Chronique de dix jours de lutte parlementairepar Gianfranco Spadaccia
SOMMAIRE: Sur la base des documents rendus publics aux USA, le scandale des pots-de-vin payés par Lockheed pour l'acquisition des avions C-130 Hercules de la part de l'aviation militaire italienne, a éclaté. La Commission d'enquête, dont les radicaux sont exclus, s'arrête devant la responsabilité du Président de la République Giovanni Leone, en omettant toute une série d'enquêtes et d'approfondissements. En quelques jours, les députés radicaux reconstruisent une instruction qui a duré des mois. Enquêtes interrompues. Lettres jamais traduites de l'anglais. Connexions négligées. Il en sort une contre-enquête radicale et une bataille parlementaire qui se termine par la réouverture de l'enquête devant la Commission d'enquête. L'affaire Lockheed n'est pas simplement une affaire d'escroqueries et de pots-de-vin, ce n'est pas l'histoire de deux ministres corrompus. C'est beaucoup plus.
("Notizie Radicali" N·10 du 12 Mars 1977)
Vingt-deux mille feuilles de réquisitoire, d'interrogatoires, de lettres, de documents, d'indices, de preuves. Des caisses entières de matériel. C'est-là le dossier du procès Lockheed. Les députés radicaux en font la requête à la Présidence de la Chambre au moment-même où sont déposées les relations de l'accusation.
Les termes arrivent pour pouvoir remettre en discussion l'acquittement de Rumor. C'est l'époque des négociations houleuses entre Pci, Pri et Psi, et des discussions et des décisions déchirantes des députés socialistes. Nos députés ont déjà déposé la requête d'incrimination de Rumor pour la collecte des 477 signatures nécessaires.
Cinq jours devaient se passer, mais la décision socialiste et républicaine bloquera l'initiative. A partir de ce moment-là, cependant, dans le groupe parlementaire radical, commence une autre, haletante course contre la montre. Les radicaux ont été exclus de la Commission d'Enquête.
Première accusée: la Commission d'enquête
La matière est tout-à-fait inconnue. Il s'agit de reparcourir et de reconstituer des années d'enquête d'instruction, effectuée d'abord par le juge Martella et ensuite par la Commission d'enquête. Il s'agit de s'orienter et de comprendre la logique dont s'est inspirée la commission dans cette étrange et contradictoire procédure d'accusation. Il s'agit enfin de réfléchir sur les problèmes constitutionnels, législatifs et procéduraux pour lesquels il n'existe pas de précédents, sauf celui, alarmant et aberrant, de l'"affaire Trobucchi". C'est un travail qui n'aura pas de répit vingt jours durant. Jour et nuit, Marco Pannella et Franco De Cataldo, Emma Bonino et Roberto Cicciomessere, Mauro Mellini et Marisa Galli, avec l'aide d'Antonio Taramelli, de quelques journalistes, de quelques camarades qui traduisent de l'anglais, travaillent sur ces papiers. Ils font, tous emsemble, ce qu'aucun autre groupe politique n'a fait. Entourés de l'incompréhension des autres partis, de la polémique plus prétextuelle et d
es tentatives de lynchage de la presse communiste, de certains socialistes, du groupe du Manifesto, ils jouent le rôle que devrait jouer le Parlement tout entier, celui de Ministère Public de ce procès politique.
Et ils découvrent qu'il y a d'autres accusés dans ce procès, outre Gui et Tanassi, outre Rumor, qui a gagné son acquittement grâce à la décision des socialistes et des républicains. La première accusée est la Commission d'enquête à cause de la manière dont elle a mené l'instruction.
L'enquête achoppe sur les marches du Quirinal
Elle l'est, à cause de la loi nettement anticonstitutionnelle que le Parlement a approuvé en 1962 et à cause du règlement parlementaire des procédures d'accusation qui, en la transformant indûment en un "tribunal des ministres", lui a attribué des pouvoirs d'évocation, d'archivage, et même d'acquittement que, par Constitution, elle ne doit ni peut avoir. Mais elle l'est davantage à cause des équilibres politiques dont elle est l'expression, à cause de la manière dont tous les partis, tous ensemble, ont accepté, malgré les oppositions dans les procès individuels et la diversité occasionnelle des blocs, de gérer les institutions parlementaires et les mécanismes délicats de la procédure d'accusation.
Les députés radicaux, les députés suppléants, leurs camarades de travail vont fouiller là où les autres ont refusé de regarder et ont arrêté de regarder. Et ils découvrent d'autres lignes d'enquête évidentes et graves, des indices convergents, des concessions évidentes, d'autres délits, d'autres chefs d'accusation, des témoins très importants jamais entendus, des mandats d'arrestation et des requêtes d'extraditions poursuivies avec toute la lenteur bureaucratique ou bien que l'on a laissé tomber, des comptes courants dans lesquels on n'a jamais regardé, un refus de collaboration de la part des autorités suisses contre lequel personne n'a réagit, un dossier entier de lettres au contenu délicat et très grave jamais traduites de l'anglais. Ce qui paraît évident à nos députés c'est que le véritable protagoniste du procès ce n'est pas Gui, ce n'est pas Tanassi, ni même Rumor. Le véritable protagoniste du procès c'est l'avocat Ovidio D'Ovidio Lefèbvre qui a pu suivre les déroulements du débat parlementaire de
puis le lointain Mexique à l'abri de toute menace d'extradition. Ovidio D'Ovidio Lefèbvre n'est pas un simple intermédiaire entre corrupteurs et corrompus, ce n'est pas un conseiller d'affaires des pots-de-vin pour l'achat des C-130 Hercules, c'est beaucoup plus: c'est le mandataire des multinationales américaines pour toutes les affaires de ventes et achats qui concernent l'industrie aéronautique et spatiale américaine. Son nom est même accrédité dans un document, comme représentant du Gouvernement Américain. Il ne peut-être confondu dans la liste des intrigants, des brasseurs d'affaires, des pillards qui envahissent la faune politique des courants, des partis, des ministres de régime. Il ne peut-être relégué au rang des petits escrocs et fanfarons de crédit comme pourrait le prétendre Tanassi. Dans le monde politique il n'a que des rapports de relations publiques et d'affaires, il n'a pas d'amis. Sauf une amitié, très étroite et importante, constante au fil des années. Son amitié avec l'ex-Président du Co
nseil, maintenant Président de la République, Giovanni Leone. Ils exercent la même profession. Ils appartiennent au même milieu de la haute-bourgeoisie d'Etat et professionnelle napolitaine, ce sont des amis de famille, des compagnons de croisière et de loisirs. Mais il résulte des documents du procès que cette amitié revêt également d'autres aspects, politiques et non seulement politiques.
Objectif radical: rouvrir l'enquête
L'enquête Lockheed examine minutieusement tous les rapports que les frères Lefèbvre ont eu avec Gui, Tanassi, Rumor. Mais les rapports avec Gui et Tanassi sont en fonction de la conclusion de l'affaire des Hercules C-130. Sa rencontre avec Rumor est occasionnelle et aussi d'affaire. Le rapport avec Leone, sa nature, les circonstances qui le caracactérise, sa continuité dans le temps, est d'un genre absolument différent. Chaque fois, les preuves documentées, de divers moments, faits, actes, processus, de diverses circonstances, convergent dans cette direction. Et chaque fois, on a la sensation que les enquêtes s'arrêtent au seuil de cette direction, qu'elles isolent l'affaire Lockheed des autres affaires, des précédents logiques et historiques de l'enquête Lockheed, pour ne pas que l'on s'apercevoive des connexions et de la continuité. Tout comme on a la sensation que l'on a pas fait ce qu'il fallait pour assurer la présence en Italie d'Ovidio D'Ovidio Lefèbvre, et qu'il puisse ainsi parler de sa foncti
on et de son rôle, de ses connaissances et de ses rapports, de ces affaires d'Etat qui l'on vu protagoniste et qui ont eu peut-être comme protagoniste, l'actuel président de la République. Nous sommes à la veille de l'ouverture du débat parlementaire. La première initiative politique du groupe parlementaire radical est née. En référence à l'art. 26 du règlement, les députés radicaux annoncent lors d'une conférence de presse qu'ils demanderont aux autres groupes et à chaque parlementaire de promouvoir un supplément d'instruction qui permette de mener les enquêtes qui n'ont pas été effeffectuées. Afin qu'il n'y ait pas de doutes et de possibilité d'utiliser cette enquête pour des manoeuvres d'"étouffement", dont la Commission d'Enquête est reine, ils proposent que le "terme congru" prévu par le règlement soit fixé à 60 jours. Toutefois, ils ne se font pas d'illusions sur l'acceptation de cette proposition. Ce n'est que le premier moment de la bataille politique du PR pour obtenir un supplément d'enquête.
Le lynchage de la presse de régime
Pannella se réserve en effet de promouvoir la requête autorisée par l'art. 26 du règlement, non pas dans la phase préliminaire mais au cours du débat lorsque l'opportunité politique se présentera. L'enquête Lockheed a été réduite, isolée à l'intérieur d'une affaire beaucoup plus vaste et plus étendue dans le temps, et qui a des précédents dans l'affaire des avions P3 des années 1974-75. Les lettres non-traduites qui portent au Quirinal, remontent en effet à ces années-là, tandis que l'épisode des C-130 s'arrête à 1971. La requête d'incrimination de Gui et Tanassi n'est que la pointe de l'iceberg d'une affaire bien plus vaste. Pannella, les camarades du collectif parlementaire, savent qu'il sera difficile de convaincre de changer de position, les partis, les groupes parlementaires, les hommes qui sont responsables de cette tournure de l'enquête. En effet la campagne de presse du parti et de régime, dont nous reportons un florilège significatif, commence demain. Dans lequel se distinguent comme killers, F
alaschi de l'"Unità", Matteuzzi du "Manifesto", Guido Paglia du "Resto del Carlino", outre naturellement les Trovati et les Scardocchia de "La Stampa" de Gheddafi. Mais le travail accompli en peu de jours (et de nuits!) et les dernières recherches, nous donnent la conviction que nous sommes dans la bonne direction. Le procès à Gui et Tanassi ne doit pas devenir le procès à deux boucs émissaires, mais le début d'un processus plus vaste, dans lequel, sinon la Justice, du moins la Vérité puisse faire son chemin.
Les réactions des autres partis ne sont pas toutefois différents de celles de leurs journaux et de la presse de régime: le socialiste Felisetti, qui avait d'abord voté contre puis en faveur de Rumor, nous accuse d'être les agents secrets de la DC. Au Parlement, nos députés font l'objet de l'ironie et du mépris des Communistes. Plus tard, cette attitude changera, du moins dans certains secteurs publics importants, et les réactions des communistes seront plus prudentes et plus responsables. Seul Falaschi, dans "L'Unità" continuera son oeuvre de killer.
Le débat parlementaire commence. Les députés radicaux se chargent d'un autre aspect inséparable de cette bataille. Il s'agit du règlement, de l'interprétation de la Constitution, du quorum nécessaire pour incriminer les Ministres.
Un procès pollué d'inconstitutionnalité
En ouverture des travaux du Parlement, Chambres réunies, Pannella propose une suspension de dix jours pour permettre l'approbation des deux Chambres d'une loi d'interprétation authentique du texte législatif qui stabilise que le quorum pour l'incrimination des ministres est constitué par la majorité absolue des votants présents et non pas par la majorité absolue des membres du Parlement. Ce dernier quorum est explicitement prévu par la Constitution uniquement pour mettre en état d'accusation le président de la République. "Nous ne nous préoccupions pas tellement - expliquait plus tard Emma Bonino en intervenant au débat - d'abaisser le quorum, pour l'incrimination de Gui et Tanassi, même si l'actuel quorum permettra à la DC d'espérer jusqu'au bout de pouvoir jouer sur le vote de quelques complice d'hier; nous nous préoccupions d'éliminer au moins les exceptions de nullité et d'inconstitutionnalité les plus voyantes, qui constellent cette procédure d'accusation et qui peuvent demain, faire ensabler le pr
ocès devant la Cour Constitutionnelle, pour l'empécher d'arriver à sa conclusion". C'est exactement le contraire, donc, de ce que les autres nous accusent de vouloir: nous demandons de suspendre aujourd'hui pour empêcher le renvoi et l'étouffement de l'affaire demain.
Mais la proposition est refoulée, en fonction d'une interprétation certainement discutable, pour le moins forcée. Ingrao fait appel à une norme qui empêche de suspensre le débat. Il soutient que la phase du débat devant les Chambres réunies n'a pas un caractère juridictionnel, comme devant la Commission d'Enquête et la Cour Constitutionnelle, pour pouvoir soutenir l'inadmissibilité de questions de constitutionnalité.
Ainsi, la proposition d'écouter les accusés laïcs et leurs défenseurs, est considérée inadmissible. La procédure devant le Parlement entraîne avec elle par conséquent toutes les tares de la loi de 1962. Elle les traînera jusqu'au moment conclusif du vote, lorsque, devant choisir entre voter ou ne pas voter le renvoi devant la Cour Constitutionnelle des accusés laïcs, on choisira une absurde solution: celle d'un unique vote cumulatif.
Adele Faccio demande la démission de Leone
L'après-midi même commence le débat avec les relations de D'Angelosante et de Pontello. Par cette dernière, comme on pouvait le prévoir, la DC renverse la stratégie de la Commission d'Enquête. Elle avait essayé de jeter à l'eau Tanassi pour sauver Gui, et maintenant elle fait de nouveau bloc avec Tanassi pour assurer à Gui les quelques voix socialdémocrates. Mais les limites du réquisitoire de D'angelosante ont été défoncées par l'initiative radicale.
Au Parlement, on ne parle que de Gui et de Tanassi. Dehors on parle de Leone, de D'Ovidio Lefèbvre, de l'ambassadeur Messeri, du contournement de l'embargo américain de la vente d'avions Lockheed à la Turquie, de la mission de Lefèbvre en Arabie Saoudite suite à la visite d'Etat du Président de la République, du Maroc, du Pakistan. On revient à l'affaire des P3, aux pressions exercées par le Président du Conseil d'alors, Leone, pour rouvrir et remettre en discussion une affaire d'achat-vente déjà délibérée, et dans laquelle la Lockheed résultait perdante. On parle de ce message en code par lequel l'agent de la Lockheed en Italie demande à ses dirigeants de ne pas être affolés par l'importance des pots-de-vin demandés par le monde politique italien, parce que les attaches italiennes sont "terriblement importantes". Pour toute autre opération, évidemment.
Les quatres députés radicaux interviennent dans le débat. Emma Bonino commence, en attaquant toutes les forces politiques pour la façon dont elles prétendent gérer le procès, en en délimitant le cadre, et en en constituant d'avance même devant la Cour Constitutionnelle, la matière de l'enquête et du jugement. Vient ensuite Adele Faccio qui rappelle la manière plus sérieuse avec laquelle, ailleurs, des crises analogues déterminées par le même scandale Lockheed, ont été affrontées et résolues, du Japon aux Pays-Bas. "Leone - dit Adele - aurait dû ressentir le devoir patriotique et républicain de donner sa démission. Brandt l'a fait, en Allemagne, pour beaucoup moins".
Le même jour, parlant à Turin, Gianfranco Spadaccia précise: "Si le président Leone n'a pas de responsabilité, il est de l'intérêt de tout le monde qu'une instruction sérieuse chasse le doute. Mais si les éléments de culpabilité certifiés par nos camarades députés trouvaient confirmation dans les faits, ne pas effectuer cette enquête signifierait avoir un président de la République exposé à tout chantage: puissances étrangères, services secrets, multinationales, complices, et même courants de la DC.
Pannella: Ovidio Lefèbvre a eu raison
Le matin du 7 Mars, c'est Marco Pannella qui intervient. Sur le plan oratoire ce n'est pas sa meilleure intervention. Il a des moments de grande efficacité et des moments de fatigue, de difficulté, et même de confusion. Sur la table, près du micro, il y a 30 chemises. Dans chacune d'elles on a recueilli, classé, rangé, les résultats du travail fourni par le collectif parlementaire radical. Il n'en utilisera qu'une petite partie pour se concentrer pare contre sur les points centraux, ceux qui qualifient le plus, de la reconstruction de l'affaire Lockheed effectuée par les radicaux. Si la tenue oratoire n'est pas parfaite, l'économie du discours est serrée, liée à une logique qu'il est difficile de réfuter. Il affirme qu'Ovidio D'Ovidio Lefèbvre a eu raison de vouloir comme juge la Commission d'Enquête des évocations et des étouffements, plutôt que son juge naturel. C'est lui en effet, qui a déterminé le déplacement du procès, après l'arrestation de son frère Antonio, en révélant qu'il avait payé Tanassi.
Il énumère les délits pour lesquels il pouvait étre autrement incriminé en même temps que son frère si l'enquête était restée dans les mains du juge ordinaire: infidélité dans les Affaires d'Etat (Peine minimum 5 ans); corruption par une puissance étrangère (entre 3 et 10 ans); espionnage politique et militaire (15 ans); espionnage de nouvelles dont la divulgation est interdite (10 ans); révélation de secrets d'Etat (5 ans); utilisation de Secrets d'Etat; procuration de renseignements concernant la sécurité de l'Etat. Et surtout l'association de malfaiteurs. C'est toute autre chose donc que la participation à la corruption notifiée par la Commission d'Enquête. Et Ovidio D'Ovidio Lefèbvre serait déjà depuis longtemps en prison si d'autres se seraient occupés de l'enquête.
Pannella reconstruit par touches rapides le milieu "napolitain" des deux Lefèbvre, leurs rapports avec Leone. Il examine leur rôle de professionnels des relations internationales. Il cite des documents qui témoignent de la confiance absolue de la puissante société américaine à leur égard. Il n'utilise qu'en petite partie les autres documents, les autres pistes possibles d'enquête pour une instruction qui soit complète et non pas tronquée. Il se limite à certains épisodes-clé, significatifs, emblématiques, qui démontrent combien la Commission d'Enquête s'est étrangement arrêté lorsqu'elle s'est trouvée devant les développements possibles qui pouvaient découler de ces enquêtes. Quelques épisodes: la Commission n'éprouve pas le besoin d'écouter un témoin comme l'ex-sénateur dc Messeri, puis ambassadeur, bien que Antonio D'Ovidio Lefèbvre ait dit que c'est justement Messeri qui l'a mis pour la première fois en contact avec la Lockheed; bien que Messeri ait confirmé, même par une version incroyable des faits
, ce qu'avait dit l'accusé; bien que Messeri, enfin, paraisse en qualité d'ambassadeur dans l'affaire Lockheed en Turquie en tant qu'élément-clé du contournement de l'embargo américain. Il fait à peine allusion aux autres phonogrammes réservés, aux autres messages, à ce quelque chose de "terriblement" plus important que les pots-de-vin dont il parle dans l'un de ces messages. Il parle du comportement étrange de la Commission lorsqu'il s'est agi d'enquêter sur certains "points terminaux", destinataires des pots-de-vin, même lorsque les noms correspondaient à des personnes physiques avec adresse et numéro de téléphone. Il rappelle et documente l'étrange inertie pour demander l'extradition d'Ovidio du Mexique; l'absence totale de réaction devant le refus des autorités helvétiques de collaborer avec la Commission avec l'absurde motivation qu'ils ne reconnaissent à cet organisme aucun droit juridique officiel. Pourquoi tant d'inertie? Pourquoi cette abscence de curiosité? N'est-ce pas là la preuve que l'on veut
s'arrêter au seuil d'une enquête plus scabreuse?
Marco s'occupe aussi de l'affaire des P3. C'est le sujet qui avait écarté tout suspect de Leone pendant un an et demi. Comment pouvait-on soupçonner - disait-on - un Président du Conseil, d'être l'Antelope Cobbler de la Lockheed, lorsque l'on avait, précisément durant sa présidence au Conseil, préféré les concurrents français de la société américaine? Pannella écartait définitivement cet argument. Ce n'est pas un argument en défense de Leone, mais plutôt un élément d'accusation. Dans les actes, il y a un document de Gui, du Ministre de la Défense de l'époque, qui précise que le Président du Conseil sollicite un réexamen d'une mesure déjà délibérée par le Gouvernement. En faveur de qui? De la Lockheed. Les radicaux ne connaissaient pas ce document. L'opinion publique ne le connaissait pas non plus. Mais la Commission d'Enquête Oui! D'Angelosante Oui!
L'Affaire Lockheed est une Affaire OTAN
Ce sont les essentielles, dépouillées mais ponctuelles références de procédure, aux documents inconnus, de ce procès politique. Puis l'affaire s'élargit, devient politique. Cette affaire de la Lockheed n'est pas une simple affaire d'achat-vente de quelques avions, ce n'est pas une affaire de sécuritè nationale, c'est une affaire Otan, de rapports et d'influences internationales. Pannella jette un coup d'oeil à côté, dans les méandres et les mystères des services secrets italiens, ceux des massacres d'Etat, et il évoque l'homicide-suicide du colonnel Rocca, dirigeant du bureau Rei du Sifar, le bureau préposé aux rapports avec les grandes corporations économiques du régime, bras exécutif de leurs magouilles, de leurs chantages, de leurs intérêts; un organisme qui avait à faire institutionnellement avec les fournitures et les trafics d'armes. Et un coup d'oeil aux affaires de l'Amérique du Post-Watergate. Pourquoi - se demande-t-on - le Parlement américain n'a-t-il pas hésité à provoquer une crise institut
ionnelle dans certains pays alliés, à mettre en difficultés certains amis corrompus, devant l'exigence de faire la lumière sur l''''affaire Lockheed? Parce que la première victime de la guerre du Vietnam avait été justement le Parlement américain, exproprié par l'exécutif même du droit constitutionnel de déclarer la guerre, et exproprié par la suite et au fur et à mesure des autres pouvoirs par les centres du pouvoir militaire, les centres du pouvoir économique, le complexe militaro-industriel des multinationales et du Pentagone. Le scandale Lockheed naît donc de l'exigence de l'Etat de s'approprier à nouveau de ces pouvoirs, de les ramener dans le cadre de la Constitution et des mécanismes normaux de contrôle démocratique de la part des institutions dépositaires de la souveraineté populaire, même au prix de mettre en crise des points névralgiques de la sécurité nationale américaine. Et en Italie? En Italie les forces politiques se retractent devant l'exigence de faire la lumière, de rechercher la vérité. Et
la vérité, des morceaux de vérité sont laissés dans les mains des agences de presse des courants des services secrets, en lutte entre eux, qui s'en servent pour attaquer le chef de l'Etat avec un ton de chantage. Pannella cite une de ces agences, la O.P.
Une dernière attaque directe au comportement de la Commission d'enquête.
Le Sid n'existe-t-il donc pas?
C'est une affaire d'armements. C'est une affaire Otan. Il y a des rapports avec une puissance étrangère. Il y a des rapports directs, des rencontres, des colloques avec les ministres de la Défense, avec les présidents du Conseil. Peut-on concevoir que la Commission ne se soit même pas posé le problème de demander les dossiers du Sid, des services de sécurité sur cette affaire? L'histoire de l'affaire Lockheed, la vérité sur cette affaire se trouve probablement dans ces dossiers.
Enfin Pannella s'adresse directement aux forces politiques, aux communistes, aux socialistes, personnellement à La Malfa. Jusque là les communistes ont défendu en bloc le travail de la Commission, repoussant toute hypothèse de supplément d'enquête.
Les socialistes ont même délibéré dans le sens de ne pas s'associer à la requête radicale d'un supplément d'instruction à terme, avec la motivation absurde qu'il faut éviter les renvois et les étouffements. Idem les républicains. Pannella dit qu'il peut comprendre les préoccupations des communistes devant la difficulté de la situation politique, devant la perspective d'une crise institutionnelle dans les hautes sphères de l'Etat. Mais justement devant ces difficultés et ces dangers, l'unique salut, l'unique possibilité d'éviter la crise, c'est précisément de laïciser la vérité, la mettre à la disposition des gens, être démocrates jusqu'au bout, se fier au jugement et au bon sens des gens. "Nous ne devons pas nous constituer nous non plus en hiérophante de la vérité, comme les hiérophantes des services secrets et des corps séparés".
Les réactions des partis
Les députés radicaux ne se font pas d'illusion sur la possibilité de trouver cinquante signatures pour la réalisation du supplément d'enquête. Les républicains et les socialistes se réunissent longuement. La ligne qui en sort et à laquelle les radicaux se conformeront est celle de conclure par leur vote le débat sur l'incrimination de Gui et Tanassi, mais de reprendre et approfondir les enquêtes dans toutes les directions s'il en existe les éléments. Les républicains proposent une commission d'enquête sur les fournitures militaires. Les socialistes, ici et là, par des déclarations, des articles dans "Avanti!" demandent toute la vérité. Les communistes persistent par contre dans leurs positions: c'est le juge ordinaire qui enquêtera, la Commission d'enquête peut encore enquêter, la Cour Constitutionnelle peut enquêter (ce qui n'est pas vrai).
L'ajournement du procès de Gui et Tanassi, réouverture de l'instruction
Le groupe radical utilisera alors un autre article du règlement: celui qui donne la possibilité à tout député de présenter des dénonciations au Président de la Chambre. Ils présentent à Ingrao une longue dénonciation détaillée, celle que nous publions ici intégralement. Le premier nom qui y figure est celui de Leone. Le premier chef d'accusation est celui d'association de malfaiteurs. Le lendemain de l'intervention de Pannella, Mellini, en ouverture de son discours, annonce à la Chambre la présentation de la dénonciation.
Ingrao, l'après-midi même communique avoir transmis la dénonciation au Président de la Commission d'Enquête. Il y a maintenant les prémisses même formelles pour la réouverture de l'instruction qui a été dix jours durant l'objectif - l'unique véritable objectif - de l'action radicale, afin que l'on arrive à connaître et comprendre toute la vérité. Martinazzoli parle de "longs termes". Mais désormais même le Quirinal qui la veille avait parlé de "vulgarité" et de "nuage de poussière" soulevé par les radicaux, et qui s'était ainsi attiré les foudres de "La Voce Républicana" (cela faisait des années que les républicains ne prenaient plus la défense des radicaux), est obligé de solliciter une rapide vérification de la vérité. Termes brefs, donc.
La DC forme le carré. Le vrai chef de ce régime, Aldo Moro, le président du conseil des "omissis" de l'"affaire De Lorenzo", invite tout le parti à faire le carré autour de Gui et Tanassi. Dans le discours de Saragat, Tanassi, l'"homunculus" des sarcasmes de l'ex-président de la République, devient un persécuté politique. Ce sont les dernières répliques du débat. Puis le vote sur Gui et Tanassi. Leur renvoi à la Haute Cour de Justice. Ce vote pouvait être la fermeture définitive du processus autour d'un choix de convenance. Il peut représenter au contraire les prémisses d'une action qui va à fond. Pour les radicaux cette bataille ne s'est pas encore terminé. Que ceux qui pensaient que les termes brefs doivent servir à tout fermer en grande hâte, avec des demi-vérités et des vérités de convenance, en tiennent compte.