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Vittorini Elio - 1 novembre 1980
NOUS ET LES FASCISTES: (22) Fascistes les jeunes?
par Elio Vittorini (*)

("Il Politecnico" n. 15 - 5 janvier 1946)

Je reçois souvent des lettres venant de jeunes qui semblent encore confus ou désespérés, ou du moins humiliés, d'avoir été fascistes. Ils ont vingt-quatre, vingt-cinq, ou même vingt-ans à peine, l'un d'entre eux me dit qu'il en a dix-huit, et ils appartiennent à toutes les classes sociales, sans oublier la classe ouvrière, bien que la plupart d'entre eux déclare étudier à l'Université ou avoir à peine passé leur licence. La moitié d'entre eux revient des camps de concentration en Allemagne ou des camps de prisonniers; dans l'autre moitié certains ont été soldats dans l'armée de Graziani ou dans la X mas. Mais il y a aussi ceux qui ont été maquisards et qui se sentent encore coupables d'avoir été "jusqu'à un certain moment" fascistes. Chacun a sa date "jusqu'à laquelle" il a été "fasciste": jusqu'en janvier 43, jusqu'en février 43, jusqu'en mars 43, et jusqu'au 25 juillet ou jusqu'au 8 septembre 43, jusqu'à un mois ou l'autre de 44, l'un d'eux même "jusqu'à hier matin" me dit-il, en m'écrivant le 5 novembre d

e cette année. Mais la raison pour laquelle ils m'écrivent est la même pour tous: la même confusion, le même désespoir, le même sentiment d'infériorité et le même espoir de s'en libérer; tous disent la même chose; et tous de la même façon nous frappent par l'honnêteté d'âme qu'ils révèlent.

Pourquoi s'adressent-ils à moi? Ils écrivent à propos d'un article du POLITECNICO, mais ils vont toujours au-delà de l'occasion immédiate, ils se réfèrent à mes livres, et ils montrent qu'ils cherchaient depuis longtemps 'quelqu'un à qui s'adresser". Leurs lettres commencent à arriver après le premier numéro du POLITECNICO: il y en eut deux après ce premier numéro, je voulais y répondre tout de suite, mais les lettres se multipliaient, elles devenaient des dizaines, elles sont devenues des centaines, et à présent je suis content de ne pas y avoir répondu tout de suite car, grâce à ce que j'ai appris en les lisant, maintenant je peux y répondre beaucoup mieux. Qu'ils soient restés "fascistes" jusqu'au bout, ou qu'ils aient eu quelques années d'antifascisme actif dans la lutte clandestine, la chose qui nous frappe le plus chez ces jeunes c'est que chacun s'accuse de ne pas avoir été "un homme"; d'avoir pu l'être... Ils pensent avoir été des "non-hommes", et ils cherchent un démenti, ils veulent un espoir. Mais

de qui pourront-ils l'obtenir? Ils ont du mal à s'ouvrir. Chez eux, le besoin de s'ouvrir est presque un besoin de risquer le tout pour le tout, mais c'est aussi un besoin d'être compris, d'être considérés. Et qu'ils s'adressent à moi ne prouve rien pour moi. Ça prouve uniquement combien est forte leur envie de trouver quelqu'un à qui s'adresser.

Aujourd'hui, la crise qui est la leur

Maintenant, c'est à tous ensemble que je réponds. A dessein je ne fais pas de distinction entre la crise de celui qui déclare "ne pas avoir été un homme" (c'est-à-dire "fasciste") jusqu'en janvier ou juillet 43 et la crise de celui qui dit l'avoir été jusqu'il y a un mois. Il peut y avoir des différences entre les uns et les autres. Il y en a certainement. Mais spirituellement elles ne comptent pas si elles n'ont pas évité la crise, ou si elles n'ont pas amené à la surmonter. Mais en fait cette crise, c'est une crise de quoi? Si elle était tout simplement de "coupables" elle serait bien vite résolue avec l'auto-reconnaissance de leur faute. Mais c'est une crise de gens qui se "croient coupables" sans l'être au sens propre, et seuls ceux qui réussiront à se convaincre de ne pas être coupables réussiront à la surmonter. Si beaucoup de jeunes ont aujourd'hui la conscience tranquille c'est parce qu'ils se sont convaincus de n'avoir commis aucune faute, et pas parce qu'ils pensent avoir expié en quelque sorte (en

participant à la lutte clandestine) la part qu'ils ont eu (active ou passive), dans le fascisme. Par conséquent est-ce que nous ne devons pas dire à chaque jeune qu'il a le droit (en tant que jeune, et c'est-à-dire en tant que personne qui a grandi sous le fascisme) de se convaincre de ne pas être coupable? Ne devons-nous pas au contraire aider chaque jeune à se convaincre de ne pas être coupable? Et la seule façon de les aider à se convaincre de ne pas être coupables c'est de leur montrer ce qu'ils sont en réalité: des instruments bien sûr du fascisme, aveugles face à ce qu'était le fascisme, victimes de ce qu'il semblait être, faibles, pas forts, mais pas fascistes.

Qu'est-ce que le fascisme?

Ici nous devons aussi dire ce qu'est le fascisme au sens propre, ce qu'il a été en Italie, et à quoi il a pu ressembler. La propagande réactionnaire d'aujourd'hui, spécialement la propagande anglo-saxonne et celle du Vatican, essaye de le faire passer pour un phénomène d'aberration morale. Ainsi, elle peut le condamner et le frapper uniquement dans son aspect exécutif: dans la dictature matérielle, dans les persécutions de la police, dans les cruautés répressives, dans la forme, dans la méthode. Mais elle ne le frappe ni le condamne dans sa cause ou sa nature intrinsèque. Cette cause et cette nature ne sont pas italiennes ou allemandes, elles sont aussi anglo-saxonnes, elles sont aussi vaticanes, du monde entier, et la propagande réactionnaire d'aujourd'hui ne peut pas condamner une cause ou une nature dont elle-même est complice; elle condamne les exécuteurs matériels et elle soustrait les vrais responsables à toute possibilité d'être atteints; elle condamne l'adjectif et met en sûreté le substantif.

Le fascisme comme substantif

Qu'est-ce que le fascisme comme substantif? Nous pouvons admettre que ce soit une aberration. Mais c'est une aberration politique et économique, pas uniquement morale. Moralement elle pourrait même prendre des aspects nobles et vénérables; parlementaires, pontificaux; des aspects anglais, des aspects américains et des aspects vaticans? C'est sa substance politique et économique qui compte. Et cette substance c'est le capitalisme, parvenu à son plus haut stade de développement industriel et financier, qui attaque pour se défendre et pour se conserver. Il voit un danger mortel dans le développement atteint en même temps par le prolétariat. Il voit que le développement du prolétariat a été favorisé, dans le domaine politique, par la démocratie. Il veut arrêter ce développement, arrêter la démocratie politique qui favorise ce développement, et il étend sa dictature économique au domaine politique. Qu'est-ce que donc le fascisme comme substantif? Je l'ai dit: c'est l'extension de la dictature capitaliste au domai

ne politique.

Le capitalisme aussi a eu besoin, pour se développer, de la liberté politique. Maintenant qu'il a atteint le stade extrême de son développement, le capitalisme n'a plus besoin de la liberté politique. Il la tolère comme une sorte de PRIX qu'on paye en échange du droit d'exercer sa dictature économique? Mais ce PRIX devient toujours plus élevé, il devient dangereux, il menace d'éliminer sa dictature de classe, et voilà que le capitalisme essaye de ne plus le payer, ou de le réduire, de le limiter, de l'amener sur un compte à crédit, de le transformer en vieux papiers, etc, c'est le fascisme. Toute tentative, ai-je dit; celle démagogique et totalitaire comme en Italie et en Allemagne, celle sournoise et complexe qui montre de temps à autre son visage en Angleterre ou en Amérique, celle encore plus sournoise et encore plus complexe qui donne un ton réactionnaire à certains sermons qui ne sont pas du dimanche de la part de l'OSSERVATORE ROMANO (1) et une infinité d'autres; ceux qui furent et ceux qui seront.

Le "fascisme" qui fut celui des jeunes

Mais les jeunes qui m'écrivent pouvaient-ils savoir que c'était ça le "fascisme"? Aujourd'hui encore on a l'impression qu'ils ne le savent pas. Ils se reprochent d'avoir été "fascistes" dans le sens d'une "aberration morale", c'est-à-dire dans le sens du fascisme-objectif, et pas dans le sens du fascisme-substantif. Ils n'ont jamais vu le visage du fascisme-substantif. Ils auraient difficilement pu le voir. Le fascisme italien a toujours eu soin de le cacher, et si dans les faits il s'est peu à peu trahi il était tout de même difficile que des jeunes élevés pour ne pas comprendre pussent comprendre. Qui a fait quelque chose pour qu'ils comprennent? L'antifascisme était à l'étranger, et sa voix parvenait en Italie comme tout ce qui parvenait en Italie venant de l'étranger: déformé, inactuel, ridicule. Et pourtant les jeunes étaient généreux; ils n'étaient pas réactionnaires; ils ne prenaient pas parti pour Donegani, Agnelli (2), etc; mais contre Donegani, Agnelli, etc; ils étaient pour le progrès, pour une "m

eilleure justice sociale", et pour l'élimination de la grande propriété rurale et la socialisation des grandes entreprises. Le fascisme leur a dit d'être justement cela: progrès, justice sociale, élimination de la grande propriété rurale, etc. Il se montra à eux comme anti-Donegani, et personne ne leur a dit qu'il était au contraire l'expédient extrême des Donegani.

Hélas, il existait en Italie des forces encore plus réactionnaires que le fascisme: des résidus féodaux et réactionnaires des vieux partis de droite que le fascisme avec sa définition moderne de régime pro-monopoles, avait nettement dépassé; ils résistèrent, il fut facile de faire croire que tout l'antifascisme était en eux; et les jeunes se persuadèrent que le fascisme était une lutte contre toute sorte de réactionnaires pour la réalisation d'un programme socialement révolutionnaire. Il suffit de parcourir les journaux de la jeunesse surtout dans la période de 1931 à 1935, pour en avoir la preuve. Les slogans démagogiques du fascisme deviennent, sur ces feuilles, un argument enthousiaste de débat, et une raison d'attaque concrète contre le capitalisme, la bourgeoisie, les rapports de production de la société bourgeoise. Les jeunes comptent sur un développement du fascisme dans le sens collectiviste. Ils comptent aussi sur un rapprochement de l'Italie avec l'URSS. Et puis si rien ne se passe qui confirme ce

qu'ils espèrent, ils en attribuent la responsabilité à "la réaction qui s'est insinuée", disent-ils, "dans le parti fasciste".

Ce ne sont pas des blagues. Je parle d'une expérience personnelle. Et je suis né en 1908, pas en 1920 ou en 1922. J'avais déjà 14 ans l'année de la marche sur Rome. J'avais entendu parler, en quelque sorte, de la façon dont le fascisme était né. Et pourtant après une première méfiance due uniquement au fait d'avoir été inscrit d'office, comme étudiant de l'enseignement secondaire, dans les organisations de la jeunesse fasciste, moi aussi "je me suis agité" dans le sens que j'ai décrit ci-dessus, sur des feuilles fascistes plus ou moins provinciales. Je dois le dire à ces jeunes qui m'écrivent. Moi aussi j'ai été l'un d'entre eux. Je n'ai "pas été perspicace", et "pas fort", "pas homme"? J'ai fait partie des "faibles"? Mais quel est le jeune qui, n'ayant jamais fait partie, ici en Italie, "des faibles", peut faire partie aujourd'hui des "vraiment forts"? Pour moi personnellement la cécité face au fascisme finît bien vite. L'agression contre l'Europe, qui réconcilia avec le fascisme tous les résidus pré-fascis

tes de la réaction italienne, m'a fourni les premiers doutes. C'était ça ce que le fascisme savait faire? Répéter au XX siècle les entreprises dignes d'une époque mercantiliste? Le rapprochement avec l'Allemagne d'Hitler et le soutien fourni à Franco en Espagne me rendirent toute ma capacité de compréhension. En automne 1936 j'osai écrire pour un hebdomadaire "que le fascisme" aurait du fournir son soutien au gouvernement de Madrid, pas à Franco. Et l'hebdomadaire osa le publier (en coupant malgré tout certaines phrases). Je n'étais pas seul dans mon évolution. C'est ainsi que je fus expulsé du parti fasciste, et que je commençai à penser comme je pense aujourd'hui. Pourrais-je reprocher pour cette raison aux plus jeunes que moi de ne pas avoir suivi la même évolution que moi, et de ne pas avoir rompu avec le fascisme à ses "premières preuves"? J'étais né en 1908: j'avais vécu en quelque sorte, la façon dont le fascisme s'était "formé"; j'avais en moi une méfiance d'"avant"; et je lisais beaucoup... J'avais

en outre des sympathies et des antipathies instinctives; des sympathies pour les américains et les russes, des antipathies pour l'Allemagne d'Hitler, pour l'église espagnole et pour les généraux carlistes. Serais-je arrivé à connaître le SUBSTANTIF fasciste sans mon heureuse antipathie pour les ADJECTIFS dont se paraient ses nouveaux complices?

Depuis toujours, contre le "substantif"

Je connais beaucoup de jeunes qui s'éloignèrent du fascisme durant la guerre civile espagnole. Mais les jeunes qui, en nombre beaucoup plus élevé, restèrent attachés au fascisme malgré cette guerre et malgré l'Anschluss, malgré Munich, malgré 1939 ou 1940, 41, 42; les mêmes jeunes, en minorité désormais, qui se traînèrent derrière le fascisme lui-même malgré l'occupation de l'Italie par les allemands; ces jeunes qui m'écrivent, et tous les jeunes comme eux qui voudraient "s'expliquer avec quelqu'un", ne restèrent pas liés au fascisme d'une façon différente de celle avec laquelle ils avaient été liés au fascisme, et moi-même j'avais été lié au fascisme, avant l'intervention fasciste en faveur de la réaction espagnole. Je suis sûr que leur façon (les "faibles", dans l'illusion, simples militants ouvriers, ou simples militants étudiants, simples jeunes en bonne foi, prêts à payer personnellement, et pas ceux qui en faisaient partie pour faire carrière) fut plus ou moins celle qui avait été la mienne jusqu'en 1

936; une façon sotte, si nous voulons, mais pas réactionnaire; une façon anti-Donegani, pas pro-Donegani, et une façon anti-anglaise, anti-américaine, anti-la moitié du monde pour ce que de "donéganien" et pas autre chose on leur laissait entrevoir de tout ce monde. Nous ne devons pas oublier que la propagande fasciste a été telle qu'elle a cultivé chez les jeunes l'illusion d'être révolutionnaires en étant fascistes. Et plus le fascisme s'est approché de la défaite plus la propagande fasciste a été telle. Jusqu'au bout les jeunes ont pu croire que le fascisme était en lutte contre toute sorte de réactionnaires pour la réalisation d'un programme socialement révolutionnaire. Puis-je m'exprimer avec un paradoxe? Ce fut une façon d'être antifascistes, leur façon d'être "fascistes".

A présent, je crois qu'on doit le dire aux jeunes comme ceux qui m'écrivent opprimés par un sentiment d'infériorité pour avoir été des "non hommes", des "fascistes". Pourrions-nous les abandonner à leur sentiment d'infériorité? Ce serait comme permettre qu'ils ne deviennent jamais "des hommes". Et qu'ils se corrompent; alors qu'en fait, ils sont purs. Je veux le leur dire. Vous n'avez jamais été fascistes. Votre façon de l'être, quelle que soit la date jusqu'à laquelle vous l'avez été, a été une façon "antifasciste". Vous avez aussi été "faibles"? Mais c'est justement parce que vous avez été parmi les "faibles", et que vous connaissez ce que ça signifie d'être "faibles", que vous pouvez être aujourd'hui plus forts parmi les "forts". Aujourd'hui que le fascisme-adjectif est fini, il faut être "forts" contre le fascisme-substantif qui ne veut jamais finir; et le connaître, le combattre. Vous n'avez jamais été fascistes dans le sens substantif; ou plutôt c'est justement le fascisme substantif que vous avez cru

combattre, dans votre combat "fasciste". Et ne devriez-vous pas combattre en tant qu'antifascistes ce que vous pensiez déjà combattre dans votre combat "fasciste"? Les équivoques ne sont plus possibles, aujourd'hui. Le fascisme est là: derrière les Donegani, les Agnelli, les Marinotti, et seuls sont fascistes ceux qui sont pour eux, quelle que soit la façon et le nouvel adjectif qu'on leur attribue. Vous avez donc le même droit que les vieux antifascistes d'être, aujourd'hui, antifascistes. Vous avez le droit d'être "des hommes".

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N.d.T.

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(*) VITTORINI ELIO. (Syracuse 1908 - Milan 1966). Ecrivain, d'origine sicilienne. Il fit connaître le genre narratif américain des années 30, avec une fameuse anthologie de 1942. Son roman "Uomini e no" reste célèbre. Organisateur culturel, il fonda dans l'après-guerre la revue "Le Polytechnicien". Entré en polémique avec Togliatti, il abandonna le Parti communiste italien (PCI) et adhéra au Parti radical, dont il devint le président après la scission, avec le groupe de la Gauche radicale de Marco Pannella.

1 - DONEGANI ET AGNELLI - Familles d'industriels respectivement de l'industrie minière et de l'industrie automobile.

2 - OSSERVATORE ROMANO - Le journal du Vatican.

 
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