoxalement la séparation légale qui devrait être indissoluble, et pas le mariage, qui, justement avec la séparation, se dissout en ne laissant qu'un cadavre que l'on peut enterrer ou laisser se putréfier, mais jamais considérer comme une chose vivante. Mais la séparation aussi est loin d'être indissoluble pour ceux qui peuvent se permettre d'avoir recours à la Rote, aux tribunaux ecclésiastiques qui émettent des sentences de nullité du lien matrimonial, mais en réalité le divorce, valable, Grâce au concordat, également aux effets civils.
En paroles, l'annulation du mariage est bien autre chose que le divorce, parce qu'elle suppose que le mariage valable n'ait jamais existé. Mais lorsque l'on va à la recherche de la nullité après des années de cohabitation et après que l'on ait procréé des enfants et créé devant la société un noyau tout à fait identique à toute autre famille, seule l'hypocrisie peut faire parler de "nullité" et de diversité du divorce.
Pendant les vingt premières années d'application du Concordat, l'Eglise n'a jamais déclaré nuls plus d'une soixantaine de mariages concordataires par an. Ensuite, l'augmentation a commencé après la guerre, jusqu'à atteindre environ trois cents annulations par an, qui ont encore augmenté, sous Paul VI, jusqu'à atteindre en 1973 le chiffre de près de 1.200 annulations. Vingt fois plus. Désormais on annule, avec un peu de patience et d'argent, n'importe quel mariage. L'annulation, avec le "motu proprio" de Paul VI est devenue rapide (8-10 mois) et assez bon marché (1-2 millions). On annule pour les raisons les plus extravagantes: excès d'esprit d'aviation qui comporte une intolérance envers les enfants, des rapports sexuels consommés avec la conviction d'appartenir à l'autre sexe, un excès de propension pour les mensonges, la réserve mentale d'exclure le droit de cocufier sa femme. Il arrive de plus en plus souvent que des maris demandent l'annulation pour éviter de verser à leur femme une pension alimentaire,
puisque avec l'annulation rien n'est dû à titre de pension alimentaire à l'"ex-concubine", qui n'a jamais été épouse. Il suffit que le mari prouve d'avoir trompé sa femme sur ses intentions concernant les obligations à assumer avec le mariage, pour priver la femme de tout droit.
Toutefois l'annulation de la Rote reste un divorce de classe. C'est le divorce facile, irresponsable, hâtif de la classe privilégiée, pas un droit civil. En réalité, les monseigneurs peuvent l'accorder ou la refuser comme bon leur semble. L'obtenir est toujours un privilège et suppose des amitiés, des connaissances, des capacités de s'arranger, de chicaner, de payer, de citer des textes faisant autorité.
Des nobles, des industriels, des membres connus des professions libérales, des acteurs, des hommes politiques notamment démocrates-chrétiens et du MSI, sont nombreux à avoir recours à l'annulation. A la Chambre et au Sénat, les annulés et les mères et pères d'annulés pourraient constituer un groupe parlementaire. Le ministre Signorello de la DC, a épousé une annulée, dont le premier mari, avec lequel elle avait eu deux enfants, ne croyait pas à l'indissolubilité du mariage (contrairement à Signorello). Annulé pour non-consommation, après dix ans de cohabitation avec sa femme, est le député Manfredi Bosco, le fils de l'ancien ministre, lui aussi de la DC, Giacinto. Annulé, toujours pour défaut de consommation après treize ans de cohabitation, est le député Mauro Bubbico, DC et appartenant au courant de Fanfani. Annulé est le sénateur DC Giorgio Bo, annulé l'ancien député et Haut Commissaire à la Santé DC Larussa, père, à son tour d'une annulée. Annulée pour impuissance de son mari, dont elle a eu pourtant une
fille, est la fille du sénateur et ancien président du Conseil DC Pella. Annulé est le député Roberti du MSI. Annulé est le député Luigi Turchi lui aussi du MSI, dont la femme, selon la Rote, avait été poussée à se marier par sa mère, fascinée par la distinction du jeune 'missino' qui lui faisait un baise-main et qui était par contre considéré par la femme en question un gros bébé, vaniteux et mielleux.
Les partisans de l'indissolubilité du mariage ne le sont en définitive qu'à l'égard des autres, des citoyens quelconques, de la plèbe des niais, auxquels ils demandent un 'oui' à l'abrogation du divorce. Entre eux, c'est une autre histoire. Un mariage devenu gênant est déclaré inexistant.
A ce point, naturellement la discussion ne peut s'arrêter au référendum sur le divorce et au NON que nous devons exprimer le 12 mai. A la Rote nous devons non seulement ôter le monopole et empêcher qu'elle le récupère, mais nous devons ôter toute importance civile. Il faut récolter les signatures pour les référendums abrogatifs des lois en matière concordataire et, au printemps 1975 voter OUI pour leur abrogation.
8 REFERENDUMS CONTRE LE REGIME
La campagne du référendum sur le divorce est en plein déroulement. La récolte des signatures pour imposer et convoquer, en 1975, huit autres référendums abrogatifs a commencé le 20 mars.
Le Parti Radical, la Ligue Italienne du Divorce, la LOC, le Mouvement de Libération de la Femme ont ouvert en même temps la campagne pour défendre la loi sur le divorce et pour battre le régime DC avec les huit référendums. Il n'y a qu'en renforçant et en étendant de cette façon la lutte que l'on pourra combattre efficacement le dessein 'fanfanien' et clérical. Soit qu'il gagne, soit que - comme nous le pensons - le 12 mai il soit battu par les "NON", Fanfani se prépare en effet à tenter la consolidation définitive du régime démocrate-chrétien, en condamnant les forces démocratiques à un rôle subalterne dans le cadre d'un équilibre politique - corporatif, clérical, autoritaire et favorable à la collaboration entre classes sociales - dominé par la Démocratie Chrétienne.
Le projet de Fanfani est clair: s'il gagnera ce référendum, il réussira aussi à consolider la domination gouvernementale de la Démocratie Chrétienne pendant une autre décennie; mais s'il perd, il espère peut-être de ne rien perdre du tout ou très peu: il espère tirer profit de l'échec, en offrant à ses interlocuteurs de gauche le compromis, peut importe si "historique" ou de pouvoir, qu'il leur avait refusé ces derniers mois lorsqu'il s'agissait d'éviter le référendum sur le divorce. Et on recommencera à parler d'"améliorations" à apporter à la loi Fortuna; on recommencera à parler de "paix religieuse", d'arc constitutionnel, d'unité antifasciste.
C'est pour cela que nous ne nous contentons pas de le battre sur le divorce. C'est pour cela que nous voulons créer les conditions pour pouvoir battre tout son projet politique.
Nous lui opposons un projet tout aussi ambitieux. Nous voulons gagner l'affrontement sur le divorce. Mais nous ne voulons pas aussi que la victoire du 12 mai contre la DC reste un fait isolé, à peine une parenthèse dans l'histoire récente de la République, et qu'une fois cette dernière fermée tout recommence comme avant ou pire qu'avant. Nous voulons prolonger et étendre l'affrontement avec le parti de régime, balayer les lois clérico-fascistes qui empêchent encore la réalisation d'une démocratie constitutionnelle effective, donner corps aux espoirs de liberté et d'alternative sans cesse frustrés et mortifiés dans le pays.
Si le projet du Parti Radical sera gagnant, en 1975 nous réussirons à faire convoquer huit référendums contre le concordat clérico-fasciste de 1929, contre la juridiction des tribunaux ecclésiastiques, contre les normes fascistes du code Rocco (10), contre le code pénal militaire et le système judiciaire militaire, contre les normes corporatives et répressives en matière de presse, contre le monopole public et démocrate chrétien de la TV par câble. Toute la gauche est unie aujourd'hui dans la bataille pour la défense du divorce et domine de fait dans cette bataille les forces modérées et de la bourgeoisie laïque. Les sondages montrent que la possibilité existe de gagner avec une marge écrasante les clérico-fascistes de la coalition contre le divorce. Et pour exploiter cette grande marge d'avantage il ne faut pas se fermer en défense, en subissant la propagande de l'adversaire, mais passer à l'attaque, en étendant et en généralisant l'affrontement avec la DC et avec le régime à toute la thématique des réforme
s démocratiques et des droits civils.
La première récolte de signatures nous montre que nous ne sommes pas isolés du pays, des masses des citoyens et des travailleurs. Si nous réussirons à faire face à la disproportion des moyens d'organisation et financiers, nous savons qu'il existe dans le pays beaucoup plus que le demi million de signatures nécessaires pour promouvoir les référendums.
Nous ferons tout et jusqu'au fond pour y réussir. Si nous ne réussirons pas nous ne serons pas les seuls responsables, tandis que les conséquences seront - nous le craignons - graves pour tous. Cela dépend beaucoup de vous, camarades et amis, destinataires de cet appel: de votre engagement politique, de votre engagement militant, de votre aide financière.
Avec d'autres forces (en premier lieu la UIL (11), mais également la FGR, des noyaux d'extraparlementaires, etc.) nous avons déjà constitué environ cent noyaux de récolte de signatures, avec lesquels nous sommes présents dans chaque région et dans presque toutes les provinces. Mais il faut multiplier les efforts. Tous ceux qui entendent constituer de nouveaux comités de récolte, dans des villes ou des villages où ils sont absents, doivent s'adresser au siège central du Parti Radical, à Rome, Via di Torre Argentina 18, tél. 651732/653371, pour recevoir le matériel et les autres indications nécessaires.
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N.d.T
1 - LA ROTE (SACRA ROTA). Le Tribunal de la Rote, le plus haut organe juridictionnel de l'Eglise, auquel sont attribuées aussi les actions d'annulation du mariage.
2 - DEMOCRATIE CHRETIENNE (DC). Parti italien d'inspiration chrétienne/catholique. Constitué sous ce nom dans l'après-guerre recueillant l'héritage du Parti Populaire, né dans le premier après-guerre par l'oeuvre d'un prêtre sicilien, don Luigi Sturzo. Après les élections de 1948, dans le climat de la guerre froide, il devint le parti de majorité, s'approchant certaines fois de la majorité absolue. Composant central de tout gouvernement, il a détenu le pouvoir sans interruptions pendant un demi-siècle conditionnant fortement en sens modéré le développement de la société italienne. Aux élections de 1992, pour la première fois, il descend sous la barre des 30% des suffrages. La Dc a changé de nom en 1994, et est devenue le PPI (Parti Populaire Italien).
3 - CEI. Sigle de la Conférence Episcopale Italienne, l'organisme qui réunit les évêques italiens.
4 - LID. Ligue Italienne pour le divorce.
5 - FANFANI AMINTORE. (Arezzo 1908). Homme politique italien, professeur d'histoire de l'économie, personnalité éminente de la Démocratie chrétienne, dont il fut secrétaire de 1954 à 1959 et ensuite de 1973 à 1975 en lui imprimant une forte empreinte corporative avec l'utilisation de l'industrie publique comme volant du développement économique. Chef du gouvernement (1958-59); 1960-62; 1982-83), ministre des Affaires étrangères à plusieurs reprises, président du Sénat de 1958 à 1973 et ensuite de 1976 à 1982.
6 - RAI-TV. Radio-télévision italienne.
7 - FORTUNA LORIS. (Breno 1924 - Udine 1985). Homme politique, italien. Présentateur, en 1965, du projet de loi sur le divorce approuvé au parlement, après des années d'initiatives et de batailles menées aux côtés du Parti radical, en 1970. Présentateur aussi de projets de loi sur l'avortement et sur l'euthanasie passive (mais ce dernier n'est pas passé). Ministre de la Défense civile et des affaires communautaires.
8 - CONCORDAT. L'article 7 de la Constitution italienne reconnaît et "constitutionnalise" le Concordat entre l'Etat et l'Eglise signé en 1929. Il fut voté à l'Assemblée Constituante par Togliatti et le PCI avec l'opposition des socialistes, du Parti d'action, etc. Le Concordat fut renouvelé, sous une nouvelle formulation, en 1984 (gouvernement Craxi).
9 - ALMIRANTE GIORGIO. (Salsomaggiore 1914 - Rome 1988). Secrétaire du MSI, Mouvement Social Italien (le parti de droite qui se considère héritier du fascisme) de 1969 à 1987.
10 - ROCCO ALFREDO. (Naples 1875 - Rome 1935). Juriste et homme politique, d'abord radical il passa ensuite aux nationalistes, qui ont fini par confluer dans le parti fasciste. Ministre de la Justice de 1925 à 1932, auteur du Code Pénal et du Code de Procédure Pénale promulgués entre 1930 et 1931. Les deux codes, malgré leur forte inspiration fasciste, sont restés pratiquement intacts pendant de longues années même après la chute du fascisme, et ce n'est que très récemment qu'ils ont été remplacés par des Codes plus modernes. Figure d'une importance exceptionnelle dans l'histoire institutionnelle de l'Italie moderne.
11 - UIL. Union Italienne du Travail. Syndicat national d'inspiration socialiste. Pour son importance numérique il s'agit du troisième syndicat après la CGIL et la CISL. A l'origine, c'était l'union des petits syndicats peu représentatifs, puis il a évolué et il a grandi au fur et à mesure, intellectuellement aussi.