SOMMAIRE: l'auteur fait une nette distinction entre radicalisme en tant que sentiment collectif et radicalisme en tant que force politique. Dans le premier on voit s'affirmer la volonté de l'individu de se soustraire à la coercition collective et de l'Etat, de disposer pleinement de son propre corps. Mais ce sentiment d'autoaffirmation et d'autotutèle, débouche normalement en des formes violentes. Le mérite du PR est d'avoir joué le rôle de médiateur dans ces tensions violentes de la société à travers des actions physiques nonviolentes. C'est là la créativité politique de Marco Pannella qui "a géré sa personne comme image et représentation de l'exutoire de la violence dans la parole et dans le geste (...) c-à-d dans le symbôle, l'instrument primaire de la socialisation des tensions".
A partir de ces analyses, l'auteur affirme que l'allié naturel du PR est la DC, justement parce que sa ligne politique est la seule qui rende possible la médiation radicale dans les tendances à la révolte.
A la question si le parti radical est une force religieuse ou laïque, l'auteur répond en affirmant que le PR ne peut pas être considéré comme l'héritier du laïcisme idéologique qui finit par tomber sous l'égémonie du modèle léniniste mais comme l'expression d'une tension religieuse non chrétienne.
("Argomenti radicali N·1, 1er Juin 1977)
Le radicalisme est un phénomène nouveau de la politique italienne: peut-être même le phénomène nouveau par excellence. Il est curieux qu'il soit si peu remarqué. Et pourtant nous avons crée en Italie une spécialité de journalisme de grande envergure, la politologie, qui arrive à analyser les moindres détails de tout objet mystérieux, qui concerne le PCI, la DC, et maintenant, la Confidustria et les syndicats, devenus protagonistes des tendances politiques actuelles. La plus grande analyse du type de politique qui, sur le plan culturel, tourne autour du PCI, est dûe au fait que le marxisme est un espace culturel tout-à-fait exploré, qui ne réserve plus de surprises, et qu'il est devenu phénomène de masse; il peut-être présumé comme donnée culturelle, et donc, objet d'opération et d'interprétation commune.
La production culturelle européenne ne s'identifie plus dans le marxisme; sa dernière opération, le nouveau marxisme des années 60 et 70, est une opération terminée. Après le neomarxisme humaniste de Garaudy et le neomarxisme structuraliste d'Althusser, après toutes les récupérations des lignes dissidentes du léninisme, tout semble être dit. Et la production culturelle ne semble plus solliciter aucune forme de créativité qui s'identifie dans le tranquille filon du langage marxiste.
En tant que fait culturel, le radicalisme présume l'extinction du marxisme en tant que langage capable de renouvellement, l'épuisement de l'attitude du langage qui contient de nouvelles idées.
Mais quelles alternatives le radicalisme offre-t-il maintenant, quel type de culture? Le radicalisme présume la récupération, non pas du sujet, mais de l'individu, dirai-je.
Le nom "radical" nous conduit à la ferveur individualiste du rationalisme anglais, qui fut capable d'opérer une proposition précise politique, liant la lutte pour le libéralisme économique à celle pour le suffrage universel. Mais comme est différent l'"individu" des années 70 du XXème siècle par rapport aux années 30 du XIXème ! L'individu du siècle dernier est l'agent d'une civilisation des lumières, et, encore plus, l'expression ultime du cosmos ordonné, instar macchina. Les choix de l'arbitre individuel, laissés à leur ingénuité, réalisent un ordre universel, manifestent la raison tenue jusqu'alors en échec par l'opinion.
L'individu des années 70 est un "atome" dans le sens qu'il est le résidu ultime de toutes les divisions possibles. Chaque ordre sacral politique a été consommé dans le "sang d'Europe" avec la fin du tzarisme et des empires centraux: le grand ordre bourgeois-colonial du XIXème siècle a gagné dans le XXème siècle uniquement pour ne pas survivre à sa victoire. Ce que Hegel sauva de l'Etat prussien est devenu la raison athée sacrée du système soviétique, tandis que les Etats-Unis oscillent entre l'incapacité de cesser d'être une province européenne pour devenir un empire, et la nécessité d'offrir un début d'ordre et de référence au monde non soviétique. Tandis que le progrès technologique montre ses limites, et que la science cesse d'apparaître comme l'écrin d'où l'on peut extraire "les magnifiques destins", quelle perspective s'offre-t-elle à la raison de rationaliser en une synthèse de perspective, l'échiquier désordonné qui est la condition humaine de notre temps?
Dans cette impuissance de la raison historique, consécutive à la défaite de l'intellect métaphysique, il faut donner acte aux radicaux d'avoir découvert "ce qui reste": l'individu. Un individu qui n'a pour lui-même aucune perspective de solution universelle, mais qui veut avoir l'assurance de posséder son irréductible réalité particulière: la réalité de son corps.
Il est important de distinguer à ce moment-là, entre le radicalisme en tant que sentiment collectif et le radicalisme en tant que force politique. Entre eux, il y a la grande dichotomie qu'il y a entre une réalité et son interprétation. Le radicalisme en tant que sentiment collectif est la volonté d'affirmer l'individu dans le double délabrement des valeurs communes et du tissu social. Le phénomène le plus barbare de cette redécouverte de l'individu est la tendance de l'individu à faire justice lui-même. A la violence du groupe, qui se justifie en clé révolutionnaire, s'oppose une réponse individuelle, qui n'a pas d'autre affirmation que sa propre autoaffirmation, dans la forme de sa propre autotutèle. Et du reste, une certaine forme de violence élémentaire, qui est dans l'air, se reporte elle aussi à cette double prise de conscience, de l'éclipse des valeurs et de l'effritement de la société. A un niveau supérieur, l'émersion des corps sociaux au niveau de structure privée, et leur tendance à devenir a
utonomes et à contrôler les partis, les organes des valeurs politiques et les institutions garantes de la collectivité, représentent la même poussée.
Que la gauche politique se trouve mal à l'aise face à ces phénomènes, même lorsqu'elle les découvre en elle-même, s'explique facilement. Ces phénomènes, même si inclus politiquement dans le bloc de gauche, ne font pas partie de la perspective de la primauté de ce genre sur l'individu qui est la base constitutive de la ligne dominante de la gauche. Hegel, Feuerbach, Marx. Je crois que le thème des indiens métropolitains n'a été relevé que par la droite: la saga d'Alce Nero a été introduite en Italie par Rusconi et présentée culturellement par Elémire Zolla.
Le radicalisme politique n'est pas cela: c'est son interprétation. Si nous comprenons bien les intentions du radicalisme politique, celles-ci sont tournées vers la tentative de débarbariser le radicalisme latent de la société, et de socialiser, de quelque manière, l'individualisme naissant.
Le radicalisme politique prend donc la forme d'une médiation qui s'adapte aux réalités les plus diverses: les exigences des geôliers et celles des prisonniers peuvent en faire partie. Il est significatif que l'exigence de la sécurité des commerçants ait été respectée. Le féminisme et la liberté des homosexuels ne sont pas significatifs de la médiation politique du Parti Radical en tant que contenus, mais il sont significativement assumés en elle parce que ce sont des phénomènes déterminants de ce que nous avons appelé la société radicale.
Avec quel matériau le radicalisme, et en particulier Marco Pannella, a-t-il construit la médiation radicale? Il est clair qu'il a eu pour instrument les techniques d'action nonviolente. Cela prouve une remarquable intuition: le caractère violent que l'affirmation de l'individualisme en tant que possession du corps représente en fait. La société radicale a en elle une dimension violente, et le radicalisme politique, pour servir de médiateur, doit proposer des actions physiques mais nonviolentes; le jeûne, la manifestation significative, le geste original. C'est en cela que réside la créativité politique de Pannella, qui s'est proposé lui-même en tant qu'image et représentation de l'exutoire de la violence de la parole et du geste. C'est-à-dire, du symbôle, l'instrument principal de la socialisation des tensions.
Le Parti Radical n'est donc pas un parti, mais une forme politique d'une société différente désormais de celle qui a engendré, en tant que forme politique, les partis ideologiques (ceux qui se regroupent autour du parti léniniste). Sa capacité se fonde sur la culture des images, qui consent l'efficacité décisive de la parole et du geste. La détérioration du parti-association, avec sa structure bureaucratique, arrive à cause du nouvel impact de la culture audiovisuelle, qui fait place au geste et à la représentation.
La manière actuelle du PR de faire de la politique, représente non seulement la compréhension d'un nouveau type de société et de ses problèmes, mais aussi l'intention d'une nouvelle technique de guide politique.
Le problème politique radical réside dans le fait de donner la parole non seulement aux secteurs les plus évidents et protestataires de la société, mais aussi aux exigences de ce que furent les "masses d'ordre", et dans la zone même du monde des syndicats.
Dans un certain sens, le type de revendication que le PR a jusqu'ici protégé sont aussi une certaine limite à son expansion.
Cela pose le problème de ses rapports avec les partis. Cela peut sembler paradoxal, mais l'allié naturel du PR est la DC. D'un côté, c'est le type de ligne politique que la DC a donné au Pays qui a rendu possible, et la formation de la société radicale, et celle du PR; de l'autre, tout autre type de gestion différente, davantage lié au modèle de parti idéologique, rendrait plus difficile l'exercice de la médiation radicale. Les tensions violentes seraient combattues de manière différente: le besoin et la possibilité de la médiation radicale diminueraient. Il y a une solidarité effective entre PR et DC, une solidarité qui se manifeste par le fait que l'un et l'autre ont pour principal adversaire le "compromis hystorique". En d'autres termes: l'entente entre DC et PR se manifeste en raison des adversités de la leadership démochrétienne à l'encontre du compromis historique et en rapport à celle-ci. Cette solidarité effective est plus qu'une simple possibilité. La subtile convergence tactico-stratégique, mê
me dans la diversité des déclarations générales de finalité entre DC et PR, est déjà une donnée de la politique italienne. Les rapports entre PR et PCI en sont une preuve.
Au bon fonctionnement d'une alliance non écrite, couverte au contraire par une déclaration de guerre, correspond l'échec de toutes les tentatives d'alliance du PR, en particulier celui avec les républicains et avec les socialistes. La DC est, malgré tout, le parti le moins parti des partis italiens, un parti qui se modèle sur la société civile, un parti de médiation, comme le PR. A savoir: la DC, ne collaborant pas, outre mesure, avec le PCI, non seulement elle assure la possibilité politique d'un parti comme le PR, mais elle représente un certain niveau d'homogénéïté politique effective avec ce dernier.
Cela étant dit, il s'ensuit qu'il ne semble pas que l'on puisse définir le PR comme un parti de gauche, dans le sens traditionnel du terme, et nous ne pensons pas que son influence se manifeste seulement dans ce sens. Nous pensons au contraire que le PR peut s'étendre à des secteurs habituellement qualifiés comme de droite, du moins dans la position mentale avant-même que sociale. Et il nous semble que le PR se dirige aussi dans cette direction même si peut-être avec quelque crise prévisible.
Le problème de savoir si le PR est une force religieuse ou laïque s'est déjà posé. La difficulté réside dans la définition de ce que l'on entend par "religieux" et par "laïc".
Les techniques de lutte du PR viennent de la tradition nonviolente, qui a une matrice religieuse, mais non chrétienne (Gandhi). Cela semble significatif: il nous semble que le PR ne peut pas être considéré comme l'héritier du laïcisme idéologique (qui en tant que parti, finit par tomber sous l'hégémonie du modèle léniniste) s'il cherchera des formes d'action qui ne font pas appel uniquement à la raison, mais, au sens large, au sentiment religieux. Je ne vois pas ce que je pourrais dire d'autre. Cette relation est déjà assez prolepse (c-à-d, avec présompsion d'anticipation: prolepse est un mot du jargon théologique courant, je ne puis renoncer à l'utiliser), pour qu'elle puisse aller outre dans la lecture des paroles non encore écrites.