de Marco PannellaSOMMAIRE: Le commentaire de Marco Pannella à la sentence d'absolution dans le procès contre l'organisation "Ordine nuovo" accusée de "reconstitution du parti fasciste". La fureur "antifascste" de la gauche italienne est l'alibi avec lequel ces forces qui, depuis trente ans, permettent la permanence des lois fascistes dans le système italien et qui, ces dernières années les ont même aggravées, couvrent leur substantielle continuité avec le fascisme.
(Commentaire à la sentence d'absolution du procès contre "Ordine Nuovo" - Février 1978 de "Marco Pannella - Ecrits et discours - !959-1980", maison d'édition Gammalibri, janvier 1982)
Les partis et les organisations syndicales, les maires et les organes de presse qui maintenant lancent des cris bestiaux et de douleur contre la sentence d'absolution du délit de reconstitution du Parti fasciste imputé à 113 individus (parmi lesquels nombreux sont les assassins, les voyous, les hommes de main ou les protégés des Services secrets d'Etat, nationaux ou étrangers), sont les mêmes partis et organisations syndicales qui depuis vingt ans au moins trouvent normal que la République italienne soit clouée à des lois et des ordonnances fascistes, du Code pénal Rocco (1) aux codes militaires, au Concordat (2), et qui les aggravent et les utilisent aujourd'hui comme instruments de pouvoir et de persécution de militants et de citoyens démocratiques, de répression sociale et d'une prétendue "tutelle" de l'"ordre public".
Ces partis, ces organisations syndicales, ces associations bureaucratisées et de convenance, ex-combattantes et ex-rescapées, sont les mêmes qui se sont tues hier, ou qui ont exulté, face au coup de main de la Cour Constitutionnelle qui a frappé ce qui avait été réalisé par la Constitution, pourvu de défendre de la condamnation populaire les pires, les plus barbares, ignobles et violentes lois du fascisme.
Ceux-ci s'insurgent, héros exemplaires ou lâches de régime, contre le Tribunal qui a probablement mis trois jours pour arriver aux conclusions auxquelles même la culture et l'histoire de régime sont en train d'arriver: que rien en commun ne peuvent avoir les Concutelli (3) et ses semblables avec les Giovanni Gentile (4) et les Alfredo Rocco ( grand juriste et législateur "républicain" de cette Cour Constitutionnelle et de nos indicibles Parlements), avec les Vittorio Emanuele III (5) et Benito Mussolini (6).
"Si parva licet..." les héritiers de ceux qui réussirent à massacrer la liberté, la justice, la démocratie, l'Etat de droit, et à la fin l'Italie entière, pendant plus de vingt ans (et non pas les impossibles "reconstitueurs": 33 ans après!) sont, au cas où, aujourd'hui, les Paolo Rossi, les Aldo Moro (7), les Amintore Fanfani (8), personne d'autre; et si certains d'entre eux furent, dans un lointain passé, pendant quelques années, et il n'y a pas plus de 33 ans, antifascistes, même en cela ils suivent la tradition: Benito Mussolini, 7 ans avant d'aller au pouvoir, était lui aussi un des plus prestigieux et aimé leader socialiste. Les Dumini (assassins de Matteotti (9) ) et les Concutelli, en effet, peuvent vivre et oeuvrer partout et toujours: pas meilleurs qu'eux ont été les agents du parti et des polices secrètes qui ont torturé, massacré, exterminé des millions et des millions d'ouvriers et de paysans, communistes et socialistes, d'anarchistes et de démocrates, dans le monde contemporain.
Comme dans le passé avec "Avanguardia Nazionale" (10), aujourd'hui avec "Ordine Nuovo" (11) on a essayé d'imposer à la République l'usage fasciste de lois fascistes, avec l'alibi des persécutions "antifascistes" de "fascistes". On l'a compromise dans des procès grotesques et indignes, au cours desquels on a risqué de donner des patentes de martyr à des délinquants que souvent on n'ose pas juger et condamner pour les méfaits qu'ils ont effectivement accompli, souvent sur directe commission de hauts milieux de régime.
Ces lois qui avec le prétexte de quelque procès-bidon servent ensuite à légitimer de vrais procès de masse, contre des militants de classe, démocrates et vraiment antifascistes.
C'est pourquoi je ne me joins pas au lynchage de régime contre le Tribunal qui a ôté alibis idéologiques et dignité civile à des gens qui ne méritent pas, ainsi qu'absous probablement aussi quelque citoyen tout à fait innocent. Dans notre code, le délit d'association criminelle existe (même si ni la Commission d'enquête (12) ni la Cour Constitutionnelle n'ont montré de le savoir à l'occasion du "Procès Lockheed" (13) ); et ceux de la main d'oeuvre noire sont aussi des délits, pas plus et pas moins que ceux des personnages au-dessus de tout soupçon qui les ont utilisés et protégés. Qu'on condamne pour ces délits.
Qu'on nous épargne la saleté de procès de reconstruction du Parti National Fasciste de la part de qui a consacré ses lois, en les imposant à l'Italie pendant 33 ans, alors que le fascisme avait réussi à les maintenir pendant beaucoup moins; ou de qui n'a vu que "mines à la dérive" et "lacérations" dans les referendums constitutionnels abrogatifs du fascisme réel et vivant des lois, dans le fascisme des gouvernants.
Que du côté antifasciste l'on arrête donc avec le spectacle indécent des larmes de crocodile, avec les plaintes et les imprécations, pour commencer de suite la campagne pour la victoire du "oui" dans le referendum abrogatif de l'infâme "Loi Reale" (14); c'est à dire la loi de l'exil politique fasciste, de la licence d'assassinat, acte préparatoire nécessaire pour faire passer l'arrêt de police et les autre aberrations juridiques paraphées par Cossiga (15) et Bonifacio pour le compte des "six partis" de l'"arc constitutionnel".
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N.d.T:
(1) Alfredo Rocco: (1875-1935) juriste et homme
politique italien. Ministre de la justice de
1925 à 1932; créateur des codes pénaux et de
procédure pénale émanés en 1930 et 1931 et
conformes aux exigences idéologiques, politiques
et économiques du fascisme.
(2) Concordat: accord entre le Pape et un Etat pour
établir la position juridique de l'Eglise
catholique. En Italie, il fut stipulé en 1929.
(3) Concutelli: extrémiste de droite, accusé de
massacre, et de complicité dans l'attentat au
train Italicus qui fit de nombreux morts en 1979.
(4) Giovanni Gentile: (1875-1944) philosophe italien.
Collabore avec Croce au journal "La Critica"; en
1923, adhère au parti fasciste; ministre de
l'Instruction (1922-1924) accomplit une vaste
réforme de l'école. Partisan d'un retour à
l'idéalisme hégélien.
(5) Vittorio Emanuele III: (1869-1947) Roi d'Italie
(1900-1946). Toléra que le fascisme prenne le
pouvoir et instaure la dictature, favorisant les
initiatives de Mussolini. S'en étant débarrassé
en 1943, il fuit de Rome en abandonnant la
population et se réfugie dans le Sud. Refusant
d'abdiquer jusqu'en 1946, il confia à son fils
Umberto la lieutenance du règne. Meurt en exil
après la proclamation de la République.
(6) Benito Mussolini: (1883-1945) homme politique
italien. En 1900, commence son activisme
politique dans le parti socialiste; en 1912,
obtient la direction du journal socialiste
"Avanti!"; expulsé du parti en 1914 pour ses
positions interventionnistes; député en 1921, il
fonde le Parti National Fasciste. Appelé à la
présidence du Conseil après la marche sur Rome,
en 1925 supprime les libertés constitutionnelles
et civiles. en 1939, s'allie avec l'Allemagne
nazie. Arrêté par les partisans à la Libération,
fut exécuté en 1945.
(7) Aldo Moro: (1916-1978), homme politique italien.
Secrétaire de la DC, la Démocratie chrétienne
italienne (1959-1965), plusieurs fois ministre,
fut l'auteur de la politique de centre-gauche.
Ministre des Affaires étrangères (69-74), chef
du gouvernement (74-76), président de la DC
depuis 76, favorisa l'approche du Parti
Communiste au gouvernement. Enlevé par les
Brigades Rouges le 16 mars 1978, il fut retrouvé
mort le 9 mai de la même année.
(8) Amintore Fanfani: (19O8) homme politique
italien. Professeur d'histoire économique,
secrétaire de la DC, la Démocratie chrétienne
italienne (1954-59, 73-75), président du
Conseil (58-59, 6O-62, 62-63, 82-83), ministre
des Affaires étrangères (64-65, 65-68),
président du Sénat (68-73, 76-82).
(9) Giacomo Matteotti: (1885-1924) homme politique
italien. secrétaire du Parti socialiste unitaire
(1922), réformiste, s'est opposé au fascisme. En
1924, fut enlevé par les fascistes et
assassiné.
(10) "Avanguardia Nazionale": Avant-garde nationale:
Mouvement d'extrême droite.
(11) "Ordine Nuovo": Ordre Nouveau: Mouvement
d'extrême droite.
(12) "Commission d'enquête": Tribunal spécial formé de
parlementaires et appelé à se prononcer sur les
délits commis par des ministres,
(13) Lockheed: Scandale causé par les pots-de-vin
payés par la société aéronautique américaine
Lockheed à des hommes politiques italiens, en
vue de fournir à l'armée de l'air italienne ses
avions de transport Hercules C-130. L'ex-
président de la République Giovanni Leone fut
impliqué dans cette affaire.
(14) "Loi Reale": loi anti-terroriste proposée par:
Oronzo Reale: (1902) homme politique italien.
Fut l'un des fondateurs du Parti d'action (1942);
secrétaire du PRI, le Parti républicain italien
(1949-1964), ministre de la Justice à plusieurs
reprises.
(15) Francesco Cossiga: (1928) homme politique
italien. Démo-chrétien, ministre de l'Intérieur
(1976-78), président du Conseil (1979-80), actuel
président de la République.