SOMMAIRE: Une délégation de parlementaires européens s'apprête à visiter la Turquie, où l'armée a renversé la démocratie et se prépare à exécuter de nombreuses condamnations à mort. Marco Pannella et d'autres députés appartenant à différents groupes politiques représentent une résolution approuvée par le Parlement européen à l'occasion du coup d'Etat des Colonels en Grèce, soulignant qu'il est nécessaire de condamner toute forme de dictature, notamment les philo-occidentales (10-04-81).
M. Pannella. - Le document que nous avons présenté comporte deux caractéristiques importantes au sujet desquelles je demande à tous mes collègues de bien vouloir réfléchir. Tout d'abord, nous nous sommes bornés à proposer à nouveau au Parlement européen un document qu'il avait approuvé à l'unaminité soixante jours après que les colonels eurent assassiné la démocratie politique et parlementaire grecque. Soixante jours après, M. Eduardo Martino, un démocrate-chrétien certainement conservateur, un homme de droite, modéré, proposait ce texte qui était approuvé par l'unanimité des parlementaires présents. Monsieur le Président, je ne sais pas ce qui se passe, ou je ne le sais que trop. Mais, ce sont, à présent, six mois, et non soixante jours, qui se sont passés depuis que des généraux qu'on nous présentait comme "très bien", très propres, très "OTAN" (en matière publicitaire, on aurait dit: ce qui lave le mieux les assiettes ou le linge sale) s'estiment obligés de procéder à des arrestations, de faire des procès
, à demander des peines de mort. De plus en plus souvent, ils sont obligés d'imposer la violence, alors qu'on nous expliquait qu'ils étaient les seuls à pouvoir imposer l'ordre. Lorsque nous lisons qu'en un seul jour le parquet militaire demande la mort, la mise à mort de 143 personnes, nous savons évidemment que quelque chose ne tourne pas rond, que quelque chose ne va pas très bien. Même si nous nous soucions de nos alliances militaires, nous devons vraiment redouter de plus en plus que la défense de notre civilisation occidentale, avec ces gens et avec ces méthodes, ne nous amène à renoncer à toute rigueur et à toute fidélité à nous-même. Il faut qu'il y ait, à ce moment là, un simple sursaut de vérité de notre part. C'est pourquoi, Monsieur le Président, nous n'avons pas voulu, nous, les signataires de cette résolution, présenter aujourd'hui un texte à nous. Voilà pourquoi, avec Maurice Faure, Caillavet, Ripa di Meana, Sarre, Michel, Penders, Israel, Fourcade, Donnez, Cecovini, Puletti, Spaak, De Goede,
de Lipkowski, Filippi, Zecchino, Gatto, Lizin, Capanna, Castellina, Dekker, Oehler, Orlandi et Salisch, c.à.d. en exprimant des positions qui sont celles de tous les groupes de notre Assemblée, nous essayons aujourd'hui de témoigner de la même unanimité que le Parlement avait eue, en 1967, pour défendre, je ne dis même pas la démocratie grecque, mais l'image du Parlement européen, l'espoirdémocratique et nos idéaux communs, communs à tous les groupes de cette Assemblée. Nous demandons tout simplement de recourir à cette arme pour amener à la raison les généraux.
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On nous dit: il ne faut pas effrayer les généraux, il ne faut pas les repousser d'une façon définitive, les écarter du camp de la démocratie, de la paix et de la tolérance. Tel n'est pas mon point de vue car si nous devions chaque fois donner une prime au violent qui s'est emparé du pouvoir, pour lui concéder davantage que ce que nous concédons aux démocrates humbles qui, tous les jours, défendent sans éclat la civilisation et la démocratie, ce serait là un précédent très grave. Je comprends cependant la "realpolitik" de M. Fellermaier, Monsieur le Président.
Le Président. - Monsieur Pannella, votre temps de parole est épuisé.
M. Pannella. - Excusez-moi, Monsieur le Président, je vous signale que nos débats ne sont pas, aujourd'hui, réglés par l'article 28 ... Est-ce exact ?
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M. Pannella. - Madame le Président, je donnerai une explication de vote pour les quatre votes. Je voterai à la fois pour cette résolution, pour celle de M. Glinne et pour celle que nous avons présentée avec 25 autres collègues de tous les groupes de notre Assemblée. Je le ferai, Madame le Président, parce que tout me semble devoir être fait, même dans la contradiction. Il y a de bonnes contradictions et d'autres qui sont mauvaises. Il y a des contradictions pourries et il y en a qui, au contraire, peuvent nous pousser à les corriger dans le bon sens lorsqu'il s'agit de documents - je mesure mes mots -, indignes du qualificatif de libéral, que M. Bangemann qui a la pudeur d'être absent - présente au nom d'un groupe...
M. Calvez. - Tu sors parfois aussi.
Pannella. - ... Oui, mais M. Bangemann est sorti au moment précis où il devrait défendre une attitude fondamentalement intolérable à tous ceux qui, sans être nécessairement giscardiens ou autre chose, sont des libéraux, à l'instar de Donnez, de Caillavet, de Maurice Faure, de Gaston Thorn, qui le sont à l'image des traditions libérales françaises, de ce que vous étiez dans le passé - modérés peut-être, mais libéraux -, alors que, désormais, vous êtes prêts à rendre les pires services à ceux qui, dans l'histoire, sont contre les libertés. Nous savons, Madame le Président, ce que signifie le comportement des Bangemann, l'hypocrisie dont elle témoigne, ces attitudes de Ponce Pilate que nous voyons chez certains chrétiens - "attendons, réfléchissons, nous n'en savons pas grand-chose...", n'est-ce pas, Monsieur von Hassel? Dans l'intervalle, on égorge, on tue.
Eh bien, Madame le Président, je voterai, en ce qui me concerne, également la résolution qui porte le nom d'Eduardo Martino, un homme en faveur duquel je n'aurais jamais pensé, dans le passé, voter un jour un document. Je le ferai parce que je veux me rattacher à ce minimum de tradition de notre Parlement qui en fait son minimum d'honneur. Ce n'est pas, en effet, notre texte, c'est le texte adopté par le Parlement européen soixante joursaprès la dictature des colonels grecs.
Tous mes votes sont dirigés contre ce que vous voulez nous imposer: aider les tortionnaires. Qu'est-ce que c'est que ce protocole financier, sinon de l'argent donné? Ce que nous demandons, c'est que nous cessions de payer les tortionnaires, de payer les exécutions, de payer les balles avec lesquelles on tue non pas une révolution, mais la démocratie européenne, le principe de démocratie.
Je pense, Madame le Président, et je souhaite que malgré nos différences, nous serons beaucoup ici à honorer les choses auxquelles nous croyons, à honorer l'histoire de notre Parlement, que, dans l'hypothèse contraire, les attitudes des Bangemann, Klepsch et consorts déshonoreraient à jamais.