SOMMAIRE: Depuis les débuts de l'intégration européenne s'est jouée une lutte sans merci entre les gouvernements luxembourgeois, français et belges à propos du siège du Parlement européen, qui finalement se partage entre trois villes : Luxembourg, Strasbourg et Bruxelles, avec comme corollaire perte de temps, d'énergie et d'argent. Pour sortir de ce conflit, Marco Pannella soutient la création d'un "district européen" qui comprenne Strasbourg, Luxembourg, une partie de l'Allemagne et de la Belgique. Ce projet est rejeté par les puissants lobbies immobiliers nationaux (07-07-81).
M. Pannella. - Madame le Président, chers collègues, je crois que si la commission juridique ne s'est pas saisie de ce problème, c'est que le dossier juridique est d'une lecture univoque. Nous ne pouvions permettre qu'en fût saisie la commission juridique, car la décision qu'une grande partie de cette Assemblée souhaite ou parait souhaiter ne pourrait être fondée juridiquement.
Madame le Président, nous pouvons probablement améliorer notre situation, mais si nous devons le faire à l'intérieur du respectdu droit ou des droits, nous n'avons qu'une voie à suivre: c'est avoir deux sièges au lieu de trois, à savoir Luxembourg et Strasbourg, puisque Bruxelles n'est prévu par aucun instrument juridique direct ou indirect. Cela peut plaire ou déplaire, Madame le Président, et je ne suis pas un légaliste à tout prix.
O combien je souhaiterais que notre Assemblée ait le courage de lancer un défi, aux traités, mais qu'il est lâche de vouloir lancer ce défi aux frais du Luxembourg, aux frais des minorités alors que nous acceptons tout du Conseil et même de la Commission, lorsque même des droits fondamentaux et le droit fondamental de l'Europe sont touchés.
C'est pour cela, Madame le Président qu'une fois de plus, je constate que, dans ce Parlement, on a commencé par toucher au droit des parlementaires qui ne peuvent plus prendre la parole, ce droit étant accordé aux groupes; on a commencé, en augmentant les urgences, à enlever aux minorités nationales le droit d'en demander; on a de plus en plus enlevé tout le respect dù aux familles politiques, et aux familles nationales; maintenant nous en arrivons à une décision qui serait juridiquement honteuse et je souhaite que le Luxembourg, si nous votons dans cette direction, au nom de l'Europe et au nom du droit, ne se soumette pas.
Ainsi, Madame le Président, alors que les dix gouvernements n'ont pas la force de se mettre d'accord, nous aurons amené ce Parlement à devenir le Parlement de la violence contre une minorité. Personne ne songe plus au district européen que seuls Strasbourg et Luxembourg pouvaient nous donner, et cela peut-être à l'encontre de certains intérêts immobiliers que nous aurions peut-être déjà à Bruxelles!
Madame le Président, je crois qu'il est triste que la commission juridique ait accepté de ne pas s'en saisir. Qu'elle ne l'ait pas fait, est un symbole. Ce soir, l'honneur du droit sera confié au petit Etat du Luxembourg et à son gouvernement... (Protestations sur certains bancs)
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M. Pannella. - Monsieur le Président, je crois que ce Parlement respecterait sa tradition, celle qu'il suit depuis deux ans au moins, en violant une foi encore le droit. C'est en quasi-violation des règlements existants que nous nous sommes constitués au mois de septembre 1979.
Vous avez introduit des réformes au Règlement qui compromettent toute possibilité d'agir non seulement de la part des minorités politiques, mais aussi de la part des députés en tant que tels. Vous avez officiellement enlevé toute possibilité aux minorités nationales représentées ici de demander des urgences et des débats, même si ceux-ci concernent l'existence même d'un de nos peuples, et pas seulement celle de l'un de nos Etats.
Je ne serais pas étonné que ce Parlement, selon cette tradition qui est désormais la sienne, aille davantage dans ce sens et commette ce soir un abus. Je serais presque surpris s'il en était autrement. Ce serait un abus que de bafouer le droit qui avantage d'une certaine manière Strasbourg et surtout Luxembourg. Mais il est encore plus indigne qu'on le fasse au nom d'une prétendue efficacité visant à avoir un seul siège. A cet effet, on établit pour la première fois un prétendu droit au bénéfice de Bruxelles. En effet, aucun texte n'a jamais imposé cette ville à notre Parlement. Bruxelles n'a jamais fondé sur un quelconque droit son exigence ou ses exigences, si tant estqu'elle en ait. Mais je me demande si cette exigence est bien celle de Bruxelles ou s'il s'agit de l'opinion d'autrui.
Ayant d'ailleurs parlé avec beaucoup de collègues, je dois dire, Monsieur le Président, que j'ai constaté avec une certaine stupeur que presque tous confondaient la question du siège de la Communauté avec le problème du siège du Parlement. Or, le problème du siège de la Communauté n'est pas une préoccupation pour 90 % de nos collègues. La Commission a son siège, les autres institutions ont le leur. Ne défendons pas une image, défendons ce que nous voulons comme Europe et comme institutions européennes.
Dans ces conditions, si l'on vient ici pour parler du district européen, on donne une fois de plus l'impression que l'on parle de n'importe quoi. Ah! ces fantaisistes de minoritaires et de radicaux italiens, un peu abusifs, qui viennent parler on ne sait pas très bien de quoi à une Assemblée tellement clairvoyante! Je le dis tout simplement, je n'ai plus le temps d'en parier, Monsieur le Président. Peut-être n'aurai-je bientôt plus de lieu légal pour le faire, puisque, après nous avoir enlevé le temps légal, vous nous enlèverez aussi le lieu légal, nous contraignant ainsi d'abuser non seulement du temps mais aussi des lieux et de la parole.
Cela dit, je voterai contre ce rapport, parce que c'est une véritable forfaiture que de prétendre qu'il faut le voter pour instaurer un lieu unique de travail, alors que, la situation étant celle qu'elle est, vous renforcez pour la première fois, au niveau du droit, l'existence simultanée de trois lieux de travail.
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M. Pannella. - Madame le Président, l'article 84 prévoit la question préalable. Nous allons passer à un vote qui, comme tout vote, mais plus que tout autre vote pose - nous l'avons vu ce matin - bien des questions juridiques lesquelles sont directement liées aux traités et à leur interprétation.
Or, Madame le Président, je crois que ce Parlement n'a, à aucun moment, été mis au courant des décisions qui, le 30 juin 1981, ont été approuvées unanimement par le Conseil européen. Je crois que c'est un fait dont nous devons prendre connaissance avant de passer au vote. Ainsi, tant que le Conseil, ou vous-même, si vous voulez, Madame le Président, ne nous aura pas informés de la décision unanime du Conseil du 30 juin, je crois que nous ne pourrons pas, valablement, passer au vote.
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M. Pannella. - Madame le Président, vous nous donnez là une précieuse information qui nous manquait, à savoir que le Conseil européen qui, le 30 juin, au soir, a communiqué à la presse quelles étaient ses décisions en ce domaine, n'aurait encore à ce jour fait aucune communication au Parlement. Mes félicitations au Conseil. Madame le Président, s'il est vrai que tout le monde, même la presse, est au courant d'une décision de ce genre, tandis que le Parlement, lui, n'en a reçu aucune communication !