SOMMAIRE: Altercation à la chambre entre le député Sciascia et le ministre de l'Intérieur, Virginio Rognoni. Suite à la demande de renseignements sur la "dynamique" de l'assassinat du juge Ciaccio Montalto, Sciascia rapporte un épisode lointain, lorsque Montalto avait dit à l'un de ses amis qu'"il se sentait menacé". Rognoni conteste qu'à cette occasion Montalto parlait de menaces venant de la mafia, mais Sciascia confirme sa version, et demande par conséquent que dans l'examen des faits on remonte dans le temps, pour avoir un cadre plus précis de toute l'affaire.
(Actes Parlementaires - Chambre des Députés - VIII LEGISLATURE - DISCUSSIONS - SEANCE DU 27 JANVIER 1983)
Interpellation :
BONINO, SCIASCIA, CORLEONE, CICCIOMESSERE, TESSARI ALESSANDRO, TEODORI, AGLIETTA, MELLINI, FACCIO, CALDERISI ET ROCCELLA. - Au Ministre de l'Intérieur. - Pour connaître la dynamique exacte du déroulement des faits qui ont amené au meurtre du juge Gianfranco Ciaccio Montalto, quelles sont les enquêtes qui lui avaient été confiées et par conséquent quelles sont les hypothèses qui peuvent être faites.
En outre, pour connaître les mesures que le Gouvernement a pris ou qu'il entend prendre pour affronter le défi de la mafia et de la criminalité organisée que l'institution du Haut Commissaire ne semble pas avoir contenu (3-07349)
PRESIDENT. Le député Sciascia a faculté de déclarer s'il est satisfait de l'interpellation Bonino n. 3-07349, dont il est co-signataire.
Leonardo SCIASCIA. J'ai constaté qu'entre la relation que vous avez fait ici, monsieur le ministre, et celle que vous avez fait au Sénat, il y a des différences, en ce qui concerne le problème de l'escorte. Dans le compte-rendu du Sénat on lit que le juge n'avait confié à personne d'avoir reçu des menaces et n'avait plus demandé une escorte. Aujourd'hui, il semble que vous ayez changé...
Virginio ROGNONI, Ministre de l'intérieur. Non; j'ai seulement expliqué quel est le système, abstraitement, par lequel on arrive à l'assignation d'une escorte. Dans l'espèce, j'ai répété que le juge Ciaccio Montalto n'a pas redemandé d'escorte, après l'avoir refusée, et qu'aucune demande de protection du magistrat de la part de ses supérieurs n'est jamais parvenue, par l'entremise de la préfecture, au Ministère de l'intérieur.
Leonardo SCIASCIA. Vous confirmez par conséquent ce que vous avez dit au Sénat, autrement dit qu'il n'avait confié à personne...
Virginio ROGNONI, Ministre de l'intérieur. C'est ce qu'on m'avait dit!
Leonardo SCIASCIA. Par contre, dans un article publié hier sur "Il Messaggero", un écrivain, quelqu'un de très sérieux, dit avoir reçu, il y a huit ans, une invitation à dîner...
Virginio ROGNONI, Ministre de l'intérieur. Il y a quinze ans! Ce journaliste a déclaré, sur "Il Messaggero", qu'il y a quinze ans, au sujet d'un certain procès que le juge Ciaccio Montalto...
Leonardo SCIASCIA. Il y a huit ans!
Marco BOATO. Ça ne peut pas être il y a quinze ans, parce que le juge était entré dans la magistrature en 1970!
FRancesco CORLEONE. Le fait remonte à 1975, il y a huit ans de cela!
Virginio ROGNONI, Ministre de l'intérieur. Je demande pardon: il me semblait avoir lu que la chose avait eu lieu il y a quinze ans.
Leonardo SCIASCIA. Donc, un soir, il invite à dîner une personne rencontrée occasionnellement (même s'il l'estimait en tant qu'écrivain) et il lui dit qu'il se sent menacé: s'il ne l'a dit à personne d'autre, c'est une chose inquiétante à mon avis, parce qu'il aurait dû le dire à ses supérieurs, à ses collègues. Il aurait pu, au moins: vous n'avez pas l'impression?
Virginio ROGNONI, ministre de l'intérieur. Non, je n'ai pas l'impression, parce que lorsqu'on parle de menaces ou d'intimidations dont aurait fait l'objet le juge, on se réfère à des menaces et des intimidations venant d'un pouvoir, autrement dit de la mafia.
Dans l'article de cet écrivain, sur "Il Messaggero" on dit que le juge Ciaccio Montalto, ayant été ministère public dans un certain procès il y a sept ou huit ans, sur des faits spécifiques qui, il me semble, n'étaient pas en relation avec la mafia ou autre chose, mais précisément en relation avec le procès en question, dont il s'était occupé, avait reçu des menaces de cette famille ou de l"entourage" de cet accusé.
Leonardo SCIASCIA. Non!
Virginio ROGNONI, Ministre de l'intérieur. C'est ce que j'ai lu!
Leonardo SCIASCIA. Non, nous ne pouvons pas avoir lu deux choses différentes s'agissant du même article.
L'épisode a eu lieu en ces termes: Il se sentait menacé par la mafia qui croyait qu'il était aussi derrière ce procès. Par conséquent, je crois que le fait qu'en 1976 un juge - lorsqu'on ne tuait pas encore les juges - se sentait en danger, devrait être un élément important dans les enquêtes. Autrement dit: qu'on ne parte pas des événements d'aujourd'hui mais que l'on remonte un peu dans le temps.
En ce qui concerne vos déclarations, je dois dire qu'il s'agit de phrases répétées depuis des années dans cette salle, tant et si bien que votre collègue, le ministre de la justice, parle désormais de la mafia comme d'un fait physiologique: je considère au contraire qu'il est nécessaire de la considérer comme un fait pathologique et vous qui êtes ministre de l'intérieur vous devez le considérer en tant que spécialiste de médecine interne.
Je me contenterai de vous raconter un épisode qui pourrait paraître imaginaire, presque une parabole fulgurante comme dans l'Evangile. Il y a plusieurs années un petit industriel reçut des menaces et l'ordre de verser 100 millions de lires; naturellement il s'adressa à la police, qui prépara un plan parfait avec des agents aux aguets et un sous-officier caché dans la voiture le jour où l'industriel devait aller au rendez-vous avec les racketteurs. Ces derniers arrivèrent et tuèrent à coup sûr le sous-officier, blessèrent l'industriel, réussissant ensuite à fuir.
Après cet épisode l'industriel est allé se faire soigner à Bologne mais il a reçu, à cette occasion aussi, l'ordre de verser non pas cent mais deux cents millions de lires; chose qu'il a fait , raisonnablement.
Vous êtes un homme trop intelligent pour que je vous dise le clou de l'histoire; et c'est le clou sur lequel nous devons taper (Applaudissements des députés du groupe radical).
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N.d.T
(*) SCIASCIA LEONARDO. (Racalmuto 1921 - Palerme 1990). Ecrivain, auteur de romans célèbres ("Le parrocchie di Regalpetra", 1956; "Il giorno della Civetta", 1961; Todo modo, 1974), mais connu aussi comme polémiste, participant de la vie civile italienne pendant vingt ans au moins. Il fut aussi député radical pendant une législature, intervenant de façon énergique dans les batailles pour les droits civils (affaire Tortora, etc).