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Pannella Marco - 23 gennaio 1975
FRANCE: LES ORPHELINS DU GENERAL PARLENT
Voyage dans le vide gaulliste

de Marco Pannella

SOMMAIRE: "Je ne suis pas à ma place parmi les gaullistes, ils sont radicaux", déclare à "Il Mondo" le président de la Chambre, Edgar Faure. "Une rencontre avec les socialistes n'est pas du tout à exclure", assure l'ex-président du Conseil, Debré. En attendant, le président Giscard, qui devait se rendre au Vatican, a annulé son voyage en signe de protestation contre l'intervention du Saint Siège sur l'avortement. Le vrai patron du parti est le premier ministre Jacques Chirac. Qu'en pensent les représentants du "clan corse", le ministre Tomasini et l'ex-secrétaire général de l'UDR, Sanguinetti? Les ivresses de Michel Jobert et les déclarations du président du groupe parlementaire Claude Labbé.

(IL MONDO, 23 janvier 1975)

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PARIS. "Je me trouve dans une situation paradoxale. Je ne suis pas à ma place", me dit Edgar Faure, tout en s'installant dans le fauteuil de son bureau privé de président de la Chambre, au palais Bourbon. "Je suis un radical. Mais le seul parti radical qui existe est celui de Robert Fabre, qui n'est pas beaucoup plus qu'une appendice du parti socialiste de Mitterrand. L'autre, dont on m'offrirait la présidence, celui de Jean-Jacques Servan Schreiber, on ne sait pas trop à quoi il ressemble. Le programme commun de la gauche est trop marqué par des nécessités opératives et électorales: si cette explication et cette justification n'étaient pas valables, ce ne serait qu'un tas d'âneries. Vous me demandez quelles sont les perspectives, la logique, les intérêts effectifs, les projections, et peut-être même les mythes de la majorité gaulliste. Je vous confesse que moi-même je n'ai pas encore une réponse. A son intérieur, certes, je ne suis pas à mon aise, je porte des habits qui ne m'appartiennent pas. Alors, que v

oulez-vous que je fasse? Je suis bien le président de la Chambre et cela comporte des obligations et des limitations de l'initiative politique particulière. Mais je m'interroge".

Sa femme Lucie, écrivain actif et femme de talent, sa nymphe Egérie, lui a sévèrement reproché cette excessive propension à s'interroger, quand il fallait agir, le printemps dernier, à la mort de Pompidou. Tout le monde donnait Faure comme partant sûr de la course à la succession, et on attribuait généralement à sa présidence de la Chambre, la fonction de rampe de lancement pour l'Elysée. Ce personnage qui a la volupté de l'intelligence, des idées, des dialogues, du pouvoir, du fauteuil et des livres, et peut-être désormais plus de vanité que d'ambition, évoque bien cent ans de radicalisme bourgeois, tolérant et de classe, qui fut expression de la dictature cachée de l'hétérogène province française, sur la région parisienne industrielle, sur les structures jacobines, centralisées, de l'état, plutôt que produit "radical" des classes émergentes et d'alternatives sociales. On se rappelle que l'"opportunisme" tant condamné fut à l'origine d'une définition positive du parlementarisme "démocratique" de Gambetta, e

t l'idéologie officielle de la troisième et quatrième république, et cent ans de pouvoir en 1955. Faure fut le plus jeune ministre, le plus jeune président du Conseil de la République. Il se convertit immédiatement, en 1958, au nouveau souverain, au général De Gaulle. Il en devint un "grand commis": c'est à lui que l'on doit le succès de la politique de convergence et d'alliance diplomatique, au début des années 60, entre Pékin et Paris. En 1968, à nouveau ministre de l'Instruction, il propose une réforme vraiment radicale, mais abstraite, et que ses successeurs ne réaliseront pas.

"Les thèmes gaullistes", continue le président Faure, "ont triomphé historiquement (indépendance nationale comme condition nécessaire pour des résolutions et des réformes, pour de nouvelles institutions) si bien qu'ils ne sont plus un élément de définition politique mais patrimoine d'une grande partie de la coalition de parti. D'autre part, ce n'est pas vrai que le pays est divisé, coupé en deux. Les vraies majorités sont celles que j'appelle majorités d'idées, sur lesquelles on peut retrouver ce deux-tiers d'adhésions qui permettent vraiment gouvernement et progrès. Autrement, ce qui semble être réglé par une politique déterminée, n'est en réalité réglé que par l'inaction. C'est la théorie mathématique des ensembles..."

Le cadavre dans l'armoire

Que voulez-vous faire? "Giscard se considère à gauche, on le voit à droite. Mais même un bon nombre de gaullistes de mon groupe ("nouveau contrat social"), députés gaullistes pour la plupart, qui émettaient de fortes réserves sur lui, se considérant plus progressistes et ouverts socialement, hésitaient à voter ces dernières semaines pour la nouvelle réglementation de l'avortement.

Giscard s'inscrit pleinement sur la ligne de De Gaulle; il devrait donc être soutenu par l'UDR et par ses leaders plus traditionnels ou prestigieux; ce qui n'est pas le cas, spontanément du moins. Giscard devrait désormais avoir son propre parti, qui d'autre part coïncide avec celui qui est ou qui pourrait être le mien...". Je quitte Edgar Faure; ce n'est point de ce baron assis, même si au sommet de l'état, que je tirerai quoi que ce soit qui ressemble à une apologie ou à une auto-défense politique de la composante gaulliste de la majorité. Je me rends alors chez Michel Debré, le très fidèle de toujours, la vestale de la pensée, de la moralité, de la "grandeur" nationale et gaulliste; jacobin traditionnel, nationaliste acharné, pendant des années la seule voix en France de l'opposition gaulliste (tandis que De Gaulle tramait activement dans le "prétendu" silence de Colombey, pour faire crouler la quatrième République mais faisait déclarer que n'étant pas d'accord, il se taisait). Ses interventions sur son p

etit journal personnel, le "Courrier de la Colère", étaient des invectives auxquelles seul l'autre jacobin d'alors, François Mitterrand, dans les gouvernements républicains, savait oratoirement correspondre de façon appropriée. Président du Conseil avant Pompidou, lors des pires années de la guerre d'Algérie, de la crise de l'armée, des luttes contre tout ce qui n'apparaissait pas "orthodoxe", c'est à dire d'obéissance quotidienne à De Gaulle, il est encore considéré par nombre de gens comme le "baron" combattant, capable de déchaîner de nouvelles luttes d'alternative et de succession.

Je trouve un Debré prudent, peut-être incertain. Mais il est ferme quand il déclare: "A partir d'une indépendance nationale qui soit vraiment affirmée en commun, non plus mise en cause ou en danger par des retours au passé, l'hypothèse d'une rencontre entre le mouvement gaulliste et le parti socialiste n'est plus du tout à écarter. Mais, pendant deux ans au moins, les problèmes de l'inflation et du chômage dicteront leurs urgences, et seront considérés, à tort ou à raison, comme étant les principaux".

Je pense que cette affirmation de Debré puisse susciter une certaine surprise et plus d'une interprétation. Depuis que je l'ai entendue, beaucoup de choses se sont passées qui semblent avoir rendu Debré plus polémique, dans ses sentiments, plus décidé à contester à l'actuelle, nouvelle direction, le contrôle de l'UDR ou la légitimité de la représentation gaulliste. Il est donc possible que parmi les hypothèses qu'il est en train de prendre en considération, se trouve effectivement celle d'un renversement progressif des alliances. Mais qui le suivrait? Et qui le suit vraiment, déjà aujourd'hui?

"On insiste sur un vieux projet", poursuit Debré. "Qui jusqu'à présent est perdant: on cherche à substituer l'UDR, en la faisant éclater, avec le soit-disant "changement", comme hier avec l'"ouverture" de la majorité, en intégrant les "centristes" et en poussant les socialistes à la convergence, pour aller ensuite aux élections anticipées, et casser en cette occasion l'UDR, pour en réduire le prééminent et conditionnant poids parlementaire. Mais, malgré les polémiques, l'alliance social-communiste est à même, dans ce cas là, de pouvoir menacer de les gagner. Et il s'agit d'un bon déterrent contre l'opération".

Je regarde l'armoire et je me demande si par hasard Debré n'y aurait pas caché le cadavre de son mouvement, pour ne pas le voir. "Un autre objectif, moins tactique, encore plus qualifiant, mais ayant trait à l'opération contre l'UDR, est celui d'un atlantisme et d'une Europe au-dessus de l'indépendance, avec une nouvelle politique méditerranéenne; avec l'abandon de la seule défense nationale possible et, même sur le plan des institutions, avec des réformes électorales qui rétablissent la proportionnelle. Rien de définitif, pour l'instant, n'a été acquis en ce sens. Le Budget militaire est victime de l'inflation, on ne fait rien pour le défendre. Si cela est simplement du à la conjoncture, pendant un an, ça peut passer... Autrement...On dit qu'il n'y aura pas de politique d'intégration sur-nationale. On le dit. Nous verrons. Il y un soit-disant "libéralisme" qui, au contraire, est plutôt un laissez faire. Il n'y a pas un évident effort de guide économique, ce qui d'autre part n'est pas dans la vraie perspecti

ve de ce pouvoir. Comme pour Pompidou, avec Giscard on a l'impression de naviguer à vue. Même le vocabulaire et le style font la substance politique, ils ont du poids, ils sont fonction nécessaire et qualifiante des objectifs. Plus de volontarisme est nécessaire et ce sont les socialistes à l'avoir et à le montrer. C'était la même chose pour Messmer...".

"Monsieur le président", je lui rappelle, "vous avez durement polémisé contre le projet de libéralisation de l'avortement, et avec d'autres leaders gaullistes vous avez voté contre. C'était pourtant le gouvernement Messmer qui l'avait présenté, l'année dernière. Et vous ne craignez pas que cette identification avec la minorité cléricale et autoritaire, vous nuise?".

"Je ne me suis pas trompé avec la campagne de pression certaines fois terroriste sur les thèmes de "laissez les vivre". Même si tout ce qui touche à la vie doit être manié avec prudence par les lois de l'état: on sait par où l'on commence, on ne sait où l'on va. Je l'ai dit et j'en suis convaincu. Mais je pense avoir interprété avant tout un vieux sentiment national français, pas d'aujourd'hui, de toujours: le tourment de la dénatalité.

Une politique démographique...". Monsieur le président, je connais l'argument: le nombre est puissance. Je l'ai appris à l'école, dans l'Italie des années trente.

Mais décidément, cet avortement me donne des leçons même à Paris. En effet: "Si vous rencontrez Amanrich à Rome, saluez-le de ma part. Mais si vous voulez un conseil, ne lui parlez pas d'avortement: il risquerait un épanchement de bile", me confie un ministre, le même qui, pour m'illustrer les rapports entre le prince Poniatowski, ministre de l'Intérieur, et le président Valéry Giscard d'Estaing, les avait comparé à Emil Jennings et Marlène Dietrich dans l'"Ange bleu".

"Rome ne vaut pas une messe"

Je ne comprends pas. Nous sommes ici, aujourd'hui, pour parler des gaullistes, de l'UDR; deuxième étape sur la majorité parlementaire dans ce tour d'horizon parmi les forces politiques françaises. Je me souviens à peine que Amanrich est le nouvel ambassadeur de France auprès du saint Siège, et je pense que le ministre sait qu'il est plutôt improbable que je le rencontre. Mais je me trouve avant tout face à un habile et convaincant apologiste du président français, dans l'exercice discret de ses fonctions; ce qu'il raconte par la suite le confirme. "Giscard était d'accord pour une visite au Vatican, au cours du premier trimestre de l'année. De l'Année Sainte, donc. La mission d'Amanrich aurait débuté par un événement prestigieux, un succès sans pareil. Les contacts avec le secrétariat d'état était déjà à bon point, le Quai d'Orsay préparait dossiers et modalités de la visite. Mais quand le Vatican est intervenu, juste à la veille du vote de notre parlement sur la réforme qui est ensuite passée, par son docume

nt contre toute réforme libérale sur l'avortement, Giscard est intervenu immédiatement avec dureté. Quand par la suite il a vu les larmes aux yeux du pauvre Lecanuet, le démo-chrétien qui est ministre de la Justice et qui devait défendre directement le projet avec Simone Veil, il a éclaté: "Rome pour l'instant ne vaut pas cette messe; annulez mon voyage". Amanrich était désolé. Maintenant il semble qu'on recommence à parler de cette possibilité. Mais en attendant, un pèlerin de taille a manqué à l'appel du Pape. Au Vatican on y tenait, parce que si Giscard, un président laïque, s'y fut rendu en cette période, cela pouvait accélérer l'arrivée d'autres illustres personnages, indécis pour l'instant. Et même Domiette Hercolani, en sa qualité de dame noble de l'aristocratie noire, ne verra pas de si tôt Giscard dans l'exercice de ses fonctions, à Rome du moins".

A Paris, dans les chambres du pouvoir, je trouve souvent une étrange atmosphère. Avec Giscard, une génération qui connaît et sait user les blanches salles des boutons électroniques de gouvernement, jeune, surement moderne, porte aussi avec elle des odeurs désuètes: celles monarchiques ou de troisième République, des salons et des "conférences sur l'oreiller", de secrets politiques de petit clan, quand ce n'est pas d'alcôve. Souvent les écouter, les déchiffrer, pourrait ne pas être une curiosité gratuite mais une juste attention à la singulière sociologie du pouvoir qui se dessine. Que le président, Jean-Jacques Servan Schreiber, Simon Nora et Jacques Duhamel aient eu, à vingt ans, à quatre, un commun pied-à-terre, appartient certainement à leur histoire et vie privée et ce serait inconvenant de s'y attarder. Mais quand on a entendu les invectives communistes, toujours plus coléreuses et convaincues, sur l'"oligarchie" qui aujourd'hui plus que jamais, avec Giscard, dominerait la France, ce petit fait lointain

ne manque d'une certaine suggestion. On peut bien accorder, si l'on veut, que l'on se trouve plutôt face à une "nouvelle aristocratie", bourgeoise, libérale, contradictoire, mais pas mesquine et lâche, comme la droite est habituée à nous offrir. Le ministre auquel je fais ces réflexions, ne les réfute pas. "Je n'oubliais pas" continue-t-il "l'objet de notre conversation. Mais Giscard qui renvoie ou annule, silencieusement autant que résolument, le voyage au Vatican, montre un sens de l'état, de son autonomie et dignité, que De Gaulle affirmait avec un style certes différent, avec grandiloquence, ou dédain. En définitive, aussi bien les gaullistes qui le détestaient que les communistes, semblent commencer à se demander s'ils se trouvent vraiment face au "président américain" qu'ils craignaient...Quoi qu'il en soit, la situation est en train de se renverser en quelques mois. C'est comme si toute la classe dirigeante française était en train de se souder furtivement, mais cette fois, non plus contre Giscard: c

ontre Mitterrand. Les plus grands bouleversements des équilibres traditionnels viennent de ce côté là, s'il continue à croître. C'est pour cela que le mouvement gaulliste verra disparaître ou se déplacer ailleurs, beaucoup de ses chefs traditionnels, de ses "barons", tandis que sa majorité de parlementaires, de notables, d'électeurs, confluera dans le "parti du président" que nous constituerons avant les élections anticipées, en 1976, en automne probablement, où finiront par se dissoudre même les "républicains indépendants", les centristes des différentes familles; avec une petite appendice radicale-réformatrice et sociale-démocratique, à gauche". D'autres prophéties? Nous sommes au début de l'année.

"Giscard réussira, à la fin, à obtenir ce qu'il veut: gouverner même avec les socialistes. Les communistes ne croient plus dans la victoire de la gauche unie dans les prochaines années: ils ne la désirent même pas. Nous changerons les lois électorales: ainsi, beaucoup de maires et beaucoup de parlementaires socialistes ne seront pas élus nécessairement en alliance avec les communistes. Mais nous avons besoin, pour cela, de trois ou quatre ans, pas d'un seul". Et les gaullistes?

"Ce sont les giscardiens, désormais. Chirac n'a d'autre perspective que celle d'être à Giscard plus longuement, que ce que Debré et puis Pompidou ont été à De Gaulle. Avec plus de force de négociation et garantie de continuité. Et Chirac est désormais le "patron" de l'UDR. Aujourd'hui le numéro deux du pouvoir c'est lui, pas Poniatowski. Il y a un an, il était à peu près un inconnu".

Il ajoute beaucoup de bien sur le premier ministre: la quarantaine, vigoureux dévorateur de dossiers, parmi les plus capables des technocrates d'état, homme politique ambitieux, dur, prudent, tenace et capable d'être très lié politiquement à Pompidou, c'est un "gaulliste" trop jeune pour avoir associé à la "figure du père", De Gaulle, chacun de ses propos politiques généraux. "Mais cela durera" ajoute-t-il "jusqu'à ce que Giscard ne considérera pas qu'il devient trop fort et nécessaire". Mais alors, les communistes français ont-ils vraiment tort? J'avais rencontré certains leaders gaullistes juste à la veille du comité central du mois de décembre, de cette "nuit des longs couteaux" qui a transformé traumatiquement leur mouvement, l'UDR, en "cosa nostra" de Jacques Chirac, premier ministre du président Giscard d'Estaing, et de son "clan corse", conduit par le ministre Sanguinetti, et par le député Charles Pasqua. Les jeux n'étaient pas encore faits. Tomasini pensait que la confrontation définitive entre l'ail

e giscardienne conduite par Chirac et le reste du mouvement, n'aurait eu lieu qu'en février.

La sortie de Chirac

"Certes", me confirmait-il, "ceux qui sont appelés "barons du gaullisme", parmi lesquels les ex-présidents Debré, Messmer, Chaban-Delmas, Couve de Meurville, ou d'autres comme Olivier Guichard, n'aiment pas le pli que les événements sont en train de prendre. Leur prestige reste grand parmi un certain genre de militant et pour beaucoup, un développement de l'UDR qui ne soit pas celui qu'ils indiquent, quand ils l'indiquent, est impensable. Mais la force politique, désormais, est de notre côté. En attendant ils sont divisés, plus que ce qui ne semble. Chaban, après le désastre du moi de mai, où il entraîna le mouvement gaulliste, n'a plus la possibilité de représenter une ligne politique majoritaire. Couve, Messmer...on verra, ce ne sont pas des problèmes difficiles. Il reste Debré et Olivier Guichard. Je sais, ils pensent à ce dernier comme prochain secrétaire général à la place de Sanguinetti. Olivier est certes un homme politique de taille. Il aime, connaît et sait utiliser le pouvoir. Il sait que, certaine

s positions du gaullisme respectées (l'actuelle Constitution, l'autonomie en politique internationale et de la défense nationale), le nôtre est un mouvement qui ne peut être changé aujourd'hui en un parti d'opposition traditionnel ou, quoi qu'il en soit, de quatrième République. Giscard et Chirac ne pouvaient qu'en être, et sont en train d'en devenir toujours plus, ses principaux points de référence. De toute façon, s'ils essayent avec Guichard, nous opposerons Chirac".

René Tomasini se tait un instant pour étudier ma réaction. Le premier ministre qui s'expose à être, sinon battu, du moins combattu très durement pour devenir le successeur d'Alexandre Sanguinetti? Le premier ministre, chef d'un parti? "Mais je vous demande de ne pas l'écrire, absolument; de ne pas en parler. Que voulez vous qu'ils fassent? Je vous le dirai. Ils crieront un peu. Celui qui se prépare de toute façon à faire ses valises et à s'en aller, s'en ira. Mais ce sont des forces, et peut-être même des personnages, marginaux. Croyez moi, nous sommes certains, et tranquilles".

La presse et les commentateurs politiques français sont unanimes en affirmant que la sensationnelle sortie de Chirac aurait été décidée en quelques heures, après un dîner avec les barons, la nuit précédent le comité central de l'UDR. Avant que l'opération ne se conclue, j'ai rapporté à quelques collègues français, en en taisant la source, le propos du ministre. Ils me répondirent, unanimes, qu'il s'agissait d'une action impensable. Elle se réalisa une semaine plus tard! Plus de deux heures avec un homme de gouvernement comme René Tommasini me remettent dans une dimension politique que je connais parfaitement. Ce qui l'intéresse, connaît, le passionne, est uniquement l'emploi du pouvoir pour le garder, l'augmenter si possible. Rien d'autre. Chez nous, ce serait un parfait "fanfaniano" (1); un Gioia (2), par exemple. Mais je me demande, pourquoi pas un parfait "doroteo" (3), ou un parfait "moroteo" (4), ou un "basiste"? C'est un guide précieux, un connaisseur profond du bois et du sous-bois parlementaire et de

celui politique. Aujourd'hui Alexandre Sanguinetti se tait. Adversaire agressif et polémique de Chirac et de ceux qui n'avaient pas soutenu le candidat officiel du mouvement gaulliste, Chaban Delmas, après l'échec, il avait continué pendant quelques semaines à diriger l'UDR avec jactance, et aussi avec un certain optimisme sympathique autant que vain, en professant une volonté d'ample autonomie à l'égard de la politique giscardienne. Puis, plus réalistement, il avait tenté une relance en se portant du coté de Chirac.

Il devait se sentir tranquille quand il m'a reçu. Je suis certain qu'à quelques jours de ses démissions et de son appui à la candidature Chirac, qu'il n'aurait jamais imaginé de devoir arriver, et même d'une façon foudroyante, a s'effacer de la plus grande charge de responsabilité de l'UDR, sans combattre. Une de ses principales occupations semblait être de démolir toute crédibilité de l'ex-ministre des Affaires étrangères Jobert, descendu sur le terrain avec un grand éclat; et celle d'accumuler des mérites auprès de la base de l'UDR, les "hommes de Chirac", et auprès de la presse, pour s'affirmer comme successeur de lui-même à la direction du mouvement, en opposition aux "barons". "Jobert?", me demande-t-il presque avec stupeur. "Pour vous aussi c'est un point d'interrogation? Gardez-le. Vous n'en tirerez rien d'autre: pas même dans sept ans. Il est comme un homme qui découvre l'amour à cinquante ans: il est enivré. Et Jobert, après ses quelques mois de ministère des affaires étrangères avec Messmer et Pomp

idou, les avions et les sommets internationaux, l'est maintenant devant la politique. Avez-vous lu son livre? Quand un homme politique n'a rien de mieux que de proposer la chronique de son enfance! Il essayera de réunir à peu près trois pour-cent des suffrages. Pourquoi croyez-vous que la presse, "Le Monde" en particulier, lui accorde tant de place? Parce que Jobert peut, d'une certaine façon, amener à la gauche les votes qui lui manquent. Ne croyez pas à ceux qui déclarent penser, au contraire, que l'opération inverse soit en train de se passer. Qui voulez-vous qui l'écoute? En attendant, il ne sait qu'ânonner son jeu de mots préféré, qu'il échange pour un programme ou un manifeste: "Je ne suis ni dans la majorité ni dans l'opposition, mais autre part". Il en est très fier.

Quelle est la stratégie officielle de l'UDR?, lui ai-je demandé. "Nous avancerons sur notre chemin: nous ne rejoindrons ni la gauche ni la droite. Qu'est ce que la droite, dites-vous? Les soit-disant centristes. Ça ne vous suffit pas? très bien: ce sont les "républicains indépendants" de Giscard d'Estaing. Non, nous ne les avons pas rejoint, ce sont eux qui ont besoin de nous. Pourquoi croyez vous que Giscard se soit rendu sur la tombe de De Gaulle, à Colombey, par affection? Et qu'il se soit fait photographier sur le sous-marin nucléaire? Et qu'il ait liquidé le général Stehling, l'homme de l'industrie et de la politique américaine? La gauche, nous ne la rejoindrons pas même de cette façon. Depuis trente ans nous avons contre nous un homme et un parti: Mitterrand et le parti communiste. Et Mitterrand sur toute la ligne. Même maintenant je ne pense pas que les socialistes soient vraiment comme ils le proclament, contre les positions "européennes" et "atlantiques", pas tous du moins. Et ils se trompent aussi

quand ils pensent qu'une majorité de la bourgeoisie nationale et des forces capitalistes françaises, est acquise à la cause des multinationales. L'indépendance économique et donc politique ne passe pas du tout par leur collectivisme. Si je ne suis pas marxiste, c'est aussi parce que je crois que la politique soit avant tout une affaire de passions et de sentiments: la masse est conservatrice. Les paysans des régions les plus pauvres de France sont conservateurs et ils votent socialiste, toujours. A quoi cela leur sert-il? Chacun est conservateur de soi-même. Il est vrai que maintenant la France est coupée en deux entre majorité et minorité, mais les perspectives ne sont pas dans cette division. La crise est moins grave qu'en Italie; les déséquilibres sont moins graves, nous nous sommes débarrassés depuis longtemps des forces cléricales, nous avons moins de violence dans les conflits sociaux et politiques, nous sommes surpris quand nous voyons comment agit la police italienne. Inimaginable, ici, que l'on tire

".

Orléanistes ou Troisième Etat?

Je me souviens d'Alexandre Sanguinetti, en 1961, directeur de cabinet du ministre Frey, à l'Intérieur, quand des policiers de l'Oas massacrèrent de pacifiques manifestants pour la paix en Algérie, en lançant contre la foule entassée à l'entrée souterraine de la station de métro Charonne, les tables de marbre des cafés voisins. Je l'interromps par un seul mot:"Charonne". Sanguinetti hésite un instant, interdit:"Qu'est-ce-que ça à voir? Ne croyez pas à ce qu'ils racontent. J'étais en position de responsabilité, à ce moment là. Qu'est-ce-que la police a à voir dans cette histoire? Les huit morts furent victimes de la foule qui les a écrasés. Non, vos "celerini" (5) seraient inimaginables ici. Nous n'avons pas besoin de violence, nous sonnes une réalité irréfrénable de la société nationale. Donnez un coup d'oeil à ces dix pièces, le siège central du mouvement qui regroupe à lui seul près de la moitié des parlementaires français. Aurait-il quelque chose à voir avec un immeuble de l'EUR (6) de la démocratie chréti

enne? Est-ce-qu'il en a peut-être l'argent?".

Sanguinetti est sincère sur ce point. Probablement, s'il avait été en condition de payer une centaine de millions pour couvrir les dettes de l'UDR et d'investir les cinquante millions nécessaires à un congrès extraordinaire du mouvement, il serait encore secrétaire général. Les sous, d'habitude, sont administrés par les barons ou les ministres. Sauf quelques uns. Il y a, en France, des procès sensationnels qui se préparent. A l'origine, dans nombre de régions, des individus louches, marseillais ou corses, qui se sont insérés plus ou moins dans la Résistance française comme la mafia sicilienne lors du débarquement américain, étaient les plus hauts responsables des Sac, les commandos de défense gaulliste. Arrêtés, ils s'obstinent maintenant à déclarer que les milliards, fruit de leurs attaques, de la drogue, des casinos dont ils sont devenus propriétaires, des grands circuits de la prostitution, étaient destinés au financement d'un grand et pauvre mouvement. Certes, ils mentent. Mais les protections politiques

dont ils ont souvent joui, font partie des dossiers que le ministre de l'Intérieur Poniatowski a avidement accumulés...

"Les rapports avec le gouvernement sont complexes; nous devons avoir notre autonomie. Etre vigilants, ou critiques, ou attentifs. Sur le plan économique, il rafistole. Des prêts pour l'automobile, pas un sous pour l'informatique...". "Il est vrai que le premier ministre est de l'UDR et la représente, aussi, dans un certain sens. Mais je ne suis pas un prophète, je ne sais pas comment tout cela finira...". Il avait raison, Alexandre Sanguinetti. Chirac et Tomasini ne le lui avaient pas encore dit. Huit jours plus tard la bombe explose: Sanguinetti se démet à l'improviste, proposant Chirac à sa place. Disparaissant, pour l'instant, de la vie politique officielle, avec un vague poste de consultant politique dans un ministère, mais ayant bien mérité, par son sacrifice, l'estime du pouvoir. Le président du groupe parlementaire UDR, réélu à l'unanimité ces jours ci, Claude Labbé, porte bien son nom: d'un abbé, il a le maintien grave et curial, une médiocrité argentée et consciente. Il est entré dans les ordres et

il a pris tout jeune l'habit gaulliste. "Je n'ai jamais fait de politique si ce n'est avec De Gaulle, jeune officier au début, puis militant et exposant RPF, UNR, UDR...Je suis totalement gaulliste comme un autre peut être socialiste", répète-t-il, pour ajouter:"Qu'est-ce-qui nous unit aujourd'hui? Un fait historique, de génération politique et d'état civil aussi, qui nous a marqué, tout différents que nous étions, et qui nous caractérise souvent, malgré nous ou sans que nous en soyons à connaissance. Ensuite, il y a le fait que notre groupe parlementaire est la partie essentielle, quantitativement et qualitativement, de la majorité parlementaire et même présidentielle.". Le président Labbé me pardonnera si je ne le cite pas amplement, comme je voudrais pour répondre à sa patience et à sa courtoisie. Mais l'essentiel, c'est lui qui l'a dit. Le mouvement gaulliste est irréductiblement un fait de génération, qui s'est formée et organisée dans des circonstances historiques particulières et qui ne peuvent se rép

éter. Il ne peut donc être assassiné, disparaître, mais uniquement s'éteindre. Et il est en train de s'éteindre avec des soubresauts.

Son point de force aujourd'hui est dans le nombre de députés que l'intervention habile et même arbitraire du président Pompidou, lors de la campagne électorale de 1973, sut lui conquérir. Cette force, qui est la force du marais parlementaire, devrait constitutionnellement durer jusqu'aux élections politiques de 1977. Jusqu'alors, son pouvoir de négociation, s'il était uni, mais il ne l'est pas, serait assuré. Mais la nouvelle France politique, à travers ses deux leaders d'aujourd'hui, Giscard et Mitterrand, n'a pas l'intention d'attendre jusqu'alors pour obtenir une représentation et des pouvoirs adéquats et homogènes dans les institutions parlementaires. A moins d'imprévus dramatiques, de nouvelles élections devraient avoir lieu dans deux ans maximum. Alors, beaucoup des actuels députés représentés par le président Labbé reviendront certainement au Parlement. La plupart seront ceux à qui Giscard ordonnera ou permettra à Chirac de donner l'investiture, après l'acte formel de soumission au nouveau souverain.

Peu d'autres, les Hamon et les Pisani, les Charbonnel et les Peyret, avec quelques jeunes de l'Union des Jeunes pour le Progrès, seront réélus par la gauche, divisée ou unie, de Mitterrand, Marchais et Fabre. Le gaullisme ne sera plus qu'un désert où, comme des ombres d'Oedipe, désespérés et bruyants, Michel Debré et quelques uns de ses amis parleront du père et du maître, en se prenant pour des évangélistes et des prophètes. Mais De Gaulle, ce sont eux qui l'ont tué. Quand à la place des idées et des lois, des programmes et de la culture, on place avec violence un homme sur l'autel, et que l'on fait d'un pays et de son propre coeur un lieu d'adoration et d'obéissance, le seul espoir permis est que l'on n'entraîne pas, avec soi, le reste de la société. Sur ce point au moins, les gaullistes auront eu de la chance, par rapport aux idolâtres d'autres pays européens. Avec Chirac, les Albin Chalandon, et les nouveaux "patrons" de l'UDR, De Gaulle n'est déjà plus qu'un bien immobilier qui garantit une rente élevée

de position à quelques uns de ses ex-prêtres et clients. Mais parmi les réformes urgentes annoncées par Giscard, il y a aussi celle d'une redistribution des revenus. Et, à la fin, ce sera sans aucun doute le président de la République, le nouveau, jeune chef d'aujourd'hui, qui finira par en toucher l'essentiel.

Les bonapartistes ont encore une fois perdu, sans provoquer trop de désastres et sans traces des grandes réformes d'hier. La victoire des orléanistes, avec leur nouveau Philippe-Egalité, sera-t-elle cette fois stable ou historique? Ou, plutôt, est-ce le Troisième Etat qui s'apprête à accomplir une seconde, encore plus radicale et profonde révolution de liberté? Le pays est certainement déconcerté, nerveux, traversé par de profonds mouvements d'alternative.

"Regarde-les" me dit Xavier Marchetti, le loyal et bon conseiller de Pompidou, aujourd'hui rédacteur en chef du Figaro rénové, avec son accent de Bastia. "Prends Giscard, Mitterrand et tous les "officiers" d'aujourd'hui, mets leur un collier et pares-les d'un costume d'époque. Ils ont tous la figure des aristocrates qu'ils étaient à Coblence, avec "les autres". Seul Pompidou avait le visage, l'humanité d'un de ceux qui était à Valmy". Et pas Marchais? je lui demande. Marchetti se tait, frappé, un long instant. "Même Marchais" admet-il, à contre-coeur. Il n'y avait pas pensé.

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N.d.T: (1) fanfaniano: partisan de:

Amintore Fanfani: (19O8) homme politique

italien. Professeur d'histoire économique,

secrétaire de la DC, la Démocratie chrétienne

italienne (1954-59, 73-75), président du

Conseil (58-59, 6O-62, 62-63, 82-83), ministre

des Affaires étrangères (64-65, 65-68),

président du Sénat (68-73, 76-82).

(2) Gioia: homme politique italien, exposant

de la DC.

(3) doroteo: partisan des "dorotei": courant

politique démo-chrétien né en 1959. Appelé

ainsi car il tint sa première réunion dans le

couvent de St. Dorothée, à Rome.

(4) moroteo : partisan de:

Aldo Moro: (1916-1978), homme politique

italien. Secrétaire de la DC, la Démocratie

chrétienne italienne (1959-1965); plusieurs

fois ministre, président du Conseil (63-68),

fut l'auteur de la politique de

centre-gauche. Ministre des Affaires

étrangères (69-74), encore chef du

gouvernement (74-76), président de la DC

depuis 76, favorisa l'approche du Parti

Communiste au gouvernement. Enlevé par les

Brigades Rouges le 16 mars 1978, il fut

retrouvé mort le 9 mai de la même année.

(5) celerini: équivalent italien des CRS français.

(6) EUR: quartier moderne à l'Ouest de la ville de

Rome que Mussolini fit construire avec une

architecture fasciste.

 
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