SOMMAIRE: La nouvelle "pensée militaire" a réussi à utiliser les manifestations pacifistes des deux dernières années pour soutenir le réarmement "conventionnel" de l'Europe. "Ces dernières manifestations de dissension - affirme le Chef d'Etat Major de l'armée, le général Cappuzzo - sont aussi le signe d'une situation de malaise que la logique nucléaire, dans son immobilisme de désormais plus de trente ans, a induit dans l'opinion publique mondiale". Les 90.000 travailleurs de l'industrie de guerre italienne, et les près de 200.000 militaires de métier, ne fut-ce que pour défendre leur poste de travail, doivent garantir non seulement le maintien, mais la hausse constante du "chiffre d'affaire" de l'ensemble militaire-industriel. Il appartient aux radicaux d'essayer de nourrir la volonté de paix avec des objectifs concrets qui aient une incidence sur les causes structurelles du militarisme: une connexion étroite entre la lutte pour la sécurité et la lutte contre l'extermination par la faim; la réduction des dé

penses militaires et la conversion de l'industrie de guerre.

(NOUVELLES RADICALES n. 6, 28 mai 1982)

Prenant l'occasion de la vague protestation antinucléaire, Cappuzzo en vient même à mettre en discussion la fameuse stratégie de la "réponse flexible" et les "années de l'équilibre de la terreur qui... se sont révélées, à long terme, comme des années d'"impasse" sans perspectives". "Une impasse, à vrai dire, contraignante et couteuse, sous le profil des ressources matérielles, et encore plus dans le cadre conceptuel; à la paralysie nucléaire peut correspondre, d'une part, une forme dangereuse de sclérose intellectuelle - entendue comme une renonciation à la recherche de voies d'issue - et de l'autre l'usure morale des opinions publiques et des organisations militaires". Cappuzzo reprend intégralement les thèses de Robert Mc Namara, George Bundy, George Kennan et Gerard Smith qui avaient souhaité la révision de l'élément central de la doctrine militaire de l'OTAN, c'est-à-dire la volonté d'utiliser les premiers les armes nucléaires tactiques pour se défendre contre une agression soviétique éventuelle en Europ

e, proposant une déclaration unilatérale de "no first use" de la bombe atomique. La conséquence obligée d'une nouvelle doctrine militaire qui prévoit exclusivement la marginalisation de l'arme nucléaire - l'équation: équilibre des armes = sécurité et paix, étant toujours valable - résiste au renforcement spasmodique de la composante militaire conventionnelle avec laquelle "faire face" à l'indiscutable supériorité soviétique dans ce secteur. L'absence dans le soi-disant "mouvement pacifiste" tant d'une claire dénonciation de l'équation sur l'équilibre des armes, que de l'importance des conditionnements de l'ensemble industriel sur les choix stratégiques, et de la prééminence de l'affrontement nord-sud dans le monde entre les diverses menaces pour la sécurité permet et dilate ces évolutions dangereuses de la nouvelle "pensée militaire".

LA CIBLE EST LE TIERS-MONDE

Je ne voudrais pas être considéré un philo-nucléaire: Mc Namara lui-même nous avertit des limites de sa thèse, lorsqu'il reconnait que "personne, des deux côtés, ne pourrait garantir avec le maximum de sécurité qu'en cas de conflit conventionnel de vastes proportions, on n'aurait pas effectivement recours aux armes nucléaires". Par conséquent, du point de vue strictement stratégique et militaire le danger d'un conflit nucléaire "limité" avec une "escalation" probable vers l'utilisation des armes stratégiques ne serait pas écarté. Par ailleurs cette doctrine stimulerait, comme nous l'avons déjà vu, un processus irréfrénable de réarmement conventionnel et l'encouragement de ces poussées qui présument le dépassement de l'"impasse" (dont a parlé Cappuzzo) avec la continuation de la politique au moyen de guerres "limitées" qui, comme nous l'avons vu dans le cas des Malouines et du Liban, sont praticables dans le Sud du monde. Les pays sous-développés, producteurs de pétrole et de matières premières sont les suje

ts de la nouvelle pensée militaire susceptibles de subir presque intégralement le coût humain de la guerre.

La nouveauté et la positivité de la proposition de Mc Namara est entièrement dans la procédure unilatérale envisagée. On affirme en effet que, au-delà de la signification technique des "thèses", des initiatives unilatérales de l'OTAN auraient des conséquences immenses en URSS et dans les pays "socialistes", mettant en crise le "ciment" qui garantit la solidarité des citoyens avec le régime et sa politique de réarmement et d'expansionnisme militaire: l'ensemble de l'encerclement militaire de la part des pays "capitalistes". La priorité des considérations politiques sur les considérations techniques et militaires s'affirme donc dans l'analyse et dans l'exposition de procédures de désarmement. Hélas cet aspect des thèses de l'ancien secrétaire américain à la défense est totalement refoulé par les militaires; ceux-ci essayent de marier l'exigence de donner une "gratification" aux mouvements qui se basent essentiellement sur la crainte émotive de l'holocauste à celle de renforcer, en accord avec les industriels d

e la guerre, la composante conventionnelle des forces armées. Tout cela dans la perspective de pouvoir non seulement l'"exhiber" à l'intérieur de la stratégie statique de la dissuasion, mais de l'utiliser aussi probablement, naturellement pour défendre les intérêts vitaux de l'occident dans le Sud du monde.

INTERETS INDUSTRIELS ET OUVRIERS

Le moteur de cette "révolution" de la pensée militaire européenne est constitué par les intérêts solidaires des industriels de la guerre et d'une large tranche de la classe ouvrière, conditionnés ensemble par l'exigence d'étendre la demande intérieure et internationale de systèmes d'arme conventionnels.

Les 90.000 travailleurs de l'industrie de guerre italienne, les près de 200.000 militaires professionnels doivent garantir, ne fut-ce que pour défendre leur poste de travail, non seulement le maintien mais la hausse constante du "chiffre d'affaire" de l'ensemble militaire-industriel. Les besoins monétaires du programme de réarmement voulu par Lagorio pour assurer un volume de la demande intérieure d'armes conforme aux dimensions de cet ensemble industriel est, aux prix de 1982, de l'ordre de 22.000 milliards, alors que projeté en 1986 ils atteignent la somme de près de 70.000 milliards de lires. Dans les conditions politiques actuelles, le budget ordinaire de l'Etat pourra difficilement faire face à ces traites. Seuls des événements exceptionnels capables de solliciter "l'orgueil national" pourraient convaincre les italiens de serrer ultérieurement leur ceinture.

Pour trouver un exemple convainquant des mécanismes qui pourraient autoriser un tel effort économique italien nous devons nous adresser à la Grande-Bretagne qui, en un mois, a réussi à mobiliser des ressources supplémentaires de l'ordre de trois mille milliards de lires et à hypothéquer les budgets militaires des prochaines années pour des montants encore supérieurs, grâce au consensus pour la guerre de reconquête des Malouines.

La nouvelle "pensée militaire" prépare une telle issue aux poussées militaristes ancrées si solidement aux besoins de secteurs importants du monde du travail et de la production. Mais la vieille pensée pacifiste n'est pas même en mesure d'apercevoir les débouchés pervers de sa vague action politique manquant tellement d'objectifs ne pouvant être exploités par les "colombes" de la caste militaire.

Il nous appartient donc de nourrir la volonté de paix pourtant répandue dans notre pays avec des objectifs concrets qui aient une incidence sur les causes structurelles du militarisme: une connexion étroite entre la lutte pour la sécurité et celle contre l'extermination et l'exploitation des habitants du sud du monde; la réduction des dépenses militaires et une proposition contextuelle de plans de conversion de l'industrie de guerre.

Sans ces objectifs, le "mouvement" sera non seulement désarmé et impuissant face à la tendance dominante de donner la parole aux canons pour résoudre les conflits internationaux, mais facilement exploitable par ceux qui parlent chaque jour de paix et qui travaillent pour le renforcement des instruments de guerre.