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Macciocchi Maria Antonietta - 27 novembre 1979
Procès d'un insoumis (1) Préface de Maria Antonietta Macciocchi

SOMMAIRE: Jean Fabre, président du Parti radical, ancien secrétaire du Pr (élu en novembre 1978), est arrêté en France le 18 octobre 1979 pour insoumission, dans le cadre de la campagne internationale de désobéissance civile contre les dépenses militaires et pour la reconversion des structures militaires en instruments pour la lutte contre l'extermination par la faim. Ce livre recueille les témoignages et les documents du procès qui s'est déroulé contre Jean Fabre le 27 novembre 1979 devant le Tribunal militaire de Paris. Condamné à six mois, dont une remise de peine de 5 mois, il est remis en liberté au lendemain du procès, ayant déjà purgé 40 jours dans la prison de Fresnes. Une peine aussi légère représente la reconnaissance de la haute valeur du témoignage rendu par le président du Parti radical.

Dans la préface du livre, MARIA ANTONIETTA MACCIOCCHI affirme que l'action de Jean Fabre est une révolte exemplaire contre l'accoutumance et la résignation que la politique européenne montre à l'égard des tragédies de notre époque, les guerres et les exterminations en cours de millions de personnes dans le sud du monde. A travers la mobilisation du Parti radical et le procès de Jean Fabre, on construit, dans l'action, la théorie, le projet d'action pour une politique qui contraste cette forme de "civilisation de la consommation" qui s'alimente, dans la contradiction entre développement et sous-développement, de cadavres.

(PROCES D'UN INSOUMIS, Jean Fabre, Le Sycomore, Paris 1980)

EN GUISE DE PREFACE

C'était en 1979, un jour d'automne. Nous étions convoqués comme témoins au tribunal militaire de Paris, nous étouffions, isolés, surveillés, interdits, tenus à l'écart de la salle dans laquelle se déroulait le procès de Jean Fabre. Penchés dans le couloir, près des escaliers, en tendant l'oreille, nous pouvions entendre la voix sonore et implacable de Jean qui avait transformé son interrogatoire en véritable réquisitoire. Mais les gendarmes éloignaient aussitôt quiconque approchait et c'est pourquoi nous lirons ici, dans ce livre, pour la première fois, ce flot de paroles lucides et passionnées de Jean Fabre.

C'est bien de faire un livre, un document livre, sur cet événement. Unique pour diverses raisons. Nous étions, nous les témoins, irrémédiablement différents, formant un éventail politique, social, intellectuel, national et international étonnamment coloré. D'un coup, suite à l'arrestation de Jean Fabre, nous appartenions à notre tour à une curieuse marginalité européenne, jamais définie, mais qui en revanche est déjà probablement une majorité. Au delà de l 'Europe du parlement des Neuf se profilait une Europe non officielle: mosaïque dure et précieuse que j'appellerai l'Europe de la liberté, avec ses militants, ses objecteurs de conscience, ses écologistes, ses antinucléaires et ses deux militaires progressistes de haut grade. Et encore, ses politiciens, ses féministes, ses journalistes, ses écrivains et ses avocats. Les témoignages de beaucoup d'entre eux, les plus connus, ainsi que les plaidoiries solides des défenseurs, furent reproduits le lendemain dans les journaux. Mais des témoignages des autres, san

s doute les plus intéressants, on ne sut rien. Il est instructif de les lire, comme si l'on regardait dans un prisme. Chacun »fixe , en un visage à sa façon, la figure de Jean Fabre dans la ruche sociale, politique, culturelle, où nous travaillons comme des abeilles laborieuses, même quand nous sommes révoltés. La lecture de ce livre terminée, je ne sais si Jean, qui est actuellement président du Partito Radicale, demeure »entier , recomposé en une seule personne, à travers un si grand nombre d'analyses de son comportement, ou si, dans la volonté de justifier et de l'approuver, l'éloge ne devient pas un peu une »auberge espagnole où chacun a apporté ce qu'il veut y trouver. Y compris moi; confrontée à l'objecteur de conscience, au non violent, dont le combat m'avait impressionnée, comme une idée nouvelle en Europe.

Si ces lignes, écrites après tant de mois, ont donc un sens, je crois que, en premier lieu, ma tache modeste et circonscrite est de nature purement intellectuelle. Ces témoignages, faits de vérité' et de lutte, sont publiés en une époque de naufrage idéologique. Il est difficile de savoir comment et quand nous en sortirons. Normalisation, bureaucratisation, informatique au service du fichage politique, lois de police toujours plus dures, sont le cadre réel, ou le quadrillage des citoyens d'une Europe qui semble capable de tenter sa seule forme d'unité non pas dans la liberté des citoyens, mais dans leur contrôle. Parmi ces libertés, il est évident que la liberté évoquée à l'article 9 de la Convention européenne des droits de l 'Homme, pivot du débat judiciaire, concerne dans son esprit l'objecteur de conscience, presque sans réserve. C'est l'un des grands problèmes de notre époque. En effet, dans l'avenir qu'adviendra t il des objecteurs de conscience, des gens emprisonnés partout, dans un climat où les for

mes de répression se font plus subtiles, d'autant plus que les menaces contre la paix deviennent plus concrètes ? En un certain sens, depuis cet automne, nous vivons en guerre. La première donnée est connue. Dix sept millions de morts de faim: bilan d'une guerre annuelle, ponctuelle, dont on peut comptabiliser les cadavres disséminés sur la planète. Une masse de morts vivants. Il s'agit du signe le plus atroce et le plus cynique de la principale contradiction mondiale: développement / sous développement. Une civilisation de consommation qui s'enfle, s'engraisse, en se nourrissant de cadavres, comme une hyène.

Mais de plus en plus, cette année là, les événements ont été dominés par la violence aveugle: après l'invasion du Cambodge, le génocide cambodgien et les centaines de milliers de réfugiés dans les camps de concentration de Thaïlande et du Sud Est asiatique. L'année 1979 s'achève, enfin, avec le coup d'Etat des Russes à Kaboul, huit cent mille Afghans, paysans, vieillards, enfants, fuyant devant le napalm et les tanks soviétiques, des jeunes partisans accrochés aux rochers se battant contre l'armée la plus puissante du monde, jadis appelée »rouge , les mains nues ou avec de vieux fusils. Puis l'Iran et le risque constant de voir éclater un conflit, suivant les intérêts cyniques des deux superpuissances dans les mains desquelles est notre destin. Sur l'autel de la détente, nouvelle divinité et unique oracle, s'amoncellent les cadavres des Afghans et des Cambodgiens, gémissent les prisonniers des camps de concentration, sont torturés les Chiliens, les Argentins et assassinés les Salvadoriens. Trop de morts, tro

p de sang, partout. Dans cette amorce d'apocalypse, en Europe, la peur nous entoure, on évoque »l'esprit de Munich . Celui de la démission, entre l'ours russe et le loup américain, la perte soudaine de mémoire face à une histoire qui a déjà vu tellement de tragédies de ce genre au XX ème siècle.

Pour moi, ce procès Fabre est l'histoire d'une vraie révolte, moins circonscrite que l'on croit, et il est d'autant plus exemplaire qu' y apparait le rôle des »nouveaux sujets , aussi bien pour s'opposer aux desseins des puissants que pour affirmer qu'une victoire est possible. Contre l'assujettissement général aux mécanismes de pouvoir. Il s'agit d'une bataille »radicale . Je prends le mot »radical dans le sens de Marx, et qui signifie aller à la racine, faire exploser les contradictions dans le réel et dans le mécanisme institutionnel global. Mettre toute forme de keynésianisme de l'Etat Plan en crise. Empêcher l'exclusion des nouveaux sujets, dans l'Etat Crise dont l'issue n'est plus socialisante. A travers la mobilisation du Partito Radicale, à travers Jean Fabre, au cours du procès et dans les jours qui l'ont précédé, l'action intervient comme un moment qui précède la théorie et qui, peut être, en un certain sens, la préfigure. Mais qui, certainement, dans une époque a théorique comme la nôtre, ne la p

rivilégie pas. Il y a trop de choses sous le soleil dont les théoriciens, même les grands, n'ont pu, ni su, tenir compte. Ce qui importe, c'est le nouveau comportement social face au(x) pouvoir(s). Comme le seul projet possible, justement parce qu'il s'agit plus d'une hypothèse de travail que d'un projet achevé.

Les oracles ont fait leur temps. Jean Fabre -- et comme lui des dizaines de milliers d'autres en Europe -- démontre, avec sa vicissitude pénal, que l'intellectuel s'est puissamment »laïcisé dans l'action . La condition de l'intellectuel-- »tout homme est intellectuel -- face à la médiatisation de masse, à l'électoralisme, à la fausse socialisation et à la bureaucratisation sûre, est celle d'un porteur de vérité, s'il creuse l'écart, même modeste, de sa subversion de sujet. Sans prétendre ni au monopole de la vérité historique, ni à la flatterie narcissique. Contre vents et marées, contre les orthodoxes et le anti-orthodoxes, contre les théoriciens de fer et les meurtriers de la théorie, le concept »on a raison de se révolter , demeure, dans ce livre de témoignages, le point de répère sûr. Celui d'une »praxis , supportée par une morale. C'est là que commencent »les droits de l'Homme . C'est à eux, c'est à tous ceux qui sont tués, broyés, rendus aphasiques par le totalitarisme de service, que cette histoire

d'un procès à Paris devant le tribunal militaire solennel peut être dédiée par Jean Fabre, qui en fut le protagoniste courageux -- et par nous tous, témoins. Ainsi qu'être consignée aux dossiers de l'histoire des droits de l'Homme, qui sont l'enjeu capital de notre siècle.

MARIA ANTONIETTA MACCIOCCHI

 
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