par Massimo Teodori, Piero Ignazi et Angelo Panebianco.SOMMAIRE: L'interprétation historique du Parti Radical fondée sur la reconstruction des différentes phases de l'histoire radicale de 1955 à 1977.
INDEX GENERAL
"Préliminaires des auteurs"
Première Partie
HISTOIRE DU PARTI RADICAL
I Des Vieux radicaux aux nouveaux
- 1 Le premier Parti Radical (1955-1962)
- 2 Le centre-gauche et l'optimisme technocratique du bien-être
- 3 Les nouvelles oppositions en Europe
- 4 L'héritage du mouvement des Etudiants
- 5 La gauche radicale
"Notes"
II La solitude d'une Minorité
- 1 L'épuisante reprise du nouveau groupe
- 2 L'"Agence Radicale" et ses batailles: Eni, assistance, école
- 3 Unité et autonomie: conflit avec la vieille gauche
- 4 Les radicaux face aux propositions d'unification de la gauche
- 5 L'isolement d'une culture politique différente. Vers le
congrès de refondation (1964-1967)
"Notes"
III La campagne pour le divorce
- 1 La naisance et le développement du Mouvement favorable au
divorce avec la LID
- 2 Le mouvement populaire et l'action de pression sur le
parlement
- 3 Du divorce au referendum
- 4 Les radicaux dans le mouvement favorable au divorce:
signification politique générale
"Notes"
IV Un parti à la recherche de lui-même. Du congrès de refondation
(1967) à celui du relancement (1972)
- 1 A travers "68"
- 2 Les nouvelles initiatives: justice, sexualité, Concordat,
libération de la femme
- 3 Avec l'antimilitarisme et l'objection de conscience, une
présence militante caractérisée
- 4 Les radicaux et le système politique depuis les élections
de 68 à celles de 72
- 5 Les difficultés du parti en marche vers le Congrès de
relancement (Turin 1972)
"Notes"
V Avec les droits civils, l'opposition au régime
- 1 Après le relancement, les initiatives se multiplient, avec
un parti très fragile
- 2 Les huit referendum et le referendum sur le divorce
- 3 L'été brûlant de 1974: la bataille pour l'information conduit
Pannella à la Tv
- 4 Les radicaux face à la "question socialiste"
"Notes"
VI Pour une révolution démocratique
- 1 Action directe et action populaire pour l'avortement
- 2 Encore sur les droits civils prend forme le parti federal.
Lacharte des libertés
- 3 Avec les élections du 20 Juin 1976, les radicaux au Parlement
"Notes"
VII Dans le pays et au Parlement
- 1 Une minorité au Parlement
- 2 Le projet de referendum en tant que projet d'alternative
- 3 Le conflit entre communistes et radicaux
- 4 les motifs de vingt-annnées d'histoire radicale
"Notes"
Deuxième partie
ELECTORAT, MILITANTS, MOUVEMENT: UNE INTERPRETATION SOCIOLOGIQUE
I Les militants radicaux: composition sociale et comportements
politiques
- 1 Préliminaires
- 2 La composition sociale
- 3 Les radicaux et le parti
- 4 Comportements politiques généraux
- 5 Le profil social-politique
- 6 Conclusions
"Notes"
II Le vote radical aux élections du 20 Juin 1976
- 1 Les caractéristiques générales du vote
- 2 Un consensus électoral urbain
- 3 Un vote d'opinion
- 4 Les préférences: la concentration sur Pannella
- 5 Analyses d'un cas: la Toscane
- 6 Considérations conclusives
"Notes"
III De la société corporative aux mouvements collectifs: nature
et rôle du Parti Radical
- 1 Parti politique, groupe de pression, mouvement: PR atypique
- 2 Normes, structures, charisme: les contradictions
- 3 Association des intérêts, contrôle social et mouvements
spontanés
- 4 Système politique et société corporative
- 5 De la négociation au conflit
"Notes"
APPENDICE
I Statut du Parti Radical
II Les organes centraux du PR
III Historique des principaux moments des mouvements fédérés et
des ligues
IV Sources et bibliographie
("Les NOUVEAUX RADICAUX", histoire et sociologie d'un mouvement politique - Massimo Teodori, Piero Ignazi, Angelo Panebianco - Editions Arnoldo Mondadori - Octobre 1977)
VII DANS LE PAYS ET AU PARLEMENT
1. "Une minorité au Parlement"
L'entrée des radicaux au Parlement avec les quatre députés élus le 20 juin 1976 (1) ne représentait pas seulement un fait nouveau dans le système politique italien. C'était pour les radicaux la transformation de leur propre condition politique de groupe promoteur et animateur de campagnes et de mouvements dans le pays en force politique (même si d'extrême minorité) en mesure de représenter et d'apporter directement dans les institutions ses propres propositions. Cette transformation qualitative concernait le rapport avec les autres forces politiques et leur image dans l'opinion publique, et non pas la fonction que les radicaux s'attribuaient.
Les nouveaux militants en effet, ayant hérité du patrimoine radical au début des années soixante, s'étaient caractérisé avec l'action directe et les méthodes d'intervention dans la société civile, mais ils n'avaient jamais affirmé leur propre statut antiparlementaire ou idéologiquement extraparlementaire: même dans les moments de plus grande hégémonie de la culture extraparlementaire, comme en 68, ils avaient revendiqué leur propre confiance dans les institutions démocratiques. Du reste, la culture politique et l'action politique radicale comprenaient le fait de miser toujours sur la transformation institutionnelle, à savoir sur l'obtention de réformes spécifiques.
En cela les radicaux se présentaient comme les héritiers authentiques de la démocratie bourgeoise et de la démocratie socialiste occidentale, et le caractère de contestation avait toujours pour but de réaliser concrètement des processus démocratiques. Les institutions et en particulier le Parlement, n'avaient jamais été considérées par les radicaux, ni comme des structures qui devaient vérifier les rapports de force et pouvoir être déterminées ailleurs, ni des sièges tactiques pour d'autres »révolutions . La polémique radicale avait toujours était tournée vers la revalorisation des institutions afin que celles-ci correspondent aux transformations de la société civile et recouvrent leur rôle de lieux d'affrontement politique général.
La définition que les radicaux à maintes reprises donnaient d'eux-mêmes, »ultras de la démocratie; la polémique de la gauche envers la dégénération des partis en tant qu'appendice de l'Etat (financement public) et en tant que sièges de remplacement des décisions du législatif et de l'exécutif; l'analyse de la transformation dans le sens corporatif de la société et de l'Etat italien durant les trente années démochrétiennes au détriment de la démocratie politique; la critique continue aux groupes de la nouvelle gauche marxiste de ne pas comprendre culturellement et de ne pas agir politiquement pour les transformations institutionnelles; la défense de l'»Etat de droit le long d'une ligne qui, dans un contexte historique différent, aurait pu être de la »droite historique ; la formule même de »république authentiquement constitutionnelle qui résumait et exprimait le projet de referendum pour cinq années: c'était-là des signes et des éléments de la vision démocratico-parlementaire constamment affirmée par
les radicaux avant-même d'entrer au parlement, en opposition avec les positions politiques qui tendaient à vider, déformer et avilir la démocratie politique.
Le Parlement était donc, pour les radicaux, un lieu »naturel . Cependant le rapport avec les autres forces politiques changeait, du moment que, jusqu'au 20 juin 1976, l'action pour les réformes, suscitée dans le pays, était passée à travers la médiation de parlementaires d'autres partis. Et ce type d'action sur chaque parlementaire représentait une vision »libérale du rapport entre les citoyens et les représentants du peuple, qui, dans un certain sens, tendait à réduire la fonction même des partis et le rôle de médiation avec la société de masse qui leur a été attribué. Les radicaux avaient eu une fonction de »législateurs , mais grâce aux pressions exercées sur les forces et sur les mécanismes institutionnels, et non pas en tant qu'auteurs directs de propositions au Parlement. C'est dans ce sens-là que se transformait également le rapport avec les autres forces politiques, et tout particulièrement avec les socialistes qui avaient fait souvent fonction de canal principal de médiation parlementaire, av
ec l'installation inévitable de la nouvelle situation d'un état de concurrence et de compétition.
Le rapport avec le pays changeait aussi, avec l'opinion publique et avec les mouvements spontanés et collectifs avec lesquels, directement ou indirectement, le PR avait des relations. [voir la deuxième partie de ce volume]. D'un côté, l'image radicale se renforçait pour ceux qui trouvaient et partageaient le lien de complémentarité entre action dans le pays et action dans les institutions et qui voyaient dans la petite représentation parlementaire le vecteur avec lequel on pouvait dépasser les médiations des grandes forces politiques de gauche. De l'autre, la nouvelle condition des radicaux ne leur permettait plus de revendiquer le rôle, sur lequel s'étaient en partie caractérisés, de protagonistes de batailles réformatrices dans un pays en mesure d'ébranler de l'extérieur des formations entières de parlementaires justement en tant qu'extérieurs à celles-ci et désintéressés quant à leur présence dans le »jeu du pouvoir considéré comme le propre des assemblées électives de la démocratie italienne.
En définitive, le passage d'une situation d'extraparlementaire à celle de parlementaire posait aux radicaux des problèmes nouveaux. Aux yeux de l'opinion publique et de la classe politique, ce rôle de »parti en tant que mouvement qu'ils avaient assumé et dont avait souligné l'aspect »de mouvement devenait plus difficile. Et, par rapport à eux-mêmes, le nouveau rôle de »minorité dynamique transférée au Parlement subissait des modalités et des contraintes bien différentes de celles rencontrées dans l'action menée dans le pays.
Les quatre députés expliquaient tout de suite leur action, dès l'ouverture de la septième législature, à savoir, le concept de transformer le Parlement en un lieu d'affrontement réel entre les forces politiques (2), et par conséquent d'utiliser au maximum le débat à l'assemblée en essayant de lui faire récupérer le rôle central de confrontation entre les différentes positions par rapport à l'augmentation des travaux en commission et aux négociations extraparlementaires des directions partitiques, desquels on prendrait acte à posteriori. Cela répondait aussi bien à la conception politique de la démocratie parlementaire, qu'à l'estimà la conception politique de la démocratie parlementaire, qu'à l'estimation de l'effective possibilité, pour un nombre aussi restreint de parlementaires, de jouer un rôle dynamique non marginal. Et cela correspondait aussi à la revendication des »droits politiques de chaque parlementaire, considérés comme un moyen nécessaire pour redonner une crédibilité et une praticabilité
démocratique au Parlement.
Il s'agissait en outre, pour les radicaux, de susciter des contradictions et d'élargir leur propre zone d'influence par des alliances hors de leur propre groupe: ce que les radicaux avaient réussi à éviter, devenir un groupuscule contestataire et marginal, risquait de se reproduire au Parlement. Le rapport numérique, le règlement et les praxis, en même temps que la situation politique, pouvaient amener à une telle situation beaucoup plus facilement que ce qui était arrivé avec l'action dans la société.
D'où la proposition des quatre députés de constituer un groupe commun avec le Psi (3): une proposition qui fut rejetée; et lorsqu'on leur refusa la requête d'ouvrir un débat préventif sur l'élection du président désigné à l'assemblée, Monsieur Pietro Ingrao, à travers le forcement d'une praxis consolidée, ils sortirent de la salle, se plaçant symboliquement devant la Chambre des Députés pour marquer la continuité entre les méthodes d'action externe et les méthodes d'action interne. La controverse sur l'attribution des sièges pour les votes électroniques conduite avec tenacité durant des mois, qui pouvait-être interprétée comme une dispute sur la disposition topographique parlementaire (à gauche ou à droite des communistes), avait pour but de revendiquer à l'assemblée, le droit de débattre et de décider souverainement suivant les accords préalables prévus par les négociations partitiques.
Cette conception de "ce à quoi on ne peut renoncer" à propos de l'assemblée en tant que siège privilégié de la confrontation politique - selon Ernesto Bettinelli, le spécialiste qui s'était fait l'interprète de la politique radicale dans les institutions et qui y a contribué (4) - était liée au dessein politique que les radicaux déplaçaient du pays au parlement: »La ferme conviction... qu'il n'est possible, aujourd'hui, de mettre en évidence la dichotomie entre les forces progressistes et les forces conservatrices dans le pays, que sur le front des droits civils. Les compromis sont très difficiles et, dans tous les cas, destinés à ne pas durer et, dès que l'on s'affronte à leur sujet, même les questions d'importance "structurelle", sur lesquelles les partis antagonistes avaient cru trouver un "modus vivendi". Mais, c'est justement pour cela que les lieux de médiation entrent en crise, que les assemblées parlementaires redeviennent les sièges effectivement représentatifs des divisions réelles qui existen
t dans la société. Toute l'action radicale s'informe ... de cette analyse (5).
La tentative constante du groupe radical d'ouvrir au Parlement un dialogue avec le reste de la gauche, et tout particulièrement avec le Psi qui avait été pourtant un interlocuteur par moments réceptif des initiatives radicales lorsque celles-ci provenaient de l'extérieur des institutions parlementaires, ne donnait que de maigres résultats. Comme du reste, la recherche de convergence avec le groupe de Democrazia Proletaria qui se retrouvait aussi, de par sa position, auprès des radicaux, à l'opposition de gauche. Pour ces derniers, la divergence avec les radicaux était dûe à deux éléments: les diverses importances que les deux groupes attribuaient à la possibilité d'un usage démocratique et révolutionnaire des institutions, considéré insignifiant par les démoprolétaires (avec la diversification à partir d'un certain moment du parlementaire de "Lotta Continua", Mimmo Pinto, qui se rapprochait des radicaux) (6); et la marche progressive de rapprochement des parlementaires du "Manifesto" vers le Pci, vis-à-
vis duquel ils n'assumaient pas de position de conflit.
Par contre, en ce qui concerne le groupe Psi, la non-collaboration avec le PR était dûe au fait que les parlementaires radicaux gardaient sur toute une série de thèmes, des positions actives et nettement qualifiées telles, que, si partagées, elles auraient déclenché des conflits, précisément avec les partis (Pci et DC) avec lesquels les socialistes assumaient au Parlement, la position abstentionniste unitaire de la non-motion de censure à l'encontre du gouvernement formé uniquement par la DC. Autrement dit la recherche de l'unité s'affrontait avec la représentation de la "démocratie d'association" qui, après le 20 juin se réalisait également au Parlement.Cette nouvelle situation d'accord général déterminait les règles du jeu politique même pour ceux qui, comme le Psi, n'étaient pas directement protagonistes, mais qui au contraire finissaient par subir passivement le rapport de force, éventuellement en sous-estimant sa propre possibilité d'intervention par rapport au Pci et à la Dc, les deux nouveaux act
eurs principaux du nouveau cours. A la logique d'association tentée par les radicaux à partir des comportements sur chaque chose, s'opposait la logique des formations des rapports de force et de ses évolutions possibles.
Avec le vote du gouvernement Andreotti de la non-motion de censure en Août 1976, qui avait le soutien, à travers l'expédient des abstentions des laïcs minoritaires (Pri, Psdi et Pci) et de la gauche historique (Psi et Pci), on sanctionnait après trente-ans, le passage du Pci dans le bloc de la majorité du gouvernement. Dans la déclaration de vote opposé au cabinet Andreotti, le chef de groupe soulignait la signification non-idéologique de la position radicale d'opposition à six partis de la majorité, et le rôle que le nouveau petit groupe entendait jouer à Montecitorio (Chambre des Députés, NDT) dans cette position: »La contribution que nous espérons vous donner est une contribution de lutte passionnée et dure sur les choses les plus importantes, convaincus que l'on ne s'unit pas sur la structuralité apparente de l'économie et des données sociales, mais on s'unit avant tout le jour où les problèmes... des luttes pour les conquêtes de nouvel+les libertés, de nouveaux droits, seront affrontés. Sur cel a
ffrontés. Sur cela je crois qu'en réalité les formations doivent se confronter et s'opposer (7).
A travers la convergence des partis dudit "Arc Constitutionnel" était né un nouvel évènement politique qui reléguait les radicaux dans un rôle très difficile et absolument singulier d'opposants presque uniques (avec Democrazia Proletaria) du nouveau régime. Ils se retrouvaient dans l'assemblée législative face à des formations cristallisées et devant pour cela mener des batailles et assumer des prises de positions qui risquaient de rester isolées, avec des résultats opposés à ceux du passé. Les radicaux étaient toujours considérés des "législateurs", peu importait s'ils étaient des législateurs du pays ou du Parlement, et ils avaient toujours agi en tant qu'animateurs d'initiatives destinées à trouver des réponses dans des aires bien plus amples que leur propre petite suite organisée. C'est pourquoi l'intense activité parlementaire que les quatre députés radicaux menaient avec des motions, des interpellations et des projets de loi (8), représentait, dans cette situation, davantage une suppléance des abs
ences des autres (le mouvement socialiste et la proposition de ses valeurs au siège législatif) avec l'effet de témoigner une position politique d'opposition au régime associatif, qu'une action en mesure d'associer de plus vastes formations.
Durant les six premiers mois de travail parlementaire, sur les thèmes les plus importants, on ne constata que des convergences marginales: par exemple celle des socialistes Fortuna et Tocco et des démoprolétaires Pinto et Corvisieri sur la motion de la dénonciation unilatérale du Concordat; de quelques socialistes et représentants de la nouvelle gauche marxiste sur des interpellations sur des questions du respect des droits fondamentaux individuels et collectifs de la part de l'Etat (affaire Panzieri, affaire Margherito, pollution de Seveso, comportements et vicissitudes de la sécurité publique...). Tandis que les radicaux demeuraient absolument seuls dans l'opposition à la ratification du Traité d'Osimo contre laquelle s'était insurgée presque toute la ville de Trieste, et dans le vote négatif de la loi sur l'avortement, fruit d'une série de compromis entre les forces laïques et socialistes, et les communistes qui recherchaient l'assentiment de la force démochrétienne anti-avortement. La même chose arr
ivait par la suite au printemps 1977 avec la présentation d'un projet de loi radicale de réforme des forces de l'ordre à travers leur unification en un "Corps unitaire des opérateurs de sûreté publique" (9) et avec les initiatives pour des mesures rapides capables de faire face à la dramatique situation d'urgence des prisons.
L'isolement radical sur ce dernier thème de bataille était d'autant plus marqué que les propositions pour les prisons et pour les gardiens étaient le revers parlementaire de l'action extraparlementaire de désobéïssance civile menée par le parti avec le jeûne du nouveau secrétaire national du PR, Adelaide Aglietta, du président du conseil fédératif, Gianfranco Spadaccia et de bien d'autres, qui se prolongeait de manière dramatique pendant plus de soixante-dix jours, sans trouver de réponses dans les contre-parties en mesure de mettre en route des actions résolutoires (10).
Le moment d'initiative parlementaire le plus intense, et donc d'isolement maximum, se dessinait début mars 1977 au moment de la discussion du "scandale Lockheed" et de la mise sous accusation des trois ex-ministres Rumor, Tanassi et Gui. Le chef de groupe radical Pannella, mettait en cause le président de la république Giovanni Leone et demandait un supplément d'enquête pour s'assurer de ses responsabilités au sujet de l'"affaire". C'était une ligne d'action qui évidemment non seulement tendait à confirmer des responsabilités ponctuelles, mais visait directement, pour les implications et les conséquences que cela comportait, à élargir le procès au régime démochrétien dans son ensemble, démontrant combien le scandale n'était pas une déviation accidentelle, mais une manifestation "normale" de gestion du pouvoir consolidé dans les vingt dernières années (11). Encore une fois la voix radicale demeurait isolée: pas tellement pour le bien-fondé des indications portées contre la plus grande autorité de l'Etat,
mais pour la dichotomie sur les stratégies et par conséquent sur les comportements politiques. Du côté radical, on considérait que l'unique défense des institutions passait à travers une rénovation radicale des méthodes, réalisable uniquement avec la mise en accusation de la classe dirigente démochrétienne et son expulsion du pouvoir; tandis que du côté de la gauche historique la règle dominante se basait sur la négociation à travers le compromis avec référence à un "cadre politique général" auquel devait-être subordonnés des jugements spécifiques et des choix particuliers.
L'expérience parlementaire radicale confirmait ainsi l'hypothèse selon laquelle les radicaux étaient entrés dans les institutions: c-à-d, que l'activité législative et la tribune parlementaire pouvaient renforcer le mouvement socialiste et libertaire uniquement s'ils s'étaient basés sur l'aspect complémentaire (et nécessaire) d'une action dans le pays, sous peine de condamnation à l'isolement vélléïtaire et à l'inutilité de chaque acte.
2. "Le projet de referendum en tant que projet alternatif"
L'élection de plusieurs radicaux à la Chambre et leur intense activité dans la septième législature pouvait, après le 20 juin 1976, déplacer le barycentre de l'action radicale, du pays vers le Parlement. Et il ne s'agissait pas seulement d'une hypothèse théorique pour les volontés déclarées d'un usage actif et non-instrumentaire du canal législatif, mais aussi d'une situation de fait dûe à l'élection de Pannella parlementaire, qui, en plus d'être le leader incontesté, avait été, et demeurait l'organisateur et l'animateur principal des batailles radicales. Cependant, cette éventualité, c-à-d, que la nature même du PR pût se transformer en conséquence de la réussite électorale, ne se matérialisait guère durant l'année qui suivit le 20 juin 1976. La raison de fond devait-être recherchée précisément dans le fait que le PR était ancré, pour des raisons de stratégie et pour de récentes décisions, au projet de referendum et au projet de ce que l'on pouvait appeler une matérialité opérationnelle, au-delà même d
es énergies de la direction et des militants, dont il pouvait disposer après l'ouverture du front parlementaire.
Le Congrès de Naples de novembre 1976 avait une fois de plus réaffirmé la validité de la stratégie politique qui avait commencé cinq ans auparavant, même devant la nouvelle situation constatée pour toute la gauche aux élections politiques: »C'est seulement par le consensus populaire disait la motion finale du 17ème congrès du PR, »exprimé à travers des millions de signatures de communistes, de socialistes, de croyants, de démocrates, qui ne se livrent pas au compromis du concordat comme à un destin inéluctable, qu'il sera possible d'empêcher que dans cette législature la Dc crée les prémisses pour renverser les succès de la gauche, bloquer toute volonté ou possibilité d'alternative, de renouveller et consolider leur pouvoir (12).
Pour les radicaux, insister sur l'utilisation de l'instrument de referendum en tant qu'instrument privilégié d'action politique, voulait dire réaffirmer en plus des contenus des normes à abroger, également la priorité de la politique basée sur des réformes graduelles, pourvue que celle-ci fût vraiment réalisée, par rapport aux positions abstraites, innovatrices ou révolutionnaires, et à la révolte contestatrice. Le referendum demeurait un véhicule pratiquement unique d'intervention démocratique dans les mécanismes institutionnels avec un caractère absolument contraignant dans les conséquences politiques qu'il mettait en route. Le referendum en effet n'est pas sujet à des négociations, il ne peut-être subordonné aux temps subjectifs de la classe politique, il ne se prête ni au compromis de hasard ni au compromis systématique. De plus il peut-être de par sa nature, l'instrument associatif des grandes formations. Ce n'était pas en effet par hasard que les radicaux avaient repéré dès 1969 - c-à-d, avant-mêm
e encore la loi de réalisation constitutionnelle - l'arme du referendum comme une arme à sa juste mesure, et qu'avec obstination ils avaient tenté de l'utiliser trois fois de suite. Parce qu'avec cet instrument on pouvait voir réunis deux traits de la même culture politique radicale: le dessein d'être une force de "gouvernement" même si étant d'une position minoritaire; et l'ambition de changer les lois et les institutions, c-à-d, d'être vraiment des réformateurs.
Proposer les referendum au pays en 1977 après la formalisation parlementaire du compromis historique et l'entrée des communistes dans la sphère du pouvoir, était évidemment tout autre chose que de les proposer durant la saison 1972-73, alors que les équilibres politiques tendaient vers le pôle conservateur et que dans les rapports de pouvoir l'hégémonie démochrétienne absolue n'avait pas été électoralement secouée par les épreuves de 74, 75 et 76. Il y avait une continuité dans le dessein, dans les contenus et dans les méthodes, mais la cible négatif et les objectifs positifs avaient changé avec le changement du cadre politique du pays. Peu importait qu'avec les propositions abrogatives des trois thèmes principaux, du Concordat, des institutions militaires et du code pénal fasciste, se fussent associés, à chaque fois, d'autres thèmes mineurs (en 74, l'ordre des journalistes, la loi sur la presse et la liberté d'antenne; en 77, l'institution des asiles d'aliénés, certaines normes de la commission parleme
ntaire, la loi dite "Royale", et le financement public des partis), puisqu'il s'agissait d'un projet global de droits civils voué à éliminer des lois qui limitaient la sphère de libertés individuelles ou collectives. Il était par contre très significatif que dans la nouvelle situation de plus grand pouvoir de la gauche, les radicaux entendissent soumettre à celle-ci, et si nécessaire, pourquoi pas, de les opposer conflictuellement, des solutions démocratiques pour des noeuds autoritaires importants, développés durant le régime démochrétien et avec lesquels, maintenant, les communistes et les socialistes ne pouvaient pas régler leurs comptes. Le sens nouveau du vieux discours radical était, avec les mots de Strick Lievers, de ce type: »Dans une société minée et bouleversée par des processus dégénératifs, il est urgent d'introduire des contre-poussées vigoureuses, il faut rétablir la confiance et l'espérance dans la démocratie, dans la république; il est indispensable de restituer la dignité, la vérité, le car
actère concret aux choix politiques, en les retirant à l'alternative entre la participation complice à la pourriture parasitaire de l'assistance, et le néant vaguement palingénésico-révolutionnaire (13).
La saison politique du gouvernement Andreotti, qui alla de 76 à 77, marquait pour toute la gauche une phase jugée de défense et non pas d'exploitation de l'avancée électorale générale du 20 juin. A l'occasion de ces élections la gauche avait touché au total 46,6% des voix, avec 2,6% des forces de nouvelle gauche marxiste (Dp) et radicale (PR), même si la DC n'avait pas reculé par rapport aux résultats de 1972 (38,7%), et n'avait pas subi l'écroulement auquel on s'attendait, mais qu'au contraire elle avait légèrement récupéré par rapport aux résultats des élections politiques régionales. Cette situation de succès simultané de la gauche (avec une avancée communiste de 27,1% en 1972 à 34,4% en 76) et de bonne tenue de la DC, offrait une occasion au Pci pour harceler les autres forces en vue de la réalisation d'un accord de compromis qui le comprenait ouvertement. C'est pourquoi l'attitude communiste, qui par sa non-motion de censure permettait la formation du gouvernement Dc, donnait le ton à la nouvelle
situation et dessinait la trame sur laquelle s'inscrivaient la lutte politique, les mouvements sociaux et l'affrontement idéal du pays. Il était aussi nécessaire pour le Pci de réaliser capillairement un climat général de normalisation politique et sociale fondé sur deux charnières: d'un côté l'élargissement de gestions et de cogestions à tous les niveaux auxquels les communistes pouvaient accéder les premiers et comme prémisse du gouvernement national; et de l'autre, l'élimination de tout mouvement ou initiative à gauche qui pût interférer dans la stratégie de compromis à travers la conflictualité politique ou sociale.
Les referendum radicaux, bien que proposés entre janvier et mars 1977, recouvraient ainsi inévitablement la signification d'une initiative de contre-tendance, d'autant plus dangereuse pour la stabilité du cadre politique que le Pci s'évertuait patiemment à dessiner et à maintenir, puisqu'ils avaient un cours objectif pas très facilement contrôlable dans la société politique. Les radicaux soulignaient en fait que le nouveau paquet de huit referendum de 1977 (14) représentait l'unique projet alternatif à l'inertie et à la résignation de la gauche devant la reprise de vigueur des forces conservatrices et démochrétiennes pour tous ceux qui n'auraient pas accepté la raison politique supérieure du compromis historique. »Cette initiative de referendum écrivait-on dans le quotidien "Lotta Continua" mise à la disposition du comité des referendum après le 1er Avril 1977 »consitue une occasion précieuse, unique, de lutte politique même institutionnelle de laquelle les forces de l'alternative de système et de régi
me peuvent d'un coup émerger comme des antagonistes ou des protagonistes dans un "affrontement historique" de classe et de libération sociale, précisément tandis que très souvent on les considère, et pas toujours à tort, liquidées ou en crise profonde (15).
Ce fut probablement la raison pour laquelle le projet de collecte des signatures sur les huit referendum proposés réussit pleinement pour la première fois, avec un résultat final positif, au printemps 1977. Les initiatives du mouvement de la gauche faisant défaut, et tandis qu'avaient lieu les longues négociations pour des accords programmatiques, auquelles participait directement le Pci avec les cinq autres partis dudit arc constitutionnel (Dc, Psi, Psdi, Pri et Pli), la proposition radicale assumait aux yeux de l'opinion publique, la marque d'une intervention active dans le sens opposé, avant et au-delà des contenus spécifiques du paquet de lois à abroger. Avec des socialistes inertes et jouant un rôle de second plan dans les négociations du gouvernement, avec des communistes acteurs de l'action d'introduction à tous prix dans la formule gouvernementale avec la Dc, avec une nouvelle gauche "révolutionnaire" et de classe pratiquement en déclin dans le mouvement et absente au Parlement où elle était ent
rée pourtant avec les élus du cartel de Democrazia Proletaria, l'initiative radicale offrait un point de repère à tous ceux qui ne partageaient pas le nouveau cours de normalisation et de cogestion du pouvoir sur lequel toute la vie nationale se modelait un an après le succès électoral de la gauche du 20 juin 1976.
Les radicaux avaient commencé à collecter des signatures le 1er avril 1977 et ils avait atteint l'objectif proposé en remettant le 30 juin à la Cour de Cassation plus de 700.000 signatures pour chacune des requêtes de referendum pour un total de plus de 5 millions et demi d'adhésions après avoir conduit une campagne de mobilisation unique en son genre. Au projet politique radical, coordonné par un Comité National des referendum, et à sa réalisation concrète, seuls Lotta Continua et le Movimento dei Lavoratori per il Socialismo, avaient adhéré, en plus des groupes locaux et un nombre considérable de militants de gauche, et même des communistes (16).
Un tel résultat sans précédents dans l'histoire italienne (puisque pour l'avortement il s'était agi d'un seul referendum et avec le soutien de la presse), et sûrement au-delà de toute possibilité opérationnelle imaginable d'une force de minorité comme le PR, ne pouvait-être uniquement attribué à la capacité de mobilisation, d'organisation et m*ilitante des radicaux et de leurs alliés. Bien sûr le parti avait passé comme jamais l'épreuve d'une mobilisation générale et cela grâce à Adelaide Aglietta qui provenait de l'expérience militante directe dans le Piemont, et qui réussissait à mettre au point une machine efficace. Cependant il y avait des motifs d'ordre général qui se greffaient sur l'adhésion de masse de centaines de milliers de citoyens dûe vraissemblalement à la confiance spécifique dans le projet de referendum et à la possibilité relative de la part de ses auteurs de la canaliser et de la recueillir. Les citoyens signaient surtout contre la situation stagnante de la gauche et contre le cours do
minant de la vie politique tel qu'il était perçu. Et ce sentiment était partagé, non seulement par ceux qui avaient voté radical ou DP ou qui sympathisaient avec les méthodes et les objectifs radicaux, mais aussi par les électeurs et mêmes par des militants inscrits à des partis de gauche, comme le témoignaient les données-mêmes de la collecte des signatures, zone par zone (16).
En outre tous ceux qui de manière pacifique, simple et directe, pouvaient participer à des choix collectifs autour d'une exigence d'expansion de la liberté, signaient, adhéraient et votaient: c'était une exigence perçue dans sa globale expression (»contre le régime, pour une république authentiquement constitutionnelle, etc... , avant même qu'à travers la médiation de la compréhension des lois à abroger. La question qui s'associait aux signatures était certainement une question de type fragmenté, soit "contre" les manières et les contenus de la politique dominante, soit d'expression d'une poussée "en faveur" d'une politique et de comportements alternatifs des forces innovatrices historiques attestées, avec le Pci et le Psi, sur une négociation à outrance avec le monde de la conservation, et, encore plus, avec les représentants du régime responsable de la crise politique et morale du pays.
L'accusation faite à l'initiative radicale d'être un fait destabilisateur et d'agir comme un encouragement pour un "qualunquismo" (indifférentisme) latent, mettait paradoxalement en évidence deux aspects cruciaux du projet de referendum. C'est-à-dire que celui-ci tendît à modifier une stabilité ou un processus de stabilisation fondé sur le renoncement des forces innovatrices à jouer un rôle d'attaque, étant donné leur force, même au moment des négociations pour donner une organisation de gouvernement au pays; et qu'il servît de catalysateur d'un malaise collectif non pas dans le sens d'une fuite de la politique nationale, en se réfugiant dans la défense privée et corporative de la sphère individuelle et de groupe, mais au contraire, en fonction de la transformation du mécontentement en question politique associée sur des objectifs déchiffrables. En définitive, avec le referendum, les radicaux offraient, précisément au moment du plus grand exercice de l'affaire politique dans la négociation de sommet et
de parti, un débouché politique qui pouvait renforcer et non pas affaiblir la confiance dans les institutions.
Ave l'utilisation du mécanisme de referendum qui devenait réalité, conditionnant ainsi toute la vie politique, les radicaux maintenaient et retrouvaient la dimension de mouvement opérationnel dans la société, pour donner voix à la question innovatrice et réformatrice. Il prouvaient aussi, grâce à cet aspect concret de l'instrument constitutionnel, qu'ils n'étaient pas entrés dans les institutions pour mener une fonction stérile d'opposition marginale, mais qu'ils savaient combiner les possibilités offertes par l'arène parlementaire avec la nécessité de mettre en route les mouvements et les questions de transformation provenant du tissu social et politique du pays.
3. "Le conflit entre communistes et radicaux"
L'expansion de la présence radicale du pays aux institutions, grâce aux élections du 20 juin 1976, et la continuation de l'action intense dans la société qui trouvait un débouché dans le projet de referendum, étaient les deux éléments qui propulsaient le PR au centre de l'attention de l'opinion publique et de la classe dirigente avec des polémiques plus intenses que jamais. Maintenant que la minorité avait démontré qu'elle avait non seulement une durée politique mais aussi une capacité de croissance, les polémiques à son adresse, surtout du Pci, étaient aussi plus dures. Ces derniers, alors qu'ils devenaient toujours davantage la force d'hégémonie de la gauche et qu'ils s'introduisaient progressivement dans l'aire de pouvoir et de gouvernement au cours de 1976-1977, trouvaient sur leur chemin consolidé par leur force politique et leur culture, le fastidieux groupe radical et ses initiatives, avec lesquels ils se confrontaient et s'affrontaient. A la racine des polémiques, avant-même les attitudes spécif
iques sur les problèmes individuels, il y avait la "diversité" de la politique et de la culture radicale et la leur non homogénéïté avec les communistes.
Après l'affaire des places à la Chambre, dont on a déjà parlé, et après les critiques à l'encontre du Pci au parlement, au sujet du Concordat, de l'ordre public, les accords d'Osimo et la politique internationale, sur l'avortement, les prisons, les droits des militaires et des policiers et la Rai-Tv, les radicaux devinrent à plusieurs reprises la cible de la polémique de la presse communiste. Dans article de fond de "L'Unità" de décembre 1976, son co-directeur, Claudio Petruccioli, écrivait à propos du débat que Pannella avait soutenu avec le responsable de la nouvelle droite démochrétienne Massimo De Carolis: »Ce n'est pas la veine de l'anticommunisme qui les rapproche; c'est une veine bien plus profonde et vaseuse... fielleuse et arrogante, allusive et inculte, insinuante, qui recueille l'écume des humeurs, des peurs, des présomptions, des agressivités de ceux qui, dans cette société, même s'ils ne détiennent pas le pouvoir, jouissent des privilèges (17). De plus, en tentant de définir le phénomène r
adical avec le même gabarit que le phénomène neoconservateur, l'article de "L'Unità" l'indiquait comme l'une des »manifestations d'un mal antique... : le détachement, la défiance et l'opposition envers les masses, que l'on veut maintenir dans une condition de passivité, pour qu'elles soient "objet" et non pas "sujet" de la politique et de la culture, considérées tout au plus comme un champs d'exercices et d'affirmation pour ceux qui l'interprètent, les guident et les agitent... (18).
Au cours de cette même semaine, Antonello Trombadori, dans "Il Corriere Della Sera" essayait de destituer toute continuité entre le nouveau radicalisme et la tradition de la démocratie radicale et du réformisme laïc qui avait été celle de Gaetano Salveeemini, d'Ernesto Rosso et de "Il Mondo". Dans son intervention le parlementaire communiste indiquait la "situation de stérilité politique croissante dans laquelle se trouvait toute la rebellion radicalisante. Et daaaaans laquelle elle se trouvera toujours davantage si elle ne réussira pas à transférer ses problèmes du terrain de la lamentation vers celui de la confrontation politique définie et responsable, et si elle ne greffera pas sa gestualité sectorielle... dans un dessein de perspective statuaire (19). Tromadori, en soutenant sa totale estranéïté de "mouvement radicalisant" à la tradition du radicalisme européen et italien, du reste épuisé ou faisant partie d'autres forces ; il le rapprochait à la plaie du "maximalisme" dont il aurait constitué une
variante récente en termes de "maximalradicalisme": à la différence près que tandis que le maximalisme du passé se limitait à échanger le point d'arrivée d'un processus historico-politique pour sont point de départ, le "maximalradicalisme" des années 70 prétend aussi de mettre en route des processus historiques quelques fois injustes et négatifs (20).
"Qualunquismo", maximalisme, anticommunisme et provocateurs de destabilisation: ce sont en résumé les accusations adressées par les communistes aux radicaux, aussi bien à l'occasion d'affrontements parlementaires qu'en concomitance avec la campagne de referendum.
Comment réagissaient les radicaux? Et quelles bases d'argumentations spécifiques et générales pouvaient-ils apporter? Pannella affirmait à maintes reprises, dans le feu de la polémique, que la raison de l'acharnement de la grande force de gauche à l'égard de la minorité, était dûe à la qualité alternative de la politique radicale: »Les communistes avaient l'intuition que l'unique alternative adéquate à leur politique, non seulement pour les gauches socialistes, républicaines, libertaires et libérales, mais aussi pour le Pci, était préfigurée dans nos luttes qui se propageaient dans le pays et soudaient à l'opposition communistes et socialistes, les vrais chrétiens et les vrais libéraux. Et ils ne les soudaient pas uniquement en théorie... C'est notre façon d'être à gauche... Je tiens à dire que si les communistes préfèrent être de gauche selon les diverses traditions d'une certaine gauche historique italienne, oscillant entre l'autoritarisme modèle Crispi et le "bon chic bon genre" à la Depretis, le par
lementarisme, l'opportunisme, le pluralisme d'organisation et corporativiste, les traditions sociales qui vont de Toniolo à Storti, le philocléricalisme des Pactes de Latran, des accords sur l'art.7 de la Constitution, continueront d'être perdant sur le plan politique, comme l'est toute la gauche traditionnelle, malheureusement pour nous, depuis trente ans (21).
Sur ce même ton, quelques mois plus tard, en ouvrant la polémique d'une tribune libre du "Corriere Della Sera", le leader avait souligné le caractère singulier de la politique radicale justement dans la recherche de l'unité à gauche avec le Pci à partir de la diversité de choix politiques et d'attentions idéales qui avait été rappelée à plusieurs reprises: »Les dirigents du Pci, eux, nous connaissent et nous craignent depuis vingt-ans: ils savent parfaitement que nous ne sommes pas du tout anticommunistes, mais au contraire l'unique force politique qui depuis 1959, sans hésitations, doutes ou craintes, a lutté pour une alternative de gauche à la Dc, une alternative de régime avec le Pci... Nous sommes en train de travailler depuis vingt ans pour l'alternative. Pour renforcer la composante socialiste, laïque, libérale et libertaire, autogestionnaire et internationaliste, nonviolente et pacifiste, de la gauche italienne, à l'intérieur et à l'extérieur du Pci et du Psi (22).
Aux critiques communisctes concernant de manière spécifique le projet de referendum, répliquait aussi le président du Conseil Fédéral Gianfranco Spadaccia. Ce dernier parlait au nom de tout le parti, puisqu'il en était devenu le leader reconnu après son arrestation suite à la prise de responsabilité de l'activité du Cisa (avortement), et après que Pannella eût transféré au Parlement le centre de son activité. Aux accusations de destabilisation contre le referendum qui venaient du côté communiste on répliquait avec leur défense, en soulignant l'aspect des instruments essentiels pour réaliser des lois constitutionnelles, dont la gauche n'avait jamais su imposer la réalisation. Dans un débat organisé par le quotidien "La Repubblica", au communiste Achille Occhetto qui jugeait la campagne des huit referendum »pas à la hauteur du progrès de la conscience civile du pays (comme dans le cas du divorce), mais au contraire »fondée sur la confusion et sur l'irrationnalité , Spadaccia répliquait ainsi: »A ceux qui
nous accusent d'introduire des éléments irrationnels dans le débat politique, se basant sur des épisodes individuels et négligeant notre ligne générale, je répondrai que l'on est en train de monter une chasse aux sorcières contre nous... Le véritable problème c'est au contraire le choix stratégique de la gauche historique qui se cache derrière ces polémiques. Ce choix consiste dans la conviction que l'affrontement avec la Dc doit se faire exclusivement sur le terrain économique et social, en négligeant les problèmes de liberté, de la réalisation de la Constitution, d'abrogation des lois, des structures et des comportements fascistes. Vous parlez de précaution, en oubliant que nous sommes encore aux prises avec les problèmes de vieux fascisme et de vieil autoritarisme unis désormais au nouveau fascisme représenté par la loi Royale et par la loi sur le financement public des partis... . Et toujours au sujet de la signification du projet de referendum dans le contexte de la situation politique et sociale qui s
'est déterminée au printemps 1977, le président du conseil fédératif radical affirmait: »Il y a objectivement une situation de violence institutionnelle dans le pays qui touche les couches marginales - si l'on pense aux jeunes et aux étudiants - qui suscite des formes de contre-violence qui peuvent trouver des bases de masse. Devant cette situation, les huit referendum sont sûrement une initiative nonviolente et constitutionnelle. Nous voulons donner un débouché politique à certaines instances alternatives et en cela notre stratégie est sûrement différente de celle des forces historiques de gauche (23).
Qu'il existât des racines profondes du conflit entre radicaux et communistes, l'essai d'ouverture du premier numéro de la nouvelle revue "Argomenti Radicali", bimestriel pour l'alternative, publié en avril 1977, le mettait en relief. Cette revue, dirigée par Massimo Teodori et qui avait pour promoteurs un groupe qualifié de militants radicaux ayant des responsabilité au parti (dont Franco Corleone du secrétariat national, Mercedes Bresso et Lorenzo Strik Lievers du conseil fédératif, Giorgio Pizzi, Umberto Cerqui, Carlo Lomartire et Enzo Belli-Nicoletti, dirigent du PR lombard, et Ernesto Bettinelli, collaborateur du groupe parlementaire), était issue de la conscience répandue que désormais, pour la force radicale en expansion, il était nécessaire d'avoir une longue réflexion en mesure de renforcer les capacités politiques croissantes du parti de mobilisation et d'éclaircir aussi, avec un instrument collectif d'analyses et d'approfondissement approprié, les significations stratégiques de l'action radica
le, son rapport avec le reste de la gauche et sa manière de se placer par rapport à la nouvelle situation du pays.
Selon cette analyse ("Radicaux et communistes, les véritables raisons du conflit") (24), les nouvelles données concernant les radicaux étaient: le résultat électoral positif, l'expansion en termes pratico-politiques de la ligne des droits civils, la crise des formations extraparlementaires à laquelle correspondait la non-crise radicale, la pressante initiative au Parlement, le débouché politique offert avec les referendum aux tensions du pays, et la croissance des "groupes relatifs à une situation" dans le pays. Tout cela justement, faisait des radicaux non plus une donnée politico-culturelle, ou encore un mouvement n'opérant que dans le social, mais une force capable tout court de canaliser les poussées innovatrices de la société civile vers des débouchés politiques et des transformations institutionnelles. »Devant l'équilibre précaire du compromis historique, l'affaiblissmement du Psi et des extraparlementaires d'origine marxiste), ce qui peut mettre en crise le nouvel ordre en formation, ce sont surt
out les ferments de la société civile. Mais la société civile en soi ne s'exprime pas, sinon à travers des mouvements, des canaux, des initiatives qui consentent des contradictions en acte potentielles. Eh bien, le danger radical pour le Pci et les raisons du conflit doivent-être considérés précisément ici (25).
L'analyse des raisons de la conflictualité se poursuivait ainsi: »Le fait très particulier des radicaux est qu'ils sont, à la fois auteurs de mouvements dans l'aire des droits civils, et capables de l'exprimer directement dans la société politique et dans les institutions, par des initiatives ponctuelles, dans ce fait particulier de n'être ni parti "mouvementiste", ni parti "politiciste". Aux yeux du Pci, pour ce qui concerne les affaires de tous les jours, la politique radicale est coupable et par conséquent elle doit-être combattue principalement pour deux motifs: premièrement parce que les instances et les demandes de mouvement et de contradictions de la société ont un débouché politique non médiat par le Pci lui-même; deuxièmement, parce que ces luttes qui naissent des contradictions tendent à se lier à une stratégie générale - celle des droits civils - qui de par sa nature est alternative à la vision de l'état démocratico-social-populaire (28).
Cet essai mettait en lumière à quel point les radicaux étaient non seulement le produit d'une ferme initiative politique subjective, mais aussi le résultat de nouvelles contradictions objectives. Les contradictions selons lesquelles la société ne pouvait plus être considérée à travers les traditionnels schémas de classe, mais elle devait-être analysée aussi à travers ce que le sociologue Carlo Donolo avait défini "groupes relatifs à une situation" (27), les groupes qui vivent des contradictions et expriment des exigences puisque faisant partie d'une certaine situation existentielle ou institutionnelle; les femmes en tant que telles, les jeunes en tant que tels, les chômeurs en tant que tels, les participants à des institutions totales ou tendant à l'être. De quelque manière tous ces "groupes relatifs à une situation" s'étant rapprochés de la politique au cours des dix dernières années, et étant entrés comme protagonistes dans la scène sociale des mouvements anti-autoritaires ou par la transformation de
s institutions, ont pris conscience du fait que les contradictions spécifiques de leur participation à une situation déterminée pouvaient-être politiquement socialisées et associées.
En définitive le noeud central du conflit entre la grande force de gauche et la nouvelle minorité dynamique était localisé, dans l'interprétation d'"Argomenti Radicali", dans la vision opposée de la "tutelle sociale" chère aux communistes devant celle des droits civils des radicaux: »Le Pci, devant cette explosion sociale, tend à réserver à ces instances un espace social contrôlé et contrôlable, mais non une représentation institutionnelle et politique directe, puisqu'il se réserve exclusivement le rôle "institutionalisateur" général de la transformation subordoné à la stratégie politique générale qui vient en premier et qui n'en est pas le résultat. La "politique des droits civils", par contre, tend, non plus à localiser ces besoins sur le plan individuel en désagrégeant la cohésion sociale, mais à devenir l'unique instrument praticable d'association politique, directe et non médiate d'une société par ailleurs sans beaucoup de moments d'unification. A la "tutelle sociale" qui est proposée par les commu
nistes (voir l'avortement, voir la façon d'entendre l'accès à la Rai-tv, la façon de concevoir la réforme universitaire, etc...), dans la ligne du compromis historique par laquelle on tend à résoudre tous les nouveaux conflits relatifs à la situation, produit non pas par le capital en soi mais à travers la médiation de l'Etat et de sa fonction croissante, s'oppose dans une ligne idéale et politique, la "tutelle de la dissension", la "tutelle du droit": celle-ci entre nécessairement en contraste, aussi bien en tant que vision générale qu'en tant que solution spécifique, avec la conception communiste conjuguée avec la conception catholique de l'extension de la main publique et de l'interventionnisme social (28).
4. "Les motifs de vingt-ans d'histoire radicale"
L'évènement historique radical est encore en cours; et au terme de cette tentative de reconstruire historiquement les étapes essentielles, on ne peut certes pas tirer des conclusions ou formuler des estimations d'ensemble. Ce que nous avons voulu offrir ici c'est plutôt une première mise en place d'un phénomène sur lequel, au-delà de la chronique politique, les réflexions d'ensemble ont été insignifiantes. Ce qui s'impose, en guise de clôture provisoire, c'est l'exigence de rappeler certains noeuds et certaines questions cruciales soulevées à maintes reprises au cours de la négociation pour les mettre en évidence au profit d'autres efforts d'analyse et de compréhension.
La question de fond sur laquelle il faut s'arrêter concerne la recherche des motifs qui ont été à la base de la "durée" et de la "réussite" des radicaux au cours de l'histoire politique italienne des vingt dernières années: et c'est-là un problème important. En effet pour la première fois depuis l'échec du Partito d'Azione, la fin d'Unità Popolare et du "premier" Parti Radical du "Mondo" et de l'"Espresso" (1955-1962), avec l'actuel PR, un groupe de la gauche laïque non-marxiste, réussit à s'affirmer avec sa propre force, capable non seulement d'une présence dans le débat politico-culturel mais aussi d'une véritable action politique, déterminante pour des évènements de grande importance et de portée historique (divorce, avortement, huit referendum...) et capable également de conquérir sa propre représentation parlementaire.
La "naissance" du PR, représente ainsi une nouveauté considérable pour le système politique italien: parce que d'une part elle rompt ce qui semblait être une "loi" désormais consolidée - à savoir qu'aucun groupe politique nouveau ne provenant pas d'une scission d'un parti déjà affirmé, n'ait la possibilité de "percer"; et d'autre part, elle renverse le mythe de l'inexistence d'espaces à gauche en dehors de l'aire culturelle communiste ou se référant du moins officiellement (comme le Psi) à la classe ouvrière. Et la valeur de ces données est encore plus évidente si l'on confronte l'efficacité de la présence politique radicale de la dernière décennie à celle de l'autre force qui a pris forme dans le même laps de temps, la galaxie de la "nouvelle" gauche révolutionnaire d'inspiration communiste-léniniste.
Tout d'abord, l'explication du phénomène doit-être recherchée dans la décision et dans la volonté de durer politiquement en tant que force autonome de la part d'un noyau de militants, pendant longtemps dérisoirement restreint. On l'a dit: c'est une histoire qui se poursuit depuis plus de vingt-ans. Ce groupe de jeunes qui déjà dans la phase du "premier" PR avait constitué la structure portante du corps politique militant du parti, après la scission de 1962, assuma l'engagement de maintenir la continuité politique du grand filon qui à travers le précédent parti, remontait au Partito d'Azione, à Giustizia e Libertà, à "Rivoluzione Liberale". Quelle fut la certitude de la nécessité, de la justesse et du potentiel, de ce choix, le démontre le fait que le "parti" qui envers et contre tous garda la foi avec ténacité, fut composé pendant plus de dix ans par une centaine de personnes, et ensuite par un millier, et ensuite par quelques milliers de militants.
Il s'agit donc d'une histoire où l'élément subjectif a été déterminant pour sa persistance dans la société politique, avec ses propres hypothèses et positions à contre-courant. Mais il ne fait aucun doute que, outre les données de volontariat, lui permettant de durer, c'est l'intelligence politique des analyses sur la situation réelle italienne, qui a soutenu l'histoire radicale.
Il est indiscutable, que les nouveaux radicaux sont partis au début et ont agit pendant longtemps uniquement forts de leurs propres hypothèses et non pas sur des pressions de facteurs ou intérêts de groupes de couches sociales. Sous plusieurs aspects leur histoire apparaît plus facilement interprétable avec des catégories historiographiques "éthico-politiques" qu'avec les catégories adéquates pour affronter l'étude de conflits existant sur le terrain social ou l'enquête sur des forces politiques qui donnent voix au chapitre à ce que l'on appelle, avec une terminologie laide et schématique, conflits structurels. Mais il est aussi certain qu'au fur et à mesure que les analyses et les propositions politiques pouvaient-être connues par des tranches plus épaisses de la société, celles-ci trouvaient une réponse ponctuelle aux noeuds du pouvoir réels avec la découverte d'étranglements, de structures et d'institutions, sièges effectifs de l'affrontement politique, de classe. Les réponses radicales se révélaient
adéquates à la société industrielle avancée et capable de se mettre effectivement en relation avec les conflits typiques de la société.
L'émergence d'une position politique radicale, même si lente et pénible, était dûe au fait de correspondre à des exigences profondes d'une société nouvelle, en particulier à des exigences apparues en Italie dans les années 50 et 70. Si le groupe originaire des nouveaux radicaux, formé dans la deuxième moitié des années 50, n'avait pas été aussi tenace, les tensions libératoires de masse qui au cours des dernières années se sont révélées être des réponses "radicales" à la crise, n'auraient probablement pas trouvé de débouché politique. Et si, d'autre part, les propositions, les batailles et les réponses radicales, n'avaient pas correspondu aux contradictions sociales réelles, l'histoire radicale serait restée celle d'un groupe de valence purement culturelle, même si celui-ci n'en a jamais eu la prétention ni la substance.
Le catholique Gianni Baget Bozzo a soutenu que »le radicalisme suppose la récupération, non pas du sujet..., mais de l'individu , de cet "individu" qui dans les années 70 »est un "atome" dans le sens qu'il est le résidu ultime de toutes les divisions possibles . Et de cette "nouvelle société radicale" assimilée du point de vue catholique à la société "de consommation" dont la violence et la barbarie sont désormais intrinsèques, le nouveau radicalisme italien en serait, d'un côté, l'expression, tandis que de l'autre, il constituerait une tentative d'en surmonter les côtés négatifs. »Si nous comprenons bien les intentions du radicalisme politique écrit encore Bozzo, »elles sont dirigées vers la tentative de débarbariser le radicalisme latent de la société, et de socialiser, de quelque façon, l'individu émergent... Le parti radical n'est donc pas un parti mais une forme politique d'une société différente désormais de celle qui a exprimé comme sa forme politique les partis idéologiques (ceux dont le somm
et est le parti léniniste" (29).
Avec son langage et son échelle des valeurs ce responsable singulier de la culture catholique intégraliste a recueilli, tout en les surchargeant de signes idéologiques étrangers à la pensée laïque, certaines caractèristiques de fond des rapports que le PR a réalisés, d'un côté avec le monde politique culturel et, de l'autre, avec la société civile . Dans cette perspective. en effet, la politique des droits civils ne devient pas tellement l'exaltation individualiste de la désagrégation sociale propre aux sociétés modernes de masse, mais au contraire, un facteur directement et efficacement alternatif à ces phénomènes dans le corps social, en tant qu'instrument associatif d'une nouvelle demande politique répandue.
Un autre élément important à considérer pour sa compréhension du phénomène radical c'est la "dramaticité" continue et constante des façons d'être du parti-groupe. Dans les différentes phases des batailles spécifiques (divorce, objection de conscience, accès à la Tv, avortement) et avec les objectifs d'organisation et financiers que le groupe s'est attribué au fur et à mesure, c'est peut-être l'emphatisation du caractère extraordinaire et péremptoire des tâches à accomplir à certains moments qui a permis de surmonter les crises internes et externes répétées. Le PR s'est souvent posé le problème des actions spécifiques comme des problèmes de vie ou de mort, de la possibilité même d'exister de la politique radicale. Tout cela a semblé être - non sans des éléments de vérité - à l'intérieur, un "chantage" des radicaux à leur propre égard, et à l'extérieur, un "exhibitionnisme" de la part de ceux qui ne possédaient pas d'autres arguments et instruments adéquats aux tâches politiques du moment qui n'étaient pa
s celles du scandale et de la transmission du message à travers eux.
Cette remarque sur la façon d'être de la "chose" radicale pendant quinze ans, répond certainement à une réalité précise. Mais c'est encore en elle qu'il faut chercher l'un des motifs de la singularité radicale en mesure de gagner des paris souvent beaucoup plus grands que la force politique et d'organisation. Giorgio Galli a soutenu que les radicaux utilisent la petite force dont ils disposent au maximum de ses capacités dans le cadre d'une gauche qui utilise au minimum la grande force dont elle dispose (30). Et Francesco Ciafaloni a écrit à propos de contradictions et d'insuffisances que l'on trouve chez certains radicaux, qui seraient dûes au déphasage propre à un groupe politique dont le poids culturel et d'opinion et l'efficacité pratique sont plus grand que son pouvoir d'organisation (31).
Probablement, si l'histoire radicale n'avait pas été dramatisée, on n'aurait pas franchi le pas entre capacités et tâches, entre énergies et objectifs. Parce qu'en réalité, il faut reconnaître qu'à la "dramatisation" a correspondu une dramaticité réelle; que vraiment, de fois en fois, la victoire ou la défaite comportaient la possibilité de subsister, la crédibilité extérieure et la confiance en elle d'une force qui à cause de sa faible capacité d'organisation, de son absence de back-ground social ou d'intérêts établis, n'avait pas d'autre possibilité de supporter l'affrontement avec un milieu politique sceptique et hostile que celle de relancer constamment des initiatives gagnantes. En somme, le caractère dramatique qui a accompagné l'action politique radicale -avec la mise en jeu continue de la survie du parti et même de l'existence physique de ses militants - a répondu à la situation politico-objective dans laquelle le PR opérait dans un isolement assez considérable.
Donc, l'histoire radicale est une histoire à contre-courant, dûe surtout à l'extranéïté de la culture politique du groupe à la culture dominante aussi bien des milieux laïques qu'entre les forces de gauche, traditionnelle ou nouvelle. Mais ce ne sont pas les textes culturels et les références idéales qui ont déterminé les données de fond de la différence culturelle radicale par rapport à la société politique. Ceux qui voudraient pénétrer dans ce type d'analyses ne trouveraient pas beaucoup de matériel disponible, et celui-ci serait presque indéchiffrable. En effet la culture politique radicale est, paradoxalement, dans la "suprématie de la politique", toujours accompagnée de l'urgence de l'action. Et c'est justement sur ce terrain que doivent-être localisés les signes distinctifs du parti-mouvement-groupe par rapport à la culture politique des autres forces de gauche, et c'est encore-là l'un des motifs de l'émergence radicale dans le temps et de son efficacité.
Le PR a progressé selon ses propres temps et modes, en dehors et malgré ce qui, à chaque fois, était reconnu comme l'actualité et le cadre politique. C'est justement dans cette volonté de proposer et d'imposer des rythmes et des thèmes à tout prix contre le cours prédominant, que réside la culture politique particulière dans un conflit et un défi continuels avec la culture de la majorité; et par conséquent la "solitude" radicale.
Durant toutes ces années de lente reconstruction du groupe, c'était un défi que de montrer,,par exemple, que des thèmes tels que le divorce, propres à la culture laïque, pouvaient aussi bien être des thèmes populaires et qui trouvaient leur correspondance dans des besoins diffus. Il en est de même pour le rapport entre les radicaux et 1968. Le PR, ses propositions, existaient avant 68 et en passant à travers ce dernier, elles se sont trouvées en conflit avec toute la culture diffusée juste après.
L'obstination de poursuivre les petites, limitées et concrètes réformes, et de les poursuivre durement, a été une attitude opposée à celle de la nouvelle gauche marxiste ou des groupes neorévolutionnaires de la gauche de classe.
"Le "peu mais sûr" radical est un défi aussi bien au "tout et tout de suite" qu'au "peu si possible" des cultures dominantes dans l'action politique, et par conséquent raison de conflit.
Le PR a été découvert par l'opinion publique après 1974. Son histoire qui, pour la plupart, est connue, appréciée ou combattue, uniquement pour ce qui est apparu au cours des dernières années, commence en réalité et se développe à la fin des années cinquante. La reprise et l'inversion du déclin du monde laïco-libéral et socialiste italien à travers le groupe des nouveaux radicaux qui ont greffé sur ce filon traditionnel des modes et des contenus d'actions des nouvelles gauches, remonte à cette époque-là: ces nouvelles gauches issues précisément des crises de réponses que les grands courants idéaux de notre temps - marxisme, libéralisme et christianisme - n'ont pas été en mesure de donner efficacement et suffisamment à la société moderne.
Il a acquis, avec le referendum de 74, de la crédibilité et la confirmation de ses hypothèses. Il a ensuite dépassé les objectifs qu'il se fixait: en 1975 la proposition de referendum sur l'avortement; en 1976 le débouché institutionnel au parlement; en 1977, la proposition des huit referendum. A ce jour le PR a été un "parti de projets" et un "parti de mobilisation". Il a réussi à faire sortir presque toujours les projets ponctuels qu'il proposait du ghetto des énonciations stériles pour les placer dans le courant du grand débat et de la grande scène du pays. Il a réussi à mobiliser une partie de l'opinion publique pour les soutenir et pour enrichir avec de nouveaux militants son corps politique minuscule.
Le PR se trouve peut-être aujourd'hui devant un nouveau défi. Même sa propre réussite, là où il s'est consolidé, le fait apparaître dans la scène politique italienne comme une force sur laquelle s'accroche les espérances de ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'organisation en cours de formation: le nouveau régime fondé sur DC et Pci. Du reste, sa croissance-même, fondée sur une mobilisation spécifique et intermittente sur des projets individuels, a déterminé ses caractéristiques structurelles.
Réussite et croissance mettent en évidence certaines limites radicales dans leur manière d'être: un organisme politique fonctionnel presque exclusivement de la mobilisation, mais inadéquat à recueillir et à transformer en un corps politique homogène les énergies militantes qu'il attire; un groupe dirigeant désormais trop petit par rapport au potentiel et à l'actualité de sa force politique; la faible pénétration parmi les nouveaux militants d'une culture politique homogène (qui a été la force du groupe central radical) au fur et à mesure que le parti s'est agrandi; en résumé, le fait d'être une force politique modelée sur les modes de sa croissance.
Il est probable que le rôle des radicaux acquiert du poids en relation avec le caractère de la nouvelle situation, où les intérêts corporatifs tendent toujours plus à se souder justement à travers les nouveaux accords politiques. La croissance du rôle radical ne pourra se faire que si le parti saura surmonter le risque d'être repoussé dans la marginalisation du bloc dominant, et simultanément, s'il saura réagir contre les poussées centrifuges opérant en son sein vers un rôle de véritable opposition de témoignage. Dans la nouvelle situation, une force comme la radicale, qui dirige son opposition contre ce type de régime en sollicitant et en recueillant les poussées socialistes et libérales de l'expansion des droits civils contre les soudures corporatives et autoritaires, pourrait constituer le contre-poids naturel des forces dominantes.
Pour faire front aux nouvelles tâches le PR doit peut-être se lancer un défi: celui d'adapter sa façon d'être et par conséquent sa façon d'agir aux questions et aux expectatives que le pays lui pose.
Notes
1. Aux élections politiques du 20 juin 1976 quatre parlementaires étaient élus à la chambre: Marco Pannella qui optait pour le collège de Turin; Adele Faccio pour celui de Milan; Emma Bonino à Rome et Mauro Mellini à Gênes.
2. Les lignes d'analyses de cette partie suivent l'essai d'Ernesto Bettinelli, "Quatre radicaux à Montecitorio: premier bilan d'une saison parlementaire pour la révolution démocratique", "Argomenti Radicali", N·1, avril-mai 1977, pp.114-127.
3. La proposition radicale aux parlementaires du Psi était de former un groupe commun à condition que Loris Fortuna en fut élu président, et que chaque parlementaire eussent liberté de vote. Il s'agissait évidemment d'une proposition inacceptable pour le Psi: elle était cependant indicative de la ligne d'intervention radicale de susciter des formations avec des alliances surtout avec les socialistes.
4. A Ernesto Bettinelli on doit de nombreux projets de loi (par ex. : la réforme de l'ordre public). Il s'occupe de la rubrique "A travers les institutions" du bimestriel "Argomenti Radicali", dont on a déjà cité l'essai "Quatre radicaux au parlement".
5. E. Bettinelli, cit. p.118.
6. Monsieur Mimmo Pinto, unique élu de Lotta Continua dans le Cartel de Democrazia Proletaria, marquait progressivement une diversité de comportement par rapport à ses collègues de groupe surtout après la convergence de Lotta Continua sur la collecte de signatures pour le projet de referendum radical de mars 1977. En juillet on arrivait presque à une rupture du groupe de Democrazia Proletaria, avec Pinto (et en partie Gorla du Pdup) d'un côté et les parlementaires du Manifesto (Castellina, Magri, Milani) de l'autre.
7. Marco Pannella, "La démocratie demande des confrontations dures et loyales", intervention à la Chambre, dans "Notizie Radicali" N·19, nouvelle série, 29 Août 76.
8. Cf. "Parlement: bilan de trois mois d'activité", "Notizie Radicali" N·43, nouvelle série, 13 Octobre 1976.
9. Cf. Ernesto Bettinelli, "Police et société civile: vers une nouvelle séparation?", "Argomenti Radicali", An I, N·2, Juin-Juillet 1977, pp. 122-138.
10. Cf. Gianfranco Spadaccia, "Sollicitons par le jeûne une politique carcérale", tribune ouverte, "Corriere Della Sera", 31 Janvier 1977. Voir aussi "Appel à ceux qui ont le pouvoir et l'autorité", au 70ème jour de jeûne, annonce publicitaire, dans "La Repubblica", 19 mars 1977. Sur l'affaire de la démission du député Emma Bonino pour la même question, Cf. la presse du 24 mars 1977.
11. Cf. la presse des 3-8 mars 1977.
12. Motion finale du XVIIème congrès national du PR, Naples, 1-4 novembre 1976, dans "Notizie Radicali", N·182, nouvelle série, 15 Novembre 1976.
13. Lorenzo Strick Lievers, "Referendum: contre la crise, un instrument d'unité et d'alternative", "Argomenti Radicali", An I, avril-mai 1977, pp. 7-8.
14. "Huit signatures pour un seul referendum", Rome 1977.
15. Marco Pannella, "Perdre les referendum, un crime de classe", "Lotta Continua", avril 1977, p.8.
16. Cf. les données de la collecte des signatures, désagrégées province par province, publiées dans "Notizie Radicali" N·163, 16 juillet 1977, en les comparant aux résultats électoraux et de Democrazia Proletaria.
17. Claudio Petruccioli, "Les dioscures du privilège", "L'Unità" 9 décembre 1976. Voir aussi: "Comment s'inventer des millions de voix et vivre heureux", "L'Unità", 13 décembre 1976.
18. Petruccioli.
19. Antonello Trombadori, "Le Pci réplique à Pannella: trop de victimisme", tribune ouverte, "Corriere Della Sera", 14 Déc.1976.
20. Ibidem
21. "Radicaux. Ecoutez Berlinguer", interview de Pannella, "Panorama", 12 oct.1976.
22. Marco Pannella, "Pannella au Pci: Pourquoi vous en prenez-vous à nous?", tribune ouverte, "Corriere Della Sera", 12 Déc.1976.
23. "Débat: Si les huit referendum démarrent", Spadaccia, Occhetto, Malagugini, Manca, Rodotà, "La Repubblica", 7 juin 1977.
24. Massimo Teodori, "Radicaux et Communistes: les vraies raisons du conflit", "Argomenti Radicali", an I N·1, avril-mai 1977, pp. 33-47. L'essai avait été préparé à l'origine comme une relation au conseil federatif du PR en janv. 1977.
25. Ibidem, p.39.
26. Ibidem, p.38.
27. Cf. Carlo Donolo, "Après 68" La société italienne entre le changement et la transition", "Quaderni Piacentini", an XV,
N· 60-61. Oct. 1976. pp. 3-38.
28. "Teodori", p.42.
29. Gianni Baget Bozzo, "La société radicale selon Bozzo", "Argomenti Radicali", An I N·1, avril-mai 1977, pp. 106-110.
30. Giorgio Galli, "Le rôle des radicaux selon Giorgio Galli", "Argomenti Radicali", An I N·1, avril-mai 1977, p.112.
31. Francesco Ciafaloni, "Une gauche libérale fille de 68", "Argomenti Radicali", An I N·2, Juin-Juillet 1977, p.110.