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Teodori Massimo - 1 dicembre 1985
P2: L'histoire secrète (12) LA POLITIQUE DU »CORRIERE AUX MAINS DE LA P2.

Faits et méfaits - hommes, banques et journaux, généraux et terroristes, vols et assassinats, chantages et pouvoir - selon les documents de l'enquête parlementaire sur la loge de Gelli.

par Massimo Teodori.

SOMMAIRE: »On a beaucoup écrit sur la P2 et sur Gelli, mais la vérité sur la loge et sa prise de pouvoir dans l'Italie d'aujourd'hui a été gardée secrète. Contrairement à ce qu'affirme la relation Anselmi votée à la majorité en conclusion de l'activité de la Commission d'enquête parlementaire sur la P2, la loge n'a pas été une organisation de malfaiteurs externe aux partis, mais interne à la classe dirigeante. L'enjeu pour la P2 a été le pouvoir et son exercice illégitime et occulte avec utilisation de chantages, de vols à grande échelle, d'activités subversives et de gigantesques imbroglio financiers, et même avec le recours à l'élimination physique de personnes "gênantes".

L'"histoire secrète" de Teodori est une reconstitution de faits et de responsabilités sur la base de milliers de documents; c'est la réélaboration et la réécriture de la relation de minorité présentée par l'auteur au Parlement au terme des travaux de la Commission d'enquête parlementaire. Elle illustre les milieux-ambiants de l'association de malfaiteurs Gelli-P2; elle fournit l'interprétation des activités subversives des services secrets et celles des Cefis, des Sindona et des Calvi: elle élucide le rôle de la P2 dans l'"affaire Moro" et dans l'"affaire d'Urso", dans la Rizzoli et dans l'ENI, dans les Forces Armées et dans l'Administration publique. Elle révèle les intrigues avec le Vatican, les méfaits des Pazienza, des Carboni et la trouble "affaire Cirillo".

(Editions SUGARCO - Décembre 1985)

CHAPITRE XII - LA POLITIQUE DU »CORRIERE AUX MAINS DE LA P2.

Avec la nomination de Di Bella, le contrôle de la P2 sur Rizzoli-»Corriere Della Sera est total.

Avec la nomination de Franco Di Bella à la direction du »Corriere Della Sera , en octobre 1977, le contrôle de la P2 sur la Rizzoli et sur son journal le plus important est total: propriété actionnaire, direction financière, direction générale, gestion administrative et enfin, direction journalistique, sont dans les mains des piduistes liés entre-eux et par conséquent en mesure d'exercer une influence sur la ligne du groupe et plus particulièrement sur le »Corriere Della Sera .

Il est donc primordial, pour comprendre ce qu'a été la P2, quels ont été ses objectifs et ses instruments, d'analyser la manière avec laquelle fut utilisé le »Corriere , quelle politique il s'ensuivit et quels actes furent accomplis durant la direction de Franco Di Bella. Le »Corriere Della Sera représente donc le papier de tournesol le plus important pour la découverte des mécanismes avec lesquels la P2 a acquis et exercé le pouvoir.

Une première clé de lecture de l'influence et de la présence de la P2 dans le journal est donnée par les intéressés de la direction piduiste et des hommes que l'on peut définir comme des membres des différentes directions stratégiques de secteur. L'Amérique du Sud devient, dès fin-1976, un terrain réservé à l'information apprivoisée du moment que dans ce continent-là opèrent, mêlés aux intérêts politiques, les intérêts économiques, financiers et spéculatifs d'Ortolani, Gelli, Calvi et de Rizzoli et Tassan Din. En juin 1977, Giandomenico Foà, correspondant à Buenos Aires, "dérangeant" pour les dictatures argentines, est transféré à Rio de Janeiro avec des motifs fallacieux. Après cela, les quelques articles publiés sur l'Argentine sont sollicités par Giogio Rossi, placé à la tête des relations extérieures du groupe. Le 12 juin 1979, une longue interview de Somoza, dictateur du Nicaragua, en rapports financiers avec l'Ambrosiano de Calvi, par Roberto Gervaso, est publiée en troisième page. Le 19 décembre

1979, paraît une page entière de publicité de l'Uruguay, commissionnée directement à Tassan Din. Le 4 Octobre 1980 c'est le tour d'un article enthousiaste sur la désignation du général Viola comme successeur du dictateur Videla.

Un autre terrain où se manifeste l'intervention piduiste c'est le secteur de l'économie, dans lequel est crée la figure de l'»assistant d'édition qui supplante les directeurs des rubriques et relie les secteurs de l'économie des différents journaux. Au cours de 1979 paraissent une série d'articles Signés »CS qui servent à des opérations orientées dans l'intérêt de la propriété ou de ses amis. Quelques titres significatifs: »Interrogations sur l'attaque IFI contre l'Immobiliare / Le risque des incursions du groupe Agnelli en Bourse; La Bourse redevient le lieu d'opérations pirates / Derrière le mystère CIGA trop de »mains peu crédibles; De l'initiative de Sindona à celle des Biens Immobiliers / L'OPA en tant qu'instrument de bourse ne peut pas être fondée sur des indications ; puis, par une couverture de »Il Mondo du 4 juillet 1980, le groupe Rizzoli déclare la guerre au groupe FIAT, qui se termine par une visite de réconciliation de Gianni Agnelli et Luca De Montezemolo à Tirroli et Tassan Din le 15

juillet 1980.

Encore plus évidente est l'utilisation du »Corriere pour soutenir et consolider le réseau des amis piduistes éparpillés dans les différents secteurs de la vie nationale, des appareils de l'Etat et directement dans la politique. Le 10 janvier 1980 paraît en première page du »Corriere et en gros titre, la nouvelle »L'amiral Torrisi [P2] nouveau chef d'Etat Major de la Défense avec photo et une biographie Signée F.Ca., à savoir Fabrizio Carta, alias Trecca, l'un des chefs de groupes les plus importants de la P2. Pour Torrisi, on ne lésine pas sur la quantité de lignes et le 1er mai 1981 (plus d'un mois après la découverte de la liste P2!) »Il Mondo consacre une photo en pleine page dans sa couverture pour l'enquête »Les nouveaux militaires/Sont-ils plus crédibles? L'attention au sommet des forces armées et des corps de police à la disposition des manoeuvres P2 ne cesse jamais. Le 2 Août 1980 on publie en première page une très longue interview du chef de la Garde de Finance, le général Raffaele Giudi

ce, parvenue au journal déjà pré-confectionnée et sans signature, avec un titre en grande évidence; »71% des gardes financiers à la recherche des fraudeurs. Le reste des effectifs est en entraînement ou préposé aux services logistiques. La démilitarisation paraît inopportune . En février 1981 paraît une interview du commandant des carabiniers, le général Umberto Capuzzo, signée »CS (on raconta qu'elle avait été faite par Di Bella) publiée en ouverture du journal avec le titre »Le Général Capuzzo: on peut battre le terrorisme - Stratégie globale et rôle des "repentis" - Il faut ramener dans le système, par un relancement culturel, ces jeunes qui refusent la méthode démocratique .

L'appui offert par la presse rizzolienne à des hommes politiques »amis dont plusieurs figurent dans la liste de la P2, est massif, articulé et constant: en voici quelques exemples à l'occasion de la campagne électorale de 1979.

Gustavo Selva (DC) mérite une attention particulière avec »Le vote pour l'Europe n'appartient pas à la série B (4 mai), »Discours de Selva sur le terrorisme (18 mai) et encore avec des nouvelles du 6 mai et du 8 juin; même Claudio Villa (P2) qui renonce à sa candidature le 7 mai, a droit à une nouvelle reprise le 16 mai lorsqu'il se rend en Argentine pour une tournée. Le 17 mai paraît un article d'ouverture sur le Psdi avec des phrases de Longo dans le sommaire; le 20 mai, dans la présentation des candidats de Florence, Sergio Pezzati et Giampaolo Cresci sont abondamment cités; le 23 mai, dans l'article »Flirt difficile entre sport et politique on trouve le moyen de citer dans le sommaire Francesco Cosentino (DC) qui revient à nouveau sur la scène comme »manager de tourisme le 8 juin. Encore une présence de Cresci (DC) dans la rubrique »Les protagonistes parlent du 28 mai, de Di Carolis (DC) le 31 mai parmi »les hérétiques dans les partis , de Silvano Labriola (Psi) dans un article »rigoureux du

1er juin, de l'ex-ministre Mario Pedini avec un article sur cinq colonnes en mai 1979.

D'autres hommes de la P2 ont un traitement de tout respect: durant l'année 1980, Pietro Longo mérite des interviews à un rythme mensuel, dans le "Corriere della Sera" et le "Corriere d'Informazione" le 6 janvier, le 4 avril, le 3 juin, le 7 juin et le 24 juin, le 16 décembre dans la tribune de Maurizio Costanzo le leader du Psdi parle de la »question morale, liberté d'antenne, nominations bancaires et scandale des pétroles , et encore le 2 janvier, interviewé par Alberto Sensini; le député Dc Emo Danesi (P2) a lui-aussi une excellente présentation à la veille du congrès Dc; Giancarlo Elia Valori, ex-associé de Gelli et Ortolani, est rappelé comme l'auteur d'un livre sur »L'héritage de Mao , pour lequel on a explicitement demandé la critique littéraire à Di Bella; Rolando Picchione, sous-secrétaire DC (P2), a l'honneur d'un article et d'une interview; Enrico Manca, ministre du Commerce extérieur, Psi, apparaît dans les pages économiques du 14 mars 1980 avec le titre »Manca prends ses distances avec le ga

zoduc sibérien: Nous ne devons pas dépendre des robinets russes . Intéressantes aussi les interviews qui sont confiées fin-1979 à Roberto Gervaso, homme de pointe de la P2. La série s'ouvre avec Andreotti le 7 octobre (»Je ne suis pas un incendiaire ) et se poursuit avec Fanfani, Spadolini, Longo, Zanone, Piccoli, Forlani, Pajetta, Almirante, puis Craxi et Bisaglia début 1980, puis encore avec Claudio Signorile le 8 septembre 1980 lorsqu'éclate le scandale ENI-Petromin et un mois seulement avant l'interview du 5 octobre, que l'autre journaliste de pointe de la P2, Maurizio Costanzo, fait à Licio Gelli.

L'ascension des journaux piduistes. L'interview de Gelli.

La structure de pouvoir de la P2 opère également au niveau journalistique, exerçant des pressions, déterminant des transferts et des immissions, plaçant les personnes adéquates dans les rôles-clé. Les piduistes se servent du pouvoir propriétaire, gestionnaire et de direction, pour exercer leur contrôle et leur influence dans tous les points clé où l'on confectionne l'information journalistique. Roberto Ciuni (P2), engagé comme envoyé spécial à Naples en 1977, devient en avril 1978, par un ordre de service de Di Bella, rédacteur en chef et en novembre de la même année il prend la direction du »Mattino , de propriété et gestion commune Dc-Rizzoli. En décembre 1978, Roberto Gervaso (P2), que Di Bella avait ramené au »Corriere comme collaborateur fixe, devient auteur d'articles à tous les effets et avec des personnages interviewés de plus en plus importants (ses livres sont dédiés à Silvio Berlusconi, à Di Bella et Alberto Sensini, à Adolfo Sarti et Mario Valeri Manera, et à »L.G. , c-à-d., au maître vénér

able).

En juin 1978, Massimo Donelli (P2) conduit une enquête sur les TV privées. Le 10 octobre 1979 le premier numéro de »L'Occhio paraît, publié grâce au contrat SIPRA et dirigé par Maurizio Costanzo, qui devient la voix de la Loge en exprimant le maximum de sa ligne politique un an après, à l'occasion de l'affaire D'Urso, lorsque l'on invoque l'instauration de la peine de mort. Dans les hebdomadaires également, l'opération de normalisation piduiste avance en bloc. En janvier 1977, Gian Luigi Melega avait été licencié brutalement par la direction de l'»Europeo pour avoir fait publier une série d'articles documentés sur les biens immobiliers vaticans et les relatives spéculations immobilières du Saint-Siège.

En janvier 1978, Maurizio Costanzo prend la direction de la »Domenica del Corriere avec l'immédiate publication d'un article diffamatoire contre les radicaux: »Sindona junior: avec l'argent de papa il peut sauver Pannella (19 janvier 1978), qui s'est révélé par la suite un amas de mensonges insinuants. Puis un service éloquent sur la maçonnerie: »Les maçons: nous voulons un monde meilleur (16 avril) dans lequel on parle pour la première fois sans tarir d'éloges, de Licio Gelli, maître vénérable de la puissante Loge P2. Paolo Mosca (P2) succède à Costanzo en novembre 1979, et il fait publier par Roberto Gervaso un article de tête - clin d'oeil - sur Andreotti: »Où vas-tu Giulio lorsque tu disparais?

En septembre 1980, suite à la démission du chef de la rédaction romaine, Luigi Bianchi, la responsabilité en est confiée à Adalberto Sensini (le journaliste très proche de Spadolini qui avait demandé son inscription à la P2, puis l'avait laissée en suspens) avec en même temps l'attribution du poste de »représentant du groupe Rizzoli à Rome , et de »délégué du groupe aux relations avec les partis , en remplacement de l'éditorialiste pour la politique intérieure Gianfranco Piazzesi. Le 5 octobre 1980, moment culminant de contrôle piduiste de la Rizzoli et du »Corriere , une interview préconfectionnée de Gelli par Costanzo est publiée, reprise également par la »Domenica del Corriere . Les autres personnalités interviewées dans cette même série »Le charme discret du pouvoir occulte , sont Arcangelo Lobianco, président de la Coldiretti (14 octobre), Onelio Prandini, président de la Lega del Consiglio Superiore della Magistratura (3 octobre). Le 14 décembre 1980, »Contact , journal télévisé de Costanzo, est l

ancé, mais il ne sera que de très brève durée.

Selon Di Bella, attention particulière aux »partis de l'arc constitutionnel , c-à-d., à la particratie, avec aux deux pôles, DC et PCI.

L'influence de la P2 s'exerce sur quatre lignes directrices: les intérêts du sommet de la Loge; le soutien aux hommes de la P2 dans les différents secteurs de l'Etat, de l'administration publique et d'autres organismes; les faveurs et l'attention pour les politiques »amis , inscrits ou non à la Loge; et les manoeuvres en faveur des journalistes les plus fiables. Pour évaluer la ligne du »Corriere sur quatre années, il faut en suivre les grands choix de politique journalistique, puisque ceux-ci croisaient les intérêts du monde piduiste, dans la tradition du passé, la continuité de l'image et les orientations dérivant des rapports entre direction, propriété et monde politique.

»Il Corriere de Piero Ottone avait été le quotidien qui exprimait la poussée de libération de la société italienne hors de l'immobilisme des vieux équilibres. Sur le »Corriere avaient agi, par une combinaison souvent heureuse, la culture libérale du directeur et les déplacements massifs de l'opinion publique de ces années-là, mesurés de manière éclatante par le referendum de 1974 ainsi que par l'avancée du Pci en 1975 et 1976. Il avait été bien sûr le journal qui avait contribué à déterminer le succès de la partie moderne du Pays sur le divorce et qui avait considéré avec attention l'évolution démocratique du Pci mais qui avait gardé aussi un niveau considérable d'autonomie par rapport au pouvoir politique et des partis, comme le démontre la collaboration de Pier Paolo Pasolini, tellement hétérodoxe et iconoclaste par rapport au »Palazzo .

Avec la direction de Franco Di Bella qui a derrière lui une Rizzoli piduiste, les choses changent radicalement. Non pas parce que le journal perd sa grande attention à l'égard du Pci et, plus en général, à l'égard du rapport entre les deux partis les plus importants - DC et PCI - qui va en se consolidant avec le compromis historique, mais parce que que tout ce qui concernait une certaine optique de politique et société se transforme en un rapport entre politique et pouvoir. Le compromis avec le pouvoir devient la ligne portante de la gestion Di Bella. Et cela correspond à la philosophie de fond de la P2: se présenter officiellement comme un soutien aux opérations modérées ou réactionnaires mais poursuivre fondamentalement le compromis avec le pouvoir, quel qu'en soit le représentant.

Ce comportement existe déjà dans les déclarations du nouveau directeur, désigné à la fois par Gelli et les partis. »Nous déclarons la plus totale fidélité à la Constitution républicaine - écrit Di Bella le 30 octobre 1977 - et au patrimoine moral qui s'inspire des valeurs de la résistance et de la démocratie parlementaire... une attention particulière à l'action des partis de l'arc constitutionnel et à leurs tâches, avec honnêteté et respect, sans préjugés et sans conformismes ambigus... . Déjà ce concept contient le leit-motiv de la nouvelle ligne: le point de référence est la mytologie des partis de l'»arc constitutionnel , un concept tellement vaste et généralisé qu'il en est absolument vague. Ou plutôt, qu'il représente un hommage au pouvoir particratique dans la mesure des différentes forces qui le composent.

Dans le scénario (1979-1981) préparé comme document interne de la Rizzoli au cours de l'été 1978, la référence au système particratique est explicite. Les deux plus grands partis continueront d'être les éléments portants du système. »Le pôle le plus important reste la DC: forte depuis toujours, occupant la position de Centre modéré qui a une exceptionnelle et anormale continuité dans un pays comme le nôtre, qui n'a jamais eu une révolution bourgeoise ou religieuse... Le second pôle continuera d'être le PCI, toujours caractérisé par une solide organisation ramifiée et par une robuste présence sociale articulée... .

Di Bella est un »technicien , conscient que l'éditeur veut, dans un premier temps, une direction davantage tournée vers le secteur modéré par rapport à celle d'Ottone, tandis que l'objectif véritable est le soutien à la politique de solidarité nationale d'Andreotti. Comme dans la tradition qui veut que ce soient les hommes de droite qui gèrent les politiques avec la gauche pour les rendre vaines, c'est Andreotti qui tisse ses relations avec le Pci et c'est Di Bella qui doit continuer, en la rectifiant, la gestion de l'appui du »Corriere à l'unité nationale. C'est une tactique expérimentée, celle selon laquelle les politiques d'ouverture peuvent-être réalisées uniquement par ceux qui devraient s'y opposer. Et le fondement de transformation vers la direction du »Corriere émerge dans les moments cruciaux que le quotidien affronte durant ces années-là: affaire Moro, ENI-Petromin, affaire D'Urso.

Affaire Moro: »Il est Mort afin que vive notre République

Le premier moment de vérité est l'affaire Moro, moins de six mois après l'installation de Di Bella au »Corriere . Le monde journalistique se déchire sur les positions à assumer au cours de ces journées tragiques, de l'enlèvement d'Aldo Moro le 16 mars à son assassinat le 9 mai 1978.

Nous ne voulons pas entrer ici dans les détails de cette »affaire : ce qui nous intéresse c'est d'isoler la toile de fond du comportement du »Corriere et de sa direction. Le 18 mars, le »Corriere titre en première page: "Recherche effrénée de la prison de Moro - Andreotti étudie avec les chefs de parti un plan contre les BR - On parle de négociations secrètes mais le Viminale dément". Le ton est celui du soutien à l'efficacité de l'Etat - qui n'existait pas du tout - et d'appui inconditionnel au gouvernement et à la ligne choisie par le Pci de Pecchioli et par la DC d'Andreotti. Le »Corriere n'a aucun doute sur les institutions parlementaires qui ont été mises en demeure en faveur des négociations et des conciliabules entre les partis; ce sont même celles-ci qui ont été exaltées. L'information journalistique appuie ce pouvoir réel et substitutif des partis et de leurs représentants qui a discrédité les mécanismes et les procédures démocratiques auxquelles le député Moro, détenu par ses ravisseurs, fa

it appel. Le pouvoir particratique est le point de référence de Di Bella au détriment de la légalité démocratique. Lorsqu'il s'agit de choisir entre une ligne d'information qui aurait facilité le dialogue pour sauver Moro et une ligne de fermeture, Di Bella n'hésite pas. Ce journal et ce directeur, qui avaient pourtant amplifié les farouches messages des BR en les publiant, choisissent cette fois-ci la voie de la »fermeté . Le 21 mars, l'article de fond du journal, à l'occasion du premier communiqué des brigadistes, est intitulé: »Brigades Rouges et médias - Un cas de conscience et il poursuit: »L'image d'un homme que ses ravisseurs se promettent de martyriser dans l'une des tragiques farces auxquelles ils donnent le nom de procès; et cela, pour lancer le défi contre la démocratie italienne et l'honneur de cette République. Mais pour cela ils ont besoin que les médias se transforment en caisse de résonnance de leurs délirants messages. Cela est, malheureusement, arrivé.

Moro commence à envoyer des lettres qui proposent la tentative intelligente et humaine de garder le dialogue ouvert entre lui et la classe politique et de gagner du temps avec ses geôliers. Le »Corriere est au premier rang dans l'oeuvre de dénigrement et de bouleversement de la vérité de Moro et sur Moro, le décrivant comme un homme qui a la capacité d'entendre et de vouloir un instrument affolé dans les mains de marionettistes et, en définitive, comme un homme qui n'est plus maître de lui-même. Le 30 mars, le »Corriere titre: "Les Brigades Rouges ont obligé Moro à proposer, dans une lettre, un échange"; et, toujours en première page: "Mais la République ne sera jamais leur prisonnière"; suivi d'un commentaire: "Qui a donc écrit cette lettre? Aldo Moro l'a écrite... ou bien un homme qui porte le même nom et a le même visage, Aldo Moro, mais réduit à l'impuissance par une cruelle détention, isolé, peut-être même étourdie par des drogues ou autre dans son contrôle psychique? La seconde hypothèse semble

la plus probable, et elle autorise même la certitude . Le 31 mars, la ligne du journal est énoncée: »La réponse de la DC: on ne peut pas accepter le chantage des BR et dans la même page: »Rigide le PCI dans son refus de toute négociation . Le 11 avril on donne la possibilité de s'exprimer à Paolo Emilio Taviani, destinataire d'une lettre: »Voici le texte: Les amis: un Moro méconnaissable , et encore, le 25 avril, après une autre lettre à Zaccagnini: »Un condamné à mort qui semble écrire sous dictée .

Il ne passe pas un seul jour où l'organe rizzolien ne saisit pas l'occasion de créditer le fait que les forces de l'ordre, les services secrets et les appareils de l'Etat font tout leur possible, faussant la réalité, qui par la suite a émergé. Au cours des derniers jours de la détention de Moro, alors que les initiatives se font plus intenses pour trouver une issue, le »Corriere accentue cette position de défense et son ton lapidaire. Le 21 avril: »Négocier ou pas: après l'infâme chantage, le dilemme menace de briser le monde politique; demandé à la DC et au gouvernement un échange de prisonniers ; sous-titre: »La réaction des communistes: tout fléchissement ne saurait être toléré par le peuple italien - Possibiliste le Psi: premier devoir de l'Etat, celui de préserver la vie des citoyens ; le concept exprimé dans l'article de fond est: "La République ne s'échange pas". Encore quelques titres, du 27 avril: »Une absurde négociation avec les brigadistes , du 7 mai: »Les policiers demandent: pas de médiat

ions avec les BR; une veuve de Via Fani: Si vous les libérez, je m'immole par le feu , puis: »La DC est blessée, mais elle ne cèdera jamais . Le 10 mai, Moro assassiné, l'article de fond signé par Di Bella: »Il est mort afin que vive cette République est tout un programme!

Au moment crucial de ces semaines qui ont marqué un tournant radical dans le régime et avec la presse qui y a contribué de manière déterminante, la ligne du »Corriere della Sera s'est étroitement amalgamée à la politique des forces de soutien de l'unité nationale d'Andreotti et en particulier aux thèses du Pci. Du »parti de la fermeté , le »Corriere est devenu l'avant garde et le pilier. Di Bella le revendiquera pour lui lorsqu'il avoue, le 22 mai, devant les journalistes après le scandale P2: »Vous vous êtes sentis offensés lorsque, durant "l'affaire Moro", nous nous sommes érigés en défenseurs de la fermeté, faisant un choix difficile qui a lacéré nos consciences et provoqué des insultes... .

ENI-Petromin: l'affaire doit se conclure à tout prix. Terrorisme pour provoquer la peur du manque de pétrole.

Le second moment de vérité arrive avec l'affaire ENI-Petromin.

Le soutien du »Corriere à l'affaire est très ferme. Le 17 mai 1979, sur quatre colonnes à la une, le »Corriere titre: "Arabie et Italie: un accord en vue pour le pétrole sans les sept soeurs". On parle de la rencontre entre Andreotti et le prince saoudien Fahd en exaltant les possibilités d'une négociation directe entre les deux pays; le 7 juin, on met en évidence la grande convenance du contrat: "Nous aurons davantage de pétrole de l'Arabie - Aucune augmentation d'essence". Quelques mois après, on apprend dans les milieux politiques et journalistiques que l'affaire est controversée et constitue même un terrain instable pour les gouvernements et les partis. »Il Mondo rizzolien voudrait prévenir le scandale par un service à publier le 19 octobre "Odeur de pots-de-vin - Le ministre des Affaires étrangères et la présidence du Conseil enquêtent sur la fourniture de pétrole que l'ENI a obtenu en Italie. Un autre scandale va-t-il éclater?", article qui est bloqué par Andreotti. Le »Corriere calme les eaux

et accrédite la licéité des pots-de-vin; le 27 octobre il écrit: »Pétrole saoudien: Autorisés les pots-de-vin ENI ; le 8 novembre on lance la thèse selon laquelle l'éventuel blocage de l'affaire porterait atteinte à la crédibilité internationale de l'Italie: »Il faut éviter que des polémiques d'origine incertaine puissent nuire à la crédibilité internationale du pays, risquant de compromettre les besoins énergétiques .

Tandis que commencent à émerger les arrière-plans de l'affaire, suite à l'intervention de la magistrature et du Parlement, la fonction du »Corriere est de défendre à outrance l'affaire et ses protagonistes comme cela est arrivé lorsque le 28 novembre Umberto Ortolani dément: »Il serait souhaitable que ce premier démenti soit suivi par ceux des autres personnalités en cause. Ce premier démenti pourrait-être le commencement d'un processus pour faire la lumière sur les faits réels de l'affaire, dont l'origine paraît toujours plus ambiguë. Les reportages et les articles journalistiques fondés sur des documents anonymes ne peuvent et ne doivent pas être considérés comme des sources de documentation... Une dangereuse menace contre la crédibilité du pays sur les marchés extérieurs de l'énergie .

Début-décembre, le spectre menaçant du manque de pétrole s'agite dans les pages du quotidien: "Black-out dès demain: nous devrons apprendre à vivre pendant quatre-vingt-dix minutes par jour sans lumière, sans ascenseur, sans réfrigérateur, sans chauffage électrique" (2 décembre" et "Black-out à cause de l'irresponsabilité de la classe politique" (6 décembre); jusqu'à arriver à demander, le 7 décembre, la démission du ministre Siro Lombardi, avec un style absolument inédit pour un journal comme le »Corriere : "démission: unique voie de salut", et le 8 décembre: "L'impeachment est-il le même pour tous?", et "Constatée l'injustice de la punition pour le technicien (Mazzante) et non pas pour les politiques (Lombardini et Bisaglia)".

Avec une progression impressionnante, le »Corriere abandonne toute fonction informative et agit comme un sujet actif d'un pouvoir toujours moins occulte, lequel effectue des pressions, lance des avertissements, met en acte des chantages. Le 10 janvier en première page: "Pour les pots-de-vin ENI, Formica attaque Stammati et Andreotti". On y rapporte les déclarations du sénateur Rino Formica avec des références au groupe Rizzoli, au groupe Monti et au »Messaggero , tout de suite corrigées par les contre-attaques de Stammati et La Malfa. Le 11 janvier paraît un billet aux lecteurs non signé et avec lequel le groupe Rizzoli descend directement sur le terrain: »Il est déconcertant de voir que l'on a confié la gestion administrative d'un grand parti à des personnages pareils (Formica): c'est sur cette gestion que l'on devrait faire la lumière devant les énormes dettes et les charges financières supérieures à toutes les contributions prévues par la loi de l'Etat . C'est l'avertissement mafieux de Gelli, Ortol

ani et Calvi au sujet des financements de l'Ambrosiano au Psi. Et encore, le 12 janvier, en première page: "Démenti d'Andreotti: Formica a menti". Dans cet article on reporte les démentis d'Andreotti, Stammati, Battista, Davoli, tous inscrits à la P2, naturellement à l'exception de l'ex-président du Conseil.

L'attitude du »Corriere devant l'affaire D'Urso.

Le troisième révélateur - et le plus important - de la politique du »Corriere est l'Affaire D'Urso, fin-1980-début-1981. Les milieux politiques et économiques sont ébranlés par les désastreuses conditions économiques et financières, le terrorisme, la révolte grondante contre la corruption et la série de scandales qui ont investi les partis et les institutions. La P2 est au comble de son activité et crâne, comme le témoigne l'interview dans le »Corriere de Gelli, le 5 octobre, avec une éclatante proclamation d'intention du maître vénérable. C'est dans ce cadre que se situe l'enlèvement du magistrat Giovanni D'Urso par les Brigades Rouges, le 12 décembre, et l'affrontement politique consécutif qui se développe, avec tous les choix dramatiques de l'Affaire Moro qui se présentent à nouveau à l'opinion publique et à la classe politique.

L'attitude du »Corriere , avec un autre saut de qualité par rapport à l'affaire Moro, ne représente pas tant le choix d'une ligne journalistique sur l'information, que la démonstration selon laquelle le journal est dirigé par un pouvoir occulte, la P2, qui entend déterminer des faits comme des fondements d'opérations politiques. La politique informative de la Rizzoli-P2 coïncide avec la recherche de solutions autoritaires engageant également la gauche du »front de la fermeté .

Le conflit en acte persistait, d'une part entre ceux qui entendaient faire l'impossible pour sauver la vie du magistrat, utilisant au maximum les ressources du dialogue et de l'information, et de l'autre, ceux qui, derrière le paravent de la »fermeté , refusaient d'utiliser toute lueur d'espoir pour empêcher que l'on arrive au même tragique résultat que l'affaire Moro. L'attitude de la presse résultait déterminante pour un choix politique de n'importe quel type, du moment que l'instrument en jeu le plus important était justement l'information sur les évènements qui se déroulaient autour de "l'affaire".

Le 6 janvier, au beau milieu de l'affrontement, le »Corriere publie une note en première page: »La direction du Corriere Della Sera, en accord avec la direction générale du groupe d'édition, le Comité de rédaction étant informé, a décidé aujourd'hui de faire silence total sur les requêtes des terroristes ravisseurs du juge D'Urso... Nous sommes convaincus que le silence de la presse est l'unique voie pour essayer de soustraire le juge sequestré à la torture d'un échange qui n'aurait pas de fin. De même qu'ils savent se refuser - dans la dénonciation de la corruption, des scandales et des retards coupables des secours qui devaient-être portés aux régions sinistrées par le tremblement de terre - aux pressions d'un pouvoir constitué qui voudrait les chroniques à son image, la Direction du Corriere della Sera et la Direction générale du groupe d'édition refusent aujourd'hui, avec la même cohérence, les ordres de ceux qui veulent devenir les patrons de la presse sur le dos des sequestrés, pour ensevelir la

République et la Liberté .

Pour la première fois, fait inédit, l'ordre péremptoire pour les décisions journalistiques vient directement d Tassan Din, directeur général du groupe; il ne s'agit pas du choix de ne pas publier les communiqués des BR, commun à »La Repubblica et à »L'Unità , mais de l'imposition du »silence de presse contre lequel proteste même le comité de rédaction, dirigé par des syndicats communistes. Di Bella va jusqu'à retirer l'envoyé qui était déjà parti pour résumer les nouvelles depuis la prison de Trani, ce qui provoque une autre révolte des journalistes: »nous [comité de rédaction] devions demander, par une intervention officielle, la publication de ces nouvelles car cela aurait été un acte grave de censure, très dangereux pour les institutions et la liberté de presse... . Le communiqué de la rédaction, bien qu'orienté dans le sens du »front de la fermeté commente à postériori: »Nous avons mené une double bataille, pour revendiquer le droit de ne pas subir le chantage des BR et contre l'entreprise et le

directeur ou contre la P2 qui essayait d'instaurer à ce moment-là la censure sur les nouvelles . La P2 ne s'intéressait pas tant de censure que de provoquer à travers le cadavre de D'Urso, l'occasion pour déterminer un tournant autoritaire en relation avec ceux qui étaient pour le »front de la fermeté . La vérité sur les objectifs du jeu dangereux joué par les hommes de la P2 on la trouve dans l'article de fond de Costanzo dans »L'Occhio du 5 janvier: »Nous sommes en guerre: autant en prendre acte et agir en conséquence. Le code de guerre doit-être remis en vigueur... Il faut que nous nous rendions compte que nous avons un ennemi à l'intérieur; il faut donc renoncer temporairement à certaines garanties constitutionnelles pour le dénicher et le neutraliser. C'est un prix très élevé, monstrueux, mais il faut le payer . L'article, déjà prêt, est modifié à la typographie par un journaliste du comité de rédaction »après une brève consultation avec Costanzo

Voilà la révélation du vrai programme de la P2 qui se greffe à celui du »front de la fermeté pour lequel on devait-être prêt à utiliser le terrorisme pour l'état d'urgence et les tournants autoritaires relatifs, en terme de lois d'exception, de suspension des garanties constitutionnelles, voire même de nouvelles combinaisons gouvernementales. Voilà l'utilisation désormais sans voiles des journaux de la Rizzoli pour faire de la politique avec des communiqués de la »Direction générale du groupe d'édition et avec la requête de la peine de mort de la part de »L'Occhio ; voilà l'intervention pesant sur les non-alignés comme avec la tentative de suspendre la publication du »Travail lorsque le directeur, Giuliano Zincone, ayant assumé une attitude différente, fut obligé de donner sa démission. Voilà l'expression de la P2 et de son projet politique à cette époque-là.

* Toutes les données auxquelles se réfèrent ce chapitre sur la politique du »Corriere Della Sera sont extraites de la documentation préparée par le Comité de rédaction et par le Conseil de fabrique du »Corriere et envoyée à la Commission P2. Publiée en All. (T.), vol. III, tome XIV, pp. 183-262.

 
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