Le "face à face" entre Almirante et PannellaSOMMAIRE: Un recueil d'écrits sur l'antifascisme libertaire des radicaux: reconnaitre le fascisme veut dire comprendre ce qu'il a été et surtout ce qu'il peut etre. Trop souvent derrière l'antifascisme de façade se cache la complicité avec ceux qui ont représenté la vraie continuité avec le fascisme, la reproposition de lois et de méthodes appartenant à ce régime.
("NOUS ET LES FASCISTES", L'antifascisme libertaire des radicaux
par Valter Vecellio, préface de Giuseppe Rippa - Editions Cahiers Radicaux/1 novembre 1980)
Almirante (1) - Je remercie, en tant qu'aspirant showman, l'ami Jacobelli; et je crois que nous sommes à trois, parce que vous aussi certainement...
Jacobelli - Non, je ne le suis pas du tout!
Pannella - Jacobelli est un aspirant imprésario.
Almirante - Je confirme d'avoir invité le député Pannella, et je le remercie d'avoir accepté. Il ne s'agit pas, comme l'ont écrit certains journaux, d'un défi ou d'un affrontement. Il s'agit d'une rencontre entre deux hommes libres, au nom de deux partis libres, qui sont très distants l'un de l'autre. Je dirais que nous sommes meme aux antipodes, mais c'est peut-etre justement cela qui nous permet de discuter ouvertement. Nous sommes dans une crise de Gouvernement et ce cycle est consacré à la crise: alors je pense que l'on doit expliquer le type d'opposition que nous voulons mener et que d'autres mènent.
A mon sens il y a en ce moment quatre types d'opposition: il y a l'opposition de sa majesté, représentée par le Parti communiste, une opposition à la fois conditionnante et compromissoire. Il y a l'opposition, entre guillemets, "constructive", représentée par les libéraux et peut-etre par les sociaux-démocrates; "constructive" entre guillemets et par conséquent - sans guillemets - inutile ou impuissante. Il y a une opposition sure, dans le régime, et c'est l'opposition radicale. Il y a une opposition tout à fait sure, contre le régime et hors du régime, et c'est l'opposition que j'ai l'honneur d'interpréter.
Un premier jugement rapide sur l'opposition dans le régime: lorsque je dis, cher Pannella, que ton opposition est une opposition dans le régime, je veux dire qu'elle est ennuyante, parce qu'elle répète tous les thèmes de la première République née de la Résistance, tous escomptés et tous échoués, ou prétextueux ou de complaisance; avec l'antifascisme sur le fronton, ce type d'antifascisme que tu critiques souvent, mais que dans le fond, ou dans la forme, surtout, tu montres de partager, manquant de contenus sociaux, manquant de programmes authentiques, une poussée générale vers la gauche. Voilà l'opposition radicale, telle qu'elle m'apparait.
Pannella - En attendant, si tu permets, Jacobelli, je veux dire une chose: je n'apprécie pas cette histoirte de l'"Etat-spectacle", parce que - ce n'est pas un reproche que je te fais - c'est une attitude de type apolitique. En réalité cette politique, en général, nous offre un mauvais spectacle. Mais tout ce qui est public est spectacle, une personne qui se met à la fenetre est aussi un spectacle. Le problème c'est si le spectacle est bon ou mauvais: il s'agit de comprendre si le spectacle que nous vivons ressemble davantage au vandeville, à la 'commedia dell'arte', ou si par hasard, au contraire, comme cela arrive toujours en politique, c'est un jeu dramatique, dans lequel chqcun doit avoir la conscience que ça dépend aussi de lui, outre que des autres, si ce jeu dramatique doit se terminer ou non par une tragédie ou s'il doit avoir parfois comme objectif la continuation de la vie et du drame.
Je me rend parfaitement compte aussi du caractère dramatique de notre contradictoire, car en démocratie le contradictoire est un haut lieu de démocratie et, je dois dire, une juste donnée. Je connais fort bien les spéculations qui commenceront demain, et je suis ici pour ça, pour offrir mon flanc droit aux spéculations de certains traitres de l'antifascisme, et je suis ici par loyauté à l'égard du vrai fascisme, par fidélité envers moi-meme. Ernesto Rossi (2), Terracini (3), les frères Rosselli (4), Gobetti (5): la Résistance contre le fascisme et durant le fascisme, la résistance d'hommes intrnasigeants, d'hommes qui, dans certains cas, ont été assassinés et tués par ceux qui ne respectaient pas la diversité. Et la Résistance au nom d'une sociétè antifasciste, dans laquelle avant tout le fascisme doit voir ses pleins droits reconnus. Et je suis ici pour désacraliser, en tant qu'antifasciste, ce tabou fasciste, qui fait d'un différent un pervers, meme s'il est député de la République, meme s'il est dans notr
e Parlement. Lorsque des citoyens italiens dans leur libre conviction, meme si - pour moi - elle est erronée, en font un parlementaire, le devoir existe à ce point, si l'on ne croit pas aux armes, si l'on ne croit pas à la démonisation, d'utiliser l'arme démocratique de la parole pour essayer de faire jaillir dans la vie de tous les jours une donnée de vérité.
L'antifascisme a été cela. Tant et si bien, Almirante, que je dis que tu as fait partie du mauvais spectacle pseudo-antifasciste, parce que pendant tant d'années tu as étè en réalité d'accord avec les autres sur toutes les choses de fond. Les communistes, les démocrates chrétiens, les socialistes n'ont pas voulu toucher à vos code Rocco (6), et tu étais d'accord; ils étaient d'accord de ne pas vouloir toucher ces immondes codes militaires édictés en 1941 par sa majesté le Roi d'Italie et d'Albanie et Empereur d'Ethiopie, Victor Emmanuel III, et par le chevalier Benito Mussolini, 'duce' du fascisme, etc. Tous d'accord, les communistes, les socialistes, avec leurs mises en scène. Sur le divorce tu étais d'accord avec le régime. Maintenant le temps qui m'est accordé arrive à expiration, je continuerai plus tard.
Almirante - Je comprends les inquiétudes de Pannella, en se trouvant face à ce qu'il considère un fasciste. Pour la première fois en tête à tête, devant les caméras, avec un fasciste! Cher Pannella, je t'ôte toute inquiétude, tout tabou...
Pannella - Ce n'est pas à toi de le faire, c'est aux gens du peuple, Almirante, ce n'est pas toi qui peut me tranquiliser.
Alimirante - Mais les gens du peuple te pardonnent en ce moment, parce que je ne suis pas ici en tant que fasciste, ni en tant que représentant du fascisme, encore moins en tant qu'auteur du code Rocco...
Pannella - Le fascisme est une grande chose: tu ne le représentes pas.
Almirante - Je t'annonce que moi je n'ai pas déclaré la guerre, et que je ne l'ai pas faite tout seul, par conséquent tes responsabilités politiques pèsent entièrement sur une classe dirigeante de l'époque et d'après. Je suis ici en tant que leader du Mouvement Social italien - Droite Nationale et en tant que député italien. Et je suis ici comme le seul député, le seul Secrétaire de parti, qui puisse affirmer ouvertement, sans aucune possibilité d'etre contredit, qu'il est contre le régime et hors du régime, sans qu'il en ait été exclu par les formules ridicules des divers actes constitutionnels - pour l'amour de Dieu! - mais parce que, avec présomption peut-etre, mais décidément et courageusement, je me coalise, contre ce régime incapable et trompeur, qui a fait fiasco et qui chaque jour confesse d'avoir fait fiasco, à travers ses représentants, toi compris. Il est faux que je combat des batailles de régime. Je me bat contre les batailles de régime dans tous les sens: les codes, les prétendues lois libertic
ides. Eh bien, essayez un peu de vous coaliser contre la loi Scelba. Pourquoi ne demandez-vous pas un référendum contre la loi Scelba, qui existe, et pas uniquement contre les articles qui restent du code Rocco et qui limitent la liberté - je pense que ce sont ceux qui se rapportent à l'outrage-: Je suis tout à fait favorable à l'abrogation de ces articles, meme si certains types d'outrage aux Forces armées, notamment aux carabiniers, qui sont faits aujourd'hui sur la presse, dans laquelle tu te reconnais peut-etre, ne me plaisent pas et je les condamne. Mais je les condamne moralement, ça n'a aucune importance qu'ils soient condamnés juridiquement.
Ce qui nous divise c'est justement notre ligne anti-régime, parce que nous voulons répondre aux exigences réelles des italiens, qui sont des exigences de sécurité intérieure, des exigences de sécurité sociale, des exigences de sécurité internationale. L'Italie est un pays qui a peur. A mon sens, il faut des normes drastiques, pas de petits décrets, que vous avez rejeté et que nous avons rejeté, pour des raisons opposées: vous, en les considérant trop répressifs, et nous, en ne les considérant pas du tout préventifs ni répressifs.
Non, il faut que les lois en vigueur, fascistes - ça va, vous avez laissé les lois fascistes, le Texte unique de sécurité publique - soient appliquées immédiatement, durement: la peine de mort, cent mille fois la peine de mort. Oui, j'ai le courage de le dire, pas en tant que fasciste ni en tant qu'ancien fasciste, mais en tant que chef du MSI-DN, en tant que député italien et également européen. Dans l'autre manche, je parlerai des autres problèmes, sociaux et de moeurs, qui m'intèressent très fort.
Pannella - Je ne t'ai pas traité de fasciste. Je considère que le fasciste est une grande, mais tragique, tragique page de notre histoire, qui nous a abattus tragiquement, en causant des désastres en Europe et dans le monde entier...
Almirante - Nous sommes encore une fois en guerre...
Pannella - ... Par conséquent je ne te traite pas de fasciste, parce que je ne crois pas que tu le mérites, parce que tu ne peux pas représenter cette grande et terrible noblesse - terrible - cette donnée de grande force tragique, je le répète, qui nous a vaincu. Au cas où, la continuité avec l'Etat fasciste, qui était une donnée de pouvoir, ce sont les antifascistes d'après qui l'ont assumée, ceux qui en réalité ont ôté la parole à Terracini, ceux qui ont criminalisé Ernesto Rossi lorsqu'il polémisait contre le régime, le vrai grand antifascisme durant le fascisme. Les antifascistes qui étaient à Moscou pour assassiner autant de communistes qu'en assassinait le parti fasciste, ici, en Italie, et peut-etre encore plus, étaient en majorité. Mais là n'est pas le problème.
Ce que je veux dire c'est une chose différente: c'est que - je le répète - sur les structures fondamentales de l'Etat, le nouveau fascisme, celui d'une grande et terrible dignité, est de nouveau en train de mener le pays au désastre...
Alimirante - Celui communiste et démocrate chrétien.
Pannella - Celui des prétendus antifascistes, qui renient chaque jour les grandes raisons et les grands espoirs d'une société libre et donc antifasciste. Et tu sais que pour cela je n'ai certainement pas besoin d'etre tranquilisé par toi, ni par personne; je répond à ma conscience, comme tous les compagnons radicaux. Chaque fois que l'on a assassiné un jeune "fasciste", entre guillemets, avant 1968 et toujours, tu sais quelle a été l'attitude des radicaux. Tu sais combien de fois nous nous sommes élevés contre les discriminations à votre égard...
Almirante - La dernière fois je ne m'en suis pas aperçu, parce que vous avez été les seuls à ne pas parler à la Chambre, dans cette séance très noble consacrée à notre pauvre militant assassiné, Angelo Mancia, un garçon de courses, un gosse...
Pannella - Je ne sais pas, ce jour-là, tu le sais, je n'étais pas là. Je sais simplement que, la veille justement, ton Président de Groupe est allé féliciter Mimmo Pinto pour notre attitude. Tu devrais peut-etre avoir la générosité intellectuelle avec toi-meme de reconnaitre que, au prix sans doute de quelque chose, depuis que nous sommes entrés dans la Chambre des Députés, en 1976 (toi, tu y es entré en 1948) les problèmes des excommunications, des pervers, des violences, c'est nous qui les avons abordés.
Almirante - Je te rappelle la loi Scelba, parmi tes référendums...
Pannella - Tu as autre chose à rappeler? J'ai une excellente mémoire, et dans ma mauvaise mémoire il y a le refus - par exemple - de la honte de te traiter de fusilleur. C'est une honte, dans le sens que ça ne m'intéresse meme pas, alors que tu es responsable depuis 36 ans, et aujourd'hui encore, d'un chemin de violence, dans lequel ton parti - ce n'est pas un problème personnel, ni pour toi ni pour moi - il y a encore quelques années, avec Les Pesenti, les Cefis, avec tout le pouvoir, avec Montecatini, avec Edison et ainsi de suite, avec les généraux, les chefs d'état-major qui, lorsqu'ils devaient etre éliminés étaient ensuite ramenés...
Almirante - Pauvre Di lorenzo!
Pannella - Voilà, tous les pauvres gens qui ont toujours voté MSI, en pensant que c'était un grand parti d'opposition, après 36 ans de présence de votre part au Parlement, pourront en tirer des conclusions. Après cinq ans de présence de notre part au Parlement, peut-etre, ces gens pourront-ils fournir une opinion mûrie en parlant, en parlant de l'antifascisme radical, celui qui respecte l'identité et l'histoire de tous, sauf le code pénal, qui ensuite...
Almirante - Alors, si tu permets, revenons aux problèmes réels, à celui que le pays réel veut connaitre de nous, je crois, ce soir. J'ai parlé de l'exigence de sécurité intérieure, je parle à présent de l'exigence de sécurité sociale: le pain pour les italiens. Tu te bats noblement, humanitairement, contre la faim dans le monde. Moi, je te prie de t'occuper de l'Italie. Il y a des quartiers de Naples, que j'ai visité, que je visite je dirais quotidiennement; il y a des quartiers dans le vieux centre de Bari, il y a des quartiers de Reggio de Calabre, il y a des quartiers de Messine, il y a le Belice... L'Afrique est chez nous!
Pannella - Lauro (7) aurait déjà pu te parler de Naples et Ciccio Franco de Reggio de Calabre.
Almirante - C'est avec noblesse que Ciccio Franco (8) a participé à la révolte de Reggio de Calabre...
Pannella - Lauro aurait pu te raconter comment il a étè élu dans le MSI.
Almirante - ... et puis, le pauvre, il en est sorti avec ceux qui essayaient de faire du Mouvement Social Italien quelque chose de différent. Nous sommes socialement à l'avant-garde, cher Pannella, et nous nous occupons des choses de chez nous. Nous voudrions que le budget de l'Etat soit modifié, mais pas pour destiner des milliers de millards à la faim dans le monde, mais pour destiner quelques milliers de millards à la faim en Italie. C'est à celà que nous te rappelons parce que nous croyons, poliment, cordialement, qu'il s'agit là d'une fonction actuelle d'un parti qui entend vraiment se coaliser à l'opposition contre un régime qui oublie les problèmes réels de notre pays, également, et surtout, au niveau social. Et il y a une autre exigence: l'exigence de la sécurité internationale, qui commence à inquiéter beaucoup les italiens. Nous avons été d'accord dans la bataille contre Osimo (9). Ce n'était pas et ce n'est pas uniquement une bataille sociale; c'est aussi une grosse bataille d'engagement politique
. Nous avons été d'accord maintenant en Europe pour que soit conclu le pacte CEE-Yougoslavie, mais ce pacte comprend aussi Osimo, et c'est sur ça que nous nous battons pour des raisons désormais de sécurité à nos frontières. Tachons de ne pas l'oublier, et de ne pas tomber dans un faux pacifisme, qui fait le jeu du communisme mondial et du Parti communiste italien. Essayons de ne pas confondre la détente avec la sécurité. Essayons de viser à la sécurité. Alors tu auras le droit, cher Pannella, d'etre vraiment considérè comme un opposant, un opposant de ce régime, de ce système que tu déclares condamner, comme nous le condamnons; mais il y a, il me semble, trop de complaisances, trop de facilitations de votre part.
Il y a enfin les facilitations de moeurs, et de mauvaises moeurs. Je déteste la démagogie dans le domaine social, celle des socialistes, surtout, plus encore que celle des communistes; mais j'ai peur de la démagogie, qui consiste à confondre la liberté avec le libertarisme, qui consiste à favoriser les pires instincts de l'homme, de chaque homme...
Pannella - Pourquoi ne parles-tu pas de drogue et d'homosexualité?
Almirante - Voilà, c'est à ça que je fais allusion, surtout à ça, surtout à la drogue.
Pannella - Et l'homosexualité où la mets-tu? Car c'est une autre clé maschiliste...
Alimirante - Elle aussi m'inquiète, si tu permets. A vrai dire elle me dégoute un peu, si je dois exprimer ma pensée, pas comme leader du MSI-DN. C'est un état d'ame tout à fait personnel, qui n'a rien à voir avec la politique. Ce libertarisme...
Pannella - Et puis ils finissent dans les camps de concentration!
Almirante - ... qui développe les plus bas instincts de l'homme, qui débilite la jeunesse, qui rend invertébrée une si grande partie de la jeunesse, qui conduit ensuite à la violence, car il s'agit de violence: cette incitation au libertarisme est la pire violence, comme la proclamation de l'athéisme. C'est de la violence. Il est difficile que celui qui se proclame athée puisse aussi se proclamer humanitairement au côté de ceux qui souffrent et de ceux qui meurent. Ces positions éveillent mes soupçons et elles me font craindre qu'il s'agit d'un radicalisme philo-communiste, dans le pire sens du terme, lorsque je parle de communisme.
Pannella - Personnellement, lorsqu'on parle de philo-communisme - si par philo-communisme on entend amitié profonde, une marque de compagnie et de solidarité voulue avec les grandes masses des travailleurs, qui ont toujours confié en bonne foi au message communiste leurs espoirs de justice et de libération pour eux et pour les autres....
Almirante - Les pauvres!
Pannella - ... je suis toujours fier aussi qu'on me considère philo-communiste. Alors que j'ai vu aussi, par contre, qu'historiquement votre anticommunisme a toujours été un pretexte pour attaquer non pas les directions communistes, parce que vous faisiez les accords Ribbentrop-Stalin...
Almirante - Vous faisiez? Alors tu reviens au fascisme de manière!
Pannella - Je parle d'une certaine tradition culturelle. Non, excuse-moi, je ne t'insulte pas...
Almirante - Des insultes? Je ne m'offense pas, moi...
Pannella - Je parle simplement de la tradition culturelle. En général tous les massacreurs - et ici ce n'est pas toi - ne respectaient pas le différent, qu'il fut homosexuel, qu'il fut fasciste, qu'il fut juif.
Almirante - Tu as besoin de remonter à Ribbentrop...
Pannella - Je peux continuer? Tu es toujours élégant et tu n'interromps pas, mais aujourd'hui tu le fais beaucoup!
Almirante - Je m'excuse.
Pannella - Je voulais donc simplement te dire que les gens sentent l'histoire à l'intérieur d'eux-mêmes. Tu parles de la violence. Et je dis que ton chemin - et c'est ça qui m'inquiète - a été un chemin, jusqu'aujourd'hui, qui a fait des jeunes qui te sont proches des assassinés et des assassins.
Almirante - Non, des assassinés.
Pannella - Des assassinés et des assassins. Si tu ne le reconnais pas, tu ne contribueras pas à la vérité. Tout comme d'autres positions violentes, qui naissent des espoirs socialistes, et parfois catholiques, ont fait des assassinés et des assassins, fort nombreux dans les rangs, justement, de la soi-disant gauche. Donc, c'est sur cela, sur le programme de la violence, que nous nous confrontons. Nous disons que s'il y a un nouveau Buchenwald, Almirante, un nouveau Mathausen de quarante millions de personnes, qui meurent exterminées par la faim dans le monde, nous voulons nous en occuper comme ceux qui s'occupèrent du Buchenwald nazi.
Elmirante - Il est en Ialie, en Italie il existe déjà...
Pannella - C'était le vieux refrain. Que disait-on durant les Années Trente? Aux gens qui disaient: "Faites attention, Hitler, Mussolini signifient la guerre, l'extermination, Buchenwald", tout le monde répondait: "pensez à ce qui se passe chez vous". Nous recommençons à dire que là où meurent des massacrés, des exterminés, quarante millions d'innocents, l'organisation politique internationale prépare la mort, parce qu'elle la déconsacre, et elle la déconsacre également chez elle. Et va t'en expliquer à tes gosses que la vie est sacrée, quand tu ne fais rien pour que quarante millions de personnes soient sauvées ailleurs.
A ce point je dois te dire que nous avons l'occasion, très vite, et si tu le veux, dans une télèvision commerciale - ça peut etre n'importe laquelle - pendant deux ou trois heures, de nous interroger, de mieux nous connaitre, si tu veux. Parce que je part de cette prémisse: ton chemin est un chemin de mort; aujourd'hui, et pas il y a trente ans. Toutes tes positions sur la peine de mort velléitaire, sur la deuxième République - et tu sais qu'elle n'existera jamais, parce que tu ne peux la faire qu'avec le Parti communiste, avec la Démocratie chrétienne (10) ou avec un putsch: donc, laquelle veux-tu? - sont de la démagogie, un saut en avant.
Tu parles des carabiniers. Tu parles des généraux des carabiniers, mais tu ne parles pas des carabiniers de Peteano (11). Ce sont des garçons du MSI, du Front de la Jeunesse qui savent...
Almirante - Non, non.
Pannella - On en parlera quand ils seront...
Almirante - Ça tu ne peux vraiment pas le dire. Tu cours le risque que je porte plainte et je le ferai! Désolé...
Pannella - Et tu sais, Almirante, que je lutterai pour que l'on autorise les poursuites contre moi parce que je veux répondre de ce que je dis. Comme je peux dire que dans tous les massacres, de Milan etc, la magistrature a découvert qu'il y avait des connivences avec les services secrets et ces connivences vous voient toujours de ce côté-là. Par conséquent, rappelons, également en termes de moeurs - et j'ai fini, Almirante - qu'une caresse est une chose nonviolente quelle que soit la façon dont elle est donnée et de qui elle vient, c'est une donnée de bonheur et de respect des autres. Et qu'un acte de violence donné par qui que ce soit est de toute façon un acte de mort. A ce point je dois dire: je t'invite à un contradictoire, trois heures, ailleurs et très vite. En attendant, ce soir, pendant que les gens voient la fin de notre débat, j'invite les romains sur Teleroma 56, où je continuerai à parler. Si toi aussi tu pourras venir, je continuerai à parler, en ce qui me concerne, de cette rencontre et d'autr
es choses. Je voudrais aussi dire que j'espère que tous les italiens qui m'ont écouté, Almirante, quelle que soit leur appartenance politique, fassent fêter l'espoir de vie, à Paques, et que tous les italiens sachent vraiment signer nos référendums: ils sont la seule initiative concrète contre le régime.
Almirante - Je conclus en disant: j'accepte certainement des invitations futures de mon ami Pannella où que ce soit. Et je veux terminer en adressant un appel affectueux aux italiens victimes de la violence, victimes de la violence....
Pannella - Tu as le devoir de le faire!...
Almirante - En commençant par les carabiniers, par les forces de l'ordre, par les soldats et les jeunes de n'importe quelle couleur. Il me sera permis de rappeler que nous sommes - et ce n'est pas un record auquel je tiens - les plus atteints, parce que vingt-trois de nos jeunes, ces dernières années, ont été assassinés. Et je ne dis pas par qui ou pour le compte de qui. Je dis par le régime, contre lequel, pour cela aussi, au nom de la paix authentique entre les italiens, paix avec sécurité, après avoir assuré la sécurité, je m'exprime et je lutte de toutes mes forces.
Pannella - J'espère que tu te convertiras. Tu ne l'as pas fait dans le passé.
Almirante - Je l'ai toujours fait.
Jacobelli - C'est terminé. Le "face à face" entre Almirante et Pannella se termine ici. En tant que modérateur je ne peux exprimer des jugements politiques sur la substance de l'émission. Mais, en tant qu'imprésario - comme dit Pannella - de ces émissions, je peux souhaiter, en interprétant aussi la demande du public, que la Commission parlementaire rende de plus en plus fréquents ces débats à deux. Bonsoir.
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N.d.T.
1 - ALMIRANTE GIORGIO. (Salsomaggiore 1914 - Rome 1988). Secrétaire du MSI, Mouvement Social Italien (le parti de droite qui se considère héritier du fascisme) de 1969 à 1987.
2 - ROSSI ERNESTO. (Caserta 1897 - Rome 1967). Homme politique et journaliste italien. Leader du mouvement "Justice et Liberté", arrêté et condamné en 1930 par le fascisme, il resta en prison ou en exil jusqu'à la fin de la guerre. Il écrivit avec A. Spinelli le "Manifeste de Ventotene" et fut à la tête du Mouvement Fédéraliste Européen et de la campagne pour l'Europe unie. Parmi les fondateurs du Parti radical. Essayiste et journaliste, il lança des colonnes du "Mondo" des campagnes très vives contre les ingérences cléricales dans la vie politique, contre les grands états économiques, contre le protectionnisme industriel et agraire, les concentrations de pouvoir privées et publiques, etc. Ses articles furent rassemblés dans des livres fameux ("Les maîtres de la vapeur", etc). Après la dissolution du Parti radical en 1962, et la rupture conséquente avec le directeur du "Mondo" M. Pannunzio, il fonda "L'Astrolabe" des colonnes duquel il continua ses polémiques. Dans ses dernières années il se rapprocha et s'i
nscrivit au "nouveau" Parti radical avec lequel il lança, en 1967, l'"Année Anticléricale".
3 - TERRACINI UMBERTO. (Gênes 1895 - Rome 1983). Homme politique italien. Il fut parmi les fondateurs du Parti Communiste Italien (PCI). Emprisonné sous le fascisme entre 1926 et 1943, il fit partie de l'aile non stalinienne et pour cette raison il fut longtemps considéré comme suspect par ses camarades. Dans l'après-guerre il fut l'expression des meilleures tendances libérales du parti, et gagna l'estime générale comme Président de l'Assemblée Constituante (1947-48).
4 - ROSSELLI CARLO. (Rome 1899 - Bagnoles de l'Orne, France, 1937). Homme politique, italien. Antifasciste, il fonda avec Nenni et dirigea le périodique "Quart Etat" (1926). Il fut exilé à Lipari (1927) d'où il s'enfuit de façon rocambolesque. En France, parmi les fondateurs du mouvement "Justice et Liberté". En Espagne avec les républicains en 1936. Il fut assassiné avec son frère, historien, par des membres de la cagoule, sur ordre des services secrets italiens. Son livre "Socialisme libéral", de 1928, est fameux.
5 - GOBETTI PIERO. (Turin 1901 - Paris 1926). Il publia très jeune une revue célèbre, "La révolution libérale", entamant une révision du libéralisme, pour l'ouvrir à la compréhension du monde ouvrier. En 1926, poursuivi par le fascisme, il émigra en France où il mourut. Il fonda aussi la revue "Il Baretti" et publia le premier recueil de poésies de Montale.
6 - ROCCO ALFREDO. (Naples 1875 - Rome 1935). Juriste et homme politique. D'abord radical il passa ensuite aux nationalistes, qui ont fini par confluer dans le parti fasciste. Ministre de la justice de 1925 à 1932, auteur du Code Pénal et du Code de Procédure Pénale promulgués entre 1930 et 1931. Les deux codes, malgré leur forte inspiration fasciste, sont restés pratiquement intacts pendant de longues années même après la chute du fascisme, et ce n'est que très récemment qu'ils ont été remplacés par des Codes plus modernes. Figure d'une importance exceptionnelle dans l'histoire institutionnelle de l'Italie moderne.
7 - LAURO ACHILLE. (Pina di Sorrento 1887 - Naples 1982), fondateur de la Compagnie de navigation qui porte son nom, maire de Naples (1951-54; 1956; 1958). Monarchiste, célèbre pour les bas systèmes de clientélisme avec lesquels il a gouverné la ville.
8 - CICCIO FRANCO. Acteur de cinéma, militant du MSI.
9 - OSIMO. Petite ville d'Istrie, d'où tire son nom le "Traité" signé en 1976, pour régler les questions restées ouvertes entre l'Italie et la Yougoslavie depuis l'après-guerre. Le traité fut contesté par les radicaux dans sa partie économique qui prévoyait la constitution d'une "zone franche industrielle" sur le Carso.
10 - DEMOCRATIE CHRETIENNE (DC). Parti italien d'inspiration chrétienne/catholique. Constitué sous ce nom dans l'après-guerre recueillant l'héritage du Parti Populaire, né dans le premier après-guerre par l'oeuvre d'un prêtre sicilien, don Luigi Sturzo. Après les élections de 1948, dans le climat de la guerre froide, il devint le parti de majorité, s'approchant certaines fois de la majorité absolue. Composant central de tout gouvernement, il détient le pouvoir sans interruptions depuis un demi siècle conditionnant fortement en sens modéré le développement de la société italienne. Aux élections de 1992, pour la première fois, il descend sous la barre des 30% des suffrages. La Dc a changé de nom en 1994, et est devenue le PPI (Parti Populaire Italien).
11 - PETEANO. Petite ville du Frioul (Gorizia) où eut lieu en 1972 un attentat où moururent trois carabiniers. Des officiers des carabiniers et des services secrets subirent des procès et furent condamnés pour avoir empêché la découverte des vrais responsables du massacre. La vérité ne ressortit que lorsque l'extrémiste de droite Vincenzo Vinciguerra confessa d'avoir commis l'attentat avec Carlo Cicuttini et Ivano Boccaccio.