SOMMAIRE: Marco Pannella annonce qu'il ne participera pas au vote sur la Politique agricole Commune et détaille son point de vue sur la PAC: le secteur agricole européen connaît une situation désastreuse, notamment à cause de la PAC. Les intérêts des multinationales prévalent sur les intérêts des agriculteurs et des consommateurs européens. La politique anti-économique des subsides incite à la production d'excédents et au protectionnisme, alors que l'extermination par la faim continue de par le monde, notamment grâce aux accords de Lomé (25-03-81).
M. Pannella. - Depuis de longues années, nous parlons de crise, non seulement de l'agriculture, des agriculteurs, mais de la politique agricole commune. A longueur d'années, à longueur de journées, de semaines, la querelle est continuelle. On a toujours beaucoup de propositions, de bonnes intentions; on nous a annoncé ce que l'on appelle une réforme. Mme Barbarella, ce matin, n'a pas utilisé le mot de contre-réforme car, en réalité, c'est plutôt d'une petite Contre-réforme qu'il s'agit, très petite naturellement - seuls les intérêts des multinationales sont gros dans cette histoire! Pour le reste, nous en sommes à un niveau qui ne nous autorise pas à évoquer le souvenir de la grande Contre-réforme. Ici, la petite réforme, ou "Contre-réforme", que nous connaissons chaque jour, ne sert qu'à mieux entretenir le désastre, le gouvernement du désastre.
On nous avait toujours expliqué, que nous fussions député ou électeur, que cette politique agricole coordonnait les politiques agricoles des Européens. Mais les Européens, ce sont aussi le paysan européen, l'agriculteur européen, le consommateur européen. Certes, au sein des multinationales, et parmi les idéologues des multinationales et leurs disciples, il est possible qu'il y ait quelques Européens satisfaits: tout ce qu'ils risquent, c'est justement d'avoir trop de revenus, trop d'aliments de tout genre. Mais nous pouvons constater que le revenu des agriculteurs s'éloigne de plus en plus du niveau même de vie et de participation sociale qui est nécessaire aux autres travailleurs, aux autres producteurs.
Nous constatons que l'écart entre la situation de l'Europe agricole du Sud et celle de l'Europe riche et industrielle augmente de plus en plus. Il paraît que nous avions fait cette politique agricole commune pour aider les pauvres... Mais oui, on les aide, mais comme les riches aident les pauvres: en les volant et, tout en leur laissant parfois des aumônes, en essayant de susciter entre eux - précisément par les famines morales,sociales, culturelles et même économiques - le réflexe des sous-prolétaires se disputant le bout de pain qui leur est abandonné au pied de la table du banquet. Nous avons honte lorsque nous confrontons notre politique agricole introvertie et la situation dans le monde.
Que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, nous finançons les excédents. Bien entendu, certains ne veulent pas financer des excédents et, d'ailleurs, qui peut vouloir une folie de ce genre? Le fait est pourtant que, chaque année, on finance les politiques excédentaires et l'on a des excédents, alors que le nombre des morts, des assassinés par manque d'aliments, augmente dans le monde.
Lomé II, c'est aussi un autre aspect de notre politique agricole, le plus courageux, le meilleur: c'est que Lomé II, c'est peut-être mieux que Lomé I mais, en réalité, plus nous aurons de Lomé et plus nous aurons d'assassinés par la faim et la malnutrition dans le monde entier. Cela, c'est parce que vous faites chaque fois vos comptes d'une façon un peu drôle. Vous confrontez vos réformes à vos réformes précédentes alors qu'en politique il faut confronter une réforme aux exigences de la société. C'est vrai que Lomé II est mieux que Lomé I, mais il est certainement vrai également que vous devenez plus rusés et que vous présentez le désastre politique comme une bonne politique. Enfin! c'est une donnée globale, une donnée au sujet de laquelle je ne peux parier ici que pendant les cinq minutes qui me sont imparties dans ce débat sur le lait ou les vaches. Eh bien, je veux bien parler de vaches, mais alors de celles de la politique, de la politique politicienne, de cette vache sacrée qu'est justement la politique
que l'on nomme européenne, agricole et commune et qui n'est pas européenne, parce qu'elle est contre les agriculteurs et qui n'est commune qu'en ce qu'elle excite les égoïsmes communs.
Au tableau que nous avons brossé devant nous, il n'y a évidemment qu'une réponse: je ne voterai même pas, car ce serait participer à une liturgie à laquelle je ne crois pas. Vraiment, s'il y a un secteur où être démocrate peut avoir un sens, c'est celui où l'on pourrait vous faire battre en retraite - vous, les grandes forces politiques, les grosses forces politiques européennes, vous les responsables du vrai désastre - et vous montrer qu'une politique de vie peut être substituée à la politique de mort et de chaos pratiquée en Europe, dans le monde entier, voire peut-être aussi au sein du Parlement de notre Communauté!