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Teodori Massimo - 1 dicembre 1985
P2: L'histoire secrète (18) - SUR LES DEPOUILLES DE LA P2, L'IRRESISTIBLE ASCENSION DE L'INTRIGANT PAZIENZA

Faits et méfaits - hommes, banques et journaux, généraux et terroristes, vols et assassinats, chantages et pouvoir - selon les documents de l'enquête parlementaire sur la loge de Gelli.

par Massimo Teodori.

SOMMAIRE: »On a beaucoup écrit sur la P2 et sur Gelli, mais la vérité sur la loge et sa prise de pouvoir dans l'Italie d'aujourd'hui a été gardée secrète. Contrairement à ce qu'affirme la relation Anselmi votée à la majorité en conclusion de l'activité de la Commission d'enquête parlementaire sur la P2, la loge n'a pas été une organisation de malfaiteurs externe aux partis, mais interne à la classe dirigeante. L'enjeu pour la P2 a été le pouvoir et son exercice illégitime et occulte avec utilisation de chantages, de vols à grande échelle, d'activités subversives et de gigantesques imbroglio financiers, et même avec le recours à l'élimination physique de personnes "gênantes".

L'"histoire secrète" de Teodori est une reconstitution de faits et de responsabilités sur la base de milliers de documents; c'est la réélaboration et la réécriture de la relation de minorité présentée par l'auteur au Parlement au terme des travaux de la Commission d'enquête parlementaire. Elle illustre les milieux-ambiants de l'association de malfaiteurs Gelli-P2; elle fournit l'interprétation des activités subversives des services secrets et celles des Cefis, des Sindona et des Calvi: elle élucide le rôle de la P2 dans l'"affaire Moro" et dans l'"affaire d'Urso", dans la Rizzoli et dans l'ENI, dans les Forces Armées et dans l'Administration publique. Elle révèle les intrigues avec le Vatican, les méfaits des Pazienza, des Carboni et la trouble "affaire Cirillo".

(Editions SUGARCO - Décembre 1985)

CHAPITRE XVIII - SUR LES DEPOUILLES DE LA P2, L'IRRESISTIBLE ASCENSION DE L'INTRIGANT PAZIENZA

Trois rencontres déterminantes pour Pazienza: avec Santovito, avec Piccoli et avec Calvi. L'utilisation privée des services secrets.

Au cours de la période dans laquelle la P2 tombe sous le coup de la découverte des documents, contraignant ainsi ses chefs à la fuite, de nouveaux personnages émergent sur la scène des grandes affaires nationales occultes et illégitimes. Le premier est Francesco Pazienza qui ambitionne à jouer le rôle assumé pendant une décade par le »maître vénérable . Certains ont voulu voir en Pazienza, le jeune intrigant venu en Italie d'on ne sait où, le successeur de Gelli, désigné pour gérer le réseau piduiste au nom et pour le compte de quelque mystérieuse force internationale (1). Il n'existe aucun indice d'un rapport aussi nécessaire entre le déclin du vieux chef de la P2 et la brillante ascension du nouvel intrigant, et encore moins d'un rôle joué dans le cadre de succession de l'organisation P2. Il y a simplement une analogie dans le type d'opérations illégitimes et dans les méthodes auxquelles les deux personnages se consacrent. Francesco Pazienza fait son apparition en Italie entre fin-'78 et 1979 comme co

llaborateur de groupes d'entreprises publics et privés: »J'ai eu des rapports - témoigne Pazienza - avec l'Italstat, avec qui j'ai établi des négociations à Malte pour une société mixte Italstat-Malte-Libye; avec les Condotte d'Acqua, avec la Generale Immobiliare. J'ai obtenu des charges du groupe Genghini que j'abandonnai après deux mois... (2). Son arrivée sur la scène italienne, après des activités en France et aux Usa, pas tout-à-fait claires, amène Pazienza à travailler dans le cadre des entreprises d'Etat ou privées, qui sont singulièrement dirigées par des piduistes comme Loris Corbi des Condotte et Mario Genghini du même groupe. Nous sommes en 1979, et le jeune brasseur d'affaires est pratiquement inconnu, sans aucun pouvoir et à la recherche de consultations.

La carrière fulgurante de Pazienza peut se réaliser grâce à certaines rencontres-clé qui lui permettront de gagner en quelques années des sommes d'argent colossales et d'acquérir de fortes positions de pouvoir. Ces rencontres sont au nombre de trois: avec le chef des services secrets militaires, Giuseppe Santovito, avec le secrétaire de la Démocratie Chrétienne, Flaminio Piccoli, et avec le président du Banco ambrosiano, Roberto Calvi. Les rapports qui en dérivent se resserrent en quelques mois et, grâce à leur savante utilisation, Pazienza se construit une position de médiateur, conseiller et factotum à très haut niveau, comme celle qu'avait réussi à se forger, en des temps bien plus longs, Licio Gelli.

On n'a jamais pu savoir par quel canal a été introduit, après une absence durée de nombreuses années, Francesco Pazienza, auprès du directeur du SISMI. Entre fin-1979 et 1980, il devient l'homme de confiance du général Santovito et son bras droit dans une série d'opérations (3). Il est certain que dans son escalade au succès et au pouvoir, Pazienza a un grand besoin des services secrets. »La philosophie de Pazienza - soutient Federico Umberto D'Amato - était de vouloir réaliser des affaires et gagner énormément d'argent, se basant sur le fait que les affaires peuvent-être réalisées à travers les rapports politiques et à travers les rapports avec les services secrets .

Il est probable que la collaboration que Pazienza instaure avec les services secrets dérive de l'exploitation de ses expériences précédentes à l'étranger. D'Amato témoigne encore: »Il me cita ses amitiés politiques aux Usa, des amitiés influentes et importantes. Il me parla de ses rapports avec le SDECE français... de ses rapports avec les services d'Arabie Saoudite. Il avait d'importantes relations au Vatican... monseigneur Silvestrini, monseigneur Cheli, qui est, je crois, ambassadeur du Vatican auprès de l'Onu, et monseigneur Levi... Il avait des rapports avec l'OLP et Arafat (5).

La collaboration de Pazienza avec les services secrets français durant son séjour en France a été confirmée. Un autre atout qu'il a certainement utilisé, est son appartenance au grand réseau maçonnique international, même si son entrée officielle au Grand Orient d'Italie ne remonte qu'à mai 1980. Mais le patrimoine le plus consistant de Pazienza dans le domaine de l'intrigue internationale, réside dans ses rapports avec ce milieu américain et international qui gravite autour du trafic de pétrole, du commerce des armes, de la mafia et des services secrets, rapports nécessaires pour permettre des opérations qui n'ont rien d'orthodoxe (6). En 1978, le nom de Francesco Pazienza, médecin résident à Paris, apparaît au conseil d'administration de la société luxembourgeoise Se Debra qui se situe au sein de ce monde équivoque avec des hommes liés au système financier de Calvi, de Sindona et du IOR (7).

Avant même de débarquer en Italie, les rapports de Pazienza avec une certaine finance internationale, alimentée par la faune spéculative de commerces à la limite de la légalité, sont évidents. A New York il travaille avec l'administrateur de biens de l'ex-Shah de Perse, Bob Armao, qui s'occupe lui aussi de pétrole; internationalement, il est lié avec le scheik Kashoggi, le célèbre roi du trafic d'armes, et il a dirigé les relations publiques pour l'homme d'affaire saoudite Ojjeh. Il existe également des traces de ses rapports avec la mafia italo-américaine ayant à sa tête la »famille Gambino (8).

C'est un fait que Pazienza entre à plein rythme dans les activités du SISMI, dont il devient officiellement le collaborateur fixe en juin 1980. Dans ce cadre, le manoeuvrier peut accomplir de nombreuses opérations, des voyages en Italie et à l'étranger et échaffauder des trafics en tous genres. Le général Ninetto Lugarese, successeur de Santovito à la direction du SISMI, témoigne: »... la dépense globale soutenue par le SISMI pour les opérations [de Pazienza] doit être considérée comme l'aspect le moins important de l'affaire, comparée aux avantages dont bénéficiait Pazienza et les opérateurs associés, avec l'utilisation éhontée du crédit ouvert à sa disposition par le service. Autrement dit, à mon avis, les entrées que le service lui assurait étaient beaucoup plus importantes que les rémunérations qu'il lui donnait pour les services rendus... (9).

L'opération qui permet à Pazienza d'accomplir un saut de qualité dans les relations internationales est l'espionnage privé réalisé en faveur des commanditaires américains. Durant le printemps-été 1980, le manoeuvrier aide à rassembler des fascicules sur les entreprises peu honorables du frère du président Us Billy Carter, qui a des contacts en Italie avec des émissaires libyens, et les met à la disposition du général Alexander Haig afin de contribuer à la campagne électorale du candidat à la présidence, Ronald Reagan. Après l'élection de ce dernier en novembre 1980, et grâce justement aux bas services qu'il rend, Pazienza arrive à jouer un rôle dans la liaison officieuse pour le compte de politiques et d'hommes de gouvernement italiens avec la nouvelle administration américaine durant la période où l'ambassadeur américain à Rome, Richard Gardner est destitué et le nouveau représentant diplomatique de Reagan, n'est pas encore nommé.

Federico U. D'Amato, qui exerçait encore des fonctions informatives pour le ministère de l'Intérieur bien qu'il n'avait officiellement que la responsabilité de directeur de la police de frontières, est témoin des évènements de Pazienza durant cette période-là: »Dans un certain sens, les rapports entre la classe politique italienne, le gouvernement italien et le nouveau groupe qui était allé au pouvoir aux Usa, étaient gardés par Pazienza et par Michael Ledeen. L'ambassade américaine ne faisait rien, la CIA non plus, ils étaient tous comme bloqués. Montgomery, qui était à l'époque le chef de file, fut remplacé immédiatement après. Il y eut donc une période de paralysie: c'était comme si l'ambassade américaine n'existait pas... il y eut des voyages organisés à travers des messages qui avaient été envoyés par Ledeen, devenu conseiller de Haig, et de Pazienza (10).

La confiance absolue du directeur du Sismi permet à Pazienza d'utiliser à son gré les structures du service secret. En un peu plus d'un an le manoeuvrier accomplit une centaine de vols avec les avions de service, il établit des rapports étroits avec Pietro Musumeci, chef du Bureau de contrôle et de sécurité, c-à-d., l'un des plus délicats du Sismi, puis accusé des plus graves détournements du service, il étend ses connaissances dans le monde politique et le monde de l'entreprise.

Ses rapports avec le milieu s'étendent aussi: du petit chef d'entreprise Alvaro Giardili qui l'introduit dans les milieux de la camorra napolitaine à la délinquence romaine représentée par Danilo Abbruciati et Domenico Balducci, tous deux violemment assassinés en 1981 et 1982 (11).

L'objectif de Pazienza est de s'introduire dans un réseau d'intérêts licites ou illicites pour en tirer des bénéfices sans être trop pointilleux sur la provenance. Dans le tissu des rapports qu'il développe figurent indifféremment des hommes de main de la criminalité, des représentants des services secrets et des manoeuvriers en tous genres. Et à chaque fois, Pazienza se sert de ses lettres de créances et de ses connaissances dans un secteur, pour en tirer profit dans un autre. C'est ce qui se passe avec le secrétaire de la Démocratie Chrétienne, Flaminio Piccoli.

C'est la deuxième rencontre déterminante pour Francesco Pazienza. Présentés par le général Santovito, chef du SISMI, pour organiser un voyage aux Usa, Pazienza exerce sa fonction de general manager durant la semaine passée par Piccoli à New York au début de février 1981 (12). C'est la période qui suit immédiatement la prise des pouvoirs de Reagan et de son cabinet, et le secrétaire du parti italien de gouvernement le plus important est pressé d'entrer en contact avec un représentant de la nouvelle Administration. Pazienza réussit à faire rencontrer rapidement le leader DC avec le nouveau secrétaire d'Etat, Alexander Haig, qui avait profité précédemment de ses services d'espionnage. Une fois démontrée son habileté, Pazienza ménage à Piccoli les rapports avec la communauté italo-américaine, dans laquelle il pouvaient se vanter de ses liaisons avec les secteurs mafieux (13).

La coopération à l'organisation de ce voyage entre précisément dans cette aire ambiguë d'utilisation privée de structures publiques qui sont le terrain de culture idéal des manoeuvres des intrigants en tous genres. En effet, on ne sait pas très bien si Pazienza est allé à New York en tant qu'agent du Sismi sur ordre de Piccoli, s'il a été prêté à l'usage personnel de Piccoli par le Sismi ou s'il a joué tous ces rôles sans devoir rendre de comptes à personne. Le voyage de Piccoli venait du reste deux mois après celui qui avait été ménagé par Pazienza pour le sous-secrétaire aux services secrets, Franco Mazzola, qui s'était rendu à New York en décembre 1980 (14).

Après ce voyage, Pazienza devient le collaborateur personnel de Piccoli qui témoigne: »Au cours des mois qui suivirent, Pazienza me demanda certains colloques que je n'avais aucune raison de lui refuser étant donné la courtoisie dont il avait usé à New York, et le fait que dans les milieux politiques, de l'entreprise et de la bonne société romaine, cette personne était appréciée sans réserves. On soutient que Pazienza avait des contacts avec Piccoli, qu'il était le manoeuvrier de Piccoli. Je demande à ce que l'on aille voir dans les nombreux actes qui existent à des niveaux différents judiciaires et parlementaires, avec combien d'autres personnages de la politique nationale il avait des rapports intenses et continus... (15).

Pazienza a besoin de citer le nom de Piccoli et il jouit de sa protection. C'est un atout qu'il peut mettre à profit dans le kaleïdoscope des activités frauduleuses de consultation, de collaboration, de médiation et ainsi de suite. Mais Piccoli aussi a besoin de se servir, et certes pas pour de hautes consultations dans la politique internationale, de personnages comme Pazienza auquel il peut confier des tâches non-officielles qu'exige toujours davantage une politique réduite à la négociation d'affaires.

Le secrétaire de la DC doit négocier de grandes quantités de questions entre le secteur privé, la politique et le secteur public, pour lesquelles il est demandé l'intervention de personnages sans trop de scrupules, quant aux respect des lois, comme Pazienza. C'est ainsi que se profile, lorsque s'ouvre l'»affaire Cirillo , une nouvelle charge spéciale et »délicate pour Pazienza.

Mais avant l'affaire Cirillo, il y a pour Pazienza une troisième rencontre fondamentale. Piccoli lui confie la tâche de rester auprès de Calvi qui, au printemps 1981, commence à avoir des difficultés avec la justice et la finance (16). Et Calvi, pour Piccoli, signifie »Corriere della Sera et groupe Rizzoli avec la direction piduiste de laquelle le secrétaire de la DC avait établit, deux ans auparavant, en avril 1979, un pacte de fer qui faisait encore sentir ses effets.

Envoyé par Piccoli, Pazienza devient l'homme de confiance de Calvi. On a à nouveau une convergence basée sur l'intérêt réciproque: pour le manoeuvrier, rester auprès d'un financier important signifie pouvoir disposer aussi d'argent pour soi-même. Pour Calvi il est utile de se servir d'un homme qui sert de trait d'union avec le secrétaire du parti qui détient le pouvoir surtout dans des moments de difficulté. Sans la protection de Gelli et Ortolani, le président de l'Ambrosiano est bien content d'avoir comme ange gardien un personnage qui jouit de puissantes amitiés, aux services secrets et à la Dc, et qui prouve avoir les mêmes capacités de relations publiques que les chefs de la P2.

L'"opération Cirillo" avec les Brigades Rouges, la Camorra, le SISMI, et la Démocratie Chrétienne. L'"opération protection de Calvi" avec les politiques.

Au cours des premiers mois de 1981, Pazienza exploite au maximum ses rapports. Il réussit à rassembler un patrimoine de relations de très haut niveau qui constitue presque un réseau semblable à celui de la P2, avec la participation de plusieurs personnages importants comme Santovito et Calvi qui avaient déjà été des représentants de grand relief de la loge gellienne.

Ainsi, peu de temps après avoir fait la connaissance de Piccoli et Calvi, Pazienza donne le meilleur de sa capacité d'intrigue et de manoeuvre en relation à des évènements dont les protagonistes sont deux nouveaux protecteurs. Il s'agit de l'"opération Cirillo" et de l'"opération protection de Calvi". Dans les deux cas le manoeuvrier agit dans un milieu où se mêlent des politiques, les services secrets, la finance spéculative et la criminalité ordinaire. C'est le cas de dire que, si un Pazienza n'existait pas, pour Piccoli et Calvi il aurait fallu en inventer un pour lui confier l'administration de certaines questions peu honorables.

L'adjoint régional DC de la Campanie, Ciro Cirillo, est enlevé par les BR le 27 avril 1981 au cours d'une action où sont tués le chauffeur et un garde du corps. Son enlèvement dure jusqu'au 24 juillet lorsque, suite à des négociations avec les brigadistes, l'adjoint est libéré grâce à la camorra de Raffaele Cutolo et à l'action des services secrets du secteur militaire, du Sismi. Il existe des preuve selon lesquelles on aurait payé à la camorra et aux Brigades Rouges, une rançon de l'ordre de plusieurs milliards de lires, entre 1,5 et 5.

Sur l'"affaire", unique dans l'histoire des enlèvements par les BR où il y a eu des négociations directes et paiement de rançon, plusieurs personnes ont mené leur enquête au niveau parlementaire et au niveau judiciaire. Il est interessant de voir ici la fonction particulière de Francesco Pazienza qui intervient pour le compte du secrétaire de la Démocratie Chrétienne, Flaminio Piccoli, et qui se situe au centre d'un réseau de rapports avec la camorra de Cutolo et des services secrets d'Etat. En particulier, le manoeuvrier établit un contact avec les hommes de Cutolo, avec son lieutenant Vincenzo Casillo, suite à un mandat reçu par le secrétaire de la Dc pour »faire l'impossible pour sauver Cirillo (17), épaulant les agents du Sismi qui négociaient avec les camorristes et les brigadistes détenus en prison.

Piccoli témoigne: »Pazienza me dit qu'il pouvait peut-être avoir des renseignements utiles auprès de ses relations napolitaines... Je n'avais aucune raison, étant donné la réputation dont jouïssait Pazienza dans les milieux en question, d'imaginer qu'il avait des contacts avec des gens pareils [Cutolo et compagnie]... (18).

La négociation que les hommes du Sismi conduisent pour la libération de Ciro Cirillo, se déroule en même temps que les négociations pour les adjudications de la reconstruction dans les zones détruites par le séïsme et que la camorra tente de rafler par le truchement du constructeur d'Avellino, Antonio Sibilia, inculpé par la suite pour association de malfaiteurs de type mafieux.

Non seulement Pazienza négocie avec le fils de Cutolo, Bruno Esposito, représentant de la camorra, et avec Vincenzo Casillo, mais ses rencontres servent également à discuter des affaires des adjudications avec l'ingénieur Mariano Volani présenté par Piccoli à Pazienza et introduit par ce dernier dans les milieux de la camorra. L'enjeu et la monnaie d'échange institués par Pazienza est, d'un côté, la libération de Cirillo et, de l'autre, l'introduction dans la gestion, des dizaines de milliards de la loi spéciale pour la reconstruction des zones sinistrées (19).

Le manoeuvrier, comme homme des services secrets et comme envoyé du secrétaire de la Dc, puis encore comme homme d'affaire à son propre compte, sert de trait d'union pour des affaires licites et illicites, entre missions spéciales privées confiées par des politiques et intérêts de la criminalité organisée dans la camorra.

La seconde opération de Pazienza, parallèle à la première, concerne Roberto Calvi qui est arrêté le 20 mai 1981, qui tente de se suicider le 9 juillet et qui est libéré le 22 juillet pour être mis en liberté provisoire. Placé auprès de Calvi, Pazienza réussit, au cours des mois qui précèdent l'arrestation, à devenir, un peu à cause de son initiative insistante et un peu par »nécessité intérieure du président de l'Ambrosiano, une sorte de protecteur préposé aux rapports avec le monde politique.

Le banquier, après la fuite d'Ortolani et de Gelli, a grand besoin de »protection . Sa psychologie est telle que, tandis qu'il affiche une grande assurance dans le domaine spécifique de la finance, il se sent extrêmement faible et vulnérable en dehors de celui-ci. Calvi voit le monde dominé par de grandes forces, en concours ou en luttes entre elles: la maçonnerie, la presse, la politique, les services secrets, la mafia et le vatican. Subir la bienveillance ou la malveillance de ces forces est, pour le président de l'Ambrosiano, une condition requise essentielle pour survivre ou au contraire pour succomber.

Il s'agit d'une vision du monde élémentaire, mais dans ce cas, significative pour comprendre le comportement de Calvi au cours de la dernière année de sa vie, à partir du moment de son incarcération en mai 1981 jusqu'à sa mort en juin 1982.

Du reste, le monde politique aussi, de la Dc au Pri, du Pci au Psi, s'intéresse, pendant cette même période, au contrôle de la presse. Et Calvi en possède une large tranche à travers le groupe Rizzoli et le »Corriere della Sera (20).

Ce tableau objectif et subjectif de Calvi permet à Francesco Pazienza, toujours attentif à exploiter les situations particulières dans lesquelles se déterminent des dépendances et des expectatives, de s'introduire activement dans la série de rapports qui se mettent en action dès lors que le président de l'Ambrosiano est incarcéré et que sa famille se prodigue pour le faire libérer. Pazienza devient une sorte de gestionnaire du détenu, surtout dans ses rapports avec les politiques qui pouvaient lui offrir leur appui en échange de services futur dans le domaine de la presse (21).

Pazienza, grâce aux rapports précédemment établis, conduit Madame Calvi chez Piccoli et lui conseille de s'adresser également à Craxi et Andreotti. Les rencontres produisent différents effets (22). De son côté, le but de Pazienza est d'accroître les titres à l'égard de tous ses interlocuteurs. Grâce à Calvi, il entre en contact avec les politiques, renforce la nécessité de Calvi à se servir de lui. C'est ainsi que, lorsque le président de l'Ambrosiano sort de prison, Pazienza participe à la rencontre du banquier avec le secrétaire du Psi, Bettino Craxi (23).

La protection de Pazienza envers Calvi est à son maximum durant l'été 1981, après la mésaventure de la prison, lorsque un séjour en Sardaigne est organisé. Le manoeuvrier offre au président de l'Ambrosiano une brochette de connaissances qui, à son avis, auraient pu lui être utiles, mais qui, en réalité, ne servent qu'à entourer le banquier aux oeufs d'or, d'une myriade de personnages en tous genres qui essaient d'en tirer des avantages. Outre Pazienza, se trouvent en Sardaigne son secrétaire, Maurizio Mazzotta, Flavio Carboni et Emilio Pellicani, et le boss du milieu Domenico Balducci, propriétaire d'une villa qui aurait dû héberger Calvi. Le sous-secrétaire au Trésor, Giuseppe Pisanu, était l'hôte de Carboni; à Portorotondo se trouvaient Carlo Binetti, collaborateur d'Andreatta et Ernesto Kohl, consul du Vénézuela, intéressé aux trafics financiers et pétroliers; à Porto Cervo, Calvi rencontre également Fausto Annibaldi, du milieu des usuriers romains.

Après cet été sarde aux rencontres multiples, la bonne étoile de Pazienza commence à décliner. Calvi et sa famille comprennent que Pazienza ne s'intéresse qu'à l'argent et qu'au pouvoir et que sa véritable activité est celle de spéculer en vendant au meilleur offrant ses relations sociales. Laissons de côté tous les menus détails des activités de Pazienza jusqu'à son apparition ponctuelle et très étrange sur la scène de la disparition et la mort de Calvi en juin 1982.

La fortune du manoeuvrier qui avait réussi rapidement à entrer dans le coeur des centres délicats du pouvoir décline proportionnellement à celle de ses protecteurs. Un tel personnage avait réussi à devenir conseiller spécial du chef des services secrets, collaborateur du secrétaire de la Démocratie Chrétienne et même, trait d'union dans les relations de gouvernement entre Italie et Etats Unis. Avec la chute de Santovito (été 1980), la mort de Calvi (juin 1982) et le déclin de Piccoli, l'irrésistible ascension de Pazienza marque un temps d'arrêt.

Comme avec la P2, la force de Pazienza n'est pas étrangère au système des partis et à ses dégénérescences. A partir du moment où ses protecteurs, qui s'étaient servis de lui pour des activités illégales en tous genres, n'ont plus besoin de lui ou craignent que sa présence ne devienne embarassante, Pazienza ne peut plus compter sur l'unique infrastructure qui lui avait permis de mener ses affaires personnelles: celle du pouvoir politique et des appareils d'Etat.

Pazienza abandonne précipitamment l'Italie en automne 1982 après la mort de Calvi. Il est poursuivi par une série de mandats d'arrêts, quatre jusqu'à l'été 1985. Les délits dont il est accusé vont de l'escroquerie à l'extorsion, des rapports avec la mafia et la camorra à la révélation de secrets d'Etat, de la banqueroute à l'association de malfaiteurs. Le rapport avec Calvi a produit les délits financiers relatifs à la banqueroute de l'Ambrosiano. Les services rendus à Piccoli ont impliqué ce dernier dans l'inculpation d'association de malfaiteurs. Ses relations avec des personnages américains de la faune des services secrets qui se font passer pour des conseillers sur le »problème de la destabilisation et de l'antiterrorisme international s'est réduit à un litige ridicule pour se partager quelques poignées d'argent extoqué. Le fait d'avoir régné en maître dans les services secrets, en particulier le rapport privilégié avec l'ex-directeur du SISMI, le génértal Santovito, et avec son bras droit, le géné

ral Pietro Musumeci, a donné lieu à une série d'accusations relatives précisément aux déviations des services mêmes et à l'utilisation inadéquate de ces délicats organes d'Etat.

La magistrature romaine a vu dans l'ex-pupille des leaders politiques et des généraux, l'organisateur d'une véritable bande mafieuse, dont le juge d'instruction écrit: »C'est justement sur les informations, en plus de la force d'intimidation dérivant de cette même organisation préposée à la collecte de documents secrets, que se fonde les chantages, les menaces et les extorsions de la bande Pazienza .

Mais ce qui sous l'aspect judiciaire représente des délits, pour des personnages comme Pazienza sont des activités normales d'une vie publique considérée comme terrain de rencontre entre bandes ayant tendance à s'approprier des intérêts financiers et à mener des luttes pour le pouvoir. Dans un de ses mémoires de défense envoyé au juge d'instruction, Pazienza déclare: »Au début de l'année 1980, je me décidai à entrer dans les services secrets italiens avec une charge bien précise, la diplomatie parallèle pour ce que les anglais appellent »spécial and covert opérations . Le ministre de la Défense [à l'époque, Lelio Lagorio] était au courant d'une structure de ce genre. En tant que responsable, je rendais des comptes directement à Santovito: un rapport était dactylographié dans la petite salle à côté du bureau du directeur afin de garantir l'absence de copies. Sanvito, à son tour, mettait au courant le ministre de la Défense, le président du Conseil ou le Comité parlementaire . On apprendra par la suite, a

u cours du procès pour les déviations des services secrets, que pour cela, Pazienza percevait cent millions de lires par mois en tant que conseiller fixe.

Le 4 mars 1985, après de nombreux mandats d'arrêt, Pazienza est arrêté aux Usa et enfermé dans la prison de New York, le Manhattan Correctional Center. Encore une fois, le manoeuvrier essaie d'échapper à l'incarcération et à l'extradition en Italie en faisant recours à ses mérites de »collaborateur , »d'espion en faveur des Etats-Unis, en renouvelant le jeu déjà expérimenté avec le président du Conseil italien, Craxi, par une lettre écrite le 10 décembre dans laquelle il demandait à »être libéré de l'obligation du secret d'Etat . Pazienza se vantait d'avoir porté à terme des opération d'espionnage, des missions de conciliation des rapports entre Vatican et OLP, des rencontres internationales, des voyages au Liban et ailleurs pour transmettre des messages des services secrets en accord avec le ministre des Affaires Etrangères de l'époque, Emilio Colombo. Mais même les autorités des Etats Unis refusaient de reconnaître les mérites de Pazienza et de lui accorder une protection, que peuvent avoir, selon la

loi américaine, les accusés qui collaborent avec la justice.

La brève "irrésistible ascension" de Pazienza s'est terminée dans une prison américaine dans l'attente que la justice italienne puisse suivre son cours, avec l'extradition et les procès. Celui que des leaders politiques, des généraux et des banquiers avaient utilisé à leur guise pour se faire exploiter à leur tour, a été remis à sa place naturelle par une justice qui semble avoir commencé, dans ce cas, à suivre son cours. Le dernier et le plus brillant des manoeuvriers national doit répondre du délit devenu typique pour ce genre de personnages: l'association de malfaiteurs de type mafieux.

NOTES:

1. La thèse de Pazienza envoyé pour remplacer Gelli est soutenue par la relation Anselmi à la Commission P2. Cette évaluation n'est appuyée par aucun élément de fait mais uniquement par des suppositions.

2. Audition de Francesco Pazienza à la Commission P2 du 11 février 1982, dans All. (T.), vol. III, tome XVII, p.177.

3. Voir "Francesco Pazienza: profilo del personaggio", dans All. (T.), vol.III, tome XVII, pp. 5-39.

4. Audition de Federico Umberto D'Amato à la Commission P2 du 4 novembre 1982 dans All. (T.), vol. III, tome XIX, p.455.

5. Ibidem.

6. "Francesco Pazienza: profilo del personaggio", cit.

7. Bilan de la société luxembourgeoise Se Debra S.A. de l'année 1977, extrait de »Le Moniteur , bulletin officiel du Luxembourg, reproduit dans All. (T.), vol. III, tome XVII, p.41.

8. "Francesco Pazienza: profilo del personaggio", cit.

9. Audition du général Ninetto Lugaresi, directeur du SISMI (Août 1981-avril 1984) à la Commission P2 du 18 février 1982, dans All. (T.), vol. III, tome XIX, p.71.

10. Audition de Federico Umberto D'Amato, cit.

11. Actes de la procédure auprès du Parquet de la République de Rome, contre Alvaro Giardili et autres pour association de malfaiteurs dans All. (T.), vol.III, tome XVIII, pp.23-399.

12. Cf. Audition de Francesco Pazienza à la Commission P2 du 11 février 1982; audition du général Santovito à la Commission P2 du 2 mars 1982, du 28 octobre 1982 et du 29 novembre 1982, dans All. (T.), vol.III, tome XVII, tome XVIII et tome XIX.

13. Plusieurs témoignages parlent des rapports de Pazienza avec la mafia italo-américaine. Santovito rapporte que Pazienza avait des rapports avec Gambino et Genovese ainsi qu'avec le milieu napolitain et sicilien. D'autres témoignages rapportent que Pazienza effectuait des opérations financières pour le compte du milieu américain et qu'il avait des rapports avec de nombreuses familles mafieuses américaines. Cf. All. (T.), vol. III, tome XVII, p.31.

14. Organisation du voyage aux Usa du sous-secrétaire Franco Mazzola, voir All. (T.), vol. III, tome XVII, p.31.

15. Audition de Flaminio Piccoli à la Commission P2, le 20 janvier 1984 dans All. (T.), vol. III, tome XVIII, p.647.

16. La circonstance selon laquelle Piccoli adressa Pazienza à Calvi est témoignée par Clara Calvi et, indirectement, par Federico Umberto D'Amato et alvaro Giardili.

17. Audition de Piccoli, cit.

18. Ibidem.

19. Parmi tous les témoignages, voir l'Audition d'Alvaro Giardili à la Commission P2 du 9 février 1984 (tome XVIII, p.401) ainsi que les témoignages de Giardili au Ministère Public Sica, le 22 février 1982, le 28 juillet 1982 (tome XVIII, pp.33 et 36), au juge d'instruction Imposimato le 19 novembre 1982, le 28 octobre 1982 et le 7 juin 1983 (tome XVIII, pp.42, 47 et 51), dans All. (T.), vol. III, tome XVIII.

20. Cf. le chapitre XI sur les manoeuvres des partis à l'égard de la presse rizzolienne.

21. Sur le rôle de Pazienza durant l'incarcération de Calvi, il est intéressant de voir la déposition de Roberto Rosone, qui subira plus tard un attenta devant sa résidence milanaise; à l'époque des faits il était vice-président du Banco Ambrosiano: »Après l'arrestation du président Calvi, Francesco Pazienza, Maurizio Mazzotta et Giuseppe Ciarrapico vinrent me trouver à mon bureau; il y avait avec moi, le directeur général Olgiati et le co-directeur général pour l'étranger, Leoni... Je me souviens qu'ils se présentèrent à une heure tardive car, comme il le précisa lui-même, Ciarrapico revenait d'un voyage à Mogadiscio à la suite d'Andreotti. Ces trois personnes nous dirent qu'elles étaient les porte-paroles du président Calvi et qu'elles nous donneraient des instructions. Il s'agit d'un colloque étrange et étonnant, vu que toutes les trois prétendaient, de manière absurde, vouloir prendre en main, au nom de Calvi, la gestion de la banque. J'eus une impression déprimante et je dois dire que j'étais terrorisé

surtout par l'attitude de Pazienza, lequel se vantait d'être en mesure de tout régler grâce à ses connaissances au niveau politique et gouvernemental. Puis, lorsque Calvi sortit de prison, le 20 juillet 1981, je parlai avec lui du colloque en question, j'en parlai après ma nomination au poste de directeur général de la banque qui a eu lieu le 28 juillet 1981. Je fis part à Calvi de mes impressions négatives sur le personnage Pazienza et sur son secrétaire Mazzotta, en ajoutant que mon intention était de ne pas traiter absolument avec de tels personnages. Calvi essaya de me rassurer, soulignant l'oeuvre d'assistance, durant la période de sa détention, qu'avaient menée Pazienza et Mazzotta en faveur de sa famille. Puis il ajouta textuellement : "D'autre part, Pazienza est un cadeau de Piccoli" . Cf. »Il Giornale d'Italia , 21 mai 1985.

22. Voir Audition de Clara Calvi à la Commission P2 à New York, le 6 décembre 15982, dans "Allegati alla relazione" (Pisanò), vol. III, tome VIII, Parlement, 1984.

23. Audition de Bettino Craxi, cit.

 
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