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Sciascia Leonardo - 24 luglio 1982
Le Suicide de Roberto Calvi
par Leonardo Sciascia

SOMMAIRE: La mafia n'a eu aucun rapport avec la mort de Roberto Calvi. A partir de cette thèse, l'auteur analyse les éléments qui portent à appuyer l'hypothèse du suicide plutôt que celle de l'assassinat.

("Il Globo", 24 Juillet 1982)

L'une des choses les plus sensées et les plus claires qui ont été dites ces jours-ci sur la mafia et la finance, c'est le billet de Pino Arlacchi dans "La Repubblica" du 10 Juillet, intitulé justement:"Nouvelle mafia et grande finance". En partant de ce billet, on peut formuler l'hypothèse plausible qu'à partir de 68, la mafia s'est retrouvée avec plus d'argent que d'idées sur son emploi. Arlacchi dit: "La rapidité avec laquelle les capitaux de la mafia ont été accumulés a empêché jusqu'ici leur transformation en bien d'investissement. Ils se trouvent encore en bonne partie sous "forme liquide" et demandent -pour être convenablement administrés- la mobilisation de compétences financières d'ordre très élevé". En somme: la mafia en soi, n'était pas prête à les gérer; et dans le système américain elle ne pouvait pas obtenir de collaborations ou de complicités d'ordre très élevé. Elle fut donc obligée de se servir de systèmes financiers et bancaires plus ouverts et moins contrôlés, et qui semblaient être e

n expansion croissante, précisément à cause de leur mobilité incontrôlée. Le fallacieux processus d'accroissement de tels systèmes a quelque analogie avec la fable de la laitière et le pot-au-lait qui, au moment-même où elle rêve de richesse et de puissance, trébuche et fait tomber le pot. Mais l'analogie n'a de sens que si nous disons que dans les systèmes en question, ou le lait était inexistant ou bien il avait déjà été renversé depuis longtemps: et sans que personne ne s'en aperçût ou ne voulut s'en apercevoir.

Je n'ai aucune compétence en la matière et j'exprime seulement ici des impressions: mais de tels systèmes, dans un pays comme le nôtre et, il faut bien croire, dans quelque pays Sudaméricain, ont été imaginés par des gens d'une médiocrité sordide et qui, encouragés par des premiers coups de fortune, réussissent à croire et à faire croire qu'ils ont du génie et de la compétence: mais tout se réduit à des moments d'imagination semblables à ceux de la laitière qui portait son lait au marché -à cette différence près, qu'eux, imperturbables, continuent, même lorsque le lait a été renversé.

Je dirais que la donnée la plus probante et préoccupante de la corruption italienne ne réside pas tant dans le fait que l'on dérobe la chose publique et privée, que dans le fait que l'on dérobe sans intelligence et que des personnes de médiocrité absolue se retrouvent au sommet d'entreprises publiques et privées. Chez ces personnes la médiocrité s'accompagne d'un élément propre à la manie, de folie, qui n'apparaît pas sinon par quelque signe inoffensif mais qui, dès les premières difficultés, commence à se manifester et à croître jusqu'à les happer. On peut dire d'eux ce que Dannunzio disait de Marinetti: que ce sont des crétins avec quelque lueur d'imbécillité: sauf que dans le contexte dans lequel ils agissent, l'imbécillité apparaît -et dans un certain sens et jusqu'à un certain point c'est- comme de la fiction. Dans une société bien ordonnée ils n'auraient pas dépassé la qualification d'"employés de l'ordre"; dans une société en transformation, ils auraient été tout de suite écartés -ne pouvant rés

ister à la compétition avec les intelligents- tels de pauvres "chevaliers d'industrie"; dans une société non-société ils arrivent au sommet et ils y restent jusqu'à ce que le contexte-même qui les a produit ne les avale.

Incapable d'inventer un propre système d'investissement et dans l'impossibilité d'en trouver un plus fiable, plus sûr, la mafia n'a pu que s'adresser aux systèmes à bas risque et à profit élevé, qui du reste étaient dans ses cordes et l'on pourrait dire même, faits à son image. J'entends "mafia" dans le sens d'une confédération d'associations criminelles indéfinissables -de l'extérieur- comme était définissable la vieille mafia et selon ses intérêts, ses cibles, l'extraction des personnes qui s'y associaient. Aujourd'hui toutes les associations criminelles, dans le monde entier, ont des intérêts disparates, occultes et des enclaves contradictoires, elles apparaissent amorphes dans un processus d'association amorphe. Un processus d'association irréversible: réversible seulement dans la paix mondiale, dans la laborieuse collaboration des Etats, des peuples.

Le modèle -inégalé- en est la vieille mafia sicilienne; mais dans le fait de l'organisation, et non pas dans ce que l'on appelle maintenant "culture" et que l'on peut convenir être une vision de la vie, une façon d'être. Ceux qui aujourd'hui se distinguent dans une association criminelle auront peu de ressemblances avec les hommes comme don Vito Cascio-Ferro et don Calogero Vizzini. Et l'on n'entend pas par là reconnaître de la "noblesse" à la vieille mafia mais dire seulement qu'elle était différente.

Mais ce n'est pas de la mafia que je veux parler. Mais de Calvi, de sa mort. Et je n'exclus pas, et je peux sûrement admettre que des capitaux de la mafia sont entrés dans son système et ont été aventureusement dilapidés: mais contrairement à ce que dit Arlacchi en conclusion de son billet ("Le non-respect des promesses à bas risques et à profits élevés, et toute autre essentielle infraction des règles du jeu, ne se résout pas -dans ce milieu- devant un tribunal mais sous les arches d'un pont londonien"), je crois que la mafia n'a rien eu à voir avec la mort de Calvi. C'est une affaire qui apparaît compliquée: mais j'ai eu dès le début l'impression qu'elle le fut à la manière du béret de Charles Bovary. Flaubert le décrit dans une demi-page mais à un moment donné, comme s'il se rendait compte de l'"indescriptibilité" de l'objet, il le fait ressembler à la face d'un imbécile. Du reste l'imbécillité et les imbéciles sont toujours apparus à Flaubert terriblement compliqués.

L'intelligence -qui comme nous l'enseigne Poe est moins un esprit mathématique que poétique- est simple et simplifie: comme justement dans l'histoire de la lettre volée, où le ministre (qui est mathématicien mais surtout poète) imagine la simple et grande trouvaille de l'invisibilité par excès de visibilité; et l'investigateur (qui est poète avec des notions de mathématiques: comme Edgar A. Poe), facilement, par simple intuition, le découvre. En somme: l'affaire Calvi, plus que sous le signe d'une puissante et omnipotente association criminelle, m'est apparue immédiatement sous le signe de l'imbécillité. Macabre autant qu'on le veut, mais imbécile tout de même. Et je peux même dire qu'à peine j'ai appris sa disparition, avant-même que n'arrive la nouvelle de sa mort dans "Il Secolo XIX" du 13 Juin, je terminais une brève note par la considération, qui à ce moment-là pouvait apparaître inconsidérée, de combien fragile était la personnalité de Calvi, en contradiction avec le fait qu'il s'était trouvé à la

tête d'une banque effectuant des opérations tellement téméraires et périlleuses. Il m'était donc apparu clair que le mystère de la disparition de Calvi était à expliquer à travers Calvi lui-même, à travers sa fragilité mentale et psychique. Et en cela Calvi n'était pas un exemplaire unique: Virgillito, Giuffré et Sindona ne l'étaient pas moins; et de la même trempe se révèleront être ceux qui, exaltés par le même contexte de corruption, se trouveront demain à en être engloutis.

De cette conviction personnelle -que c'est Calvi qui a compliqué l'affaire Calvi et qui, en définitive, personne n'y a concouru sinon dans la présomption de l'aider à s'enfuir- j'ai parlé à Michele Tito, à Moravia et à Siciliano, et à d'autres amis. Et je dois avouer que j'ai ressenti un certain frein à en parler. Je suis fatigué d'être mal interprété, d'être accusé d'"alliance objective" avec ceux-ci ou ceux-là: que ce soit des imbéciles ou des esprits malins à m'accuser. Et il faut dire ici et maintenant que cette trouvaille des "alliances objectives" lancées en accusation contre ceux qui défendent certains droits civils que l'on veut oublier ou contre ceux qui ne sont pas d'accord avec les opinions totalitaires, est l'un des chantages qui pèse le plus dans la vie italienne, que l'on ne peut pas dire pauvre en chantages. Et je dois ajouter que j'ai été effrayé par le discrédit jeté sur la police anglaise de la part des organes de renseignements italiens: tout de suite, à peine a-t-on compris qu'à Lond

res, cette thèse semblait être la plus probable. Ce n'est peut-être pas la police anglaise du 80 ème District chère à Ed McBain, mais il me semble bien qu'elle jouissait d'un certain crédit en Italie, avant qu'elle ne déclare que Calvi s'était suicidé.

A partir de ce moment-là elle est devenue l'une des polices les plus inefficaces et désordonnées du monde; sans parler des soupçons de corruption dont on a commencé à l'affubler. Calvi avait été assassiné: un point c'est tout. Ceux qui osaient mettre en doute une telle certitude étaient des "alliés objectifs" et mêmes "subjectifs", de la mafia de la maçonnerie, de la mafia-Maçonnnerie...Et je crois qu'ici naissait l'indécision: alliés de qui pouvait-on proclamer ceux qui pensaient que Calvi s'était suicidé? En angleterre on le sait, la maçonnerie est plutôt forte; mais il ne semble pas qu'elle ait des précédents criminels notoires.

Cependant, insinuer quelque chose sur cette force, faire allusion à la symbologie des briques que Calvi avait dans sa poche, on pouvait à tout le moins...

Que Calvi ait été jugé psychologiquement fragile par un collège d'experts ne me semble pas une raison suffisante pour croire le contraire. Ça l'était. Et ça l'était avant même que, l'été dernier, un mandat d'arrêt ne destabilise sa sécurité. Il se croyait puissant, sûr de lui, intouchable; c'est cette image qu'il donnait de lui à ceux qui l'entouraient, adorateurs ou timorés. Mais un mandat d'arrêt et quelques jours de prison avaient suffi à le précipiter dans le désespoir: ce qui veut dire qu'il n'était pas aussi sûr de lui qu'il voulait le faire croire. On ne voulait pas croire vraiment, que dans la prison de Lodi, il avait tenté de se donner la mort:mais seulement sur la base du fait qu'il n'y parvint pas.

Je ne veux pas écrire un livre sur Calvi, ni suggérer à d'autres d'en écrire: il suffit de le mettre devant soi comme un personnage, et avec ce peu de pitié que l'opération comporte, pour que les faits trouvent, pour ainsi dire, l'ordre de son désordre. Qui trouve son reflet, si on se donne la peine d'y prêter attention, dans le bouleversement mental et dans le suicide de sa secrétaire.

Au moment où Calvi découvre qu'en Italie il y a des magistrats qui l'administrent et qui peuvent l'administrer avec lui, en l'anéantissant, voilà qu'il tombe dans un véritable processus schizophrénique: l'homme d'une ruse implacable qu'il croyait être, qui veut sauver l'homme fragile et vacillant qu'il était devenu. Sorti de prison, revenu à la présidence de la banque, il ne parle que pour retirer une déclaration faite en prison et qui -dit-il- lui avait été suggérée, et que dans un moment de particulière fragilité, il avait accepté de faire, comme gage pour obtenir sa liberté: pour le reste il se tait mais en nourrissant dans sa schyzophrénie le propos de payer, de payer tout le monde; et peut-être aussi celui d'éliminer physiquement quelqu'un.

Mais il n'y parvient pas. Il s'aperçoit même de se trouver dans une cul-de-sac. C'est -à-dire de se trouver sur le point qu'un autre mandat d'arrêt plane sur lui: et non pas pour les embrouilles financières, mais en tant que mandant de la tentative d'homicide du directeur général de la banque, ce fameux Rosone qui l'avait cru un dieu et maintenant le considère un pauvre homme fou de pouvoir, menteur, arnaqueur et arnaqué, la ruine d'une institution qui avait été solide et honnête. Mais même Calvi, il faut bien le dire, se croyait à la tête d'une institution solide et honnête.

On ne comprend rien, de son comportement, de son bouleversement, si l'on ne tient pas compte de l'image -précisément honnête et solide- que Calvi avait de la banque et qu'il transmettait à ses collaborateurs, Rosone compris et à sa secrétaire. Le "ragioniere" (expert-comptable, NDT) lombard autodidacte (et tous les hommes autodidactes en Italie c'est évident finissent par se faire mal) vivait dans la corruption- patrie comme tout être vivant dans sa propre peau.

Et ici il faut rappeler l'essai de Henner Hess sur la mafia: avec cette simple découverte essentielle que le mafieux ne sait pas qu'il est mafieux dans la notion qu'"extérieurement" on a de la mafia; c'est un bon citoyen d'un état qui "extérieurement" est appelé mafia et considéré en dehors de la loi. Ainsi Calvi se considérait un bon citoyen du système de corruption qu'il connaissait, acceptait et qu'il contribuait à accroître. Ce qui revient à dire qu'il y a des responsabilités d'ordre général, et pas seulement les siennes.

Calvi avait une frousse terrible de la prison. Certains l'ont jusqu'à la folie. En considérant les dates, on peut comprendre pourquoi début Juin sa peur grandissait, sa folie explosait. Le 18 Juin, Rosone est appelé par le juge qui instruit sur l'attentat dont il a été victime en Avril. A partir des questions, Rosone se rend très bien compte que c'est Calvi qui a donné mandat à Abbruciati de le tuer ou de le blesser pour lui faire peur. De la façon dont vont les choses dans nos bureaux judiciaires en ce qui concerne la lenteur et non pas la discrétion, est-il possible que Calvi ne sache pas -au moment où il décide de disparaître- que l'on ne mettra pas beaucoup de temps pour l'arrêter en tant que mandant? Il imagine donc une forme de suicide qui puisse apparaître comme un homicide, et qui en plus le fasse apparaître lui, comme une victime d'une intrigue compliquée et obscure, dans laquelle les malversations financières et le mandat d'homicide apparaissent dirigés par des forces puissantes et occultes.

Une forme de suicide très compliquée (le béret de Charles Bovary); et qui voulait être probablement vindicative. Mais acceptons pour un moment l'hypothèse que Calvi a été assassiné, raisonnons par l'absurde. Et même, pour faciliter cette démonstration, ne nous occupons pas du mobile: qui est toujours essentiel mais il faut croire que dans ce cas, il est introuvable (dire que Calvi n'a pas tenu certaines promesses et qu'il a été puni, est la chose la plus vague et inconsistante que l'on puisse imaginer).

Disons donc qu'il y a une organisation criminelle qui veut voir Calvi mort. Mais nous sommes devant un dilemme: elle le veut mort de façon exemplaire, afin que sinon tous, du moins les associés les plus vacillants comprennent pourquoi et par qui a lieu cette exécution ou le veut mort de façon à faire croire à un suicide? Dilemme insoluble. Il faut, pour continuer à croire à l'homicide, le laisser de côté, irrésolu.

Posons-nous maintenant cette question: quels sont, au moment où Calvi décide de disparaître, ses rapports avec cette organisation? A-t-il confiance en elle ou la craint-il? S'il la craint, la précaution élémentaire serait de faire en sorte de ne pas se trouver face à elle, seul et sans défense; si au contraire il a confiance en elle, il faut admettre que Calvi n'avait qu'une préoccupation: celle de fuir la justice italienne.

On peut naturellement, faire une troisième hypothèse: qu'il n'avait pas confiance et qu'il ne la craignait pas, qu'il en ignorait l'intention et qu'il n'en tenait pas compte dans son plan de fuite, Mais est-ce possible? S'il connaissait l'existence d'une telle organisation et s'il savait qu'il se trouvait face à elle à tort ou à raison, il ne pouvait pas ne pas évaluer la possibilité que celle-ci ne lui mette des bâtons dans les roues.

A moins que l'on ne veuille pas attribuer à cette organisation tout ce qui est arrivé à Calvi depuis le 10 Juin jusqu'à sa pendaison sous un pont de Londres: c-à-d, son arrestation dans son appartement romain, le rasage de sa moustache, son voyage de Rome en Autriche et en Angleterre. Mais cela ne semble pas possible: parceque tout laisse penser que Calvi a quitté Rome sans être contraint; parceque si l'on voulait croire le contraire il faudrait admettre que ceux qui l'ont aidé dans sa fuite ont été des complices involontaires, ou même plus ou moins des exécuteurs directs de son assassinat. Mais cela n'est même pas soupçonnable: ceux qui l'aident dans sa fuite d'Italie et jusqu'à son arrivée à Londres opèrent évidemment avec la conviction de ne pas commettre de délit par rapport à la loi italienne (puisqu'il n'y a pas de mandat d'arrêt prononcé contre Calvi) et en étant sûrs que la fuite ne finira pas par la mort, assassinat ou suicide de celui-ci, sous un pont de Londres. Si bien qu'ils le font ouvert

ement, et que la police ne met pas longtemps à le découvrir.

De cette chaîne d'hypothèses et de questions, le maillon le plus solide pourrait-être celui-ci: Calvi disposait de deux sortes d'amitiés bien distinctes: l'une dont il a pu se servir pour s'expatrier, disons clandestinement, et l'autre à laquelle il s'en est remis, une fois à Londres, pour une plus stable et plus sûre disparition. Une disparition à la Gelli, en somme. Sauf que la mort l'attendait. Et ici apparaît un autre problème. En supposant que Calvi mort assassiné ait été plus "compos sui" de ce qu'aurait été Calvi suicidé (plus en possession de ses facultés mentales, NDT), comment se fait-il qu'il ait pu se fier aussi aveuglément de personnes qui avaient de bonnes raisons pour vouloir sa mort? Il pouvait, ignorant, ne pas avoir peur; mais se fier pour qu'ils le mettent en sécurité était vraiment trop.

J'ai dit: qui avaient de bonnes raisons pour vouloir sa mort. Mais c'est là le hic: quelles étaient donc ces raisons? La plus évidente pour ceux qui soutiennent que Calvi a été assassiné semble être celle-ci: que Calvi avait dilapidé les capitaux qu'ils lui avaient confié. A ce moment-là, la nécessité de trouver un mobile que nous avions écarté, refait son apparition: et ce n'est pas un mobile digne de foi. Calvi n'était pas encore un homme insolvable; et d'un Calvi vivant on avait davantage d'espoir de récupérer, même si partiellement, ces capitaux qui seraient devenus sûrement irrécupérables avec sa mort. Et l'on peut aussi citer un fait précédent.

Personne ne s'est demandé, il me semble, pourquoi l'on a fait disparaître Sindona et promené dangereusement aux quatre coins du monde pendant un certain temps: comme s'il s'agissait d'un caprice ou d'un voyage touristique. Il n'y a qu'une seule possible et probable raison à attribuer à ces pérégrinations: que l'on voulait obliger Sindona à débourser de l'argent de là où l'on croyait ou savait qu'il l'avait caché. Que l'on ait obtenu autant ou pas, nous ne pouvons pas le dire: Mais le voyage s'est achevé, Sindona a été abandonné à son destin.

Le seul mobile sérieux que l'on peut imaginer pour l'assassinat de Calvi est, de la part d'une association de malfaiteurs d'origine mafieuse, celui d'une punition à cause d'une trahison perpétrée à travers la révélation de secrets qui pouvaient compromettre sa sécurité. Mais Calvi n'a pas fait de révélations de telle nature. La seule qu'il ait faite -pour la rétracter par la suite- concernait les milliards prêtés au Parti Socialiste. Et l'on ne voit pas pourquoi une telle révélation devrait faire scandale, du moment que celle de bien d'autres milliards, donnés au journal "Paese Sera" n'en suscitait point.

La chose la plus intéressante qu'il m'ait été donné de lire sur l'affaire Calvi, c'est Lietta Tornabuoni ("La Stampa" du 24 Juin) qui l'a écrite. Elle a eu cette intuition subtile que la mort de Calvi était à mettre sous le signe de la mauvaise littérature: elle a commencé son tour récognitif londonien en interviewant Penelope Wallace, fille d'Edgar. Penelope dit: "La seule chose qui fait de cette histoire un mauvais thriller c'est le suicide final: un roman qui se termine par un suicide est un mauvais polar, une arnaque pour le lecteur. Maintenant vous me dites qu'en Italie nombreux sont ceux qui sont convaincus que ce fut un assassinat: alors là c'est vraiment un beau polar, alors Edgar Wallace l'avait déjà écrit." Le polar de Wallace s'intitule "L'homme sinistre". Il parle d'un banquier qui est trouvé pendu et considéré suicidé, mais qui, en réalité a été tué. Parfait. Sauf que nous, n'ayant aucun lien de sentiment envers Edgar Wallace et n'ayant que celui de lecteurs éloignés, nous disons que celu

i du suicide est un mauvais thriller, mais que celui de l'homicide -à la manière de Wallace- serait un mauvais polar. Wallace qui fut considéré un phénomène et presque un génie, était un piètre écrivain de polars. Compliqué, lourd et ennuyeux. (essayez de le lire ou pire de le relire!)

Faire référence à ses livres pour l'affaire Calvi c'est donc très bien. Suicide ou homicide, l'affaire a la gratuite complexité et la lourdeur d'une nouvelle de Wallace. Il ne semble donc même pas qu'il y ait des raisons, disons esthétiques, pour préférer la thèse de l'homicide à celle du suicide. Il y en a par contre, de politiques: mais il serait impudent et dangereux de le faire prévaloir sur la vérité. Lorsque les hommes politiques italiens, disent avec candeur d'avoir expliqué à des hommes politiques anglais que l'affaire Calvi est une "affaire politique", nous sommes assaillis par de graves préoccupations.

Pour les anglais l'affaire ne peut et ne doit pas être "Politique", elle doit seulement être policière. Une pression pour que les anglais choisissent le beau polar de l'homicide au lieu du mauvais thriller du suicide, les organes d'information italiens la font toujours: qu'ils s'en rendent compte ou pas. Mais il serait impardonnable que le fait d'expliquer aux hommes politiques anglais que l'"affaire est politique" se préfigurât la même fin. A moins que l'on ne fournisse également des preuves qui portent indubitablement à la conclusion que Calvi ait été assassiné; mais il ne semble pas que les anglais en aient eu jusqu'ici. Et que cette déclaration de l'investigateur Tarbun à l'envoyé spécial d'un journal italien soit valable: "On a dit et écrit tant d'explications contradictoires. Mais c'est la presse en Italie, avec la télévision, qui recueille de simples "on dit" comme des paroles d'évangile. Nous, nous ne pouvons pas nous permettre de procéder de la sorte. Et du début jusqu'à la fin nous avons répét

é toujours la même chose: jusqu'ici il n'y a aucune preuve sérieuse, aucune donnée objective pour suggérer une hypothèse différente de celle du suicide. Si en Italie il y avait des faits réels qui pouvaient me pousser à enquêter sur des pistes différentes de celle du suicide, je vous assure que même maintenant je le ferais. Mais personne de votre pays n'est venu nous dire preuves en main: nous savons ceci ou cela et maintenant enquêtez..." Cette déclaration est du 15 Juillet. Hier, il y a eu l'audience publique et la sentence du Coroner. Investigateurs et Coroners ne se sont pas convaincus entre-temps que Calvi a été assassiné. Mais peut-être qu'il continueront à dire, bornés, que Calvi s'est suicidé.

Les indices que l'on croit favorables à la thèse de l'homicide, se réduisent en fait à ceux-ci: qu'à un homme de l'âge de Calvi il aurait été difficile d'atteindre le lieu dans lequel il a été trouvé pendu; que l'heure donnée par les experts comme celle du décès n'était pas tardive et que quelqu'un aurait dû le voir; que Calvi ne savait pas faire de noeud marin; que son veston était boutonné de travers.

Rapport au premier point: la difficulté n'est pas impossibilité; c'est une tension nerveuse pareille à celle d'un homme que la volonté de suicide fait surmonter des difficultés encore plus grandes. Rapport au second: l'endroit est pour le moins excentrique: il se peut très bien que personne ne soit passé à ce moment-là; ou que quelqu'un soit passé sans s'arrêter, distrait ou pressé. Rapport au troisième: que personne d'entre-nous ne sait faire de noeud marin. Et rapport au quatrième: qu'un homme qui est sur le point de se suicider n'est pas dans l'état d'âme d'un homme qui s'apprête à entrer dans un salon et qui vérifie si son veston est bien boutonné. Absolument réversible est au contraire ce dernier indice. Sans dire que le premier l'est aussi: puisque, admettre que Calvi a été tué en lieu et transporté ensuite sous l'arche du pont, suppose des difficultés et des risques d'être vus supérieurs à ceux que Calvi a affronté tout seul.

On pourrait continuer. Mais ce qui est urgent c'est cette question: pourquoi veut-on en Italie d'un beau polar plutôt que d'un mauvais thriller?

Inquiétante, très inquiétante question!.

 
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