par Marco PannellaSOMMAIRE: Lettre à Bernard Henri Levy, intellectuel et écrivain français, en réponse aux accusations que ce dernier avait lancé à Pannella pour avoir participé au Congrès du M.S.I (1).
(Langue de l'original: français)
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24 février 1982,
Tout pharisien devrait pourtant savoir que je pousse en liberté dans les jardins mal fréquentés. Tout croquant d'Europe n'ignore désormais pas qui nous sommes: une bande de pédés et de lesbiennes, de drogués, d'avorteurs, de fossoyeurs de tout sacrement - de celui du mariage à celui du baptême - , d'insoumis, de traîtres ( à la patrie, à la gauche, aux espoirs généreux de BHL...), de repris de justice, de youpins et de bougnouls. Radicaux-fascistes quoi, et radicaux-brigadistes: n'appelions-nous pas les brigadistes rouges "camarades assassins"? tombeurs pétainistes de franc-maçons (P2 et autres calomniateurs de Présidents de la République qui en démissionnent...
Et - de plus - pardonnez moi, oublierons nous les faux-jeûnes aux vrais cappuccini, et de mêler le sacré et le profane, les millions de l'holocauste nazi - si européens, si aryens au fond - avec les dizaines de millions de victimes de l'histoire de ces temps-ci - si noirs, si jaunes, si pauvres, si différents au fond... - et, enfin l'élégant mépris que nous avons fini par mériter de la part de gens si tolérants, si libéraux, si objectifs, si prestigieux que ceux de "Le Monde", "Le Nouvel Observateur", ou des messieurs El Kabbache, Vramont et Jamot, qu'ils soient ceux d'hier ou ceux d'aujourd'hui?
Pensez: je me joindrai même, avec mes troupes en débandade, pour essayer de parer à ma dernière gaffe si symptomatique, à l'"objectif survie 82" qui dès le 1 er Mars verra engagés en Europe quelques milliers de gens trompés (les Nobel, les parlementaires européens, ceux italiens, belges, luxembourgeois, canadiens, neo-zélandais...) à l'enseigne: "Jour J moins 100), pour assurer la survie de 5 millions de personnes.
Pensez, quel scandale! je suis allé au congrès du MSI au nom de mon parti.
J'y ai parlé - à ces assassins, ces ignobles - d'antifascisme, des martyrs antifascistes Carlo et Nello Rosselli (2), assassinés par nos ancêtres de la cagoule sur mandat de nos services secrets, d'un communiste comme Terracini (3), d'Ernesto Rossi (4), condamnés à vingt ans de prison, à cause de leur opinion, des "crachats", injures et indignités que ces messieurs et dames présents au congrès nous ont réservés durant une décennie alors que nous ne cessions, nous les radicaux, de les défendre en justice, au parlement, dans les rues contre les lois fascistes et le comportement fasciste qui restent intacts - égratignés seulement par nos assauts 37 ans après la Libération et la prise de pouvoir des... "antifascistes".
J'y ai parlé - à ces assassins, à ces ignobles, à ces exterminateurs de youpins d'hier et véritables "youpins" d'aujourd'hui pour leur dire que l'antifascisme, que notre antifascisme, que celui des Rosselli, des Rossi, des Terracini lutte pour leur liberté, pour la liberté en premier lieu des adversaires et des ennemis, pour qu'ils croissent "en qualité" ainsi que seul "le jeu démocratique" peut l'assurer et l'exige. A ces assassins qui nous crachaient dessus pendant que nous les défendions lorsque nos frères - bien des nouvelles et vieilles gauches assassinaient l'un après l'autre, 27 jeunes assassins du MSI, pour venger "nos" assassinés par eux!
Et ces assassins, ces ignobles, malgré Almirante (5) jaloux, m'ont applaudi, nous ont applaudis. Et longuement. C'est vrai, et j'en suis fier, car jamais, jamais aucun d'eux n'aurait autrement qu'après nos luttes de vingt ans rendu cet hommage à ceux qui ont donné corps, parole, témoignage, d'antifascisme et à leurs idéaux. Cela n'a été peut-être qu'un moment de contradiction, d'explosion instinctive, mais quelle contradiction, et quels instincts!
Je continuerai donc à violer les ordres qui exigent qu'il y ait toujours au moins un ghetto dans chaque société, et que chacun soit antifasciste pour soi et les siens et fasciste pour les autres. Nous voulons convaincre, "vaincre" avec". Nous ne voulons battre personne.
Mais - au fait - pourquoi trouvaient-ils tous si frappante ma formule: le nazisme que nous avons battu comme régime, nous domine aujourd'hui comme culture et comme pouvoir? Je ne suis pas écrivain ni rétheur.
Que les gens bien intentionnés, jeunes et vieux juges en bois brut, frères et soeurs de si bonne conscience à si bon marché et si élégamment neo-nazis anti-paleo-nazis, que tous se détrompent. Nous ne croyons, nous, qu'à la rigueur et à la vigueur de l'utopie, et de la praxis démocratique, de la démocratie politique, de la tolérance et de non-violence actives, à l'esprit des lois et à l'Etat de droit, à la radicalité évangélique d'un certain juif d'antan, à l'espérance à laquelle il faut donner corps, qui est dialogue, fermeté et même dureté dans l'amour et la vie, qui est salut. Salut, satyagraha BHL.
En exergue: Bernard Henri Levy a cité un extrait de "Lettres luthériennes", cette citation est incroyablement déroutante, elle n'est pas seulement inexacte et mal interprétée pour le besoin de la cause de BHL mais censurée du fait que Pasolini (6) - à ce sujet - a fait beaucoup plus scandale encore que Pannella aujourd'hui. Voici quelques autres extraits.
Marco Pannella
Les pères ne sont donc pas seulement coupables de violence du pouvoir, du fascisme. Mais ils sont aussi coupables: primo, du refoulement de la conscience, de la part de nous antifascistes, du vieux fascisme, et de nous être commodément libérés de notre profonde intimité (intimité est souligné par Pasolini) avec lui (Pannella). Secundo, et surtout de l'acceptation - d'autant plus coupable qu'elles est inconsciente - de la violence dégradante, et des vrais, immenses génocides du nouveau fascisme.
(pages 11/12)
On a fait de l'ironie, on a ri, on a accusé. Ce que je dis est indigne d'autre chose. Je ne suis pas une personne sérieuse. Mais mister Huly Long et mister Geoffrey Barraclough? Le premier a dit, et le second a cité et approuvé, la phrase suivante: "Le fascisme peut revenir sur scène à condition qu'il s'appelle antifascisme".
(pages 125/126)
Pasolini aux radicaux
Donc il faut lutter pour la conservation de toutes les formes, alternes et subalternes, de cultures, c'est tout ce que vous avez fait dans toutes ces années, surtout les dernières. Et vous avez réussi à trouver des formes alternes et subalternes de culture partout: au centre de la ville, et dans les recoins les plus lointains, les plus morts, les plus infréquentables. Vous n'avez aucun respect humain, et vous n'avez accepté aucun chantage.
Vous n'avez pas eu peur ni des maquerelles ni des publicains, ni c'est tout dire des fascistes.
(page 193, intervention écrite par Pasolini pour le dernier congrès radical).
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NOTES:
1 - MSI: Mouvement Social Italien. Parti d'extrême droite, fasciste.
2 - Carlo Rosselli: (1899-1937) Homme politique italien. Parmi les fondateurs du Mouvement "Justice et Liberté" (1929); combattit en Espagne avec les républicains, fut assassiné avec son frère ( Nello ) par les services secrets italiens. Figure importante de l'antifascisme italien en éxil, fit une synthèse des valeurs libérales et de la doctrine socialiste.
3 - Umberto Terracini: (1895-1983) homme politique italien, fut l'un des fondateurs du PCI, le Parti communiste italien. En 47-48, fut président de l'Assemblée Constituante.
4 - Ernesto Rossi: (1897-1967) homme politique italien. Dirigeant de "Giustizia e Libertà" (1929), fut arrêté en 1930. Promoteur du Mouvement fédéraliste européen et parmi les fondateurs du Parti radical.
5 - Giorgio Almirante: (1914-1988) Homme politique italien. Secrétaire du MSI, le Mouvement social italien, (69-87).
6 - Pier Paolo Pasolini: (1922-1975) célèbre écrivain et metteur en scène italien. Inscrit au Parti radical.
Auteur des "Lettres Luthériennes".