Radicali.it - sito ufficiale di Radicali Italiani
Notizie Radicali, il giornale telematico di Radicali Italiani
cerca [dal 1999]


i testi dal 1955 al 1998

  RSS
gio 27 feb. 2025
[ cerca in archivio ] ARCHIVIO STORICO RADICALE
Archivio Partito radicale
Sofri Adriano, Pannella Marco - 27 settembre 1981
PANNELLA EST-IL FOU? PEUT-ETRE. ET NOUS?
par Adriano Sofri

SOMMAIRE: Interview de Marco Pannella dans les bureaux des radicaux au Parlement Européen. [Cette interview est publiée dans le numéro du journal qui paraît au moment de la grande marche Perugia-Assisi, et fait partie d'un service de trois pages consacré à la faim dans le monde]. Pannella, qui est en plein jeûne, arrive de Stasbourg et se prépare à partir pour New York...

Avec quels objectifs? Actuellement, il est en train de collecter les signatures des parlementaires européens sur la "résolution" présentée au P.E. Les résultats semblent excellents et même supérieurs à ceux de la collecte des signatures des Prix Nobel sur l'appel. Les députés de gauche signent, mais aussi les députés de droite. Unique réticence: le Pci.

Le problème, selon Pannella, est simple: il s'agit de sauver trois millions de vies humaines pendant douze mois. Il suffirait qu'un Chef d'Etat le décide, pour que l'on puisse entamer rapidement les procédures nécessaires:il suffirait de »renforcer et coordonner les opérations déjà existantes dans les zones qui ont le taux de mortalité le plus élevé...

Question: »Comment choisir la région pour cette intervention?

Réponse: »Dans les "oasis" les plus déshéritées, pour "combattre les taux de mortalité" par des interventions précises et une "aide intégrée", comme on l'a fait, par exemple, au Cambodge; et tout cela "à travers une conversion des structures militaires". Il s'agit de réaliser une intervention d'"urgence" de laquelle puisse partir un "processus structurel".

Si un tel processus était mis en route, "les autres pourraient-ils rester inactifs?" Ou bien y aurait-il au contraire une "nouvelle émulation?". Pannella examine les "objectifs majeurs" du projet, des préjudices idéologiques" aux "méfiances" des pays qui ont déjà une politique d'aides mais n'aiment pas ce qu'ils leur semble-être de "l'assistance", etc...

En ce qui concerne les "dangers de guerre", Pannella envisage une hypothèse de politique exercée par un "gouvernement" radical: depuis la sortie du pacte militaire Otan, à la dénonciation du totalitarisme soviétique, au lancement d'une politique de défense nonviolente à partir du désarmement unilatéral (qui ne signifie absolument pas "fléchissement". Pannella nous avertit enfin qu'il ne veut pas faire cette campagne "tout seul", car cela serait une erreur et celle-ci n'aboutirait pas.

(LOTTA CONTINUA, 27 Septembre 1981)

(Après un mois de jeûne, avec un objectif extraordinaire: arracher à la mort trois millions de personnes qui meurent de faim)

Bruxelles, 22 septembre

Pour rencontrer Pannella, et me faire raconter les raisons et les espérances de sa lutte, je suis venu à Bruxelles, dans les bureaux des radicaux du Parlement Européen. Bureaux étranges. Ils ressemblent, à quelque chose près, à tous leurs bureaux de part le monde. Puis il y a d'autres pièces, très nombreuses, avec des tables vides, des sièges vides, des étagères nues, des portes grandes ouvertes, des plaques avec le nom des députés titulaires: on se demande s'ils sont partis pour toujours, ou s'ils doivent encore arriver pour la première fois.

Pannella est arrivé aujourd'hui de Strasbourg; pour repartir aussitôt pour New York en faisant une courte halte à Paris. Puis ce sera encore Strasbourg, et dimanche il compte être à Perugia. Multiplier ses activités rentre dans les normes. D'aucuns disent qu'il exagère. Il a maigri de 14 kg. Il s'est expliqué dans un journal français: »Pour les médias le problème est clair: contrairement au cochon qui se vend bien lorsqu'il est gras, le gréviste de la faim se vend d'autant mieux lorsque son poids baisse. C'est la loi du marché... . Il me parle de la résolution présentée au Parlement Européen, désormais destinée à rassembler une formidable majorité de signataires.

»Ils signent, les uns après les autres, bien qu'aucun chef de groupe n'ait décidé d'adhérer. Et pas seulement des députés de gauche. Des conservateurs anglais, qui forment une sorte de département prussien du Parlement Européen, ont déjà signé. Tyndemans, Zaccagnini, Gonella ont signé. Les indépendants de gauche italiens ont signé, Baduel, Glorioso, Carettoni, Ippolito, Squarcialupi. Le seul groupe qui, sans exception, n'a pas signé c'est celui du Pci .

»Ce résultat est surprenant. Comment se fait-il?

»Parce que les gens, lorsqu'ils touchent les problèmes du doigt, ils marchent. Si l'information circule, l'extermination est vaincue, et cela est aussi valable pour les hommes politiques, qui très souvent n'ont aucune idée de la gravité du problème et encore moins du moyen de l'affronter . Déjà l'appel des Prix Nobel avait obtenu une adhésion exceptionnelle: 54 signataires.

»Nous n'aurions jamais osé l'espérer. Auparavant, les documents collectifs des Prix Nobel n'avaient même pas atteint dix signatures. Et il y en a eu certains, comme Pauling, qui n'ont pas signé parce qu'ils trouvaient que le lien avec le désarmement n'était pas assez souligné! Par ailleurs, il y en a eu d'autres qui auraient voulu conditionner l'adhésion à un prononcement sur le contrôle des naissances, ou, qui ont dit, comme ce grand homme de sciences, qu'il est terrible de voir mourir tant de gens, mais il n' y a pas d'autre choix,ou bien ce sont eux qui meurent, ou bien c'est tout le monde...

»Pourquoi une telle aversion pour le Pci?

»Ça n'est pas nouveau! Il suffit de parcourir les actes parlementaires italiens. Le Pci s'est opposé à l'auto-convocation, il s'est opposé aux initiatives symboliques (et gratuites) comme la semaine de deuil, etc... C'est peut-être un hasard, mais c'est durant la période de l'unité nationale que le niveau le plus bas des cotisations pour les aides italiennes au Tiers-Monde a été atteint .

»Voyons ce que vous proposez .

»L'oeuf de Colomb. Cesser de laisser crever les gens au nomde la nécessité d'un développement futur .

»Essaie de décrire ce qui peut arriver, dans les détails, comme dans un rêve .

»C'est un rêve réaliste. La chose commence avec un Chef d'Etat et de Gouvernement - par exemple l'Italie - qui se présente devant les téléspectateurs et qui déclare la guerre à la faim. Il en explique, simplement et avec précision, les termes. Objectif: sauver pendant douze mois la vie de trois, quatre millions de personnes; localisations, procédures, instruments, coûts. Simultanément, sont convoqués les ministres compétents (Défense, Affaires Etrangères, Santé, Travaux Publics) et les Chefs d'Etat-Major. On leur donne mandat de concorder un programme opérationnel, à une échéance donnée. Je propose par exemple, que l'opération soit lancée le 1er janvier 1982. Pendant ce temps l'Italie communique aux autres gouvernements, à travers ses représentants diplomatiques et une délégation spéciale au sein des Nations-Unies, qui pourrait-être conduite par le Chef de l'Etat lui-même, la décision unilatérale de rehausser sa propre cotisation d'aide au développement à 1,4%. Comme en cas de guerre, on demande l'inter

vention d'urgence. On invite à Rome les responsables des organismes internationaux, dont la coopération est déterminante pour le succès du plan: Monsieur Morse, directeur général du Pnud, l'organisme pour la programmation du développement aux Nations-Unies, Monsieur Saouma, directeur de la Fao, Monsieur Williams, du Conseil Mondial de l'Alimentation, Pisani, responsable de la Commission Européenne, et encore, les directeurs de l'Organisation Mondiale de la Santé, du Bureau International du Travail, de l'Unicef. Il ne s'agirait pas d'une conférence consultative, de celles qui, dans la meilleure des hypothèses, renvoient aux calendes grecques, comme vient de le proposer, avec quelques bonnes intentions mais dans un malentendu total, le Ministre Colombo; mais au contraire, d'une réunion opérationnelle, afin d'appliquer la décision de sauver, pour une durée de douze mois, trois millions d'êtres humains. Il s'agirait, tout simplement, de renforcer et coordonner des opérations déjà existantes, dans les zones qui o

nt le taux de mortalité le plus élevé, en commençant par appliquer les programmes déjà délibérés mais jamais réalisés

»De quelle manière choisir la région pour cette intervention?

»Données en main. Le Tiers-Monde n'est pas constitué par un certain nombre d'Etats, que par quelques oasis à l'intérieur de plusieurs pays différents, entourées du Quart-Monde. En 1995, il y aura dans le Tiers-Monde, 35 mégalopolis avec plus de 5 millions d'habitants. Prenons les 6 millions 500 mille morts par an en Afrique. Avec un Taux de mortalité "normal", toujours supérieur au taux européen, il ne devrait y en avoir que 2 millions 600 mille. En outre, il faut tenir compte des pays plus développés, comme l'Afrique du Sud, où la mortalité moyenne est beaucoup plus basse; et de la différence locale, qui fait que, si dans l'ensemble de la Corne d'Afrique il y a un taux de mortalité moyen de 25/1000 et à Addis Abeba il descend à 14/1000, cela signifie qu'en Ogaden on arrive à 40-50/1000. Combattre les taux de mortalité n'est pas difficile. L'expérience du Cambodge est éloquente: en 14 mois on est passé de 180 à 19/1000, et l'explication ne se limite pas à la fin des atrocités de Pol Pot. Dans de nombreu

x cas, c'est une sordide question de disponibilité d'argent. Par exemple, l'OMS affirme que pour faire disparaître le paludisme il suffirait d'un milliard de dollars. Ou bien, devant la famine il faut des interventions d'urgence pour fournir des biens alimentaires. Si l'on élimine le paludisme, la mort par la faim et la misère continue à faire des ravages. Si l'on intervient contre la famine,c'est le paludisme qui subsiste. Une coordination, qui assure l'aide intégrée, est décisive. Cela est évident mais incroyablement rare

»Pourquoi fais-tu référence à l'emploi de structures militaires?

»Parce qu'aucune intervention d'urgence n'est pensable aujourd'hui sinon à travers une conversion des structures militaires. Il suffit de penser aux transports, dont le coût réduit considérablement les aides, et dont les temps en détruisent l'efficacité. Une armée qui se comporterait sur le territoire de la faim comme une troupe d'invasion, est la seule chose qui puisse construire les structures indispensables. C'est comme la différence entre attendre qu'une autoroute soit construite et décider de se frayer un chemin et aller de l'avant. Il y a des aspects de cette aide qui ont des effets immédiats (médicaments, aliments, interventions de médecins). D'autres qui commencent à être efficaces après des mois: semences, outils, etc... Pour assurer la durée il faut construire des silos, des hangars. Il s'agit de garantir la vie, le reste on verra après. C'est un exemple qui tient compte des effets techniques, psychologiques et idéologiques, qu'une initiative de ce genre aurait sur les armées des pays riches .

»Cela paraît même trop simple

»Mais ça l'est. Si tu savais quelles sont les choses qui comptent vraiment, concrètement. Par exemple que les bidons de butteroil soient de dix kilos au lieu de vingt, afin que les femmes puissent aller les chercher à pieds, et les porter sur la tête au lieu de dépendre des transports. Ou bien un changement dans la largeur des mailles des filets de pêche, comme au Niger,ce qui améliore le rendement au-delà de leurs propres nécessités .

»Il est naturel d'objecter: sauver 3 millions de personnes c'est très bien, mais les 27 autres?

»C'est justement la question. Qu'il y ait des gens pour sauver, de leur côté, un dixième des condamnés à mort par la faim! Les autres ne pourront pas rester inactifs. N'est-il pas important qu'il y ait une nouvelle émulation? Que les pays du Tiers-Monde considèrent avec reconnaissance le pays qui donne l'exemple? J-J. Servan Schreiber voit juste lorsqu'il dit que parmi toutes les raisons de la paralysie des immenses richesses comme celles des pays de l'Opec, il y a l'absence de "grands évènements", capables d'attirer et d'exalter, et de légitimer des investissements.

»Tu donnes beaucoup d'importance au caractère de légalité de votre action

»A fortiori dans ce domaine. Bien davantage qu'à Nuremberg, un procès contre le génocide par la faim a aujourd'hui une irréprochable base de droit. Dans les résolutions de l'ONU la condition du premier et du second monde est déjà complètement délégitimée. Aussi parceque l'on vote plus facilement sur les principes (y compris le droit à l'alimentation) pour ne pas voter sur l'argent. Cela devient cependant la base bien plus solide qu'une action qui entend obliger les défaillants - par intérêt, mauvaise foi ou stupidité - à l'application de leurs engagements .

»Quelles sont les plus grandes objections à la ligne de l'intervention immédiate?

»A part les préjugés idéologiques et les intérêts constitués, une ligne comme celle-ci suscite paradoxalement, de plus grandes méfiances dans des pays comme la Hollande ou le Danemark, où la politique des aides est plus traditionnelle, si bien que l'on se méfie de l'assistance, on crée le mythe du développement, etc...

Toutefois, il y a plusieurs années, un homme comme Gunnar Myrdal soutenait des positions identiques aux nôtres, mais il fut rapidement liquidé comme humanitaire

»Vous-autres, tout en insistant sur le lien entre la lutte contre la faim et l'opposition aux armements, vous attribuez cependant à la première une priorité morale .

»"Politique" est plus exact. Le respect pour la vie vient avant toute politique et le respect pour la vie d'autrui, à cause de son caractère laïquement sacré, est la condition du respect pour soi-même. La mort que l'on accepte en dehors de soi est déjà acceptée en soi. Et même dans le sens politique le plus extrême, que peut-on s'attendre, au sujet des retraites et du chômage, de la part de ceux qui acceptent de cohabiter passivement avec la mort par la faim? Quant au lien avec la lutte antimilitariste, il est très étroit - on a presque envie de dire "dialectique". ce que nous savons c'est qu'il ne faut jamais miser sur la peur, la peur conduit au fascisme.

Les super-puissances et leurs satellites pourraient très bien continuer de jouer à l'escalade des armements pendant deux ans, et trouver quand même le moyen de faire survivre, comme l'annonçait de manière explicite la Commission Carter, trente millions de personnes

»Quelle est, aujourd'hui, votre position sur les dangers d'une guerre?

»Je peux te dire ce que ferait un gouvernement radical. Il sortirait du pacte militaire Otan, tout en restant dans l'alliance Atlantique. Il ne se lasserait pas de répéter que le totalitarisme soviétique delendum est comme le nazisme et le fascisme des années Trente, comme les régimes qui portent en leur sein la vocation de la guerre. Depuis des années nous traitons l'Urss avec la politique de Munich, avec l'illusion d'amadouer le monstre. Mais revenons à notre gouvernement: il annoncerait le désarmement total dans un délai de dix ans et il en préciserait les échéances. Il se préparerait à réagir au moindre mouvement agressif de l'adversaire par une campagne nonviolente de vérité. Il emploierait l'efficacité positive de la propagande qui fait plus peur que l'agression. Si une partie - même réduite - de la dépense militaire était destinée à produire et élargir la gamme infinie des technologies de l'information; si l'on opposait aux actes agressifs le bombardement de la vérité, par les mille façons aujour

d'hui possible, chez les gens des pays "ennemis" on obtiendrait peut-être un moindre effet. Ceux qui croient à la course aux armements comme base aux négociations proposent un jeu à la surenchère complètement fou: les résultats de cette ligne sont sous nos yeux. Ceux qui croient que le désarmement unilatéral est un fléchissement, devraient réfléchir davantage, en termes purement militaires, aux expériences comme l'Iran par exemple, où les remparts fortifiés de l'Occident se sont écroulés de manière désastreuse. Ce qui s'est passé en Iran ne risque-t-il pas d'arriver également ailleurs? Et si l'on se prépare à poursuivre après avoir subi de telles défaites militaires, pourquoi ne pourrait-on pas décider d'autoriser un pays au désarmement, provoquant ainsi un processus en chaîne? Pourquoi, lorsque la Roumanie se déclarait disponible, a-t-on laissé passer l'occasion?

Nous sommes contre les nouveaux missiles, contre les nouvelles installations militaires, contre la bombe N. Mais nous savons aussi que dans une société où la grande majorité de l'investissement pour la recherche concerne l'appareil militaire, il est insensé de limiter le niveau technologique des armées .

»D'aucuns disent qu'après l'Irlande, ou bien on ne fait plus recours à la grève de la faim, ou bien on meurt .

»Avec deux autres députés européens, nous avions lancé un appel pour l'élection de Bobby Sands au Parlement. La presse conservatrice anglaise nous accusa même d'être responsable de son succès. Il y a aussi la vocation nécrophile des officiers de l'Ira. Quant à l'obligation de mourir, Montanelli avait dit, de son côté: "Ou bien Pannella mourra, ou bien il perdra sa réputation"

»N'est-ce pas une forme démesurée d'orgueil que la tienne de vouloir défendre des millions de personnes?

»D'abord je ne suis pas le seul; et même je dois dire que nous avons rarement trouvé tant de cohésion dans notre travail commun comme dans cette lutte. Orgueil, non, je ne crois pas. J'y pense beaucoup. Je sais depuis longtemps, depuis qu'en 1953 il m'arriva de devoir assumer la présidence de l'Ugi - qui n'était pas encore la clique de politiciens qu'il est devenu par la suite - je sais qu'une chose qui ne dépend que de moi est une chose qui ne va pas très bien. Ce qu'un homme politique comme moi, et que je revendique être complètement, peut faire de bien et d'important, dépend de nombreux facteurs, et aussi de la qualité et de la médiocrité des autres politiciens. J'ai de mon côté la longue durée de mes expériences et de mon amour .

»Si un jeune te disait qu'il est complètement d'accord avec toi, et voulait faire lui aussi la grève de la faim à outrance, qu'est-ce que tu lui répondrais?

»De laisser tomber, qu'un suicide n'est pas utile. La signification d'un jeûne comme celui-ci dépend de l'histoire, du bagage culturel qu'il a derrière lui. Notre lutte est une manière de vivre - ce n'est pas une activité particulière, ni une manière de mourir. Je dirais à cette jeune personne d'écrire une lettre aux journaux, et s'il en a envie, d'en écrire une dizaine, au lieu d'utiliser d'un seul coup la force et la faiblesse d'un jeûne à outrance .

 
Argomenti correlati:
stampa questo documento invia questa pagina per mail