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Pannella Marco, Playboy - 1 gennaio 1975
UN RAISONNABLE DEREGLEMENT DES SENS
Interview de "Playboy" à Marco Pannella

SOMMAIRE: Interview à "bâtons rompus" de Marco Pannella: sa vie, sa vocation politique, les influences de la famille, l'expérience libérale, sa façon de vivre le rapport culture-politique, les modèles de Pannunzio et Rossi, la drogue, la manière libérale d'entendre le socialisme, la nonviolence, le Parti Radical, le vieux fascisme et le fascisme nouveau travesti en antifascisme, la RAI de Bernabei, instrument de violence contre les citoyens...

(Interview de "Playboy" - Janvier 1975 - Extrait de "Marco Pannella - Travaux et Discours" - 1959-1980" - Editions Gammalibri - Janvier 1982)

Playboy: Quel âge as-tu Marco?

Pannella: Quarante cinq. Je suis né sous le signe du Taureau, à Teramo, dans les Abruzzes. Je m'appelle Giacinto Marco, Giacinto comme un oncle prêtre, un personnage assez insolite, dans ce qui était alors la famille campagnarde méridionale typique, où le droit de s'occuper des affaires de la ferme revient à l'aîné, tandis que le second devient prêtre, et les autres, notaires ou pharmaciens, ou bien se débrouillent de quelque manière. Cet oncle devint prêtre, mais il continua cependant à s'occuper de l'administration des terres, et demeura en somme le chef de famille classique. C'était le seul membre de la famille à avoir des intérêts culturels. Il publiait une revue, tout-à-fait artisanale et provinciale, mais que, par un étrange hasard, et avec une certaine émotion, je retrouvais plus tard dans des bibliothèques spécialisées, à Paris et à Vienne.

Mon Don Giacinto eut entre autre un geste assez audacieux pour l'époque. Lorsque mon père, qui avait voulu être ingénieur et avait étudié à Turin puis à Grenoble, revint à la maison avec une épouse française (née en Suisse, fille d'un hôtelier), une femme qui ne parlait que sa propre langue et qui portait les cheveux courts, dans un pays où toutes les femmes les portaient en catogan sur la nuque, et s'habillaient de longues robes noires, il comprit qu'il devait aider ce jeune couple tombé dans un monde différent et difficile: il attribua à mon père la part de propriété qui lui revenait, et lui donna sa chance. Il se pourrait donc, que je n'aie aucune animosité anticléricale, grâce à ce simple fait, parce que la meilleure personne de ma famille était ce personnage clérical; et j'ai toujours eu de très bons amis prêtres. Je suis laïc, tranquillement, sans luttes intérieures et sans problèmes.

Playboy: Depuis combien de temps fait-tu de la politique? Tu donnes l'impression que tu t'en occupes depuis toujours.

Pannella: L'impression est exacte. Je crois que j'ai compris, tout petit déjà, qu'il ne peut y avoir de dichotomie entre vie publique et vie privée, que les faits de la vie privée deviennent une occasion pour faire de la politique et par conséquent vie publique. Une enfance normale, beaucoup de femmes, de tantes, de paysannes, qui prenaient soin de moi, des jeux et beaucoup d'allégresse. Mais dans cette normalité, dans ce bonheur, il y avait des petites choses de grande importance. Un cordonnier antifasciste, chez lequel il ne fallait pas mettre les pieds, j'avais trois ou quatre ans. Il buvait, on disait que c'était pour cela qu'on ne devait pas y aller, mais on comprenait que c'était à cause de son antifascisme qu'il hurlait aux gens. Ma mère qui parlait français, il y avait toujours un notable pour lui dire que ça ne se faisait pas, qu'il fallait faire attention: mais c'était sa langue maternelle! J'avais une camarade de jeux, elle s'appelait Adria, c'était mon premier amour, j'avais sept ou huit

ans. Eh!bien, un jour je ne la revis plus. Elle avait disparu. Elle était juive, et sa famille avait quitté le pays.

Je passais des périodes en France chez un "instituteur" pour apprendre, et mari et femme m'adoraient,; mais ils se disputaient à mort, et j'étais toujours entre les deux, défendant l'un ou l'autre, selon le cas. Je décidais même si je devais dormir avec le mari ou avec la femme. Je me souviens que je me demandais pourquoi ces deux-là, qui se faisaient la guerre et qui séparément étaient des personnes si aimables, devaient continuer à vivre ensemble. Cela signifiait peut-être déjà, se poser, de façon primaire, le problème du divorce, se révolter à l'idée de voir deux personnes liées pour toujours, parcequ'elles ont décidé un jour de se marier... Cela signifiait peut-être aussi se révolter contre les contraintes, revendiquer le droit d'être antifasciste, de parler sa propre langue, se révolter contre l'injustice des discriminations raciales.

Ce ne sont que des petits faits, comme tu vois, mais ils servent à démontrer ce que j'ai toujours dit, que vie privée et vie publique ne font qu'un. Que veut dire défendre sa propre privacy? Je ne vois pas où elle commence et où elle finit...

Playboy: En effet, on t'accuse de ne pas avoir de vie privée.

Pannella: C'est toujours l'expérience personnelle, privée, qui se transforme en politique et qui te donne la force pour combattre. Par exemple, la bataille pour la légalisation de l'avortement; ou celle pour le divorce. Les personnes qui y croient, qui y ont cru, partent-elles de la politique, ou bien de la vie privée? Je dis toujours que les lois ne doivent pas plonger uniquement dans les jours mais aussi dans les nuits. Ce sont les vérités qui prennent racine dans ta propre histoire qui comptent. Tu comprends ce que je veux dire? Plus certains fait me paraissent "privés", plus j'essaye de les faire reconnaître comme publics et politiques. Et cette éternelle polémique entre l'amour et l'amitié, quelle équivoque grossier! Dire qu'avec ta copine tu peux baiser et qu'avec ton ami tu dois parler, cela veut dire diviser en deux sa propre vie. Une absurdité!

Playboy: Et à un moment-donné, tu es entré dans la politique.

Pannella: Mais non, mais non, j'ai toujours fait de la politique à ma façon, et cette façon est toujours la même: l'intérêt pour les autres, le dialogue. J'étais étudiant, à Rome, un peu en avance, car ma mère dans son souci de perfection, avait prétendu me faire sauter deux classes, et un jour je vis dans un kiosque "Risorgimento Liberale". Je l'ai acheté, cela m'a intéressé. Il me semblait contenir alors ce que j'aime le plus, la libre discussion intelligente. Depuis ce jour-là, j'en ai toujours acheté deux exemplaires: une pour moi et l'autre pour mes camarades de classe, pour qu'ils la lisent et puissent en discuter, et faire leurs objections et exposer leur idées... Ainsi avons-nous commencé à fréquenter Via Frattina, où se trouve le siège du PLI, et nous nous sommes lancés vers la gauche libérale.

Nous étions des garçons, ces mêmes garçons qui allaient jouer au ballon ou danser avec des jeunes filles, qui avions ce que toi tu appelles une vie privée, mais une vie privée qui coïncidait avec la vie publique. Parce que dialogue veut dire pour moi quelque chose de complexe et de complet, non seulement "spirituel": dialogue veut dire aussi caresses, baisers et coups de poing, rapport sexuel, en plus des belles idées. Mon manifeste, le manifeste des radicaux, nous vient d'un grand poète, Rimbaud: "Le raisonnable dérèglement des sens". Une phrase "anti maudit": Rimbaud avait eu l'intuition de ce que les cybernétiques ont pressenti au niveau scientifique. Le drame c'était le bon sens. Pour nous radicaux il en est de même.

Playboy: Ces garçons, donc, fréquentaient les grandes personnes, ils les écoutaient et essayaient de percevoir, à travers leurs discussions, ce qui leur paraissait le plus vrai. Et toi, au milieu d'eux, tu étais probablement plein de fureurs sacrées...

Pannella: Oh!non. Seulement un peu ardent. Mais d'une manière différente des fureurs sacrées, qui font toujours penser à quelque chose de sombre, d'introverti; à une volupté de martyre. Je suis au contraire un extraverti, j'aime la vie, absolument pas tourmenté, ni foudroyant. "Route de braise et non de cendre", disait un poète. Non pas la flamme qui brûle et laisse d'inutiles cendres, mais la braise, qui dure longtemps.

Playboy: Ces garçons discutaient-ils les opinions des grands?

Pannella: Quelques fois objet de discussion, non de polémique. Déjà alors je parlais beaucoup, et - je crois - avec un certain pouvoir de persuasion. Je l'exerçais peut-être aussi sur eux. Ou peut-être étaient-ils, au fond, assez ouverts, assez compréhensifs. Ou peut-être encore, exaspérés de m'entendre discuter sans me mettre en colère. Du reste, eux-mêmes ne se mettaient jamais en colère. Et puis ma thèse, je l'ai eue non? A Urbino, avec 66 seulement. Je choisis Urbino parce qu'il me semblait que je pouvais l'avoir plus rapidement Je discutai pendant trois heures, devant onze professeurs. Ma thèse portait, entends-tu, sur l'article 7 du Concordat, il y avait donc pas mal à discuter. Comme tu vois j'ai toujours les mêmes idées. Depuis le début. Un type ennuyeux au fond, qui dit toujours les mêmes choses, qui se répète.

Playboy: Y-a-t-il quelque chose, de cette première jeunesse, dont tu te souviennes avec un plaisir particulier?

Pannella: Je me souviens d'une chose: une photographie dans un journal du soir. Il s'appelait "Il Giornale Della Sera". Dans une photo un peu floue, on voyait un garçon qui sautait par la fenêtre, tenant une caissette, serrée contre sa poitrine. C'était moi. On devait voter à l'Université, et les fascistes mettaient des bâtons dans les roues. Nous votâmes. Mais les fascistes entrèrent, et ils étaient armés de poings américains et autres attirails, ils étaient nombreux, ils avait un air dangereux. Je pris la caissette et je me jetai par la fenêtre de Sciences-Po, un premier étage élevé. Il y avait juste en dessous des fours à chaux vive, avec des ouvriers autour. Je réussis à ne pas tomber dans l'un de ces fours, mais ce fut tout juste. Les fascistes étaient entre-temps redescendus et avançaient vers moi avec leurs gueules féroces. Je me crus perdu. Mais les ouvriers levèrent leurs pelles et ils commencèrent à jeter sur eux de la chaux. Ce fut en somme une victoire de la classe ouvrière.

Playboy: Comme tous les garçons, tu lisais certainement beaucoup. Quelles sont les matrices idéologiques, des penseurs du passé veux-je dire, ou les courants de pensée, desquels est née ta bataille?

Pannella: Je ne crois pas dans les idéologies, je ne croyais pas dans les idéologies codifiées et reléguées, en volumes reliés, aux bibliothèques et aux archives. Je ne crois pas aux idéologies fermées, à utiliser comme un paquet postal. L'idéologie c'est toi qui doit la faire, avec ce qui te tombe sous la main, même au hasard. Pour moi ce peut-être au cathéchisme de l'école, et qui par la force des choses, me posait des problèmes, puisque j'étais porté à la contestation.

Je peux dire que cinq ou six aphorismes de Nietzche sur le bien et le mal ont été importants pour moi; et Gozzano, mais oui, et la Sonate à Kreutzer. Un certain numéro d'Esprit de 1947, trouvé à Modane en attendant un train. "L'histoire de l'ère du baroque" de Croce. Un poète, St John Perse, à lire comme on lit l'encyclopédie, et que tout le monde trouve difficile parce qu'il utilise trop de mots. Thomas Mann, aède de la bourgeoisie. Mes camarades lisaient Marx, ils te citaient immédiatement la quatrième ou la cinquième réponse à Feuerbach. La signalisation qui se fait liturgie ou litanie. Je n'ai pas lu Marx mais j'en ai tiré ce dont j'avais besoin. Et enfant j'ai lu les grands romans russes, ayant quelque peu de difficulté avec les noms mais m'en sortant toujours car dans le roman classique on n'a pas besoin d'intrigue.

Mais ce sont les journaux qui m'ont beaucoup appris. Parce que dans les journaux il y a des idées qui n'apparaissent pas, peut-être à cause de leurs positions, parce qu'elles sont situées à côté du fait contingent et minuscule, détaché du présent. Lire un hebdomadaire, un quotidien, est important parce que tu reçois des idées qui prennent vie à l'intérieur de toi, qui deviennent partie intégrante de toi. J'ai lu "Il Mondo" et "Risorgimento Liberale".

Playboy: Y-a-t-il eu une année, une période, particulièrement belle, significative pour toi?

Pannella: Toutes les années sont belles. Cette dernière année par exemple, qui devait être celle de l'assassinat du Parti Radical, est en fait l'année de sa victoire, du referendum pour le divorce. Mais toutes les années sont belles, parce que chaque année on fait quelque chose de nouveau, avec les meetings, les happenings, les actions individuelles et collectives, avec les mots, les gestes, en chantant et en s'agitant, sans un instant pour se reposer, parce que s'arrêter signifie revenir en arrière. Chaque année est une belle année parce que je suis heureux de faire ce que je fais, jeûner et m'entendre dire que je suis le Gandhi du pauvre, signer les papiers des extraparlementaires auxquels je n'ai jamais cru mais qui ont le droit d'avoir leurs journaux, défendre les objecteurs de conscience même lorsqu'il s'agit de fascistes crétins, hurler, perdre la voix et la santé, heureux même que des féministes me traitent d'antiféministe...

Playboy: Antiféministe toi, le "paladin des femmes"?

Pannella: Mais oui! Parce que je me suis battu comme je me suis battu pour l'avortement, voilà qu'elles s'aperçoivent que je dérange, que je me suis approprié de sujets qui leur appartiennent... Elles voient encore en moi l'image de l'homme, du mâle qui exploite la femme en feignant de la défendre, le prévaricateur. Pas toutes les féministes naturellement, mais certaines, celles qui ont des résidus matchos. Disons que ce sont des féministes qui commettent des erreurs. Les femmes ne commettent pas d'erreurs. Elles l'ont démontré au moment du referendum, parce qu'il est clair que, pour le divorce, elles ont toujours voté, même celles qui ne savent rien de l'émancipation et qui n'en veulent rien savoir.

Playboy: Tu les trouves justes, toutes les revendications des femmes?

Pannella: Je trouve justes toutes les revendications des minorités. Tout comme je me bats pour la libération de la Femme, je donne mon appui au Fuori ou à quiconque a quelque chose à dire et se sent opprimé. Tout comme notre parti est le refuge de hors-la-lois du mariage et d'objecteurs de conscience, de féministes, de freaks et de partisans de l'avortement, de végétariens et de nudistes, en somme, de "gibiers de potence" en tous genres. Toutes les minorités doivent-être défendues, aucune n'a la priorité sur une autre. Je défends également celui qui est jeté en prison uniquement parce qu'il est fasciste, parce que l'étiquette ne me regarde pas, ce qui m'intéresse c'est qu'il s'agit d'une minorité à la merci de l'excès de pouvoir de la majorité. Et j'ai toujours défendu les minorités extraparlementaires malgré toutes leurs intempérances, tout en sachant qu'ils me considéraient un "étranger", avec des idées utopiques, un bourgeois. Ce que je ne puis approuver ce sont les minorités au pouvoir, parce que

leur domaine privilégié devient rapidement la violence: pour moi, pour chaque radical, tout fusil est noir, comme toute armée et toute institutionalisation de la violence, quelles que soient les personnes contre lesquelles on l'exerce.

Playboy: Tu défends aussi la drogue, l'herbe "particulière".

Pannella: Personnellement, l'herbe ne m'intéresse pas. J'ai la mienne, qui est la nicotine. Il y a dans moi, une autouroute de nicotine et de goudron, sur laquelle voyage toute l'autodestruction, l'évasion, la culpabilité et le plaisir usé et solitaire, que ma mort exige et obtient. Bien sûr, il me paraît logique de fumer l'autre herbe moins nocive, si cela plaît, et de refuser de la payer trop cher. Mon "herbe" a toujours été ma plus grosse dépense. Je peux m'engager comme je m'engage contre ce bordel qu'on appelle "l'Ordre", pour défendre l'herbe et ceux qui la fument, mais en faire un signe positif et définitif, me semble erroné.

Playboy: Je ne reconnais pas en toi de matrices idéologiques; tu dois bien reconnaître des maîtres, des hommes politiques, italiens ou étrangers, qui t'ont appris quelque chose...

Pannella: Je ne reconnais pas de maîtres car je n'en ai pas eu, et les personnes qui ont compté ne voulaient certes pas êtres des maîtres. Deux vies ont déterminé la mienne. Les vies de deux personnes qui sont mortes, l'une lorsqu'il était juste qu'elle meure, parce qu'elle n'avait plus d'espoir et qu'elle était convaincue d'en avoir fini; l'autre, dans un moment injuste, lorsque plusieurs de ses prévisions commençaient à se réaliser. Je veux parler de Mario Pannunzio et d'Ernesto Rossi. Le Parti Radical est fait de tout ce que disaient Pannunzio et Rossi. Pannunzio était la moralité, non le moralisme, sa rigueur était ce que j'aimais, même du point de vue du style, lorsqu'il recommandait de nous inspirer de Flaubert. Son indifférence du pouvoir, le plus grand enseignement. C'était un politicien, si politicien est celui qui transforme l'organisation de la ville, si politicien est celui qui marque son propre temps. Et qui d'autre, même dans le passé, a marqué son propre temps? On dit: Mattei, Vanoni. V

anoni et Mattei ont crée quelque chose au niveau des objets, mais en réalité ce qu'Enrico Mattei, le démiurge des années 50, a laissé, c'est la "realpolitik" de la corruption; et Vanoni, quelques bonnes solutions de mécanisme de contrôle politique. Rien qui ait marqué, comme justement Pannunzio et Rossi, jamais considérés comme de vrais politiciens, même par leurs amis, leurs camarades.

Playboy: Mais Ernesto Rossi, tu le considères vraiment comme un politicien?

Pannella: Et comment! Lui si heureux , heureux comme un enfant, d'exister, il avait tout prévu: le corporatisme d'Etat, la main publique qui donne les profits à la main privée. Lui, si innocent, avait deviné que l'on allait vers la défaite historique.

Playboy: Ils n'avaient rien en commun, apparemment...

Pannella: C'était deux bourgeois avec une qualité insolite pour des bourgeois: le désintéressement à l'argent. Parce qu'ils n'en avaient pas besoin. Ils n'auraient pas su le dépenser. La consommation n'était pas leur affaire...

Playboy: Tu dis "bourgeois". On l'utilise quelques fois comme une insulte.

Pannella: On ne voit pas le bourgeois comme moi je le vois. Celui qui s'inspire des grands idéaux de la Révolution française. Je suis un bourgeois et je suis fier de l'être.

Playboy: On dit que si tu étais un mystique, tu pourrais entraîner les foules dans la prière.

Pannella: Mais je ne le suis pas. Et je n'aime pas entraîner les foules. J'aime convaincre. Le dialogue, comme je l'ai déjà dit. Le dialogue avec toujours les mêmes mots: se connaître et se reconnaître.

Playboy: On dit aussi que tu es un peu cabot.

Pannella: Bien sûr. Lorsque je parle, dans un meeting, lorsque je choisis au milieu de la foule, grande ou petite, trois ou quatre visages, je sais que je fais du théâtre, de la culture. Et les gens "humbles" me comprennent bien plus que les politiciens. Mais je crois dans la culture, et non pas dans la nature. Le bon sauvage de Rousseau me fait rire. La clarté, la pureté, la limpidité de l'enfance? Mais la clarté, la pureté, la limpidité du patriarche de Michelange! L'état de nature est une condition anbigüe.

Playboy: As-tu le temps de penser à ta vie?

Pannella: En vérité, pas beaucoup. Mon problème est de pouvoir trouver le temps pour ma solitude. Ma maison est toujours pleine de gens, Je dors rarement seul. Les politiciens au contraire sont toujours seuls. Regardez-les sortir de la Chambre, ils avalent un repas, puis ils rentrent dans un cinéma pour somnoler en attendant d'aller dormir. Seuls, sombres, mécontents de l'existence, incapables de dialoguer parce qu'incapables d'attentions, sûrs d'avoir raison, d'être les meilleurs et les autres les pires: sûrs que le Pays est immature, pas eux.

Je rêve quelques fois d'un peu de solitude, ne serait-ce que pour un moment, et pas pour aller au cinéma. Mais je suis content de ma vie. J'aime la vie, les plaisirs qu'elle te donne. La solitude pourrait servir à lire davantage. Je lis trois, quatre, dix minutes au maximum, je relis les mêmes choses que je cite après à une, dix, vingt personnes, ou lorsque je fais de la politique, à cent ou mille: et ce sont toujours les mêmes citations, comme une vieille dame qui montre toujours les mêmes bijoux. Mais ce sont des lectures qui sont entrées dans moi, elles deviennent ma chair et mon sang, que je donne aux autres.

Bien sûr j'aimerais en avoir d'autres, mais où trouver le temps? Et pourtant, si quelqu'un veut me voir, un ami qui passe par Rome, quelqu'un qui a absolument besoin de me voir, j'arrive à trouver une place dans mon agenda, même s'il n'y a pas un seul espace de libre. Une opération qui me remplit de satisfaction, qui me fait croire en moi-même.

Playboy: Ce n'est pas possible qu'il n'y ait personne, parmi les politiciens militants, qui t'ait enseigné quelque chose.

Pannella: Vraiment je ne vois pas qui. Riccardo Lombardi est bien sûr une éternelle leçon. La Malfa, peut-être, à certains moments. J'ai été assez proche de La Malfa. Il m'a montré assez de bienveillance, lui, dont on dit qu'il ne tolérait personne. Le Crespi fascinant des temps modernes m'a déçu. Qu'a fait La Malfa? La libéralisation des échanges, dit-on. Et après? Qu'est-ce qui a changé, avec la libéralisation des échanges? Tout est resté comme avant. La politique c'est ce qui marque, ce qui détermine le développement, la croissance. Mais vois son insensibilité aux problèmes des droits civils, sa constante et unique attention aux phénomènes économiques, toujours à proposer et à reproposer de petites solutions.

Playboy: Mais ce n'est pas seulement La Malfa, comme tu dis. Il y a d'autres problèmes qui pressent aujourd'hui. Et toi, vois-tu une coïncidence entre droits civils et les instances sociales? Ne crains-tu pas que le fait de placer les uns avant les autres, ne crée pour toi, pour ton parti, une impopularité mal commode?

Pannella: Les Droits civils et les instances sociales coïncident. La lutte pour le divorce a été la lutte contre le divorce de classe, la lutte pour l'avortement, la lutte contre l'avortement de classe. Chaque problème civil non résolu porte à l'injustice sociale. Le résoudre signifie affronter et vaincre l'injustice. Outre nos problèmes, ils mettent à nu la vérité de chacun de nous. Si Fanfani dit non à un certain article en faveur des travailleurs, il est même possible que l'on trouve un alibi, que sais-je, la contingence malheureuse, le rapport avec le patronnat, des choses de ce genre; s'il dit non au referendum, quel est son alibi? Mis à nu, il n'aura plus d'armes, ou alors il en aura moins.

Playboy: Quelles forces, en dehors des partis, considères-tu défavorables aux batailles que tu mènes?

Pannella: Naturellement, les forces clérico-corporatives. Et les "laïcs de régime", ceux qui utilisent leur laïcisme pour se garantir une tranche de pouvoir, et tels sont de nombreux hommes de culture, la grande majorité des dirigeants politiques et des parlementaires; ils ne diffèrent pas des catholiques démochrétiens.

Playboy: Même les forces de gauche vous ont défini comme une minorité brouillon et fondamentalement ennemie des intérêts parlementaires.

Pannella: Si ce n'était que cela! On nous a même traités de "lèches-bottes de Fanfani", et pire encore! La vérité est que l'on nous a craint! Jusqu'au referendum. Et ils nous ont attaqués avec habileté, avec une rigueur scientifique que les démochrétiens n'ont pas, parce qu'entre les mailles de la DC, des contradictions arrivent à passer, mais pas entre celles du PCI.

Playboy: Quant à moi, je dis que si aujourd'hui je peux comprendre le socialisme, je le dois aux idéaux démocratiques et libéraux classiques. Le socialisme me va très bien, comme les libéraux, les libertaires, les marxistes. Ce qui ne va pas, c'est le marxisme-léninisme, la culture marxiste-léniniste, elle devient inexorablement petite-bourgeoise, avec des caractères répressifs. Parce que la matière commune à tous les dirigeants italiens c'est la conviction d'être investis pour agir pour le bien du peuple, ce peuple qui, sous couvert de tant de belles paroles, est considéré comme un couillon, et être investis pour agir signifie éliminer tout concurrent. Mais en ce moment, avec les communistes, nous sommes dans une phase plus tranquille. Du reste, quelques uns d'entre eux ont toujours été assez proches de nous-autres radicaux, comme Umberto Terracini et Fausto Gullo.

Playboy: Maintenant les radicaux sont en train de devenir populaires. Riccardo Lombardi dit que cette popularité peut devenir dangereuse. Il dit que leur suite est une bouchée gourmande pour les partis qui espèrent obtenir les voix qui iraient potentiellement au Parti Radical.

Pannella: Le danger est pour les autres, s'ils jouent, en mauvaise foi, sur la popularité des radicaux. On naît fils de pute; si pendant dix ans on fait tout son possible pour prouver qu'on ne l'est pas, mais pratiquement on l'est: celui qui va avec lui devient-il lui aussi un fils de pute? Les radicaux lâchent difficilement leur position, maintenant qu'ils sont forts et sûrs d'eux, encore moins. Le risque, si risque il y a, ce sont les autres qui le courent.

Playboy: Tu penses que tu as une mission à remplir? Et que les hommes ont également à la remplir?

Pannella: Je ne crois pas dans les missions, comme je ne crois pas au destin, dans la prédestination, dans la vocation et toutes ces conneries. Je déteste surtout l'idée du sacrifice.

Playboy: Mais le jeûne...

Pannella: Le jeûne! Le jeûne n'est pas agréable, d'accord. Et moi en général je mange plutôt bien. Mais le jeûne est la seule arme à la disposition de ceux qui font partie d'une minorité et qui détestent la seule idée de violence, et donc je choisis cette arme. Et du moment que je la choisis, j'en suis heureux, exalté. Arrigo Benedetti m'a imaginé une fois, enfermé entre quatre murs, émacié, en colloque avec les morts. Mais moi je suis sur la place et je suis exalté. L'esprit de sacrifice, l'éthique et l'étichette du sacrifice ne sont pas pour moi. Je déteste tout cela, et la lutte héroïque, la catharsis: moi je veux vivre et être heureux, et je veux que mes camarades vivent et soient heureux, j'éprouve donc de la répugnance pour leur sacrifice. C'est le devoir d'un militant d'être vivant et heureux, et non pas mort et héros.

Playboy: Peux-tu me dire en quoi tu crois, et en quoi tu ne crois pas?

Pannella: Je ne crois pas au pouvoir avant tout. Je crois dans les gens. Mon mouvement, les radicaux, proposent ces referendum. Nous sommes sûrs de gagner, d'obtenir 80% des voix, que chacun sera plus content d'apposer sa propre signature pour plusieurs referendum que pour un seul. 80% des personnes sont profondément d'accord avec nous, mais pas les institutions, d'où la dichotomie qui nous tourmente. Mais nous sommes sûrs de gagner. Notre force c'est d'exprimer ce qui s'appelle le sentiment commun des gens. Et je crois dans la parole que l'on écoute et que l'on dit, partout, à l'école, au lit, dans les rues, sur les places, tandis que je ne crois pas à l'invective, comme je ne crois pas aux textes sacrés ou aux idéologies.

Playboy: Tu es un personnage très discuté. On t'aime ou on te déteste. Ton nom suffit à faire hurler de rage...

Pannella: Ceux qui m'aiment, en réalité me rendent mon amour. Ceux qui me détestent ne font qu'exprimer la haine normale pour le "différent", la même forme de haine qui fait baver sur l'homosexuel qui ne fait de mal à personne, sur la femme qui essaye de sortir de sa traditionnelle oppression séculaire, sur les pauvres... Outre ces "différents" il y en a d'autres, et ils sont fortement haïs: ceux qui croient dans la liberté.

Playboy: Toi, personnellement, tu es devenu très populaire, entre autre, après ton apparition à la télévision. Tu as réussi à donner une secousse aux gens. Tout le monde a suivi ta bataille, on s'est demandé: réussira-t-il? Le petit écran avait "mis en cage" des gens bien plus casse-pieds que toi. Tu as eu de la chance, un cas unique ou presque... Mais est-ce-que quelque chose a changé dans ta vie, après avoir réussi à t'emparer du sanctuaire des médias?

Pannella: Bien sûr. Maintenant les gens m'arrêtent dans la rue, dans le train, un peu partout. Des lettres arrivent, par centaines, de jeunes et de moins jeunes: quelques fois des familles entières m'écrivent, trois générations. Ils me disent d'aller de l'avant, ils m'offrent leur amitié, ils me demandent ce qu'ils peuvent faire. Ils se sentent exclus. Notre culture nous habitue à nous considérer des inutiles, irrémédiablement seuls. Je n'ai guère eu beaucoup de temps, ces derniers mois, pour leur répondre: je le ferai.

En attendant, avec conviction et avec beaucoup de confiance, je demandes à tous de s'inscrire au Parti Radical, même s'ils ne se sont jamais inscrits dans un parti, au contraire: ou bien s'ils le sont et s'ils veulent rester inscrits à d'autres organisations. C'est avec un Parti Radical plus fort, que même la "Ligue du 12 Mai" et toute autre lutte organisée pour l'alternative, peuvent espérer atteindre leurs objectifs. Même le renouvellement de la gauche traditionnelle, dans toutes ses composantes, depuis la communiste jusqu'à la républicaine, de la socialiste à la libérale, passe à travers l'initiative unitaire et libertaire du mouvement radical.

Playboy: A la télévision, dans les débats, à chaque fois que tu grimpes sur une caisse à savon ou sur un podium improvisé, on te demande de parler de fascisme, du fascisme d'aujourd'hui... Ce sont les choses qu'en général on demande aux politiciens. Mais qu'est-ce que le fascisme? Et qui doit-être considéré fasciste aujourd'hui, du moins selon Marco Pannella et ceux qui sympatisent pour lui?

Pannella: Les "missini" (du Mouvement Social Italien, NDT) ne sont que des paleofascistes. C'est une question qui ne m'intéresse pas. Pour moi, les véritables fascistes d'aujourd'hui ce sont les démochrétiens, porteurs du message autoritaire classiste, comme l'était le fascisme d'autrefois. Je suis d'accord avec l'ami Pasolini lorsqu'il dit que rien ne distingue les leaders de Mussolini de ceux d'aujourd'hui. Et tous les discours d'antifascisme de nos dirigeants politiques, ne font que laisser libre cours à l'émotion et l'indignation populaire contre le fascisme, et dissimuler - plutôt mal - la tentative de détourner l'attention d'eux-mêmes, pour pouvoir se présenter comme des démocrates. Il n'y a aucune rupture entre l'Italie de Mussolini et l'Italie du fascisme démocratique: Mussolini torse-nu dans le Pontin est peut-être plus sympathique, et Paolo Bonomi, qui depuis trente ans fait son dictateur dans nos campagnes comme chef des cultivateurs directs, n'est pas différent.

Playboy: Ce que tu dis est bien différent de ceux que disent d'ordinaire les politiciens. Dans une situation aussi confuse et contradictoire, volontairement sans doute, ta réponse n'est certes pas évasive. Tu ne coupes pas les cheveux en quatre, mais tu te sers de la hâche.

Pannella: Oui. Mais en Italie, depuis plusieurs années, de tous côtés, on poursuit une opération de digression coupable. Se déchaîner contre Almirante et ses suiveurs; ressusciter la haine contre les jeunes gens qui entrèrent dans la République Sociale Italienne, est une chose stupide; mais pas seulement stupide, car cela sert une fois de plus à se révéler des esclaves du pouvoir et du fascisme, qui prospèrent aujourd'hui dans notre pays sous la bannière démochrétienne. Etre antifasciste ne peut signifier aujourd'hui qu'être antidémochrétien. Si nous éprouvons de la colère ou du mépris, faisons-le contre les successeurs réels, historiques, du fascisme d'état. C'est ce que nous faisons, nous, radicaux.

Playboy: En ce moment tu peux te considérer vainqueur. Tu as battu et mis en déroute l'adversaire en appliquant avec lucidité la technique désormais rôdée de la contestation. Et ton palmarès s'enrichit: la bataille pour le referendum, la lutte contre le monopole et l'excès de pouvoir de la radiotélévision, qui s'est terminée par la démission de Bernabeï, à la veille de votre marche de protestation...

Pannella: Il était clair désormais, que ce personnage devait quitter la Rai. Après la sentence de la Cour Constitutionnelle, qui confirmait à quel point la Rai agissait sur un terrain d'illégalité par rapport aux droits du citoyen, Bernabei ne pouvait que s'en aller. Bernabei, le plus grand responsable de la désinformation, celui qui plus que tout autre personnifiait la violence contre le citoyen... Parce que la violence, la violence physique n'est pas seulement toucher l'être humain dans son corps, mais dans l'esprit, en le privant de ses droits, en le mitraillant avec de fausses nouvelles, ou des nouvelles tendancieuses, en lui retirant peu à peu la faculté de penser, donc en modifiant sa nature même. Nous avons obtenu quelques succès. Et c'est grâce à notre obstination, à notre force et à notre volonté de recommencer toujours de zero, sans nous laisser abattre par les défaites, en refusant de survivre, en voulant vivre pleinement... C'est grâce à notre confiance, à notre espérance.

Playboy: Si tu devais faire un bilan, si un soir, après minuit, le correspondant d'un grand quotidien étranger, te téléphonais pour te demander: "Marco, en trente secondes, explique-moi ce qui est en train de se passer en Italie"... Que répondrais-tu?

Pannella: Il est toujours difficile de faire un bilan, parce que la réalité change continuellement. Il m'arrive souvent, ces temps derniers, surtout à l'étranger, que l'on me demande ce qui se passe en Italie de si épouvantable, dans ce pays qui semblait si bien lancé dans la voie du miracle économique... Je réponds que les choses qui arrivent sont des choses qui étaient prévues, qu'il ne pouvait en être autrement, avec cette classe dirigeante que rien ne distingue de ceux qui étaient au pouvoir au temps de Mussolini. A cette différence près qu'aujourd'hui nous sommes un pays industriel, alors qu'autrefois nous étions un Pays de paysans. Mais il se passe aussi une chose qui justifie même un certain optimisme: la classe dirigeante commence pour la première fois à douter d'elle-même et à se pencher sur ses propres erreurs.

 
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