de Marco PannellaSOMMAIRE: Même le Pape ne parle plus de faim: il évoque solennellement l'"extermination", il a imploré les puissants de la terre d'y porter terme. Cette fois, c'est le monde communiste, socialiste, libéral et "démocratique" qui se tait, et qui, avec son silence, extermine. Dans les prochains jours, ils voteront encore les budgets de guerre et non de paix. Même le Pape, à ce point, ne peut que se taire. A ce point, il serait au contraire suffisant que même un seul Etat commence à verser le dû pour amorcer une nouvelle politique. C'est pourquoi il vaut la peine, avec la plus absolue des actions non-violentes, de risquer la vie contre ceux qui choisissent la certitude de la guerre et de la mort.
(IL MESSAGGERO, 9 avril 1980)
(Marco Pannella a donné, par une lettre à "Il Messaggero" (1), le signal de départ de la marche contre l'extermination par la faim qui s'est déroulée à Pâques, avec la participation de dizaines de milliers de citoyens. Maintenant, par cet écrit, il fait un bilan et commente le silence du Pape et du "Palazzo"(2).
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Jean-Paul, Jean-Paul s'est-il vraiment tu? son silence nous poursuit. Nous parlerait-il? N'avions nous peut-être pas dénoncé les hommes de plaintes, les hommes dont la parole ne devient pas vérité et vie, mais presque mieux nous pousse vers la mort, vers le désespoir?
Une parole qui ne sauve pas, qui ne soit pas annonciation de salut et de résurrection, peut-elle être répétée, doit-elle être prononcée, ou ne doit-elle pas plutôt être tue? La prononcer, ne serait-ce pas un mensonge, presque un blasphème?
Du Buchenwald d'aujourd'hui, de la terrible extermination, cette fois, les Papes ont parlé. Incessamment, depuis vingt ans. La "Populorum progressio" (3) est de 1967. Jean-Paul II l'année dernière, à Pâques, et il y a encore quelques semaines, n'a pas manqué de le dénoncer avec véhémence. En décembre, lui aussi, comme nous le faisions depuis longtemps, ne s'est pas limité à dire "faim", mais il a évoqué "l'extermination" avec des paroles solennelles, il a imploré les puissants de la terre d'y porter terme. Cette fois, cette fois c'est le monde communiste, le monde socialiste, c'est le monde "libre" et démocratique qui se tait, ou qui ment. Qui extermine.
Pourquoi, autrement, à Pâques justement, pour la première fois, depuis des années, tandis que l'extermination s'étend, s'accroit, horrible et inimaginable hier encore, Jean-Paul II aurait-il du se taire? Justement quand une vague de peuple, en fête, confiante, de croyants, était arrivée là, non pas pour l'exhorter à parler, mais pour applaudir la Parole qui était attendue? Attendue; ou peut-être escomptée? La Parole, peut-elle être escomptée?
Non. Jean-Paul, en ce jour de Pâques, n'a annoncé que la Résurrection des morts. Il a été homme, témoin de vérité. Cette fois, il ne pouvait rien d'autre. Pour le reste, pour les affamés, pour les assoiffés, pour les agonisants, pour le peuple de Dieu des humbles, des opprimés, des exploités, pour des dizaines et des dizaines de millions de femmes et d'hommes condamnés, il s'est montré désarmé, comme eux. Il nous a montré ses mains: vides, pauvres elles aussi.
"Paix. Ou guerre. Ordre. Ou terreur." Et aujourd'hui en effet, il y a guerre et terreur. Merci pour ce silence. Merci pour avoir rappelé que c'est de l'intérieur de ce sépulcre où l'on renferme les vivants que la pierre doit être enlevée, et enlevée par eux. Même le Pape ne peut plus que se taire. Lui aussi est réduit au silence. Je sais qu'hier beaucoup de gens ont aussi prié pour lui.
Et c'est aussi pour lui, je pense, que d'autres ont parlé, "Vox populi, vox Dei". C'est la vague de peuple de croyants et non croyants qui est arrivée en fête, au nom de la Vie, de la Paix et du désarmement, contre l'extermination par la faim et la préparation de la guerre, sur la Place St. Pierre, de Porta Pia, à Pâques, avec les étendards de Milan et Pavie, avec les radicaux, avec Terracini (4), avec Petroselli (5), avec Veltri, avec Susanna Agnelli (6), avec des centaines de jeûneurs du Satyagraha 1980, avec les doux et emblématiques Hare-Krishna, avec les infirmes, les personnes âgées et les enfants, avec des écriteaux et des banderoles, avec des itinéraires et des histoires différentes et certaines fois opposées, avec les fleurs, cette vague était vraiment un peuple.
Un peuple doux et fort, sans armes et non-violent, mais non pas inerte ou résigné, irresponsable: c'est ainsi que cette année, les grandes portes du "Palazzo", toutes, lui étaient fermées: ou ouvertes pour mieux souligner le désert qu'ils contenaient. Les habitants du Palazzo se taisent, désormais, pour des raisons opposées à celle du Pape. Dans les prochains jours ils doivent, chacun à sa place avec ses fonctions, décréter plus d'extermination et moins de paix. C'est ce que veut la (leur) politique. Que les granges soient toujours plus vides, les arsenaux toujours plus pleins. C'est leur point de vue. Ainsi, nous ne sommes pas d'accord, en tant que personnes, en tant que citoyens, en tant que députés non pas d'un Parti mais de la nation, du peuple. Ainsi nous ne nous tairons pas même dans le "Palazzo". Ainsi, avant de voter Gouvernement et Loi de Bilan de l'Etat, nous ferons tout ce qui nous sera possible afin que l'argent des citoyens italiens ne soit pas dépensé pour de prétendues "nécessités" démagogique
s, pour assassiner, pour préparer la guerre au lieu de la paix.
Geno Pampaloni (7), et avec lui beaucoup des meilleurs, se trompent. Il faut étudier et avoir étudié le problème de la faim dans le monde avant d'en décréter l'insolubilité, du moins dans le présent. Ce n'est pas par imprudence intérieure ou par précipitation ou par maximalisme que nous disons que l'extermination cesse, commence à cesser, de suite, ou elle nous exterminera bientôt, nous, exterminateurs compris. Il n'est pas humainement impossible de l'éviter. Il est humainement impossible de l'accomplir, de la laisser accomplir.
Si le Conseil de Sécurité de l'ONU sera induit à prendre les décisions qui lui compétent, si seulement un seul Etat commence (mais de suite) à donner le dû, si la volonté politique est acquise, en quelques semaines et quelques mois, il est parfaitement imaginable et réalisable que des millions et des dizaines de millions de personnes soient sauvées de la faim et de la mort.
C'est en conscience ce que je crois. Je ne peux pas épauler une mitraillette. Empoigner un revolver, je ne puis pas même menacer, pour obtenir que la loi suprême de la vie, le droit - niés - soient respectés par le même pouvoir qui les a imposés et qui les impose à nous tous. Ceux qui nous commandent, les puissants de la terre, les seigneurs de la guerre, sont à nouveau devenus fous. Et les plus sages et honnêtes à nos yeux deviennent les plus dangereux.
Dans ces conditions il ne nous reste plus, pour affirmer l'espoir et la paix, que la plus absolue des actions de non-violence: risquer la vie contre celui qui continue au contraire à choisir, devenu fou, la certitude de la guerre et de la mort.
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N.d.T:
(1) "Il Messagero": quotidien de Rome.
(2) "Palazzo": il s'agit du "Palais" entendu comme
lieu de pouvoir.
(3) "Populorum progressio": encyclique de Paul VI.
(4) Umberto Terracini: (1895-1983) homme politique
italien, fut l'un des fondateurs du PCI, le Parti
communiste italien. En 47-48, fut président de
l'Assemblée Constituante.
(5) Petroselli: fut maire de Rome.
(6) Susanna Agnelli: de la famille des industriels
propriétaires de l'usine FIAT. A été maire d'une
commune au Nord de Rome.
(7) Geno Pampaloni: (1918) critique littéraire.