par Massimo Teodori, Piero Ignazi, Angelo PanebiancoSOMMAIRE: L'interprétation historique du Parti Radical fondée sur la reconstruction des différentes phases de l'histoire radicale, de 1955 à 1977.
INDEX GENERAL
"Préliminaires des auteurs"
Première Partie
HISTOIRE DU PARTI RADICAL
I Des Vieux radicaux aux nouveaux
- 1 Le premier Parti Radical (1955-1962)
- 2 Le centre-gauche et l'optimisme technocratique du bien-être
- 3 Les nouvelles oppositions en Europe
- 4 L'héritage du mouvement des Etudiants
- 5 La gauche radicale
"Notes"
II La solitude d'une Minorité
- 1 L'épuisante reprise du nouveau groupe
- 2 L'"Agence Radicale" et ses batailles: Eni, assistance, école
- 3 Unité et autonomie: conflit avec la vieille gauche
- 4 Les radicaux face aux propositions d'unification de la gauche
- 5 L'isolement d'une culture politique différente. Vers le
congrès de refondation (1964-1967)
"Notes"
III La campagne pour le divorce
- 1 La naisance et le développement du Mouvement favorable au
divorce avec la LID
- 2 Le mouvement populaire et l'action de pression sur le
parlement
- 3 Du divorce au referendum
- 4 Les radicaux dans le mouvement favorable au divorce:
signification politique générale
"Notes"
IV Un parti à la recherche de lui-même. Du congrès de refondation
(1967) à celui du relancement (1972)
- 1 A travers "68"
- 2 Les nouvelles initiatives: justice, sexualité, Concordat,
libération de la femme
- 3 Avec l'antimilitarisme et l'objection de conscience, une
présence militante caractérisée
- 4 Les radicaux et le système politique depuis les élections
de 68 à celles de 72
- 5 Les difficultés du parti en marche vers le Congrès de
relancement (Turin 1972)
"Notes"
V Avec les droits civils, l'opposition au régime
- 1 Après le relancement, les initiatives se multiplient, avec
un parti très fragile
- 2 Les huit referendum et le referendum sur le divorce
- 3 L'été brûlant de 1974: la bataille pour l'information conduit
Pannella à la Tv
- 4 Les radicaux face à la "question socialiste"
"Notes"
VI Pour une révolution démocratique
- 1 Action directe et action populaire pour l'avortement
- 2 Encore sur les droits civils prend forme le parti federal.
Lacharte des libertés
- 3 Avec les élections du 20 Juin 1976, les radicaux au Parlement
"Notes"
VII Dans le pays et au Parlement
- 1 Une minorité au Parlement
- 2 Le projet de referendum en tant que projet d'alternative
- 3 Le conflit entre communistes et radicaux
- 4 les motifs de vingt-annnées d'hidtoire radicale
"Notes"
Deuxième partie
ELECTORAT, MILITANTS, MOUVEMENT: UNE INTERPRETATION SOCIOLOGIQUE
I Les militants radicaux: composition sociale et comportements
politiques
- 1 Préliminaires
- 2 La composition sociale
- 3 Les radicaux et le parti
- 4 Comportements politiques généraux
- 5 Le profil social-politique
- 6 Conclusions
"Notes"
II Le vote radical aux élections du 20 Juin 1976
- 1 Les caractéristiques générales du vote
- 2 Un consensus électoral urbain
- 3 Un vote d'opinion
- 4 Les préférences: la concentration sur Pannella
- 5 Analyses d'un cas: la Toscane
- 6 Considérations conclusives
"Notes"
III De la société corporative aux mouvements collectifs: nature
et rôle du Parti Radical
- 1 Parti politique, groupe de pression, mouvement: PR atypique
- 2 Normes, structures, charisme: les contradictions
- 3 Association des intérêts, contrôle social et mouvements
spontanés
- 4 Système politique et société corporative
- 5 De la négociation au conflit
"Notes"
APPENDICE
I Statut du Parti Radical
II Les organes centraux du PR
III Historique des principaux moments des mouvements fédérés et
des ligues
IV Sources et bibliographie
("Les NOUVEAUX RADICAUX", histoire et sociologie d'un mouvement politique - Massimo Teodori, Piero Ignazi, Angelo Panebianco - Editions Arnoldo Mondadori - Octobre 1977)
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Première Partie
HISTOIRE DU PARTI RADICAL
I DES VIEUX RADICAUX AUX NOUVEAUX
1. "Le premier Parti Radical" (1955-1962)
Le Parti Radical est né en Décembre 1955, après la scission des courants de gauche du Parti Libéral. D'autres éléments avaient également convergé en lui, provenant d'"Unità Popolare" (qui s'était formé en 1953 pour combattre la loi majoritaire appelée "Loi escroquerie"), comme Leopoldo Piccardi; des ex-inscrits au Parti d'Action qui n'avaient pas milité dans d'autres partis après la dissolution du Parti d'Action, comme Leo Valiani et Guido Calogero; des collaborateurs prestigieux du "Mondo" comme Ernesto Rossi; de nombreux intellectuels, des éditorialistes et des journalistes du bloc laïc; et de nombreux jeunes universitaires qui avaient fait des expériences de militantisme politique à l'université à travers l'Unione Goliardica Italiana (UGI) et les organismes représentatifs locaux et nationaux (UNURI).
Dans la formation politique la nouvelle formation représentait le signe de la crise du centrisme et de l'appui que les forces modérées progressistes lui avaient conféré. En des modes et des temps analogues à ce qui arriva entre les gauches, où aux alentours de 1955 les socialistes mettent en discussion la politique "frontiste" (XXXIème Congrès du PSI à Turin), au centre, les milieux laïques, dont le Parti Radical est une expression, dénoncent l'abus de pouvoir démochrétien, en soulignant la nécessité de donner vie à une nouvelle formation politique comme la radicale. Les références générales des radicaux, même si exprimées de façon univoque par les composantes du parti, sont données par les paroles de l'un des plus lucides interprètes de la position radicale, Leo Valiani, à la constitution du parti: "Les méthode de l'expérience radicale occidentale, labouriste rooseveltienne" avec la critique de "tout ce qu'il y a de rigide même dans ces expériences-là", raison pour laquelle les radicaux doivent mener "
une lutte pour le démantèlement non seulement des bases politiques, mais aussi des bases économiques et corporatives du fascisme" (1). Parti qui tend à se fonder sur des projets concrets de rèforme, le PR réserve, au cours des deux premières années de vie, jusqu'en 1958, une fière opposition à la DC, à son mauvais gouvernement et à son occupation de l'Etat, en se basant sur les forces laïques minoritaires (PRI et PSDI) et sur le processus autonomiste du PSI, accéléré en 1956 et avec le rapport Kroutchev du XXème Congrès du PCUS.
Le PR est donc "terzaforzista" (troisième force), en faveur d'une opposition constitutionnelle au centrisme, considéré dégénéré en formes réactionnaires, et pour une "alternative laïque" dont les contenus et les forces sont clairs, mais pas au point de constituer en soi une formation en mesure de se présenter pour la direction d'un pays. L'équidistance et l'opposition des radicaux est sur le plan idéal et politique aussi bien envers le "centrisme clérical" qu'envers le "totalitarisme communiste" par rapport auxquels aucun compromis n'est possible; ils souhaitent par contre le dialogue sur des projets d'étude et d'action avec tous les hommes et les groupes du "bloc laïc et socialiste non totalitaire".
"L'étude et la médiation" avait affirmé Valiani en 1956, "servent à se distinguer des socialistes. Rien ne peut nous distinguer des socialistes démocrates sinon notre habitude libérale de l'étude objective, désintéressée et courageuse... Seuls les fruits de notre étude, de notre philosophie nous permettent et nous imposent de nous distinguer d'eux, parce que notre culture est une culture libérale, tandis que la leur est éclectique, pratique, sous couvert d'un marxisme dans lequel en réalité ils ne croient que bien peu. Avoir cette volontè et cette honnêteté intellectuelle, mettre en examen détaillé, pressant, les problèmes concrets et réels de l'école de l'économie, de la vie sociale, de l'administration".(2). Les "rencontres du Monde" (3), qui se sont succédés avec une fréquence très intense de 1955 à 1959, représentent l'instrument d'intervention et de pression dans ce sens, non du Parti Radical en tant que tel, mais du milieu collatéral.
Sur le plan électoral, l'hypothèse politique laïque se réalisait avec l'alliance avec le PRI et Unità Popolare dans les divers essais administratifs de 1956 et 1957, à travers les listes de "rinnovamento democratico". En 1958, l'alliance entre le Pri et le Pr aux élections politiques, représentait le moment culminant de cette tendance et en même temps la plus accomplie des expressions politiques radicales et celle qui en démontra les limites électorales. Les radicaux apportèrent dans la campagne électorale la vigueur de leur engagement le plus ferme de gauche démocratique anticonformiste avec la proposition de thèmes négligés ou ignorés par d'autres: séparation rigoureuse entre Etat et Eglise et défense de l'Etat laïc; élimination des monopoles, des privilèges de caste, des harnachements corporatifs, de l'hypertrophie des structures administratives, des milieux gouvernementaux; création de l'école moderne; défense du citoyen contre les abus du pouvoir exécutif; de la liberté de presse, de la liberté de
migration interne, de la discipline des sources d'énergie, de la lutte contre les spéculations des aires édifiables (4).
Ce qui avait été l'engagement d'un groupe restreint arrivé avec le PR jusqu'au moment politique électoral pour maintenir, avec les paroles de Galli Della Loggia, "un espace ouvert à la raison et à la discussion" en fuyant les "mythologies les plus dithyrambiques et les apologies les plus insignifiantes et en donnant de cette manière un exemple non négligeable d'honnêteté intellectuelle" (5), se retrouva, au lendemain de la malheureuse (en ce qui concerne les résultats) (6) épreuve électorale, et peut-être même à cause de celle-ci, face à la contradiction d'une position libéral-démocratique faite, pour les circonstances politiques du pays, de tonalités et de contenus radicaux: ou bien pousser aux conséquences politiques l'opposition au régime démochrétien et donc, entrer peut-être même en conflit avec sa propre manière d'être et de maintenir hautes les bannières de la liberté dans la gauche, ou bien se lancer dans la recherche des nouveaux équilibres politiques vers lesquels les différentes forces polit
iques, de la Dc au Psi, allaient en convergeant, entre la fin des années 50 et le début des années 60. Depuis fin 58, le PR choisit d'abord avec réticence, puis accepta progressivement une voie du second type: de subordonner à la "raison politique" de ce qui s'appela le centre-gauche, ce qui était ses propres contenus spécifiques et la manière tout-à-fait singulière avec laquelle elle se plaçait face à la politique du pays.
Le parti était fragile: il avait recueilli bien sûr dans un premier temps des noms prestigieux de la culture, du journalisme et de l'intellectualité laïque (quelques fois même en les incluant d'office parmi ses adhérents) (7), mais il ne s'était jamais donné, ou il n'avait jamais voulu ou su se donner de véritables structures de force politique. Ses membres ne dépassèrent jamais le nombre de 2000. Plus que dans ses organes et organismes politiques, la classe dirigeante radicale portait sa confiance sur un milieu qui s'exprimait dans les hebdomadaires "Il Mondo" (publié depuis 1949) et "L'Espresso" (publié depuis 1955). Même le groupe dirigeant était partagé par des cultures politiques différentes ou par des comportements différents selon les origines et les provenances, si bien que certains thèmes importants mais contreversés étaient gardés à l'écart du débat et de l'initiative du parti. Premier parmi ces thèmes, la politique étrangère face à laquelle les libéraux de gauche du "Mondo" avaient une atti
tude philo-anglo-américaine et fortement "atlantique", tandis que certaines personnalités provenant de "Unità Popolare" n'étaient pas exempts de sentiments neutralistes.
Les résultats des élections politiques du 25 Mai 1958, affrontées par le PR avec les Républicains, et dans lesquels ne figurait au Parlement même pas un radical, contribuèrent à faire surgir les contradictions du PR en tant que parti, tant au sein de son groupe dirigeant que dans les rapports entre les diverses composantes, et qu'enfin dans la manière même d'affronter la politique, confrontés d'une part à l'intervention directe électorale et d'autre part à l'action de pression menée à travers d'autres forces politiques.
La crise suscitée par le gouvernement Tambroni en Juillet 1960 et la réaction que le Pays y opposa, constituèrent un moment crucial qui provoqua l'accélération du processus vers le centre-gauche. Le PR, dans ses hypothèses politiques, s'était toujours déclaré contre les collaboration avec la DC et avait jugé défavorablement, dès le début de 1959, même la proposition d'"ouverture à gauche" des socialistes (8). Au cours de la période qui va environ de la mi-59 à la fin de 1961, lorsque eut lieu la rencontre sur les "perspectives d'une politique économique", organisée par six revues de la gauche démocratique, dont "Il Mondo" et "L'Espresso" (9), les radicaux, à travers leur classe dirigeante, changèrent pratiquement d'attitude à l'égard de la DC et de la perspective de centre-gauche. Même si, avec des hésitations entre la crainte provoquée par la rencontre des socialistes avec les catholiques, qui aurait pu exalter les caractéristiques illibérales des deux forces, et l'espoir d'une "politique libérale de r
éforme" imposée par les forces laïques d'un nouvel équilibre politique, les radicaux adhérèrent à l'hypothèse politique qui allait en mûrissant. Et en particulier une partie du PR, se référant à Leopoldo Piccardi et à Eugenio Scalfari, misait décidément sur une alliance organique avec les socialistes, pour soutenir et contribuer au cours politique qui allait en s'imposant.
Le Parti Radical, du reste, même sous l'influence de sa propre base et de la partie qui montrait le plus de dynamisme au sein de la direction, avait conclu une alliance avec les socialistes aux élections administratives du 6 Novembre 1960 dans presque tous les Chef-lieux, en obtenant partout des succès d'opinion et d'élus, en commençant par Rome et Milan (10). Ces résultats, la confiance dans les possibilités réformatrices du centre-gauche et de l'action que les socialistes pouvaient y mener, l'accentuation des thèmes économiques référés aux espoirs d'une "planification démocratique" de résolution aux dépens des thèmes institutionnels radicaux plus traditionnels, la perspective d'une alliance politique pour les élections de 1963, furent tous des facteurs qui portèrent à la crise le petit parti.
Crise d'identité politique; crise entre les diverses composantes, dont une, modérée, philo-républicaine et l'autre philo-socialiste: crise du rôle par rapport au centre-gauche réalisé avec la DC qui se profilait inévitablement comme le débouché de l'action radicale commencée, en fonction antidémochrétienne: ces raisons de fond pour lesquelles le parti se désagrégea, tandis que fut provoquée, à la fin de 1961, l'"Affaire Piccardi" (11), une affaire privée qui fut transformée, en prétexte politique. Même le fort noyau des jeunes qui avait représenté l'aspect le plus dynamique et le plus neuf du parti, se brisa parce qu'il n'avait pas eu le temps, selon l'estimation de Giovanni Ferrara, de fixer les exigences communes dans une vision politique matûre et unitaire: "Le groupe... se scinda principalement sur le problème de l'estimation du comportement politique concret à avoir à l'égard des communistes, dans le contexte de la situation européenne. Face à la violence des thèmes politiques, les éléments communs
de l'expérience des jeunes radicaux passèrent au second plan, même si ces jeunes radicaux continuèrent jusqu'au bout à dialoguer entre eux et à se sentir en même temps investis de la responsabilité de tout le parti. Les deux grands problèmes qui touchaient à ce moment-là la sensibilité démocratique et européenne... étaient d'une part la guerre de libération algérienne et le triomphe de De Gaulle en France, et de l'autre la lutte pour la réalisation d'une nouvelle organisation politique de centre-gauche, en Italie" (12).
Il se produisit alors - avec la cassure du groupe des jeunes en une "droite" et en une "gauche", le seul qui aurait pu tenir - la démission, la sortie ou le retrait de tous les personnages de plus grand relief qui avaient constitué le PR, à l'exception de la composante, essentiellement juvénile, qui s'était constituée en "gauche radicale".
2. "Le centre-gauche et l'optimisme technocratique du bien-être"
Le centre-gauche, après une incubation de presque dix ans, se concrétisa dans la formule parlementaire et gouvernementale à cheval sur les élections politiques de 1963. La formule représentait quelque chose de différent et de plus qu'un simple accord de coalition: c'était la réponse de certaines forces politiques à de profonds changements sociaux-économiques dans le pays et la manière avec laquelle une partie de la gauche pensait fournir une solution aux problèmes de la société en transformation qui était apparue avec toujours plus de véhémence autour des années 60. Le centre-gauche n'entendait pas être uniquement l'alliance de démochrétiens, socialistes, sociaux-démocrates et républicains, mais il prétendait représenter un "nouveau cours" qui tirait sa raison d'être, du moins dans cette petite partie de l'intellectualité qui la prépara et l'aida à se réaliser, des nouvelles conditions imposées par le développement capitaliste en Italie comme dans les autres pays de l'Occident européen. Dans la volonté
de ses auteurs, le centre-gauche devait constituer le processus à travers lequel on légitimait la révision idéologique de la gauche et les choix de la partie non communiste de celle-ci et donc dans la nouvelle atmosphère internationale, les nouveaux rapports entre les superpuissances basés sur la philosophie de base de la compétition dans la productivité, de ces rapports.
Les données du formidable développement italien de ces années-là sont connues (le miracle économique) : l'augmentation du PNB, les émigrations de masse du Sud vers le Nord, l'urbanisation et les changements de la géographie de notre pays (autoroutes, banlieues, spéculations immobilières). Même les caractéristiques générales de ces conditions matérielles transformées sont connues: l'expansion indiscriminée des consommations et des biens industriels (et tout d'abord le "boum Automobile") et par conséquent la croissance d'une société de masse bien différente de celle avec laquelle l'Italie était sortie de la guerre. Ce qui se développait dans notre pays c'était une fragile et apparente société du bien-être et de la consommation, avec des expectatives croissantes que d'autres pays européens avaient déjà expérimenté en partie dans cette même période, tout en n'ayant pas encouru la brusque rupture italienne des équilibres culturels et humains précédents. avec l'automobile et les appareils ménagers, augmentai
t aussi la mobilité générale de la population et parallèlement, les moyens de communication de masse prenaient de l'expansion (tout d'abord la télévision) et la consécutive tendance à cette homogéneïsation et cette standardisation culturelle sur des niveaux que la sociologie appelle "modernes". Les transformations matérielles, produites par la poussée de notre capitalisme de chez nous, s'accompagnaient des transformations dans la façon d'être, les goûts, les habitudes, la conscience individuelle et les comportements collectifs de l'italien moyen.
Dans le panorama international aussi on voyait croître les signes de cette particulière "modernisation" qui se présentait sous la forme de la détente et de la coéxistence compétitive. La guerre de Corée avait cessé en 1954 et n'était plus qu'un lointain souvenir de la guerre froide. Même le fatidique 1956 avec Budapest et Poznam, le XXème Congrès du PCUS et Suez, appartenaient à un passé dans lequel la règle avait été la non-ingérence de l'une des deux super-puissances dans les affaires de l'autre. Mais c'est surtout John F. Kennedy et Kroutchev qui personnifièrent, à tort ou à raison, le nouveau cours international, basé essentiellement sur une vision de demande croissante de consommation et de biem-être matériel appliqués à échelle mondiale. L'Urss avait lancé en 1958 le premier satellite, le spoutnik; les Usa avaient répondu à ce "défi technologique" en transformant radicalement et massivement dans le sens technologique leurs propres universités, tandis que commençait la course à l'armement nucléai
re, qui rentrait elle aussi, dans une sorte de compétition planétaire à la recherche d'un monstrueux équilibre fondé sur la force nucléaire réciproque. Sur la scène de la politique internationale arrivaient les pays du Tiers-Monde, qui, durant une brève saison, semblèrent représenter un nouveau cours alternatif à celui des plus grandes puissances, en dehors du cadre conceptuel établi par celles-ci: compétition, technologie, consommation, puissance.
La nouvelle ère qui s'annonçait, naissait ainsi sous le signe technologico-scientifico-rationnel. En Occident on exaltait le "capitalisme des biens de consommation", en Orient, on en eesayait une imitation à travers le "capitalisme d'Etat". La dynamique sociale tendait à l'intégration du phénomène de consommation; la philosophile naissante dans les sociétés industrielles avancées, en commençant par la société américaine qui en consti.tuait le modèle, faisait référence à la "fin des idéologies" et à la "dépolitisation de l'Occident". Sur ce fond, devait changer aussi les réponses politiques, surtout celles de la gauche. Partout en Europe, la socialdémocratie tentait de s'adapter à la nouvelle situation, tandis que les forces communistes étaient bloquées dans l'impasse que le rapport Kroutchev et le processus de déstalinisation avaient créé. En Angleterre le labourisme était investi du révisionnisme gaistellien qui acceptait la société du bien-être sans en mettre en discussion les structures et les valeur
s. En Allemagne changeaient les principes théoriques mêmes de la socialdémocratie réunie en 1959 à Bad Godesberg. En France, le molletisme de la Sfio était bouleversé, comme l'immobile communisme, par la vague de gaullisme et de la réforme paternaliste et technocratique que De Gaulle imposa au pays en s'appuyant sur la crise coloniale. En Italie, l'unique socialisme européen basé sur des positions différentes de la socialdémocratie, s'apprêtait à passer de l'alliance avec les communistes à celle avec les modérés, de l'opposition au gouvernement.
Spécialement en Italie, où les communistes avaient une solide implantation sociale outre la représentation politico-électorale étendue (22,7% aux élections de 1958 et 24,4% aux élections administratives de 1960), la réponse aux nouvelles demandes de la société qui commença à s'appeler "neocapitaliste", ne fut pas donnée par le Pci qui avait pourtant fait, avec le VIIIème Congrès, unpetit procès de révision interne. Et il ne s'agissait pas seulement des objectives difficultés que 1956 avait créé en éloignant du parti un groupe non négligeable d'intellectuels et faisant, en partie, effriter le mythe que l'espoir communiste d'un monde nouveau avait suscité à gauche au temps obscur et immobile de la guerre froide et de l'oppressante atmosphère clérico-modérée; mais on ne croyait plus surtout aux analyses du Pci basées sur les hypothèses de stagnation, de pénurie et de misère croissante produite par le capitalisme monopoliste qui contrastaient avec la nouvelle réalité. Ce fut ainsi que la réponse qui dans le
contexte politique assuma les apparences de la coalition de centre-gauche, dans le contexte culturel, elle se présenta sous forme d'une hypothèse de programme de rationalisation sociale confié à l'intervention de planification de main publique. Sur ces perspectives, qui se révélèrent bien vite comme un espoir illusoire, convergent aussi bien la tradition de la sociologie catholique, opérative à travers l'occupation progressive des instruments de gestion de l'Etat, que la culture laïque et socialiste modernisée par l'assimilation des sciences humaines et sociales de ce monde anglosaxon qui les avaient produites et utilisées dans un tout autre contexte.
Ainsi, une saison particulièrement bouillonnante d'initiatives politico-culturelles, d'études et de recherches, de revues qui résumaient et exprimaient la direction de la recherche collective prédominante (13), constitua le terrain sur lequel la formulation de la nouvelle combinaison politique put avoir lieu et put surtout revêtir une dignité culturelle qui la faisait participer au climat interne et international. La gauche laïque et socialiste italienne pensa qu'un projet sociel était possible en s'appuyant de manière illuministe sur la "salle des boutons" (14) dans une coalition avec la classe démochrétienne qui avait dominé la scène politique et féodalisé la société italienne pendant trois lustres, sans tenir compte de la mobilisation des protagonistes sociaux qui auraient dû être directement intéressés par un tournant de la gestion de l'Etat. Le Pci fut tenu à l'écart en raison de sa réponse insuffisante face aux nouvelles conditions du pays et du choix politique et théorique que faisait la gauche
démocratique, et dans la composante socialiste, convertie récemment à un extrémisme "autonomiste", et dans la composante laïque, qui choisissait le partenaire démochrétien.
Sous le signe des espérances kennediennes, de la corse au bien-être kroutchevien, et du tournant de Jean XXIII dans l'Eglise de Rome, le nouveau cours italien comptait de participer à l'optimisme progressiste général qui en Occident se basait sur la supposition de pouvoir aisément éliminer les graves conflits, ou du moins de pouvoir facilement les réduire.
Il ne fait pas de doute que même les radicaux étaient pris en plein dans le nouveau climat qui s'était créé dans la deuxième moitié des années 50. De ce climat, les ingrédients italiens étaient, d'un côté, le dépassement des manichéïsmes de la guerre froide et une vision plus détaillée de la vie politique et sociale, et de l'autre, une conception optimiste des possibilités de vaincre les maux anciens du pays, qui s'étaient rejoints et ajoutés aux problèmes nouveaux mis à l'ordre du jour du pays par le développement capitaliste sauvage. Les radicaux avaient été bien entendu en partie les artisans du dégel accélèré par 1956, et en étaient par conséquent l'un des resultats politiques; mais, d'autre part, le milieu radical, rapproché de la politique par une vision ancrée aux modèles de vie politique d'une société autre que de masse, était porté à croire qu'avec l'action de pression de groupes politico-culturels, de journaux, avec l'illuminisme idéaliste conjugué à la rationnalité des solutions proposées, on
pouvait vraiment changer le cours des évènements.
Il advint ainsi qu'ils furent eux aussi progressivement gagnés par la conviction qu'un profond revirement politique et culturel était possible. Tandis qu'en Février 1959 "Il Mondo" organisait l'une de ses rencontres "Vers le régime" qui mettait durement en garde dans le même titre contre le comportement démochrétien, "une partie politique qui, détenant le pouvoir de manière incontrastée, tend justement à se transformer en régime, en confondant son propre intérêt avec celui de la généralité, en substituant à la loi, le propre arbitre" (15), quelques mois plus tard, sans hésitations et sans soupçons, l'attention du milieu radical, avant-même qu'avec le parti, entrevoyait la possibilité de collaborer avec les "catholiques démocrates" et par conséquent, en faveur de la réalisation du centre-gauche. "Le problème n'est ni de côtoyer ni de s'opposer aux démochrétiens en tant que tels", écrivait Anonimo dans "Il Mondo", "mais seulement de préparer avec patience les prémisses d'une véritable politique de centre
-gauche à réaliser avec le concours des autres" (16). Et, deux ans plus tard, la crise Tambroni passée et assimilée, pour un autre éditorialiste du même hebdomadaire, le républicain Adolfo Battaglia, qui faisait pourtant parti de ce même milieu, il n'y avait aucun doute: il fallait "un ensemble de forces politiques qui ne parle pas uniquement de réformes, ne se limitent pas à voter des mesures législatives, mais seraient unies sur une formule politique, sentiraient la correspondance entre cette formule et les exigences historiques du pays, et possèderaient en soi le courage, la capacité, l'esprit de gouvernement, le sens de l'état nécessaire pour faire avancer concrètement la politique de renouveau"(17).
Au sein même du Parti radical, l'adhésion au centre-gauche devenait le thème politique dominant, avec des nuances pour chaque composante de la direction. En introduisant le débat de pre-congrès, en Février 1961, on faisait allusion à la convergence (limitée) "avec la partie la plus évoluée du monde catholique" (18) comme un passage obligé de l'affaire politique italienne par rapport à laquelle se mesurait la fonction même des radicaux: En intervenant dans le même débat, Eugenio Scalfari, affirmait que le premier problème à affronter en ordre d'importance était le rapport entre gauche laïque et catholiques démocrates, en même temps que celui entre socialisme et neocapitalisme (19); tandis qu'un laïc "en colère" comme Paolo Pavolini, qui, après les élections de 1958 s'était lancé contre le "pays immature" (20), revendiquait aux radicaux les fonctions d'accoucheuse du centre-gauche, tant par rapport aux socialistes que dans le travail d'accouchement de la Dc "qui ne se serait pas avancée aussi loin sans
nos (radicales) exhortations et nos campagnes" (21). Lorsque la nouvelle formule semblait désormais chose faite, Vittorio De Caprariis, le porte-parole culturellement le plus aguerri et politiquement le plus conservateur de l'aile modérée du "Mondo", s'exclamait dans un éditorial: "la planification est devenue la "tarte à la crème" de la politique italienne!" (22) et mettait en évidence le changement profond du pays qui s'était réfléchi sur les forces politiques, en engendrant une évolution que "l'on peut suivre dans la DC même, au sein de laquelle l'exigence de ce renouveau et le problème d'un accord avec les socialistes ont progressé lentement mais sûrement" (23).
Toute absorbée par le thème de "l'élargissement du bloc démocratique" vers la gauche pour "isoler les communistes", la culture laïque dans ses secteurs majoritaires et prestigieux, ceux qui se regroupaient justement autour des revues radicales comme "Il Mondo" et "L'Espresso", qui avait joué durant les années précédentes la carte politique directe et autonome avec le PR, ne s'apercevait pas qu'en Italie, comme dans les autres pays européens, étaient nés de nouveaux conflits. Ces derniers ne pouvaient pas être affrontés avec les instruments du groupe d'opinion, et ils ne pouvaient pas non plus être compris sans repenser à fond dans le contexte de la nouvelle société, la signification des valeurs du libéralisme radical. Un autoritarisme moderne qui assumait de nouvelles formes sévissait: en France avec l'affaire algérienne; en Allemagne, avant-même qu'en Italie, avec la main-mise de l'Etat et avec ses moyens d'intervention et d'intégration; partout ailleurs avec la dégradation des formes traditionnelles d
e la démocratie parlementaire et pour lesquelles on imposait des modes plus organiques pour contrôler la société en transformation.
De tout cela les forces laïques avec les radicaux se préoccupèrent bien peu. C'est Vittorio De Caprariis, le plus doué des interprètes théoriques du libéralisme, qui soutien ouvertement que le rôle et la fonction de ce bloc culturel et politique ne pouvait qu'être lié à une seule formule: "les forces du centre-gauche laïque savent très bien que le problème d'un tournant dans la politique italienne réside dans les choses; et il savent par conséquent que leur survie en tant que force politique est liée à la solution de ce problème" (24).
3. "Les nouvelles oppositions en Europe"
Récemment, certains ont soulevé la question de la continuité et de l'héritage des nouveaux radicaux en rapport aux "vieux" radicaux (25). Il faut remonter au début des années 60 pour examiner les différences de comportement politique et théorique, d'une part, des milieux du premier PR, et de l'autre, des nouveaux radicaux devant les changements structuraux italiens et des aspects politiques qui s'ensuivirent. C'est devant ces deux noeuds que des hommes de la même tradition idéale, la démocratie libérale, même si de générations différentes, brisèrent le point de convergence très précaire qui les avait tenu unis politiquement au Parti Radical, et qu'ils choisirent de poursuivre des voies différentes et distinctes: l'une, de caractère laïco-libéral modéré, et l'autre, de la révolution démocratique et libérale. Les choix effectués alors, et fondés sur des divergences d'analyse, auraient amené, ce que l'on a appelé alors "gauche radicale", à commencer à donner corps à une nouvelle hypothèse politique: nouvel
le dans la stratégie, dans les méthodes et dans la manière même de faire de la politique, même si les objets politiques vers lesquels se dirigeait la nouvelle action, étaient par différents côtés, les mêmes que ceux de laprécédente tradition libéraldémocratique et radicale.
Du reste, on ne peut guère comprendre le détachement du nouveau radicalisme de l'ancien, si l'on ne le considère pas dans le contexte de la naissance de nouvelles oppositions aux régimes modérés et, plus généralement, des situations de conservation et de nouvel autoritarisme rampant un peu partout en Europe. Ces oppositions étaient nouvelles parce que, nées aussi bien du filon marxiste que du filon libéral et chrétien, elles se placèrent en dehors des organisations politiques des deux plus grandes familles politiques de gauche, la communiste et la socialdémocratique.
Ces ferments qui, de fois en fois, se présentèrent sous forme de révoltes, de campagnes spécifiques, d'agitations, de mouvements, de luttes ou de fragments de lutte, et de recherche et de débat, furent, aussi bien d'ordre théorique que liées à l'action, dans tous les cas pour découvrir et mettre au premier plan les nouvelles réalités qui n'avaient pas été comprises dans la politique des gauches officielles.
Au premier type (théorique), en Italie comme ailleurs, et peut-être même avant qu'ailleurs, il faut attribuer la tendance de ces années-là, à "revenir à Marx", en en redécouvrant et relisant les messages ignorés, dans l'urgence de trouver des raisons à opposer à la tendance d'"intégration" des classes ouvrières et aux défaites de ses organisations politiques et syndicales. Dans notre pays on commença à enquêter sur la réalité transformée des usines en même temps que l'étude théorique (révision et relecture) de Marx et d'autres marxistes de la ligne libertaire et des réunions de conseil: ainsi naissaient les "Cahiers Rouges" autour de Raniero Panzieri (26), premier symptôme du travail d'enquête qui précéda les mouvements d'insurrection ouvrière des années futures.
Au second type d'action, appartenaient les nouvelles gauches qui se développaient autour des mouvements spécifiques avec des matrices plus complexes, et toujours orientées vers la pratique de l'action politique. C'est ainsi que la "Campagne pour le Désarmement Nucléaire" représenta la nouvelle gauche anglaise en acte (1958-1963), et la résistance à la guerre d'Algérie, le mouvement des insoumis et des réfractaires et les réseaux Jeanson, la nouvelle gauche française (1958-1962), (27).
Ces deux dernières étaient des situations dans lesquelles, face aux contradictions nouvelles (la Bombe et les répercussions du colonialisme dans la métropole), naissaient des réponses politiques étrangères du point de vue de l'organisation, à la gauche traditionnelle; et ni les sociaux-démocrates, ni les communistes ne surent saisir, alors qu'ils se manifestèrent, tout le sens de mobilisation explosive qui s'était produite en Angleterre et celui de l'affrontement crucial qui sévissait en France. Ces deux mouvements représentaient aussi et spécialement, de nouvelles manières de faire de la politique non dirigées par les grandes organisations qui étaient devenues - pensait-on - bureaucratiques. De plus, dans le mouvement français, on retrouvait des hommes de provenance laïque et chrétienne, socialiste et libérale, marxiste et libertaire, qui tous, redéfinirent des positions, des analyses et des retranchements, en posant des prémisses, moins politiques qu'idéales, des motifs de fond du mouvement extraparle
mentaire de Mai 1968. En Angleterre, le mouvement anti-atomique représenta à son tour un moment de mobilisation de masse, de caractère libéral et humaniste, dans le sens de la profonde contestation de la nouvelle rationalité technologique et de la société du bien-être qui dépassait très largement le motif spécifique pour lequel il était né. Tant en Angleterre qu'en France, les réponses des mouvements de la nouvelle gauche furent les réponses d'une nouvelle façon d'être libérales et socialistes devant les grands thèmes que l'Occident avait en face de lui et auquels les forces traditionnelles du progrès et de la liberté, dans leurs organisations historiques, n'avaient pas été en mesure d'affronter.
La gauche radicale en Italie était elle aussi consciente de la naissance des nouvelles oppositions à partir des luttes spécifiques et non pas de révisions théoriques. Ce n'était pas uniquement la communauté des thèmes, ni l'affinité dans la manière d'affronter la politique qui associait le petit groupe radical italien aux plus importantes expériences européennes. Il s'agissait, plus généralement, d'un état d'âme commun, face au noeud central des nouvelles sociétés européennes qui devaient, toutes, tenir compte des tendances autoritaires possibles, dûes à la croissance des instruments techniques et rationnelles d'intervention, de manipulation sociale et d'intégration dans la société présumée de bien-être.
La réponse du groupe radical italien assuma ainsi, elle aussi, la signification d'une redéfinition politique de ce qui devrait signifier dans quel nouveau contexte "faire" vraiment (et non pas seulement "être" les libéraux, de quelle manière devaient-être trouvées les forces et les structures de liberté contre celles de la non-liberté, quels sujets historiques pouvaient assumer pour leurs conditions matérielles, un rôle de renouvellement, et quelles institutions du pouvoir devaient être décelées comme dangers pour la démocratie pour être combattues.
4. "L'héritage du mouvement des étudiants"
Au moment de la dichotomie entre nouveaux et vieux radicaux, il faut se demander où, quand et en quoi tirait son origine politique et idéale, le groupe de la gauche radicale, et comment il manifesta les positions qui furent à l'origine de toute l'affaire des nouveaux radicaux au cours des vingt années suivantes.
Il ne fait aucun doute que le patrimoine radical - dans la ligne radicale lombarde fin XIXème, Salvemi, Gobetti, Justice et Liberté, Carlo Rosselli, homme d'action politique plus que théoricien, Parti D'Action, le Croce de la religion de la liberté, Ernesto Rossi - appartient complètement à la gauche radicale non seulement sur le plan historico-idéal, mais aussi sur le plan politique des positions que le PR avait représenté depuis sa constitution. Mais il y avait eu d'autres expérimentations et expériences politiques qui avaient marqué bon nombre du petit groupe initial de gauche radicale (28) en même temps que d'autres jeunes gens qui devaient par la suite continuer ailleurs leur propre action militante politique (29): c'était l'expérience de l'Union des Etudiants Italiens et de la politique universitaire.
Plusieurs des comportements généraux dans la manière de faire de la politique et des évaluations à l'égard des principaux courants politiques et culturels du pays provenaient de la présence laïque dans l'université qui avait été dès 1949, un phénomène original, relativement grand même dans le cadre d'une affaire qui avait intéressé pas plus de quelques dizaines de milliers d'universitaires. De là venait, par exemple, le sens de la conception de l'autonomie de chaque moment politique face aux dépendances et aux hégémonies: "autonomie, n'est pas seulement le produit de la collaboration, mais c'est une qualité intime de chaque groupe" (30), avait dit Marco Pannella dans sa réplique en tant que président de l'Unuri au congrès des de l'Union nationale des universitaires de 1957, en développant l'affirmation que "UGI et "Intesa" ne peuvent conserver trop longtemps les données équivalentes dans la vie du pays, monde laïc et monde catholique officiel" (31).
Pendant dix ans la politique universitaire avait représenté une sphère fortement autonome par rapport aux équilibres politiques du pays; et en particulier la force laïque de l'UGI n'avait absolument pas été la transposition mécanique des partis laïcs plus petits (Pli, Pri, Psdi), mais un moment vécu dans son expérience spécifique autour de laquelle se formaient des raisons d'unité, de convergence et de division. C'est ce que soulignait Brunello Vigezzi dans un essai très lucide sur les "étudiants": "La polémique initiale, plus instinctive que méditée, de l'Ugi envers les ingérences des partis dans la vie universitaire, s'était transfrmée en un jugement conscient à leur égard. En tentant une oeuvre de rénovation moderne de l'institut universitaire, on avait vu avant tout comme les partis lui étaient étrangers; comme aucun d'eux n'était capable d'une initiative concrète en ce sens. La polémique avec les autres groupes universitaires avait raffermi cette conviction. Il se manifestait dans les partis, une r
upture entre culture moderne et action politique: d'où leur incapacité de se poser de manière efficace le problème de l'école" (32).
La formule qui exprima cette méthode à l'Ugi, "Non pas unité des forces laïques mais unité laïque des forces en tant que base de la démocratie", symbolisait le détachement de toute conception de troisième force des partis plus petits et affirmait par contre comme valeur, la méthode laïque de la manière avec laquelle on reste ensemble plutôt que la matrice idéologique. Giorgio Festi, un responsable de l'Ugi, rappelait au Congrès de Florence de 1952, comment en Italie, il avait manqué la contribution civile et culturelle de l'associationnisme par rapport à la prépondérance du partitisme": "L'association n'a pu s'épanouir parce qu'elle n'a pas trouvé de terrain propice, finissant toujours par être absorbée ou détruite par des intérêts et des privilèges supérieurs. Ce défaut réapparaît aujourd'hui et nous nous l'appelons partitocratie. Les associations n'expriment jamais leur originalité et elles adhèrent aux influences des partis, ils les appuient pour trouver une raison de continuité et de force. Le défa
ut ne réside pas dans les partis mais dans l'absence d'une responsabilité civile précise de nos organisations, et en fin de compte, dans l'humiliante absence d'autonomie" (33).
L'associationnisme et les modalités laïques de son organisation contre le parti-temple et contre le parti qui englobe tout, aurait été une redécouverte charnière du nouveau PR qui aurait recherché avec obstination des modalités d'unité à gauche, en en refusant constamment les formes "frontistes" rôdées, tant dans les simples manifestations que dans l'organisation de mouvements spécifiques. Du reste, le mouvement universitaire laïque, avait su gagner sur ces lignes, une effective hégémonie dans la première partie des années 50. Et ce succès eut probablement une influence sur la conviction des nouveaux radicaux, de pouvoir répéter, même dans le pays, après dix ans, ce qui s'était produit dans l'université, c-à-dire aqffirmer un vigoureux "mouvement" laïc et pas seulement une "position" laïque.
Les laïcs de l'Ugi affirmèrent, en rapport aux membres catholiques et communistes, des modes originaux de rencontre et d'affrontement que l'on a retrouvé dans les hypothèses politiques radicales suivantes. La collaboration avec les catholiques fut recherchée par l'Ugi dans les moments de base comme confrontation d'expériences effectives d'associations originales et dans le refus des métayages du pouvoir. Aux communistes et aux socialistes, ses alliés du moment, l'Ugi offrit l'ouverture de ses associations en demandant à chaque étudiant, l'acceptation de la méthode démocratique, sans ententes qui passaient à travers des partis, selon une position qui se révéla victorieuse, si bien que le groupe universitaire même du Pci, le Cudi, fut dissout en 1957, en invitant ses membres à converger individuellement vers l'organisation unitaire laïque et de gauche.
Une position assez semblable à celle des associations Ugi, basée non pas sur des critères d'organisation ou d'idéologie, mais sur des formes ouvertes, a été retrouvée aussi bien dans les mouvements et les ligues proposés par les nouveaux radicaux, que dans les débats sur le statut radical. Lorsque, par ex. le mouvement pour le divorce s'organisa en 1966 en LID, même cette ligue se présenta comme une organisation qui ne juxtaposait pas les représentants des forces laïques, mais comme un moment autonome qui se basait sur la méthode de travail commun aux objectifs concrets, une méthode offerte et demandée à des "gens" à qui l'on ne demandait ni l'origine politique ni leur appartenance idèologique. Enfin, ces mêmes concepts qui inspiraient l'associationnisme de l'Ugi et son caractère laïque, furent reversé dans le débat sur le Statut du Premier Parti Radical (1956) de la part de ses membres les plus jeunes. Puis, arrivés à maturation politique, dans le statut que le nouveau PR se donna en 1966, basé sur le
modèle fédératif, sur une adhésion limitée dans le temps et sur un programme de travail annuel, sans forclusions idéologiques, presque un pacte pour les batailles à livrer en commun, enfermé dans les devoirs et doté de larges zones d'autonomie.
5. "La gauche radicale"
Le premier signe extérieur de la gauche radicale fut la parution en Mars 1959, d'un article de Marco Pannella dans "Il Paese", sur "La gauche démocratique et le Pci" (34), qui reprenait des argumentations déjà soutenues à l'intérieur du parti en diverses occasions. Dans cet article polémique par rapport aux thèses radicales et au Pci, deux thèmes centraux étaient posés, qui devaient caractériser par la suite, dans l'isolement, la stratégie des nouveaux radicaux: la nécessité d'une alliance de toute la gauche, Pci compris, et la formulation d'une proposition de candidature au pouvoir de la gauche à travers "une alternative démocratique de gouvernement".
"Ce sont, en Europe, les choses à poser, de manière dramatique, la question: si l'alliance de la gauche démocratique est compatible avec la gauche communiste pour la défense et le développement de la démocratie" affirmait Pannella. Et, en répondant lui-même de façon positive, il développait l'hypothèse stratégique de l'alliance, enmettant en évidence les diversités profondes et la nécessité d'une confrontation entre la conception communiste et la conception démocratique, avec le maintien de l'autonomie de cette dernière. Le dialogue entre gauche démocratique et communiste était donc vu, non pas comme la supposition d'une alliance frontiste, mais en positif, comme une possible plateforme d'alternative réformatrice de gouvernement, qui sut se placer dans l'horizon européen et eut comme interlocuteurs effectifs, les socialdémocraties et les syndicats européens.
Cette position était considérée alors comme hérétique tant sur le plan théorique de l'ouverture d'une discussion avec les communistes de la part des forces de la gauche démocratique toute plongée dans l'isolement communiste, que sur le plan politique, pour avoir simplement désignè une alternative à la proposition du centre-gauche. Les milieux radicaux liquidèrent rapidement l'ouverture de la question, en soutenant dans un éditorial du "Mondo", intitulé "L'alliance des imbéciles", que l'on ne comprenait pas très bien la raison pour laquelle les "démocrates devraient donner de l'importance aux thèses d'un radical qui répète par hasard dans un journal communiste les thèses que le Pci essaie de diffuser depuis des années. Il vaut mieux parler, somme toutes, avec Monsieur Toglatti" (35).
A l'intérieur du parti, la gauche apporta officielle ment ses thèses à un conseil national de Novembre 1960 (36) avec un document qui se présentait en quatre parties, chacune desquelles affrontant les questions cruciales sur lesquelles qualifier une politique radicale. La première "sur les rapports avec le monde catholique et pour l'abolition de l'art.7", affirmait qu'"en 1960, la thèse de la rencontre entre les masses catholiques et les masses progressistes et modernes, ne peut-être considérée suffisante et adéquate aux intérêts objectifs de notre pays, ni consécutive aux évènements des dernières années". En contestant le fait que c'étaient les "forces catholiques qui devaient diriger tout processus de changement radical de la situation", il mettait en évidence la fonction politique de convergence autour du monde catholique des intérêts non seulement de l'Eglise "mais aussi de la classe capitaliste et réactionnaire", et en repoussant le Centre-gauche, il proposait une initiative adressée à toute la ga
uche pour la "constitution d'un comité national de défense de l'Etat et pour l'abolition de l'art.7 de la Constitution".
Dans la deuxième, sur la "signification de l'alliance du Pr avec le PR, et de la volonté de poursuivre une politique de gauche démocratique", on écartait les interprétations qui voulaient l'alliance entre socialistes et radicaux comme la rencontre des classes intellectuelles et bourgeoises avec les forces populaires, et l'on affirmait que "le PR fait partie intégrante de ces dernières: il en partage le destin, la volonté, les problèmes; il en interprète les idéaux et, de manière autonome, il en élabore les objectifs politiques en terme de religion de la liberté, de respect de dialogue, d'aspiration démocratique, de volonté révolutionnaire". Ce qui était remis en question c'était la conception de la représentation politique en terme de classes qui voyait les radicaux comme l'expression de la "bourgeoisie libérale" et les artisans d'"opérations paternalistes par rapport aux nécessités révolutionnaires et socialistes de la lutte politique", au lieu de l'expression politique unitaire des forces de gauche qu
i s'était concrétisée en une alliance électorale.
Dans la troisième section, le document rappelait l'insurrection hongroise qui demandait "aux démocrates de tous les pays et de toute doctrine, l'engagement de chercher et d'imposer les solutions aux problèmes de notre temps, qu'ils se montrent capables de résoudre par de concrètes conquêtes libérales et révolutionnaires, les aspirations et les gestes de liberté des individus et des peuples", justement au moment où l'on postulait l'ouverture d'une discussion avec les communistes en vue d'une possible et nécessaire alliance.
Dans la quatrième proposition de déclaration enfin, consacrée à la "politique pour la paix", on prenait du recul par rapport à la traditionnelle politique étrangère occidentale des gauches démocratiques et l'on adoptait une attitude de polémique avec tous ceux qui n'étaient pas suffisamment attentifs "aux mouvements et classes dirigeantes, idées et partis qui ont une profonde vocation autoritaire et guerrière". Le détachement de la manière avec laquelle les forces d'inspiration libérale concrétisaient leur politique internationale apparaissait très nettement: "ceux qui ont représenté pendant des decennies l'idée et la volonté libérales, semblent touchés par une logique desespérée de renoncement et d'abandon; le monde occidental, dans une préoccupation erronée d'efficacité dans la compétition qui le confronte au monde oriental et afro-asiatique, cherche toujours davantage à se défendre à travers une politique de puissance qui s'exprime avec le soutien coupable aux régimes et aux classes dirigeantes fasc
istes, cléricaux et réactionnaires". On désignait donc en positif, une série d'objectifs: "la fédération européenne à poursuivre immédiatement à travers des élections directes; le désarmement atomique et conventionnel de toute la zone continentale européenne avec l'abolition consécutive des armées dans les pays de cette zone; la paix séparée et conjointe avec les deux Allemagnes; la dénonciation consécutive du pacte militaire Otan et de l'Ueo; la proclamation du drois à l'insoumission et à la désobéïssance civile...: la fédération ou du moins l'organisation commune de tous les mouvements socialistes, populaires et révolutionnaires... en Europe occidentale".
Début 1961, la perspective du Centre-gauche était presque chose faite, et le PR en faisait tout-à-fait partie. La gauche radicale se présenta au second congrès du Parti (Mai 1961) en ayant approfondi et développé ses propres thèses dans le débat précédent le congrès. Pannella, tout en souhaitant des solutions unitaires du congrès, rappelait que "ce qui nous divise ce n'est pas seulement les diversités de méthode, mais aussi les diverses évaluations sur la substance de la bataille politique que nous livrons et sur la fonction de notre autonomie dans le cadre de la lutte de la gauche italienne contre le cléricalisme, les nationalismes de tout genre, le patronat et la main-mise classiste de l'Etat" (37); Pergameno désignait deux directives de politique immédiate pour les radicaux: premièrement, commencer la bataille pour la fédération européenne contre l'union des partis du centre-gauche en Europe; deuxièmement, essayer de réaliser en Italie, un gouvernement Psdi, Pri, Psi et radicaux avec l'appui extéri
eur des communistes" (38); Mario Cattaneo, en dénonçant le glissement des positions du PR vers la collaboration avec la DC, demandait "nous ne voulons pas une politique alternative, d'opposition, nous voulons préparer une alliance de gauche démocratique dans cette direction: ni DC ni Pci" (39) en accentuant la fonction autonome des radicaux et en proposant des solutions aux problèmes. Ce deuxième et dernier (du premier parti) Congrès du PR, non seulement il se termina sans solutions unitaires, comme le demandait la gauche, mais avec l'exclusion de cette dernière, même en tant que minorité, de l'organe central, le conseil national, grâce à un jeu de vote organisé par la majorité (40). Ces évènements internes, en plus de ceux de la scène politique du pays, accélérèrent le processus d'organisation du groupe majoritaire, avant même que ce même groupe ne fut préparé à faire. En Octobre 1961 parut le premier numéro de "Sinistra Radicale (41), bulletin mensuel d'information politique qui fut publié pendant un an. L
e premier éditorial s'ouvrait sur une déclaration sèche: "Non au centre-gauche, un non définitif, sévère et clair" (42) qui donnait le ton du programme politique. Ce refus se plaçait dans une vision européenne qui décelait, dans l'opposition entre le bien-être matériel d'une part et le développement des ressources démocratiques pour se rebeller de l'autre, l'alternative face aux gauches.
"Lentement", poursuivait l'éditorial, "artificiellement, les techniques des solutions obligées, sont placés au centre de la vie politique, pour enterrer les politiciens que les radicaux ont eu le mérite d'imposer à l'attention du pays; on assume comme finalités, des instruments qui peuvent servir les idées et les finalités opposées" (43).
L'attention du groupe était dirigée vers des phénomènes nouveaux en développement en Europe, qui s'opposaient à la dépolitisation et à la technisation de la politique. Parmi ceux-là, les nouvelles oppositions françaises eurent une importance toute particulière, oppositions auquelles "SR" consacra trois services d'ouverture: Jacques Vergès, défenseur des algériens, présentait une proposition d'un "Nurenberg pour crimes colonialistes"; un éditorial de Vercors sur la façon d'être "partisan" de la nouvelle situation, écrit pour la nouvelle revue "Partisans" sequestrée; et une interview de Francis Jeanson, qui avait été le chef des réseaux d'insoumission durant la guerre coloniale. L'attention envers la nouvelle gauche française avait des raisons objectives en plus des raisons subjectives: Marco Pannella, qui résidait en France à cette époque-là (44), était en contact politique avec les milieux des nouveaux résisatants, et constituait le canal par lequel on transmettait au groupe italien une particulière sen
sibilité pour l'affrontement crucial qui sévissait outre-alpes, un affrontement qui avait toute sa valeur pour l'Europe toute entière et donnait des indices significatifs sur les positions et sur les comportements de la gauche toute entière.
"SR" développait le thème du désarmement et du pacifisme que le groupe italien et des initiatives analogues d'autres pays alignaient et rendaient plus nette la différenciation de la loyauté atlantique des radicaux du "Mondo", comme les comportements neutres des socialistes et de leurs sympathisants. Les propositions internationales du groupe étaient exprimées à maintes reprises par Giuliano Rendi qui servait à l'époque de nom de pointe pour les thèmes, aussi bien dans l'approfondissement de la position, que dans sa publicisation d'initiatives de politique étrangère. "On se bat pour la paix aujourd'hui", écrivait Rendi, "d'un côté en s'engageant pour le désarmement et pour la détente, et de l'autre pour la lutte contre le colonialisme et le développement du pouvoir supranational de l'Onu et de l'admission de la Chine. L'objectif central est par conséquent un plan de désarmement, atomique et conventionnel, sur le plan européen, des frontières de l'Urss à la Manche" (45).
A la proposition d'une ligne politique répondaient des initiatives spécifiques ou des propositions de représentants de la gauche radicale: ils participaient à la première marche Perugia-Assise (Septembre 1961) et ensuite à la marche des Cent Municipalités, Camucia-Cortona, (Mars 1962); ils se faisaient promoteurs de la Consulte Italienne pour la Paix où convergeaient le Mouvement pour la paix d'inspiration communiste et le groupe pacifiste nonviolent rassemblé autour d'Aldo Capitini; ils constituaient un"Comité pour le désarmement atomique et conventionnel du bloc européen"; ils participaient activement à la rencontre nationale sur les problèmes du désarmement (Florence, Mai 1962) durant laquelle Giuliano Rendi tînt une relation avec celle de Lucio Libertini, Velio Spano, Aldo Capitini, Paolo Vittorelli et Giovanni Favilli; ils allèrent à Moscou pour la Rencontre mondiale pour le désarmement général et la paix, et à Oxford, en tant que membres de la Confédération internationale pour la paix et le désar
mement qui regroupait des mouvements pacifistes, antiatomiques et de nouvelle gauche de l'Occident.
Et c'est justement sur les thèmes de la paix et du désarmement, à l'ordre du jour sur la scène internationale ces années-là, que la gauche radicale tentait un rapport unitaire avec la gauche toute entière et en particulier avec les communistes, tout en soutenant sa propre position autonome qui reprenait en Italie celle des initiatives hétérodoxes analogues des autres groupes et mouvements occidentaux. Le comportement des radicaux face au Pci, se basait sur la recherche de moments de convergence sur des initiatives spécifiques, avec l'intention de conserver au maximum leur autonomie et d'expliquer les raisons critiques de diversité sur chaque thèmes des positions radicales par rapport à celles des communistes.
Cette politique de l'unité critique à gauche, était concrètement soutenue, outre les organisations et initiatives pour la paix, également dans celles pour l'école, pour l'université, et dans la politique des organismes locaux. Plus en général, alors que dans le pays on allait réaliser le premier gouvernemt de centre-gauche, la gauche radicale énonçait l'hypothèse stratégique du rapport avec les communistes et la nature que ce dernier aurait dû assumer: "dans son équilibre précaire, la vie politique italienne n'offre pas en réalité des débouchés différents à une authentique reprise de développement libéral. Face à une nouvelle Hongrie, face à un chantage atomique, nous savons bien quelle est notre place; et les communistes aussi le savent bien. Mais qu'ils continuent leur procès de destalinisation et leur refus de la politique des blocs, jusqu'aux extrêmes conclusions, et nous, comme disait Salvemini, nous serons unis. Il y a davantage: nous affirmons qu'il nous revient à nous démocrates, comme aux commu
nistes, la tâche de continuer ce processus de rapprochement de la démocratie politique du communisme et de reconduire le thème essentiel aux valeurs historiques de l'Europe Occidentale. Ce processus, difficile et dialectiquement complexe, est pour nous déjà commencé. Vouloir affirmer que le but est loin n'est qu'une façon de l'éloigner et le refuser" (46).
L'initiative vers l'extérieur s'acompagnait, pour la gauche radicale, à l'action interne au Parti, qui, après le Congrès de Mai 1961, allait progressivement en se désagrégeant. En Novembre 61, les deux groupes de la majorité présents à la direction et au secrétariat, entraient en conflit, les uns (regroupés autour de Cattani) en adressant l'accusation d'excessif dynamisme à gauche, au plus grand responsable des autres (Piccardi). "Sinistra Radicale" commentait: "La dissension de fond, plus qu'en termes politiques, s'est manifestée sur le terrain de la compétition et des incompatibilités personnelles. La direction se divise entre une position de philosocialisme accentué et une position de lamalfisme atténuée sans que de part et d'autre l'on réussisse à définir au-delà des préoccupations tactiques et de formations, les raisons d'une consistante autonomie du Parti Radical" (47).
Entre-temps, la gauche qui agissait en défense du parti, gagnait la majorité dans certaines situations locales, comme à Rome, où elle faisait partie des organes de direction, et à Milan (48). En s'appuyant sur le cas Piccardi, intervenu après et non pas avant la recrudescence des contrastes entre les deux groupes majoritaires, le porte-parole des modérés, Cattani, assumait en Février 62 le secrétariat du parti, tandis que le prestigieux Ernesto Rossi abandonnait après plus de dix ans sa précieuse collaboration au "Mondo". Les directeurs des hebdomadaires porte-parole du milieu radical, Mario Pannunzio du "Mondo" et Arrigo Benedetti de l'"Espresso" avaient démissionné du Parti, donnant ainsi le signal au processus de liquidation qui touchait son sommet le 25 Mars 1962, avec l'abandon du parti par le secrétaire, Cattani. Alors que les élections municipales de Romes étaient convoquées, pour le 10 Juin, la gauche désormais presque seule dans le parti, s'en assuma entièrement la représentation, en présentant
une liste dont le poids politique était soutenu par Marco Pannella, Giuliano Rendi, Gianfranco Spadaccia, Massimo Teodori et Angiolo Bandinelli (49). Quelques mois plus tard, même Bruno Villabruna, Leopoldo Piccardi et les autres responsables de son groupe qui étaient restés au Parti, se retirèrent. Certains d'entre-eux donnèrent naissance sous l'impulsion d'Ernesto Rossi, au "Mouvement Salvemini". Au cours des mois de Mars à Octobre 1962, presque tous ceux qui avaient constitué le PR en 1955 s'étaient retirés: les piccardiens, les laïcs modérés qui tentèrent sans succès une "Union radicale des amis du monde", le groupe des jeunes n'appartenant pas à la gauche (Rodota, Ferrara, Jannuzzi, De Mauro, Mombelli, Craveri), Ernesto Rossi et Eugenio Scalfari, et avec eux, la majorité des membres actifs sur le plan national et local. Lagauche radicale, à elle seule, assuma la tâche d'hériter le sigle radical avec le bonnet phrygien.
Dans l'éditorial de son dernier numéro, "Sinistra Radicale" commentait ainsi le problème qui se posait au groupe, sous le titre emblématique "Que faire?" : "Tandis qu'une grande partie de ceux qui l'on partagée regagnent aujourd'hui des positions modérées et finissent par s'adapter au rôle de techniciens de tel ou tel groupe de centre-gauche, tandis que de nombreux autres, découragés par tant d'abandons, s'éloignent d'un engagement politique aussi original, pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas disposés à renoncer. Tout en exprimant notre volonté de continuer sur la ligne radicale, nous ne nous cachons pas le fait que nous-mêmes avons été impliqués dans la crise du parti, et que nous n'avons pas de solutions toutes prêtes pour continuer... Nous croyons en effet, devant les nouvelles fermetures que la situation politique italienne semble présenter, et dans le grave tableau européen qui se profile, que des minorités "laïques" actives et décises, déployées sur les grands problèmes "civiques" et éco
nomiques, moraux et techniques, idéaux et réalistes, peuvent jouer un grand rôle révolutionnaire avec les forces traditionnelles de la gauche prolétaire et socialiste" (50).
"Notes"
1. Intervention de Leo Valiani au IIème Congrès national du PR, Rome, 23-24 Juin 1956, "Le Parti Radical et la situation politique" par le PR, p.30.
2. Ibidem, p.32.
3. il suffit de rappeler ici les titres des "Rencontres du "Monde"" les plus importantes: "La lutte contre les monopoles" (Mars 1955), "Petrole en cage" (Juillet 1955), "Procès à l'école" (Février 1956), "Les maîtres de la ville" (Avril 1956), "Atome et électricité" (Janvier 1957), "Etat et Eglise" (Avril 1957), "La presse en état d'alarme" (Février 1958), "La crise de la gauche" (Avril 1959), "Vers le régime" (février 1958), "le mandarinat de l'électricité" (Mars 1960).
4. Extrait de "Un programme radical", par le service de presse du PR, publication pour les élections du 20 Juin 1956.
5. Ernesto Galli Della Loggia, "Idéologies, classes et moeurs", extr. "Italie contemporaine 1945-1975" par Valerio Castronovo, Edit.Einaudi, Turin, pp.414-415.
6. La liste de l'"Alliance radicale-républicaine" obtint 405.782 voix, soit 1,4%, au lieu de 1,6% remporté par le PR tout seul aux politiques de 1953. Il n'y eut aucun radical sur les six députés élus, bien que fut claire, d'après l'analyse des votes de préférence, la contribution des radicaux, surtout dans les grands centres urbains tels que Rome, Milan, Turin, où les candidats du PR étaient en tête de liste (à Rome, les premiers des non-élus).
7. Pour avoir une idée du nombre et de la qualité des signataires du manifeste radical, voir "Pour un parti moderne", éditorial du "Mondo" du 24 Janvier 1956, à l'occasion de la Ière rencontre nationale, 4-5 Février 1956, auquel faisait suite une lettre de Guido Calogero et une autre de Leopoldo Piccardi. Dans cette liste d'adhérents et dans les suivantes, on avait inclu également d'office des noms d'intellectuels non-inscrits au PR mais considérés comme faisant partie du milieu radical.
8. Dans la relation politique du conseil exécutif au congrps national du PR (Rome 27 février-1er Mars 1959), on pouvait lire: "... de cela découle notre constante opposition aux gouvernements de coalition qui se sont suivis et dans lesquels personne n'a réussi à conditionner la domination de la DC... La victoire de la DC, même si elle n'est pas absolue, a considérablement renforcé le danger de sa transformation en régime. Par conséquent, toutes nos instances sont restées valables, des instances d'une opposition intransigeante à la cléricalisation envahissante, jusqu'à la restauration de l'empire de la loi, miné par l'expansion croissante du sous-gouvernement clérical, et jusqu'à la nécessité de combattre et de moderniser toute notre structure économique... [La majorité autonome du Psi], abandonnés les leurres de l'ouverture à gauche, elle s'est décidée à opérer sur la ligne d'une alternative qui rassemble dans l'exercice de l'opposition constitutionnelle, les forces capables d'affronter et de résoudre les g
rands problèmes de la vie nationale".
Voir également: Anonyme, "Les radicaux et les autres", du "Mondo", 10 Mars 1959, où l'on affirme que les radicaux devaient rester ancrés sur leurs positions "pour renverser ou du moins réduire considérablement le pouvoir de la DC, pour créer un front entre les forces démocratiques de gauche laïque et socialiste, pour contrecarrer toute convergence des oppositions constitutionnelles et des oppositions subversives".
9. "Perspectives d'une politique économique", rencontre organisée par "Il Mondo", "L'Espresso", "Critica sociale", "Mondo Operaio", "Nords et Sud", "Il Ponte", Rome, 28-29 Octobre 1961.
10. Aux élections administratives de Novembre 1960, à l'exception de Turin où la liste autonome avec le symbôle radical élut Bruno Villabruna conseiller communal, dans les autres villes principales il y eut 51 conseillers municipaux et 1 conseiller provincial dans des listes d'alliance PSI-PR. A Rome furent élus les radicaux Leopoldo Piccardi, Antonio Cederna et Arnoldo Foà; à Milan, Eugenio Sclafari, Alessandro Bodreo, Sergio Turone et Elio Vittorini.
11. L'"affaire Piccardi" fut soulevée par le groupe des radicaux du "Mondo" suite à la nouvelle contenue dans l'ouvrage de Renzo De Felice ("Histoire des juifs italiens sous le fascisme"), de la participation à deux rencontres italo-allemandes où l'on abordait les thèmes raciaux des années 1938-39. Le mode de participation de Piccardi est resté contreversé; Ernesto Rossi et Ferruccio Parri prirent à maintes reprises la défense de Piccardi, en soutenant qu'il avait fourni la "documentation pour ne pas avoir participé à la redaction de la fameuse relation ("Race et droit") et de ne pas y avoir souscrit".
12. Giovanni Ferrara, "La jeunesse radicale", "le Lévrier" Février-Avril 1964. N·1-2, p.131.
13. Il suffit de penser au nombre de revues fondées dans cette période-là: "Ragionamenti" (1957), "La città futura" (1956), "Opinione" (1956), "Tempi moderni" (1959), "Passato e presente" (1958), "Officina" (1955), "Rendiconti" (1956).
14.L'expression "salle des boutons", qui devint le symbôle d'une politique, fut utilisée pour la première fois par Pietro Nenni en parlant au Colisée de Rome, en Octobre 1962, à propos du centre-gauche: "De là, le problème de savoir qui présidera la politique, qui sera dans la "salle des boutons", maintenant que, avec l'accroissement des prerogatives de l'Etat dans le domaine économique, les boutons ont énormément augmenté en influence et en nombre".
15. Du dépliant de présentation de la Rencontre des amis du "Monde", "Vers le régime", Rome, Théâtre Elysée, 31 Janvier-1er Février 1959.
16. Anonyme, "Mort et résurrection", "Il Mondo", 31 Mars 1959.
17. Adolfo Battaglia, "Le gouvernement de Plan", "Il Mondo", 3 Octobre 1961.
18. "Le bon chemin", introduction au débat du congrès, "Tribune Radicale", Février 1961, par le service de presse du PR, Rome.
19. Eugenio Scalfari, "Développer le programme", dans "Tribune radicale".
20. Cf. Paolo Pavolini, "Un Pays immature", "Il Mondo", 3 Juin 1958, dans lequel il avait ainsi commenté les résultats des élections politiques: "notre peuple vote pour les partis qu'il affirme détester, pour les maîtres qu'il hait, pour les fascistes qu'il craint, pour la secte stérile des communistes avec lesquels il n'a rien en commun".
21. Paolo Pavolini, "Bilan Positif", dans "Tribune Radicale".
22. Vittorio De Caprariis, "Un tournant politique", "Il Mondo", 2 Janvier 1962.
23. Federico Gozzi [Vittorio De Caprariis], "Le thème dominant", "IL Mondo", 6 Février 1962.
24. Ibidem.
25. Voir en particulier les interventions dans "Il Corriere della Sera" d'Antonello Tombadori (Le Pci réplique à Pannella: trop de "victimisme", 14 Déc.1976), Francesco Compagna ("Pannella et l'héritage de Pannunzio", 20 Déc. 1976), Augusto Premoli ("Pannella et le Pci", 29 Déc. 1976) suite à l'intervention de Marco Pannella (pourquoi êtes-vous donc contre nous", 12 Déc. 1976).
26. Voir: "Pour les origines de "Quaderni Rossi" et "Quaderni Piacentini" de Franco Fortini, dans "Aut-Aut", N· 142-143, Juillet-Octobre 1974.
27. Pour cette analyse, voir Massimo Teodori, "Histoire des nouvelles gauches en Europe (1956-1976), Edit.Il Mulino, Bologne, 1976, en particulier les chap.1 et 2.
28. Sont passés, du groupe d'origine de la gauche radicale à travers l'expérience de politique universitaire: Marco Pannella, Giuliano Rendi, Gianfranco Spadaccia et Massimo Teodori, Franco Roccella et Sergio Stanzani, Giuseppe Ramadori, giuseppe Picca, Andrea Torelli, Giuseppe Loteta.
29. Dans la génération radicale universitaire de ceux qui ne faisaient pas partie de la gauche radicale il y avait: Stefano Rodota, Lino Jannuzzi, Gerardo Mombelli, Tullio De Mauro, Piero Craveri, Umberto Dragone, Claudio Simonelli, Aldo Gandolfi, Giovanni Paladini, Sergio Bartole, Giovanni Ferrara, Paolo Ungari.
30. Marco Pannella, "Réplique du Président au VIIème Congrès de l'Unuri", Rome, Avril 1957.
31. Marco Pannella, "Relation du Président au VIIème Congrès de l'Uniri", Rome, Avril 1957.
32. Brunello Vigezzi, "L'union italienne des Etudiants", "Le Lévrier" VIIIème année. N· 1-2, Février-Avril 1964, p. 228.
33. Giorgio Festi, cité dans Vigezzi, p.229.
34. "Un article du radical Pannella: la gauche démocratique et le Pci", "Il Paese", 22 Mars 1959. L'article longuement et politiquement rédigé aurait dû paraître comme article de fond, et il fut précédé par cette note: "Nous avons invité le responsable radical Marco Pannella, dont le nom a émergé des comtes-rendus du récent congrès radical pour certaines thèses originales en ce qui concerne le rôle de son parti dans le cadre de la gauche italienne, à nous exposer sa pensée sur l'actuelle situation politique...".
35. Anonyme, "L'alliance des crétins, "Il Mondo", 7 Avril 1959.
36. "Projet de résolution sur la politique du PR", présentée par les conseillers nationaux Marco Pannella et Giuliano Rendi, Rome, 19-20 Nov. 1960.
37. Marco Pannella, "Solution unitaire", dans "Tribune radicale" par le service de presse du PR, Rome, Mai 1961.
38. Silvio Pergameno, "Les deux directives", dans "Tribune radicale", par le service de presse du PR, Rome, Février 1961.
39. Mario Cattaneo, "Revenir aux origines", dans "Tribune radicale", par le service de presse du PR, Rome, Mars 1961.
40. La majorité du PR, constitué par le groupe Piccardi-Scalfari et par le groupe Cattani, fit arriver une partie des voix sur une liste de jeunes formée par Jannuzzi, Ferrara, De Mauro, Rodota, Craveri et Mombelli, pour lui faire attribuer les postes du conseil national revenant à la minorité, et en éliminant, de facto, de la représentation, la minorité de gauche. Celle-ci ne vit élire que Roccella, grâce aux votes des délégués siciliens, et les régionaux Teodori et Gardi.
41. "Sinistra radicale", bulletin mensuel d'information politique, dirigé par Giuliano Rendi, a été publié dans les numéros suivants: 1 (Oct. 1961), 2 (Nov.1961), 3-4 (Janv.1962), 5 (Fév.1962), 6 (Mars 1962), 7 (Mai 1962, ( (Oct.1962). Les principaux articles ont été signés par: Manlio Gardi, Marco Pannella, Max Salvadori, Jacques Vergès, Giulano Rendi, Vercors, Ernesto Rossi, Elio Vittorini, Gianfranco Sapadaccia, Francis Jeanson, Massimo Teodori.
42. Marco Pannella, "Une Politique d'abdication". "Sinistra radicale" N· 1, Oct. 1961.
43. Ibidem.
44. Marco Pannella, leader du groupe de gauche radical, séjourna à Paris en tant que journaliste, de 1959 à 1962. Le journal "Sinistra radicale" était dirigé par un groupe formé par Giuliano Rendi, Gianfranco Spadaccia, Massimo Teodori et Angiolo Bandinelli.
45. Giuliano Rendi, "Pour le désarmement européen, éliminer les armées", dans "SR", N·6, Mars 1962.
46. "Un programme radical", "SR" N·3-4,Janv..1962.
47. "Un débat non-explicite dans la direction du PR" dans "SR" N·2, Nov.1961, p.3.
48. La liste de la gauche que conquit la majorité dans la section romaine de Janvier 1962 était composée de Mauro Mellini, Roberto Mazzucco, Giuseppe Ramadori, Massimo Teodori, Gianfranco Spadaccia, Franco Roccella, Giuseppe Loteta, Angiolo Bandinelli. A Milan, Luca Boneschi et Mario Cattaneo furent élus dans le comité de direction de la section pour la gauche.
49. Il est intéressant de remarquer que ces élections municipales du 10 Juin 1962 à Rome furent les seules élections, avec les autres municipales romaines de 1956, qui eurent une liste radicale autonome avec le symbôle du bonnet phrygien. La liste obtint un peu plus d'un millier de voix.
50. "Que faire ?", "SR" N·8, Octobre 1962.