("Qualunquismo": mouvement des années Cinquante, homme quelconque, NDT)SOMMAIRE: Un essai sur la nature et les racines historiques du nouveau radicalisme et une confrontation sur la question radicale avec les interventions de: Baget-Bozzo, Galli, Ciafaloni, Tarizzo, Galli Della Loggia, Lalonde, Alfassio Grimaldi, Are, Asor Rosa, Corvisieri, Orfei, Cotta, Stame, Ungari, Amato, Mussi, Savelli.
(Editions SAVELLI, Octobre 1978)
Index:
Première partie
I Politique et société (1376)
II Radicaux en accusation (1377)
III Le PR, parti à double face (1378)
IV Radicalisme et socialisme (1379)
V Radicalisme ou marxisme, cohabitation ou technofascisme?
(1380)
Seconde partie
Une confrontation sur la question radicale (1381-1397)
"Radicalisme, libéraldémocratie, socialisme"
par Fabio Mussi
("Rinascita", 9 Juin 1978)
La question du "radicalisme" revient occuper aujourd'hui une place importante. Pas tant parce qu'il existe, comme on l'a cru, entre catholicisme et marxisme, une sorte de "troisième force" culturelle (correspondant à la présence, en politique, d'un Psi entre Pci et Dc), dite "radicale" ou "radical-socialiste"; encore moins parce que le Parti radical de Pannella - même l'Homme "quelconque" a participé à Mai 68 - représente de manière appréciable "le" radicalisme moderne; mais parce que, dans la société et les idées, des positions radicales, de type ancien et nouveau, sont allés en s'étendant.
Le phénomène "commence" seulement d'être essayé. Même si, il faut le dire, surtout par des points de vue pré-bourgeois. Pier Paolo Pasolini, en 1974, écrivait sur une sécularisation intégrale de l'Italie, poussée jusqu'aux caractères anthropologiques de ses habitants - »à partir d'aujourd'hui nous sommes tous plus laids . Gianni Baget Bozzo, dans son livre "le parti chrétien, le communisme et la société radicale", en 1976, explique qu'est radicale cette société qui vit "et si deus non daretur" - »à partir d'aujourd'hui nous sommes tous plus méchants . L'un et l'autre, il faut le dire, ont vu le phénomène différemment.
"Radical" est ce qui vise à la racine. A l'origine c'est la caractéristique des courants bourgeois les plus consécutivement démocratiques, culturellement liés au rationalisme, particulièrement illuministes, qui combattent pour l'application intégrale du principe d'universalité de la démocratie, et les moins hostiles à l'encontre du mouvement naissant de la classe ouvrière antagoniste. On l'appela aussi "socialisme de la bourgeoisie". Marx essaya d'en déchiffrer l'importance, et de toutes façons, il le prit en considération. Il parle continuellement de John Mill par exemple, il trouve la clé de son radicalisme dans le "naturalisme", puissante idéologie apologétique: »les rapports bourgeois sont représentés en sous-main comme des lois de nature immuable de la société en abstrait . Radical fut aussi Nietzsche, qui de ces rapports étudia d'autres racines, celles de la volonté et de la force. Mais sa route se sépara du mouvement ouvrier plus rapidement encore que celle des démocrates anglais, conséquents, at
tachés à l'Etat de droit et au parlementarisme.
La séparation entre socialisme et radicalisme fut très nette dès le début. Les tentatives, par exemple dans le mouvement des femmes déjà au début du XIXe Siècle, de mettre d'accord "émancipation" (socialisme) et »libération (radicalisme) - dont parle longuement Sheila Rowbotham dans son livre "Exclues de l'Histoire" - n'aboutirent pas. La vision "sociale" de la liberté, des mouvements révolutionnaires d'origine prolétaire, et la vision "politique", d'implantation libérale, se séparèrent d'autant plus tard de la formation des nouveaux Etats socialistes. Tout cela a marqué profondément, pendant une très longue période, le mouvement et les idées de réforme et de révolution. Le contraste historique, entre pensée radicale et pensée marxiste, est pour ainsi dire originel. Il y a une raison de classe, évidemment; qui renvoie il me semble, à un point théorique de fond: Marx considère qu'un développement socialiste et communiste de la société humaine peut exister à partir des forces productives développées par
les sociétés capitalistes bourgeoises: "à partir de", et non pas à travers "un retour aux principes", ou leur simple "application intégrale". Ce que nous savons aujourd'hui c'est que le lien révolution-liberté-démocratie non seulement n'a pas donné de résultats pleinement développés et satisfaisants, mais il s'est compliqué énormément au fur et à mesure, créant des problèmes toujours nouveaux.
La bourgeoisie italienne a une tradition radicale très éteinte. Comme chacun sait, dans le Risorgimento les modérés s'en sortirent le mieux. Le premier Parti radical proprement dit, né au début du siècle, fut une variante interne du giolittisme, peu significatif même dans le jeu parlementaire. Le "Radical" italien de plus grande envergure est certainement Gaetano Salvemini. La polémique est célèbre que lui fit Antonio Gramsci - messianisme culturel, jacobinisme professionnel, caractère abstrait absolu du caractère concret présumé, intellectualisme, absence du sens de la réalité et de processus historique - et les divergences sont connues, dans le développement au moins de trois thèmes décisifs: la question méridionale, le thème de l'organisation politique des masses et celui de la corruption des groupes dirigeants. Un autre épisode donc, même en Italie, du contraste historique entre "socialisme de la bourgeoisie" et "socialisme du prolétariat".
Il faut bien avoir conscience cependant de la grande transformation à laquelle ont été soumis au fur et à mesure les termes de ce contraste. Pendant ce temps, en effet, deux faits décisifs se sont vérifiés:
1. l'incapacité, démontrée par les socialismes réalisés, de développer un régime de libertés personnelle et collective, comparables à celui des démocraties bourgeoises;
2. l'énorme développement, puis la crise plus récente, dans l'économie et dans l'Etat, des régimes capitalistes occidentaux, qui ont produit une gigantesque transformation des caractères de la société civile, du même horizon que les libertés humaines.
Les mouvements réformateurs et révolutionnaires de l'occident, et avant tout de la classe ouvrière, aujourd'hui, partent de là. Cette oscillation radicalisme/modératisme, en différents moments, typique de l'instabilité des classes intermédiaires dans le cycle développement/crise, aujourd'hui, qu'il se présente à nous une "crise organique", et que ces mêmes classes se sont accrues et transformées, comme s'est accrue et transformée la partie de société mise à l'écart par la production et par l'emploi public, cette oscillation tend à se fixer en des formes nouvelles.
Les vieilles figures, entendons-nous bien, reviennent. Par exemple, la tradition du parti d'action, laïciste et alternativiste, a conservé une certaine vitalité, qui a gardé de côté, durant toutes ces années-ci, le regret des "occasions manquées" (chez les très jeunes, poussé quelques fois jusqu'à la caricature de la nostalgie pour la bonne occasion manquée six mois auparavant). Mais le point de non-retour, au-delà desquelles les vieilles figures se trouvent dépaysées, c'est probablement celui que Giuliano Procacci appela il y a quelques années "de l'idéologie américaine".
Avec l'idéologie il y a eu aussi le mouvement d'une réalité de très grande portée. Entre la fin des années Cinquante et la fin des dix années suivantes, l'Italie - même si, sans un guide capable de "projeter" une réforme générale, et, sans avoir au moins surmonté les équilibres historiques les plus discordants - a subi la plus radicale transformation de son histoire. L'axe de la production s'est déplacé sur l'usine et celui de la vie sur la ville; les consommations individuelles se sont accrues de manière inouïe; l'Etat a assumé un nouveau poids, économique et civil. Tout cela n'a pas provoqué la mort du mythe. Ernesto Galli Della Loggia, dans un essai paru dans le volume collectif "L'Italie contemporaine", reprenant le terme "idéologie américaine", l'appelle "mythologie du développement". Qu'elle fut "mythologie" cela a été démontré par la crise suivante, qui a porté en elle les effets combinés d'une société encore arriérée dans de nombreux secteurs, et pourtant arrivée à une phase d'intégration avancé
e avec les centres du capitalisme industriel. Mais une bonne partie des idées qui réglaient la vie, et l'interprétaient, sont alors tombées, donnant à la vie elle-même une nouvelle dimension antimythologique. Le pays s'est donc "laïcisé" et "modernisé". Entrant vite en contradiction avec une direction politique et économique qui, ne sachant pas développer justement ces aspects de progrès accentués, et ne sachant pas prévoir et faire face de manière adéquate à la crise qui s'est ouverte vers la fin des années Soixante, a perdu des consensus. De ces consensus, l'opposition communiste a été largement bénéficiaire, surtout dans la période qui va du referendum sur le divorce au 20 Juin.
Le 20 Juin 1976, dans la formation et dans le vote intellectuels (ce concept vaut, il ne faudra plus l'oublier désormais, "uniquement comme concept relatif à une masse") la composante radicale fut très forte. Dans la demande de Bon Gouvernement - fondée sur une critique des faits motivée évidemment - transparaissait également une figure salvéminienne. En syntonie avec un mouvement - de jeunes, de femmes, d'étudiants - qui tentait d'affirmer, comme son contenu, la transformation de la société civile et des conditions de la vie urbaine.
Ce radicalisme, encore une fois, est entré en contradiction avec le mouvement qui a en son centre la classe ouvrière. Ce que l'on appelle aujourd'hui "crise du marxisme", n'est pas produite pour ainsi dire "intérieurement", par une critique de la "conscience intérieure" (comme cela arriva avec la polémique neo-ricardienne sur la transformation des valeurs en chiffres, ou à d'autres moments, avec les tentatives de démontrer d'autres parties fausses du "Capital"), mais extérieurement, comme mouvement réel de forces qui critique le marxisme:
1. sa prétention organique (reconduire à "une" théorie l'analyse du capitalisme);
2. ses "vides" sur le problème du Politique;
3. et, à la limite, son "application intégrale" (le cas des "nouveaux philosophes" dans les pays socialistes).
La polémique sur l'hégémonie, qui s'est déroulée avec un grand déploiement d'énergies intellectuelles au lendemain déjà du 20 Juin, contenait moult de ces thèmes. Déjà la prise de distances à l'encontre du Pci, à travers Gramsci, était nette. Mais les choses elles-mêmes se sont chargées de pousser bien plus en avant la contradiction, et dans des sens même très contrastants. La solution de la contradiction que propose Heller, d'une réduction aux sujets du problème du changement, à travers la théorie des "besoins radicaux" s'est révélée impraticable. Un nouvel extrémisme a affleuré, individualiste et antipolitique, qui a une implantation radicale-régressive.
La durée à laquelle, culturellement et politiquement, est exposé le Pays, est longue. Certains des mouvements développés au cours des deux dernières années, l'accentuent. Il semblerait pourtant qu'ils n'aient pas fait assez, malgré les idées en élaboration à l'Elysée, pour éviter que, encore une fois, "socialisme de la bourgeoisie" et "socialisme du prolétariat" se séparent au carrefour. D'autant plus si l'on considère que le radicalisme - lequel devient, poussé à l'extrême, destructif, dans une guerre ouverte contre les catholiques et les communistes - apparaît toujours davantage, comme cela lui revient historiquement, la pointe émergente d'un bien plus vaste continent neo-libéral, ou mieux encore: "libéral-démocratique". On pense qu'il y a en lui une unique possibilité théorico-culturelle, celle d'une "vision-partagée" de la réalité, et l'on pense que la prétention conceptuellement reconstructive propre à la gauche communiste - dans la définition de la crise et dans la perspective de la surmonter - c
ontient un potentiel autoritaire et restrictif. D'où jaillit encore la plus classique - et, si l'on veut, traditionnelle - idée d'une "société civile des libertés" et d'un "Etat des garanties". Comme séparation veut.
Constaté la limite, le problème pour nous provient du fait, avant tout, que ce "libéralisme" est de toutes façons un nouvel épisode de la culture. S'il est aussi vrai qu'on le dit, premièrement, que les conditions réelles du libéralisme classique n'existent plus; deuxièmement, qu'effectivement les contenus de la liberté humaine dans cette société développée ont tellement changé qu'ils nécessitent une nouvelle réponse politique, qui tienne compte de l'évolution, commune chez nous, même pour une grande partie du monde catholique, du concept-même de liberté, personnelle et collective; et enfin, troisièmement, que la vie d'un socialisme dans la démocratie, durant et après la transition, et d'une entente entre forces communistes pour une vision européenne de la lutte révolutionnaire, place les mouvements de la classe ouvrière à majorité communiste en rapport avec d'autres mouvements ouvriers, à majorité socialiste et socialdémocratique, et avec des forces bourgeoises, socialistes, libérales, démocratiques.
Pour tous ces motifs et d'autres encore, je pense qu'il faut ouvrir un débat et le poursuivre, et non pas le faire cesser.