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Pannella Marco - 1 maggio 1979
Le pôle communiste et le pôle radical
Interview à Marco Pannella

SOMMAIRE: Dans l'interview à Marco Pannella les raisons du contraste dur entre le Parti radical et le Parti communiste. Il y a dans la politique italienne deux vrais pôles: celui communiste et celui radical, d'une part le socialisme des valeurs démocratiques et de tolérance, de l'autre le socialisme des idéologies. Il est nécessaire de battre cette politique du Parti communiste italien qui veut diviser et vaincre la gauche afin que le socialisme puisse redevenir une valeur.

(Interview à Marco Pannella - Mai 1979 de "Marco Pannella - Ecrits et discours - 1959-1980", maison d'édition Gammalibri, janvier 1982)

PLAYBOY - Dans les derniers temps tu as surtout frappé dur sur le PCI (1). Mais dès 66, dans une fameuse interview à "Nuova Repubblica", tu le jugeais durement. Quelles sont donc selon toi les fautes du PCI?

PANNELLA - Disons que plus que de fautes je parlerais laïquement d'erreurs. Ca me semble important, parce que nous avons déjà trop de choses catholiques, contre-réformistes dans nos vies: essayons quand même d'en purger le langage. A mon avis, l'erreur cardinale, ne fut-ce que pour rester dans le langage catholique, est une autre. Le Parti communiste a fait du transformisme au cours de ces trente dernières années, c'est à dire qu'il a pris les traits du modéré pour gagner. A présent, l'action des transformistes peut aussi rouler une fois l'électorat: mais pas à la longue. Cette opération "machiavélique" (entre virgules, parce que Machiavelli est une autre chose) est sûrement perdante à moyen et long terme. Et c'est précisément ce qui est en train de se passer dans le PCI. Disons que de ce "style" a été maître un "crispino" (2), même si piémontais (3), comme Palmiro Togliatti (4), lequel selon les intérêts, je dirais plutôt les petites opportunités, a jeté par dessus bord les grandes valeurs et les grandes ex

plicitations des valeurs progressives de la gauche, socialistes, etc.

PLAYBOY - Tu dis que Togliatti a été un grand opportuniste.

PANNELLA - Ce fut l'homme qui a poussé au maximum en Italie l'idéologie de l'opportunisme. Maintenant, je n'oublie pas que l'opportunisme, au début, est né comme revendication positive avec Gambetta pendant la Troisième République française, quand les radicaux brandissaient contre le dogmatisme le drapeau de l'opportunité comme morale politique. Mais quel est le vrai vice des opportunistes, à mon avis? Il est vrai que la politique est l'art du possible, comme ils continuent à prêcher, mais il faut leur faire remarquer que c'est l'art de "créer" le possible, non pas de "consumer" le possible. Les opportunistes, qui sont-ils? Ce sont ceux consument et réduisent le possible, tandis que les vrais hommes politiques sont ceux qui créent, élargissant l'arc du possible.

PLAYBOY - Il faut admettre dans ce sens que tu as fait récemment pas mal de vraie politique.

PANNELLA - C'est pourquoi je considère que la politique du Parti communiste soit perdante, désormais même manifestement. Quand le Parti communiste devient le parti guide de la coalition de 95 % du Parlement dans la lutte de la DC (5), de Démocratie nationale et des autres sur les référendums sur le double non ("Loi Reale" (6) et financement public des partis), et qu'il voit s'écrouler ce 95 % à 65-66 %, et que pour réduire cet écroulement il doit utiliser les médias de masse à la façon de Goebbels, c'est à dire qu'il doit se mobiliser de façon spasmodique, qui trompe-t-il? Pas les fascistes et les démochrétiens qui ne l'écoutent pas, mais les communistes et les ouvriers, en allant leur dire qui si la "Loi Reale" était abrogée (qu'eux-mêmes communistes avaient d'abord définie pire que la "Loi Rocco" (7)) Curcio (8), Concutelli (9), Vallanzasca (10) et les violeurs fascistes sortiraient de prison: ça veut dire alors que les communistes ont mauvaise conscience, parce qu'ils savent qu'ils mentent et qu'ils devro

nt construire les fortunes du Parti et d'une fausse politique en trompant leurs propres électeurs. Donc je dis que la voie du Parti communiste est une voie, disons, désespérée. Il y a aujourd'hui deux désespoirs en Italie: celui des bureaucrates communistes, et l'autre celui des garçons de la "P38" (11) et de la seringue. Ce sont deux désespoirs différents, mais tous deux destructifs.

PLAYBOY - A ton avis, le PCI est donc l'adversaire à battre encore plus que la DC?

Etant moi-même militant d'une force de gauche, il est évident que la première chose à battre est la politique qui veut diviser et vaincre les gauches. Et aujourd'hui ce n'est pas la DC qui gère cette politique, c'est le PCI. Au fond, la DC a eu peur même quand elle a voulu accomplir des tournants illibéraux: et en réalité, la fameuse épopée Tambroni (12) est du bidon. En pratique il ne s'est agit alors (1960) que de Gronchi (13) qui voulait liquider son compte avec la Démocratie Chrétienne: lui, élu Président de la République en dépit du Parti, comme homme de Mattei et des communistes. Comme Fanfani (14) d'autre part l'était aussi. Et ainsi Gronchi déchaîne son pupille Tambroni contre le Parti, et il est anéanti. Mais en réalité ce n'est pas le Pays qui a vaincu cette connerie de Tambroni, comme on a voulu le faire croire, mais ce fut la DC elle-même, par ce qu'ils ont voulu liquider Gronchi qui avait été élu chef de l'Etat contre la volonté de la DC et grâce à l'alliance des missini (15) et des communistes

avec le pétrole de Mattei. Laissons donc la DC de côté pour l'instant. Je dis que les deux pôles de bataille de la coalition politique italienne (donc pas seulement de la gauche) sont aujourd'hui les communistes et les radicaux. Et la preuve en est qu'à Trieste le premier parti de la gauche est le Parti communiste, mais dès l'instant où aux élections de 78 nous prenons 6 % des voix, lui perd 8 %. Maintenant, quel est l'ennui originaire du Parti communiste? Le vrai discours est que le communiste historique n'est pas fondamentalement stalinien: il n'est que quelqu'un qui croit que Stalin est un bon père de famille. C'est à dire que le vrai stalinien c'est Togliatti, ce n'est pas l'ouvrier de la FIAT. Parce que l'ouvrier de la FIAT croit en bonne foi que Stalin soit un bon père de famille.

Mais pourquoi le croît-il? Parce que Togliatti, qui y a été (chez Stalin), assure contre les libéraux, les démocrates, les socialistes - qui n'y ont pas été - que Stalin est un bon père. Et quand le socialiste, le communiste du dissentiment, le libéral, disent à l'ouvrier de la FIAT: "Là-bas on a massacré des millions de paysans, toute la classe dirigeante communiste a été torturée et assassinée, moralement aussi outre que juridiquement", les ouvriers croient à ce que dit Palmiro Togliatti, qui ment, plutôt que croire ces autres, qui disent la vérité. Parce que Togliatti y a été, et les autres pas. Je revendique donc un grand attachement à l'ouvrier stalinien parce qu'il a toujours été trompé. C'est tellement vrai que quand j'ai été élu député, dans trois circonscriptions, j'ai opté pour Turin, et que dans certaines sections de Mirafiori (16), dominées traditionnellement par le PCI, nous avons remporté, lors des référendums, des succès en arrivant même jusqu'à 62 %. Donc l'ouvrier en réalité n'est pas stalin

ien. Et nous le mettons en garde contre le stalinisme, parce que le stalinisme en Occident a toujours été un phénomène de droite, le stalinisme n'a jamais été à gauche. Chez nous le stalinisme c'est Togliatti: et il est de droite, parce que Togliatti fait l'accord avec l'Eglise sur le Concordat et l'art. 7 de la Constitution, Togliatti a plus de souplesse que les socialistes et les laïques à l'égard de la position de Vittorio Emanuele III, Togliatti concède l'amnistie aux grands responsables fascistes, Togliatti ne fait pas de grandes batailles à la Chambre contre les fascistes parce que s'ils les avaient faites ils les auraient gagnées.

C'est pourquoi la Démocratie Chrétienne - je le disais déjà dans cette interview de 1966 - a une dette avec les communistes. La Démocratie Chrétienne quand elle dit: "Après la guerre nous avons reconstruit l'Etat", dit une chose dangereuse, parce que c'est vrai; ils ont reconstruit l'Etat autoritaire de Rocco. Mais les grands reconstructeurs ont été De Gasperi (17) et Togliatti ensemble.

PLAYBOY - Une espèce de "compromis historique" (18)...

PANNELLA - Pas "une espèce"! C'est le "compromis historique"! C'est le "vrai compromis historique", parce qu'on renonce là à la cogestion, on renonce au socialisme, on renonce au pacifisme, on renonce à la neutralité: parce que le Parti communiste passe du soutien à l'Est, Pacte de Varsovie etc, jusqu'au soutien à l'OTAN avec Berlinguer (19). Avant on ne peut faire du socialisme que sous la couverture de la Russie et du Pacte de Varsovie, puis arrive Berlinguer qui dit: "Non, pour le socialisme il est nécessaire d'avoir l'équilibre des puissances. Et donc je fais mieux le socialisme avec l'OTAN".

A ce machiavélisme nous opposons notre choix de liberté. Nous radicaux sommes un parti idéologique; nous sommes le parti de la méthode expérimentale, libertaire, socialiste, autogestionnaire. Nous sommes un parti de valeurs. C'est à dire que nous disons à nos partisans: "Je dois t'agréger non pas sur des stratégies complexes, mais en défendant deux, trois, quatre choses à la fois, parce qu'ensuite quand on en a défendu dix le lien vient dans l'histoire, ce n'est pas celui idéologique des professeurs". Ainsi nos valeurs ont été d'une fois à l'autre le désarmement, la faim dans le monde, le pacifisme, le désarmement même unilatéral mais contrôlé dans la zone européenne, l'amour libre et responsable. Ce dernier était le grand vieux drapeau, la valeur au début du Siècle: l'amour libre, celui qui faisait peur à la société victorienne. Laquelle n'était pas libérale comme on dit, mais était au contraire réprimée, tourmentée; en proie à une austérité et à une schizophrénie puritaines.

C'est pourquoi nous disons que le socialisme est lui-même une valeur. Ce n'est pas par hasard si des gens comme Ignazio Silone (20) et Vittorini (21) ont eu au cours de ces vingt dernières années un point de repère dans le Parti radical. Vittorini quand il est mort était président du Conseil fédératif du nouveau Parti radical: celui-ci, le nôtre. Ignazio Silone nous a laissé en héritage le peu de choses qu'il avait: deux tables de l'Association pour la liberté de la culture, des dossiers, quelques chaises. C'était vraiment un socialiste humain, un socialiste des valeurs. Un méridional des Abruzzes, un paysan. Comme moi...

PLAYBOY - Tu viens de Teramo?

PANNELLA - Moi je suis de Teramo, lui est d'ici, de la Marsica: deux paysans, disons-le. Lui aussi était pour le socialisme des valeurs contre le socialisme des idéologies. Au fond la valeur a quant à elle un solide contenu scientifique, tandis que le pseudo caractère scientifique léniniste s'est révélé être une triste et sombre utopie qui a mené à des massacres et à des assassinats.

J'ai donc expliqué que dans la politique italienne il y a aujourd'hui deux vrais pôles: le communiste et le radical. Une vérité qui est apparue en 1978. Qui sont en effet les deux antagonistes sur les référendums? PCI et Parti radical. Puis ils m'ont porté mille accusations: Pannella radical-fasciste, toute cette haine...La vérité les gêne: c'est à dire que nous et le PCI soyons les deux pôles de la gauche.

PLAYBOY - Certes tes histoires sur Via Rasella (22) et d'autres encore ont provoqué de la fureur...

PANNELLA - Arrivons à cela aussi. Mais avant j'insiste sur ce point: que les deux forces clef en Italie sont aujourd'hui les communistes et les radicaux. Parce que sur les référendums même la droite italienne se divise. Les communistes, quand ils défendent la "Loi Reale" se sont appropriés des valeurs du "Code Rocco", les fascistes les suivent, mais la base libérale et populaire de la droite se déchire et nous suit: comme elle avait fait en 1974 avec le divorce. A ce point nous avons deux signes: les vrais antagonistes en Italie sont deux antagonistes de gauche, radicaux et communistes, et politiquement ce sont les radicaux qui gagnent. Même si numériquement ce n'est pas le cas. Pourtant, je te répète: quand le Parti communiste perd 8 % des voix, nous gagnons 6 %.

Et puis, pour conclure le discours du second pôle, si nous calculons que nous sommes le parti des référendums, c'est à dire le parti qui divise tout le monde en ligne horizontale, un parti de différents référendums et de recueil de signatures, tu te rend compte que nous sommes très forts. Mais comprends-tu? Tu recueilles en une année six millions de signatures pour les batailles civiles, voilà une autre chose énorme! Donc voici le moment de collusion entre les deux propositions politiques qui ont de l'attractive et qui sont claires en Italie. Mais tu objectes: la polémique entre PCI et radicaux dans les derniers temps a été dure et j'ai aussi renchéri la dose. C'est à dire les choses que j'ai dit contre les auteurs de l'attentat de Via Rasella et qui ont mis Terracini (23) en colère, ainsi qu'Amendola etc. Mais ce discours sur l'immoralité des auteurs de l'Attentat, nous non-violents nous le faisons tous les jours depuis vingt ans. Le fait est que si l'on accepte les lois militaires dans la lutte politique e

t dans la lutte internationale aussi, la seule différence malheureusement entre l'assassin abominable et le partisan héroïque est si ce sont les allemands qui gagnent ou si ce sont les anglais. Parce qu'il est évident que si les allemands, les nazis avaient gagné, ceux de Via Rasella étaient d'infâmes terroristes qui avaient fait tuer une quantité de gens. Les autres gagnent: et eux sont des héros.

Mais le discours n'est pas juste. Parce que si tu justifies les attentats de guerre du genre de celui de Via Rasella, si tu acceptes ce "style", alors tu ouvres la voie pour justifier aussi le terrorisme de Curcio et tu ne peux pas prononcer une nette condamnation. Je dis qu'une gauche qui voulait pouvoir être aussi férocement anti-Curcio au niveau d'un lynchage moral (c'est à dire qu'elle arrive à expliquer: ce n'est pas vrai que Curcio est un catholique communiste, c'est au contraire un fasciste), devrait commencer par être très dure déjà sur Via Rasella. Parce que Curcio n'avait pas même choisi le terrorisme qui assassine Moro (24), mais agissait dans le cadre du précédent, quand il y avait ou il n'y avait pas un mort de temps en temps. Et alors tu dois te rendre compte: qu'un niveau d'affrontement (comme on dit en jargon) qui implique la nécessité de l'héroïsme et du martyre, de la libération militaire et le fait de faire tuer 350 ou 330 otages, est quelque chose qui doit être refusé sans aucun doute. Et

même quand tu veux libérer les Pays du Tiers Monde grâce à de grandes et longues campagnes militaires, et tu obtiens de cette façon le Vietnam, le Cambodge, etc, ça signifie que tes nouvelles sociétés seront édifiées par les militaires et qu'elles seront ainsi dominées par leur tendance à liquider toute différence internationale par la guerre. En devenant en somme gouvernées par les militaires. Et ceci n'est pas acceptable. Donc je dis non à Via Rasella parce que je veux pouvoir dire non à Curcio. Et déjà au temps de cette action il y eut une polémique parce que les hommes de ce Mouvement communiste révolutionnaire - qui eut ici à Rome 159 morts, dont 30 aux Fosses Ardéatines - étant de durs révolutionnaires, dénoncèrent immédiatement Carla Capponi et Rosario Bentivegna.

Je te dirai plus: le jour de la fête de la Résistance, qui est ma fête, je ne me suis pas souvenu que dans la Libération, il y a pourtant un aspect - la place Loreto - qui est signal de barbaries. Je voulais en parler le 25 avril dernier et je ne l'ai pas fait, pourquoi? Parce que je n'ai pas trouvé le "Risorgimento" libéral de ces jours-là. Je voulais répéter les mots d'alors de Pannunzio (25): fais bien attention, pas ceux de Lupinacci, qui est la droite du mouvement, mais ceux de Pannunzio, de la gauche libérale antifasciste, qui condamnait cette erreur. Nous avons dit alors , "à chaud", malgré que nous étions des gens qui sortaient de prison: "C'est une page de barbaries".

Tu vois que je parle ainsi brisant les tabous de la gauche. Je suis désormais devenu clairement le camarade dangereux, ayant, "si parva licet magnis comparare" (s'il est permis de mettre côte à côte les petites choses et les grandes), un peu de Trotski, un peu de Zinoviev, un petit peu de Bucarin du PCI. Je suis le Trotski d'Enrico Berlinguer, et c'est pourquoi quoi que je fasse doit être exorcisé.

PLAYBOY - Tu es Trotski, pourtant tu plais assez à Montanelli (26)...

PANNELLA - Voila Montanelli qui fait un article sur moi qui mérite une plainte. Parce que l'article est entièrement conçu de cette façon: certes, Pannella est un fripon, pourtant... Ecoute, je vais te le lire parce que c'est important. Ecoute ce qu'il dit: "Un des plus grands protagonistes des prochaines élections sera Pannella. Cela déplaira à beaucoup de nos lecteurs, qui voient en Pannella un mélange de démagogie, charlatanerie et des façons d'histrion. Et non sans raison". Ensuite je lis: "Démagogue, histrion et charlatan, Pannella l'est". Point.

PLAYBOY - Bon, il s'agit clairement d'une affirmation paradoxale, brillante, provocatrice.

PANNELLA - Ecoute encore: "Je le définis aussi un "quelconquiste", un Giannini de gauche. Avec Giannini, Pannella a en commun le geste et le goût de la scène-mère". Puis on dit que Giannini était un Zacconi (27); Pannella un Carmelo Bene (28). Puis on continue: "Si Pannella n'était qu'un comédien habile...". Donc je le suis. "... sa comédie serait finie depuis un certain temps". Et écoute ce qu'il dit maintenant: " L'effronterie d'une grande prostituée". Voilà: "Le fait est que Pannella a compris plus de choses que n'en aient compris les politologues de profession". Cette lecture est utile. "Mais de ce menteur exagéré et génial qu'il est...".

PLAYBOY - Evidemment tu ne te reconnais pas comme tel.

PANNELLA - Un peu de patience! "Chipeur et embrouilleur de mots". Etc, etc. Ensuite que dit-il? "Il est évident que nous ne pouvons nous prononcer en faveur de Pannella; il joue sur un terrain qui n'est pas le nôtre". Voici la phrase politique de l'article. "Voilà qui est Pannella. Nous ne pouvons pas lui donner de voix. Mais nous souhaitons que ce soit lui qui récolte ceux qui ne nous appartiennent pas". Cet article répond à une seule moralité: celle d'empêcher avec cette pyrotechnie, pour ainsi dire de choses sympathiques, provocatrices, etc, etc, d'empêcher ceux de l'aire libérale qui avaient des sympathies et qui étaient sur le point de voter pour moi, de le faire. "Il est sympathique, mais on ne peut pas voter pour lui". Telle est l'opération de Montanelli: arrêter ceux des siens qui pourraient voter pour moi. Et il leur explique: certes, il m'est aussi sympathique, c'est un fils de pute mais il m'est sympathique, mais attention: ne votons pas pour lui!

Et ce n'est pas fini. Le lendemain "L'Unità" (29) me reproche, avec des motifs qui méritent aussi que je porte plainte, ce que Montanelli écrit de moi et sur moi. Parce qu'il dit: cet article est une apologie de Pannella. Et il met l'accent sur le fait que Montanelli dit: Pannella est notre fils. Mais Montanelli sait très bien que quand il dit: "Pannella est notre fils", Fortebraccio lui répond: "Donc Pannella outre que démagogue embrouilleur etc, est aussi fils de pute". Eh, certes, il le sait lui. Donc celle-ci aussi est une opération anti-Pannella, même si en apparence on veut lui faire l'honneur des armes (de droite) en ce qui concerne sa personne. "L'Unità" fait de cet article un tract. Cet article, qui est un manifeste contre le vote pour moi, devient ainsi un prétexte pour dire: Pannella est l'homme de Montanelli.

PLAYBOY - Mais tu as flirté avec De Carolis qui était (je crois qu'ils se soient disputés maintenant) très proche de Montanelli.

PANNELLA - Et les communistes font des débats tous les jours à la télévision de Milan avec De Carolis! Non, la réalité est que quoi que je fasse, ça doit être déformé. Je dois toujours être lynché. Par exemple je vais au Congrès communiste, par respect pour une invitation qui m'avait été adressée, et j'y vais avec le seul manteau que je possède, qui est un "loden" bleu. Le seul: je n'en possède pas d'autres. Et j'avais maigri, c'est certain, on était au 25 ème jour de jeûne, et j'étais pâle, parce qu'émotionné aussi.

PLAYBOY - ...Et ils ont dit que tu étais Nosferatu le vampire.

PANNELLA - Ils étaient tous devant moi à m'injurier, à me maudire: tout le Congrès communiste debout. Une scène terrible, des années Trente, les procès de Moscou, les purges. Une scène d'anathème: tous debout pour t'insulter. Il a suffit de dire que je suis allé au Congrès, en la prévoyant, avec une cape noire; et que je me suis serré dans cette cape en signe de défi. Et toute la presse italienne et internationale a dit que Pannella, ce grand acteur, pâle (je m'étais mis du fond de teint probablement!) défiait les communistes avec sa cape... Et le meilleur, pour rester aux années Trente - souviens-toi qu'à l'époque il y avait deux as de la propagande: d'une part Goebbels, et de l'autre Beria - c'est que la plupart des journalistes m'ont vu comme ils devaient me voir: avec la cape! Alors que la cape était mon pauvre "loden". Et le défi consiste dans le fait que je m'étais mis debout par un juste respect envers toute la présidence qui était debout. Et au contraire on a dit qu'avec ma cape je défiais le monde.

Mais le stalinisme est ainsi. En 1939 les pactes ont été faits pour le partage de la Pologne, de l'Allemagne et de la Russie, et ensuite on va tuer Trotski, Stalin envoie faire tuer ce vieil homme, le rebelle, l'ennemi, qui est en train d'écrire en exil et qui écrira jusqu'au dernier moment. Ici on fait le "compromis historique" et pendant ce temps là on s'inquiète de détruire Pannella par un lynchage moral. Mais je continue, imperturbable.

Car ils n'ont pas compris. Que si nous devions exprimer un jugement moral (voilà pourquoi moi laïque je dis qu'on ne doit pas exprimer de jugements moraux, on doit toujours et seulement exprimer des jugements politiques), qu'est-ce-qui est moralement plus grave? Curcio qui blesse un peu de gens et peut peut-être tuer mille démocrates dans sa vie, ou Palmiro Togliatti qui jour après jour pendant cinq, six ans, assiste à la torture physique du camarade avec lequel il a dormi pendant trente ans - la torture physique, l'autoconfession extorquée - et qui rédige les communiqués pour dire: ce dernier a confessé. Et par Ercole Ercoli il garantit le mensonge aux camarades, et ceux qui ont des doutes il les fait expulser du parti. "Ceci" est monstrueux: et à ce point, si nous ne disons pas ces choses-là, nous courrons le risque que la gauche en revienne à produire et Stalin et Togliatti et l'attentat de Via Rasella: et je ne veux pas de ces choses-là, parce que je veux une gauche qui soit gagnante, et ces choses-là on

t au contraire créé une gauche divisée et perdante dans l'histoire.

C'est pourquoi nous sommes l'alternative à la politique de sommet du PCI. Et comme la nôtre, si elle était connue, est la politique la plus populaire, nous sommes lynchés. Le journal télévisé de la seconde chaîne, service public social-communiste, et le radio-journal de la première chaîne ne donnent même pas la nouvelle des parlementaires communistes et socialistes qui passent dans nos files.

PLAYBOY - Mais il y a aussi quelqu'un qui te plaît. Malgré le traditionnel anticléricalisme radical, le pape Wojtyla ne te déplaît pas. Pourtant tu avais souhaité un pape ermite qui succède à Paul VI.

PANNELLA - Certes: un homme d'une extrême spiritualité et qui se retire à Avignon, ou bien qui aille dans les montagnes des Abruzzes, comme Celestin V, sans pourtant se démettre de ses fonctions et accomplir le grand refus. Celui-ci au contraire est exactement l'anti-moine. Celui-ci a le charisme d'un capitaine. C'est quelque chose entre Bartolomeo Colleoni, ou Jules II si tu veux, et De Gaulle. Il caracole: plus sur la mule pontificale, mais sur un beau destrier. Et il crie: "Dieu le veut" et il regroupe tout le monde: tous en soutane, tous en uniforme, et pas d'histoires. Lui il aime la lutte en terrain découvert, il frémit et veut combattre, c'est un grand capitaine et c'est pourquoi il plaît.

Donc ce pape m'est très sympathique. Mon slogan , très ironique, est: "Dieu nous l'a donné, gare à celui qui "me" le touche". Et un anticlérical, un chrétien comme Pannella, juge que ce Wojtyla est un antagoniste sur mille choses, mais qu'on peut trouver un terrain d'entente, de rencontre avec lui. Tandis que Paul VI au contraire tu ne le prends pas, il ne t'entre de nulle part. Je considère que le pape Wojtyla peut être le dernier des papes capitaines, celui grâce auquel un certain néotemporalisme est vaincu pour toujours. Et Dieu sait si nous avons besoin de le vaincre, dans cette Italie aussi indéchiffrable.

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N.d.T:

(1) PCI: Parti communiste italien.

(2) "crispino": partisan de: Francesco Crispi: (1818-1901) Homme politique italien. Disciple de Mazzini, il participe à la révolution sicilienne de 1848 et en 1860, il fut le "cerveau" politique de la dictature de Garibaldi dans le Sud de l'Italie. Député de la gauche depuis 1861, il adhère à la monarchie en 1864. Président du conseil (1877-1896), il manifesta des tendances autoritaires et nationalistes. Auteur de la répression contre l'irrédentisme et le parti socialiste.

(3) piémontais: habitant du Piemonte, région septentrionale de l'Italie.

(4) Palmiro Togliatti: (1893-1964) Homme politique italien. Secrétaire du Parti communiste de 1927 à sa mort. Fut longuement à l'étranger, à Moscou au Komintern, en Espagne, pendant la guerre civile. Promoteur de la politique nationale du PCI avec le rapprochement aux autres forces antifascistes et la reconnaissance du rôle des catholiques. Plusieurs fois ministre, fixa les

prémisses de l'autonomie du PCI de l'URSS.

(5) DC: Démocratie chrétienne italienne.

(6) "Loi Reale": loi répressive anti-terroriste proposée par Oronzo Reale: (1902) homme politique italien. Fut l'un des fondateurs du Parti d'action (1942); secrétaire du PRI, le Parti républicain italien (1949-1964), ministre de la Justice à plusieurs reprises.

(7) "Loi Rocco": loi répressive proposée par Alfredo Rocco: (1875-1935) juriste et homme politique italien. Ministre de la justice de 1925 à 1932; créateur des codes pénaux et de procédure pénale émanés en 1930 et 1931 et conformes aux exigences idéologiques, politiques

et économiques du fascisme.

(8) Renato Curcio: fondateur et idéologue des Brigades Rouges (BR), l'organisation terroriste clandestine d'extrême gauche née en Italie à partir de 1969. Responsable de nombreux enlèvements, d'avoir blessé et tué des juges, des policiers, des journalistes, des dirigeants politiques et industriels, en 1978 les BR ont enlevé et assassiné le leader démochrétien Aldo Moro.

(9) Concutelli: extrêmiste de droite accusé de différents attentats.

(10) Vallanzasca: chef d'une bande de malfaiteurs responsable de plusieurs attaques à main armée au cours desquelles périrent plusieurs personnes.

(11) P38: arme utilisée à plusieurs reprises par des "autonomes" dans les manifestations et qui a fait de nombreuses victimes.

(12) Fernando Tambroni Armaroli: (1901-1963) Homme politique italien, démochrétien, ministre de l'Intérieur (55-59) et du budget (59-60), président du Conseil (60). Dut se démettre de ses fonctions à cause de la protestation populaire contre le soutien que lui avait donné le Mouvement social italien, parti d'extrême droite fasciste.

(13) Giovanni Gronchi: (1887-1978) Homme politique italien. Parmi les fondateurs du Parti populaire (1919) et de la Démocratie chrétienne (43), président de la Chambre (48-55) et de la République (55-62).

(14) Amintore Fanfani: (19O8) homme politique italien. Professeur d'histoire économique, secrétaire de la DC, la Démocratie chrétienne italienne (1954-59, 73-75), président du Conseil (58-59, 6O-62, 62-63, 82-83), ministre des Affaires étrangères (64-65, 65-68),

président du Sénat (68-73, 76-82).

(15) "missini": membres du MSI, le Mouvement social italien, parti d'extrême droite.

(16) Mirafiori: nom des établissements FIAT à Turin.

(17) Alcide De Gasperi: (1881-1954) Homme politique italien. Député de l'Union catholique populaire trentine au Parlement autrichien (1911), député au Parlement italien (1921) pour le Parti populaire dont il devient le secrétaire (1923-25). Antifasciste, organisateur de la Démocratie chrétienne clandestine et son secrétaire (1944-46). Président du Conseil (45). Signataire du traité de paix avec les alliés, expulse la gauche du gouvernement et conduit la DC à la majorité absolue en 1948. Partisan de l'alliance atlantique et européenne.

(18) Compromis historique: Stratégie politique tracée en 1973 par Enrico Berlinguer, et fondée sur la collaboration entre communistes, catholiques et socialistes.

(19) Enrico Berlinguer: (1922-1984) homme politique italien. Secrétaire de la Fédération de la jeunesse communiste (1949-1956), député en 1968, secrétaire général du PCI, le Parti communiste italien, de 1972 à 1984.

(20) Ignazio Silone: (1900-1978) Ecrivain italien qui participa à la fondation du Parti communiste, dont il sortit en 1930.

(21) Elio Vittorini: (1908-1966) Ecrivain italien.

(22) Via Rasella: l'attentat de Via Rasella accompli par la Résistance et dans lequel périrent de nombreux allemands supposait des représailles de la part des nazis car Kappler, le chef allemand pour la région de Rome, avait annoncé qu'il ferait exécuter plusieurs italiens pour chaque allemand tué. Ces représailles eurent en effet lieu avec le massacre des Fosses Ardéatines.

(23) Umberto Terracini: (1895-1983) homme politique italien, il fut l'un des fondateurs du PCI, le Parti communiste italien. En 47-48, il fut président de l'Assemblée Constituante.

(24) Aldo Moro: (1916-1978), homme politique italien. Secrétaire de la DC, la Démocratie chrétienne italienne (1959-1965), plusieurs fois ministre, fut l'auteur de la politique de centre-gauche. Ministre des Affaires étrangères (69-74), chef du gouvernement (74-76), président de la DC depuis 76, favorisa l'approche du Parti Communiste au gouvernement. Enlevé par les Brigades Rouges le 16 mars 1978, il fut retrouvé mort le 9 mai de la même année.

(25) Mario Pannunzio: (1910-1968) directeur (43-47) du quotidien "Risorgimento Liberale" et (49-66) de

l'hebdomadaire "Il Mondo".

(26) Indro Montanelli: (1909) journaliste et écrivain italien, directeur depuis 1974 du quotidien "Il Giornale Nuovo".

(27) Ermete Zacconi: (1857-1948) Acteur de théâtre.

(28) Carmelo Bene: auteur et acteur de théâtre.

(29) "L'Unità": quotidien officiel du Parti communiste, fondé à Turin en 1924.

 
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