SOMMAIRE: L'action du Parti radical pour obtenir la libération du juge Giovanni D'Urso (2) enlevé par les "Brigades rouges" le 12 décembre 1980 et pour contraster ce groupe de pouvoir politique et journalistique qui veut sa mort pour justifier l'imposition en Italie d'un gouvernement "d'urgence" formé de "techniciens", a du succès. Le 15 janvier 1981 le juge D'Urso est libéré. Dans une interview au quotidien "La Gazzetta del Popolo", Leonardo Sciascia, député du groupe parlementaire radical, explique les raisons de son intervention en faveur de la libération du juge D'Urso et entre en polémique avec le directeur de "La Repubblica": "Je préfère être un Sciascia quelconque qu'un Scalfari (3) éminent".
(LA GAZZETTA DEL POPOLO, 15 janvier 1981)
QUESTION: "Dans cette affaire vous avez pris une initiative précise".
SCIASCIA: "En tant qu'homme et en tant que parlementaire, j'ai ressenti la nécessité urgente d'agir, de faire quelque chose. Je crois m'être acquitté d'un devoir précis, comme député aussi de ce Parlement."
QUESTION: "Outre le premier appel il y a quelques jours de cela, hier vous en avez adressé un autre directement aux BR (4), non plus au nom des valeurs humanitaires..."
SCIASCIA: "Oui. L'idée m'est venue qu'il fallait, à l'égard de ces terroristes, miser sur le calcul plutôt que sur les sentiments. Parce qu'avec eux ni la logique de la raison ni celle des sentiments ne sont valables. J'ai pensé que la logique du profit pouvait valoir."
QUESTION: "A quoi faisiez-vous référence en particulier?"
SCIASCIA: "Les brigadistes, dans un de leurs communiqués, ont rejeté avec dédain l'hypothèse d'être les instruments d'une puissance étrangère. Eh bien, en tuant D'Urso - ai-je dit - le doute ne vous assaillit-il pas, au moins celui-là, de l'être vraiment?"
QUESTION: "Vous avez insisté à plusieurs reprises sur les connexions internationales du terrorisme. Avez-vous une conviction précise?"
SCIASCIA: "Je n'ai pas de vraie conviction parce qu'il faut des preuves. Mais si le Président de la République est allé jusqu'à parler deux fois du terrorisme, et de ceux qui sont derrière, il doit avoir plus d'informations que moi et il est digne de foi."
QUESTION: "Pour vos initiatives en faveur du dialogue vous avez presque été banni. Quelqu'un est même allé jusqu'à écrire que ce ne sera pas l'appel d'un Sciascia quelconque qui amènera le pays à un autre 8 septembre..."
SCIASCIA: "La chose m'amuse. Je préfère être un Sciascia quelconque plutôt qu'un Scalfari (3) éminent."
QUESTION: "Mais pourquoi tant d'agressivité à vôtre égard?"
SCIASCIA: "Parce que dans ce Pays le fascisme n'est jamais mort, et ils sont nombreux à l'appeler anti-fascisme."
QUESTION: "Comment jugez-vous l'attitude du gouvernement dans cette affaire?"
SCIASCIA: "il me semble qu'il y ait eu de la part du gouvernement une réponse plus rationnelle. Il a parlé de fermeté, mais sans fermer la porte. Il a concédé quelque chose tout en restant dans les lois. Le tout, à mon avis, avec beaucoup d'intelligence."
QUESTION: "Et les partisans de la soi-disant fermeté?"
SCIASCIA: "Vous voulez dire ceux de la fermeté-fermeté? Je n'ai pas l'impression que cette fois aussi il ait eu une compréhension complète des choses."
QUESTION: "Si le gouvernement avait aussi assumé le même comportement pendant le cas Moro (5), le leader DC serait-il encore vivant?"
SCIASCIA: "Je ne crois pas. Moro était le président de la Démocratie chrétienne et il fallait la décapiter."
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n.d.t.
1 - SCIASCIA LEONARDO. (Racalmuto 1921 - Palerme 1990). Ecrivain, auteur de romans célèbres ("Le parrocchie di Regalpetra", 1956; "Il giorno della Civetta", 1961; Todo modo, 1974), mais connu aussi comme polémiste, participant de la vie civile italienne pendant vingt ans au moins. Il fut aussi député radical pendant une législature, intervenant de façon énergique dans les batailles pour les droits civils (affaire Tortora, etc).
2 - D'URSO GIOVANNI. Magistrat, italien. Enlevé par les Brigades Rouges le 12 décembre 1980. L'enlèvement, qui sembla répéter celui d'Aldo Moro, déchaîna une très violente campagne politique-journalistique, au cours de laquelle fut aussi proposée la formation d'un gouvernement "d'urgence" formé uniquement de techniciens. Le Parti radical eut un rôle important - grâce aussi à l'engagement de l'écrivain Leonardo Sciascia - pour obtenir sa libération et s'opposer à toute solution autoritaire. Le magistrat fut relâché le 15 décembre 1981.
3 - SCALFARI EUGENIO. (1924) Journaliste italien. Directeur de "L'Espresso" (66-68), fondateur et directeur du quotidien "La Repubblica" depuis 76.
4 - BRIGADES ROUGES. (Connues sous le sigle BR). Organisation terroriste clandestine d'extrême gauche, née et active en Italie à partir de 1969. Proclamant la révolution ouvrière elle essaya d'ouvrir des fronts de révolte armée contre l'Etat et le système politique, se rendant responsable d'attentats, d'agressions, d'enlèvements, d'assassinats d'hommes politiques, de journalistes, de magistrats et de chefs d'industrie. Elle eut comme leader Renato Curcio. En 1978 elle enleva et assassina Aldo Moro.
5 - MORO ALDO. (Maglie 1916 - Rome 1978). Homme politique italien. Secrétaire de la Démocratie chrétienne (1959-65), artisan de la politique de centre-gauche. Plusieurs fois ministre à partir de 1956. Président du Conseil (1963-68, 1974-76), à partir de 1976 président de la Démocratie chrétienne, il préconisa le rapprochement du Parti communiste italien (PCI) au gouvernement traçant l'hypothèse d'une soi-disant "troisième phase" (après celles du "centrisme" et du "centre-gauche") du système politique. Enlevé par les Brigades Rouges à Rome, le 16 mars 1978, il fut retrouvé mort le 9 mai de la même année.