SOMMAIRE: Pannella intervient au cours de la séance solennelle d'inauguration du Parlement européen à l'occasion de sa première élection directe. Dans le coeur unanime des présidents des groupes parlementaires qui perdent leur salive à exalterl'importance de l'élection directe du Parlement européen et condamnent l'intervention américaine au Vietnam, Pannella, comme d'habitude- est l'un des rares à détonner: il critique les libéraux, les socialistes, les populaires en affirmant que les gouvernements qu'ils dirigent au niveau national sont responsables de la politique irresponsable qui destine 400 milliards de dollars par an à l'armement; il rappelle que l'Europe doit éviter de se donner "bonne conscience à bon marché", de manière à affronter ses responsabilités face à l'holocause qui s'impose à elle.
Pannella partage le temps de parole destiné au groupe des non-inscrits avec Mme Hammerich, députée du parti danois anti-européen (18-07-1979).
M. Pannella. - Madame le Président je souhaiterais que notre groupe puisse partager son temps de parole entre deux orateurs : moi-même et Mme Else Hammerich.
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Madame le Président, je précise tout d'abord que nous ne parlons pas, ni moimême, ni Mme Hammerich, seulement au nom de notre groupe. Nous estimons d'ailleurs que cette célébration, Madame le Président, a répondu en quelque mesure, à la liturgie d'un Parlement, mais que, en réalité, un vrai débat politique s'est instauré. Nous regrettons donc que tous les députés n'aient pas eu le droit de répondre, par exemple, aux paroles de M. Jenkins, qui n'étaient pas de célébration mais qui étaient une intervention politique. Nous faisons cette remarque, non seulement pour ce qui concerne les non-inscrits ou les adhérents de notre groupe, mais pour tous les parlementaires de tous les groupes, car devant une intervention politique, je crois que nous avons le devoir et le droit, en tant que parlementaires, d'exprimer notre avis, selon notre règlement.
Mais nous savons que les choses ne peuvent changer que lentement, Madame le Président. Et donc, dans une certaine mesure, nous rendons hommage aux volontés qui ne sont pas les nôtres et nous ferons ces deux interventions à titre personnel dans le temps qui est réservé à notre groupe, c'est-à-dire pendant dix minutes chacun.
Je veux d'emblée, Madame le Président, souligner que nous sommes certainement, quelques-uns ici, sensibles aux dénonciations qui sont faites sur la réalité de notre monde et les responsabilités positives ou négatives de l'Europe, notamment en ce qui concerne le génocide en cours, qui a été rappelé plusieurs fois et qui se poursuit au Vietnam sous des formes différentes. Nous avons dans notre Parlement, et chez nous, les premiers, posé à notre Etat, et nous le posons ici aussi, le problème du devoir d'intervention contre le génocide. Nous pouvons d'autant mieux le faire, Madame le Président, que nous n'applaudissions pas, en d'autres temps, au génocide en cours contre les mêmes sujets. Je crois que cela est important.
Mais il faudrait ne pas, nous donner bonne conscience à bon marché. Ce génocide est certes réel, Madame le Président, mais com ment appeler le fait que, au moment où vous, groupes majoritaires, sociaux-démocrates, libéraux, démocrates-chrétiens, hommes et groupes de pouvoir, dans l'une ou dans l'autre région de l'Europe, vous êtes responsables ou coresponsables du fait qu'on dépense 400 milliards de dollars par an en armements, alors que cette année-ci, nous avons 17 millions d'enfants de moins de5 ans victimes d'un génocide, et 50 millions de personnes qui sont assassinées, car vous destinez les 400 milliards de dollars aux armements au lieu de sauver la vie de ces 50 millions et de ces 17 millions de personnes.
Il est très beau que Monsieur le Président Debré, et que d'autres, nos collègues libéraux, rappellent l'Europe humaniste ou l'humanisme. Mais je crois quand même qu'il faudrait faire preuve d'un tout petit peu de pudeur, ne pas nous donner bonne conscience à bon marché et ne pas faire du génocide des Vietnamiens un écran dissimulant le monstrueux holocauste que vos gouvernements préparent chaque jour à notre génération. Si les holocaustes, Madame le Président, n'étaient que ceux que, à tort ou à raison, la présence de M. Almirante peut rappeler ici, je crois que notre génération n'aurait pas de problème. Un passé terrible, dont nous avons conscience, c'est un passé, ce,n'est pas un présent. Mais ce qui est tragique, ce qui est dangereux, c'est qu'au nom des holocaustes passés, nous couvrions de notre responsabilité active les holocaustes d'aujourd'hui, encore plus sanglants et meurtriers que ceux d'antan. La bonne conscience à bon marché de socialistes, de libéraux, de démocrates, d'Européens qui intervienne
nt en cette grande occasion et qui estiment que la réalité de classe est dépassée, n'est plus élégante, qui estiment qu'il est possible aux pays du soidisant socialisme réel, avec des alibis ignobles, de contribuer à l'holocauste des 50 millions de personnes qui meurent et qui sont tuées assassinées, parce que l'argent de leur vie et de leur survie est destiné à des armements de plus en plus dangereux, tout cela constitue, je crois, l'emblème d'un temps où l'Europe n'a pas le droit d'être fière d'elle-même. Quiconque est chrétien, est libéral ou socialiste, pourrait peutêtre s'occuper d'autre chose que de démontrer qu'il a bonne conscience et qu'il est bon chrétien, bon socialiste ou bon libéral.
Pour terminer, Madame le Président, je citerai encore un exemple. Nous avons entendu les plaintes et les complaintes de deux groupes majoritaires : les libéraux, qui soulignent qu'en Angleterre ils ont été victimes d'une loi électorale, les socialistes français, qui soulignent qu'ils l'ont été chez eux. Les marchés de dupes, c'est bien ça ! Lorsque les libéraux français imposent un ensemble de lois électorales qui sont celles que nous connaissons, peuvent-ils vraiment s'étonner qu'ailleurs le même service leur est réservé? Et les sociaux-démocrates allemands, qui parlent, eux-aussi, beaucoup d'humanisme et de droits de l'homme, n'auraient pas, peut-être, quelque responsabilité dans cette course dure aux armements et dans cette vision dure de l'énergie, du développement classique, capitaliste, de notre temps ? Nous aurons, je crois, le temps et l'occasion de reparler de tout ceci.
Je veux seulement terminer, Madame le Président, en disant que je suis personnellement fier, en tant que radical italien, d'appartenir à un groupe dans lequel nous avons des collègues si différents et qui peuvent tellement enrichir la vie de cette assemblée, plus peut-être que vous ne vous en doutez : les collègues de la Volksunie, les collègues wallons, ou belges francophones, et les collègues danois, qui, eux, nous aideront énormément, étant contre ce marché commun de dupes qui a été réalisé. Pour un fédéraliste tel que moi, c'est là un gage de richesse du travail de notre Parlement. Aussi serai-je particulièrement heureux de pouvoir écouter à présent Mme Else Hammerich.