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De Andreis Marco - 15 settembre 1986
L'ITALIE ET LA COURSE AU REARMEMENT (4) Contrôle des armes nucléaires et doctrine stratégique américaine
par Marco De Andreis

IRDISP-INSTITUT DE RECHERCHES POUR LE DESARMEMENT, LE DEVELOPPEMENT ET LA PAIX

SOMMAIRE: La course au réarmement? D'accord. Mais l'Italie là dedans? Ce ne sont pas les Etats-Unis et l'Union Soviétique qui organisent cette course? Il est vrai que les deux grandes puissances sont les principales responsables de la course au réarmement. Les principales, mais pas les seules. L'Italie aussi a sa part de responsabilité. Inférieure mais pas négligeable. En chiffres absolu la dépense militaire de l'Italie a été en 1985 au huitième rang dans le monde. En ce qui concerne le nombre d'hommes sous les armes, au quinzième rang. Et parmi les exportateurs mondiaux d'armes, les italiens occupent la sixième place. Le poids du secteur militaire dans l'ensemble de l'économie italienne est encore assez contenu: la dépense absorbe 2,7% du produit national brut; les armes représentent 2,7% de la richesse produite par l'industrie et 2,3% des exportations. En outre les menaces militaires contre la sécurité de l'Italie sont moins graves que celles que doivent affronter beaucoup d'autres acteurs internationaux -

y compris beaucoup de nos alliés. Nous nous trouvons donc dans une situation qui offre beaucoup d'opportunités de limitation des dépenses, d'expérimenter des conversions au civil des productions militaires, de promouvoir une politique de sécurité réaliste et de distension. Malheureusement on ne profite pas de ces opportunités. Au contraire, dans les dix dernières années, c'est la tendance à l'extension qui s'est affirmée, et il est urgent de la stopper. C'est depuis la moitié des années 70, en effet, que l'Italie commence à figurer parmi les principaux exportateurs de systèmes d'armes, et que la dépense militaire dépasse les taux de croissance annuelle concordés à l'OTAN. Et c'est toujours dans cette période que commencent à se faire entendre les défenseurs d'un "nouveau rôle" militaire de l'Italie en Méditerranée. Le "Livre blanc", présenté par le Ministre de la Défense Spadolini au cours de l'hiver 1984-1985, résume et met au point ces développements, évidemment du côté de ceux qui les ont soutenus et il

espère qu'ils continueront. Ce volume, par contre, met en relief les doutes, les interrogatifs, les propositions alternatives par rapport à ce qui a été jusqu'à présent un monologue de l'establishment.

("L'ITALIE ET LA COURSE AU REARMEMENT" - Un contre-livre blanc de la défense - par Marco De Andreis et Paolo Miggiano - Préface de Roberto Cicciomessere - Franco Angeli Libri, 1987, Milan)

1. CONTROLE DES ARMES NUCLEAIRES ET DOCTRINE STRATEGIQUE AMERICAINE(*)

par Marco De Andreis

(*) Ce chapitre est la version italienne d'une recherche menée par l'auteur pour le compte de l'Institut des affaires internationales (Iai) de Rome. La version anglaise sera publiée sur la revue de l'Iai, "The International Spectator".

1. Introduction

C3I = commande, Contrôle, communications et "intelligence", en entendant par le dernier terme la récolte d'informations. Aux fins de ce chapitre, tout ceci se réfère aux forces nucléaires stratégiques.

Dans une discipline, celle des études stratégiques, aussi encline aux acronymes et aux petites formules, "C3I" (qui se lit "sea-cube-eye", c-au-cube-i) était destiné à un succès certain. Toutefois, un seul des quatre termes suffit à rendre compte du problème sous-entendu par la formule. Si bien que nous pouvons parler de Contrôle des forces nucléaires. En effet pour contrôler quoi que ce soit, il faut des informations ("intelligence") qui sont reçues et transmises (communications), parfois sous forme d'ordres (commande).

L'étude du Contrôle des forces nucléaires est toujours plus en vogue dans la stratégie contemporaine. Les travaux d'une certaine ampleur consacrés spécialement au sujet datent tous d'après 1980 - du moins à ma connaissance. Dans les écrits plus récents, et pas uniquement dans la littérature spécialisée, il est désormais difficile qu'il n'y ait pas ne fut-ce qu'une allusion au C3I. A quoi doit-on tant de succès?

En partie aux modes culturelles du secteur. un secteur où "beaucoup d'analyses présentées aujourd'hui comme nouvelles et profondes ont été faites hier, et d'habitude avec une logique plus serrée et sous une meilleure forme littéraire" (1). Trouver la façon d'attaquer d'un nouvel angle le dilemme nucléaire - dont les alternatives ont été mises à nu par Bernard Brodie il y a quarante ans - peut faire la fortune académique du premier qui s'en aperçoit et de ceux qui se dépêchent à la suivre.

Au-delà des modes, s'occuper du Contrôle des forces nucléaires semble avoir une logique. Celle-ci est souvent résumée par une métaphore tirée de la philosophie humaine, d'après laquelle les forces nucléaires sont des muscles et le C3I le système nerveux qui fléchit, à l'occurrence, ces muscles. On pourrait continuer sur cette voie, identifiant le cerveau comme l'autorité politique et/ou militaire qui décide en dernière instance sur l'utilisation des armes nucléaires (2). La métaphore a le mérite d'éclaircir, de toute façon, qu'un collapsus du système nerveux est en mesure de paralyser tout l'organisme, même si les muscles sont en pleine forme et l'esprit vivace. Tout ceux qui ont écrit à propos de C3I répètent que les études stratégiques ont trop insisté sur le comptage, lors du Salt, des forces ou sur la polémique sur les doctrines - respectivement: les muscles; le système de valeurs de l'esprit nucléaire. On a négligé en revanche la manière dont les doctrines stratégiques interagissent avec les systèmes d'

arme - autrement dit la question du Contrôle.

Tout cela est, à l'apparence, une revanche du C3I sur les autres terrains d'enquête de la stratégie contemporaine. A l'apparence, parce que c'est le contraire qui est vrai. En soi, le système de Contrôle ressemble à un fouillis de mécanismes fantaisistes - pour la plupart électroniques. On peut en parler à raison uniquement pour juger les doctrines et les forces nucléaires. Ce qui signifie qu'à la fin d'un parcours rendu plus pénible que d'habitude par une infinité de détails techniques, tous importants, on se retrouve face aux dilemmes de toujours: les armes nucléaires ont-elles une utilité politique dans le monde contemporain? Que faire si le pouvoir de dissuasion échoue? Et ainsi de suite.

Dans les premiers paragraphes de ce chapitre on tentera de décrire le système américain de C3I, pour passer ensuite à une évaluation de ce système à la lumière de la doctrine stratégique en vigueur et des programmes de modernisation décidés par l'administration Reagan. La discussion reviendra ensuite brièvement sur la politique stratégique et le Contrôle des armements.

2. Le budget du Pentagone et le C3I

Parmi les causes de l'intérêt actuel pour le Contrôle nucléaire, la haute priorité qui lui a été donnée par l'administration Reagan n'occupe pas la dernière place. Cette priorité a même été confirmée récemment. Le 3 juin 1986 la Maison Blanche a diffusé un "Résumé des programmes de modernisation stratégique que le président a demandé au Congrès de sauver des coupes au budget de la défense" (3): les programmes relatifs au commandement, au Contrôle et aux communications ont la priorité sur tous les autres, y compris le Sdi, et la modernisation des forces stratégiques.

En termes de budget le C3 (stratégique et tactique) est passé de 5,9% en 1982 à 6,5% en 1985, sur le total de la dépense du Pentagone - en valeurs courantes il s'agit respectivement de 12,3 et 18 milliards de dollars (4). En moyenne plus de la moitié des fonds va au C3 stratégique, où 73% des ressources va à l'achat de nouveau matériel.

Bruce Blair, le spécialiste américain de commandement et Contrôle, est au contraire de l'avis qu'il s'agit d'un engagement de façade, autrement dit que le Pentagone se garde bien de traduire en pratique les déclaration d'intentions sur le C3. D'après Blair, des projections sur le budget montrent que le C3 stratégique oscillera entre 1,3% et 1,5% du total dans les années financières 1983-1987. De plus, près d'un tiers de ces sommes sera absorbé par un programme en particulier, le satellite de communications MILSTAR.

"Ces chiffres - a-t-il écrit - mettent en doute l'authenticité de l'engagement pris par l'administration Reagan de revoir le système de commandement" (6). Il est également douteux que les appels du président puissent vaincre la propension de chaque force armée à sauver l'achat de leurs systèmes d'arme, aux dépends de tout le reste des articles de budget: "En fait, il est probable que l'on assiste à une augmentation, au lieu d'une diminution, des coupes aux dépenses de C3I et à une continuation de la priorité accordée par les forces armées aux armes elles-mêmes" (7). Ceci devrait être d'autant plus vrai dans le contexte d'allocations gelées pour la défense que la manoeuvre d'effacement du déficit du bilan fédéral impose.

3. La ligne de commandement

Le Contrôle des forces armées appartient aux "National Command Authorities" (NCA), c'est-à-dire le président et le secrétaire à la Défense - ou leurs représentants ou remplaçants. Le Contrôle sur les armes nucléaires appartient au président, qui est le seul qui peut en autoriser l'emploi. De toute manière, "il est improbable que cette autorisation arrive sans l'approbation du secrétaire" (à la Défense) (8). Non seulement: la chaîne de commandement prévoit un autre passage intermédiaire entre la décision du président et l'utilisation effective de l'arme nucléaire de la part du commandant sur le terrain: il s'agit du "Chairman of Joint Chiefs of Staff" (correspondant à notre chef d'état major à la Défense). Que le tout se traduit par un Contrôle à trois, en pratique, est confirmé par des déclaration dignes de foi. Il parait que Lyndon Johnson s'est une fois amusé à imaginer un ordre improvisé d'attaque totale contre l'URSS venant de lui: "Général, attaquez-les! Vous savez ce que répondrait le général? Monsieur

le Président, allez vous faire foutre ("screw you") (9).

Que se passe-t-il si le président est "empêché"? Selon le 25ème amendement de 1967 et le "Presidential Succession Act" de vingt ans auparavant, la ligne de succession va du président au vice-président, et ensuite au "Speaker" de la Chambre des représentants, au président pro tempore du Sénat et enfin aux différents ministres par ordre d'ancienneté. La haute figure clé dans l'NCA est le secrétaire à la Défense, dont la ligne de succession est également assez compliquée: le "Deputy", et ensuite les secrétaires de l'Armée, de la Marine et de l'Aviation, le "Director of Defense Research and Engineering", les différents "Assistant Secretaries" et le conseiller général du Département de la défense (selon leur ancienneté de service), les sous-secrétaires des trois forces armées (comme ci-dessus) et les "Assistant Secretaries" des trois forces armées (comme ci-dessus).

Il semble sûr qu'en condition de stress extrême, comme après une attaque nucléaire sur les Etats-Unis, il y aurait pas mal de chaos. En pratique, parmi tous ces messieurs, le premier disponible deviendrait le successeur légitime. Pour s'en rendre compte il suffit de penser aux polémiques lorsque Reagan fut blessé par un psychopathe le 30 mars 1981 - à un moment de calme, du point de vue des tensions internationales. Le vice-président Bush n'étant pas dans la capitale, le secrétaire d'Etat de l'époque, Haig, s'auto-proclama successeur: "Jusqu'au retour du vice-président c'est moi qui ait la situation sous Contrôle ici à la Maison Blanche" (10). Comme nous avons vu, au moins deux autorités auraient dû avoir la priorité sur Haig.

La mallette noire (que les américains appellent "Football") qui, bien que serrée dans les mains d'un garde du corps, suit toujours le président, est désormais entrée dans l'imaginaire collectif. Elle contient les codes pour autoriser l'emploi des armes nucléaires et le Livre Noir avec les options du "Single Integrated Operational Plan" (SIOP), le plan opérationnel intégré à cet usage. Même si le président peut être momentanément ou définitivement "empêché", il n'est pas si sûr que ses successeurs soient au courant du contenu de la mallette. Lorsque, après l'assassinat de John Kennedy en novembre 1963, la "balle" passa à Johson, celui-ci n'avait pas la moindre idée de son contenu (11). Par la suite la situation est restée inchangée. Du moins jusqu'à Carter, qui à peine installé "... resta stupéfait d'apprendre que l'individu suivant dans la ligne de commandement, le vice-président, n'avait jamais participé, dans aucune administration, à aucun exercice top secret sur le SIOP et ses options d'attaque" (12). Sui

virent une série de réunions sur le sujet, auxquelles prirent part Carter lui-même, le vice-président Mondale et le secrétaire à la Défense Harold Brown. A l'exception de Carter, et en moindre mesure, Kennedy, les présidents eux-mêmes ne peuvent pas vanter une grande familiarité avec le viatique inquiétant du "Football". Le général William Odom, assistant militaire du conseiller de Carter pour la sécurité nationale Brzezinski, commenta ainsi l'effort accompli par le dernier président démocrate pour maîtriser le Contrôle des forces nucléaires: "Je ne crois pas que ça ait jamais été fait auparavant"; en général l'attitude des autres présidents "... envers le commandement et le Contrôle, en particulier des forces stratégiques, a été typiquement de bienveillante négligence" (13). Sur les connaissances de Reagan en la matière, nous n'avons que des indices. Et ils ne sont pas très rassurants: il a déclaré que les missiles lancés par les sous-marins (SLBM) sont "rappelables"; que "les missiles basés à terre ont des

ogives nucléaires, alors que les bombardiers et les sous-marins n'en ont pas"; ou bien après avoir appris que le missile soviétique SS-18 est plus grand que l'SS-19 il a commenté: "ils ont même inverti les numéros de leurs missiles, pourvu de nous confondre" (14).

4. Les postes de commandement

Pour pouvoir dire qu'il Contrôle les forces nucléaires, le président doit se servir de communications. Celles-ci doivent aboutir quelque part. Par conséquent la NCA doit disposer de postes de commandement. Le premier de ces postes est au Pentagone, où il occupe le deuxième et troisième étage: On l'appelle ""National Military Command Center" (NMCC), c'est là que se trouve le téléphone rouge Moscou-Wahington et il n'est en aucune façon "renforcé". C'est en 1954 qu'apparurent déjà les premières craintes pour la vulnérabilité du NMCC. Si bien qu'on en prépara un autre, protégé, à fort Richie dans le Maryland - à 75 milles de Washington - appelé "Alternate National Military Command Center" (ANMCC). Avec le développement des forces offensives soviétiques, l'ANMCC aussi devint vulnérable. La seule solution logique, pour avoir un poste de commandement capable d'échapper à une attaque, fut alors celle de préparer dans ce but un B-747 opportunément équipé.

Ces avions, marqués E-4, sont au nombre de quatre. Le Pentagone en avait demandé sept, mais leur nombre a ensuite été réduit à cause. semble-t-il, des frais élevés nécessaires pour rendre l'avion et ses équipements résistants à l'impulsion électromagnétique ("Electro Magnetic Pulse", EMP) (15) - sur l'EMP nous aurons l'occasion de revenir. Les E-4 aussi ont leur brave sigle: ils s'appellent NEACP, prononcé "Kneecap", c'est-à-dire "National Emergency Airborne Command Post".

Théoriquement un avion est certes moins vulnérable qu'une installation fixe. Mais il a ses problèmes: il peut bien sûr être ravitaillé en vol en ce qui concerne le carburant mais pas en ce qui concerne le lubrifiant nécessaire aux moteurs. Sa limite est par conséquent de 72 heures - sans compter la résistance de l'équipage contre la fatigue. Dans une guerre nucléaire, il n'est pas dit qu'il y ait une grande disponibilité d'aéroports pour faire atterrir un B-747, le ravitailler, changer d'équipage et ainsi de suite. De plus les débris et la poussière lancés dans l'atmosphère par des explosions nucléaires au sol peuvent sérieusement endommager les moteurs. Tout cela peut avoir peu d'importance pour ceux qui considèrent qu'un échange d'engins intercontinentaux ne puisse pas durer longtemps. Si par contre, comme le fait l'Administration, on considère qu'il peut durer des mois, la longévité du "Kneecap" devient une affaire sérieuse. Il y a enfin, avec le NEACP, un problème de comportement en cas de crise: à un mo

ment de haute tension, y faire monter la NCA pourrait être interprété par les russe comme une déclaration de guerre. Ce qui pourrait dissuader le président de prendre une décision de ce genre.

Qui pourtant serait une décision prudente: un SLBM soviétique met moins de dix minutes à atteindre - et à détruire - la piste sur laquelle l'E-4 attend le président. Ou, et le résultat est le même, à atteindre et à détruire la Maison Blanche. Par conséquent, en cas d'attaque ad hoc, l'NCA réussirait-elle à s'embarquer sur le "Kneecap"?

En 1977 Brzezinski simula une urgence, qui se conclut par un désastre. Non seulement on dépassa de beaucoup le temps maximum: il s'en fut de peu que les services de sécurité n'abattirent l'hélicoptère qui aurait dû amener le président-Brzezinski à la base de Andrews - où se trouvait alors l'E-4 (16).

En 1983 le pentagone décida de déplacer l'avion de Andrews - qui se trouve tout près de Washington - dans une base secrète plus à l'intérieur. Dans le nouvel aéroport l'avion est en état d'alerte, de façon à être toujours en mesure de décoller avant l'arrivée de l'habituel SLBM. Pour ensuite atterrir éventuellement à un point de rencontre avec l'hélicoptère présidentiel. Un sénateur de l'Indiana, Daniel Quayle, ne réussit de toute façon pas à résister à la tentation de se vanter avec l'électorat d'avoir réussi à faire transférer dans son état une nouvelle base militaire. La nouvelle base, dans l'aéroport de Grissom, était celle du "Kneecap" (17).

Un autre poste de commandement important est celui du "Strategic Air Command" (SAC), qui est enterré à Omaha, au Nebraska. Lui aussi est de toute façon considéré vulnérable. Ce qui a amené, de nouveau, à la création de duplicatas aéroportés. L'aviation américaine a deux groupes de vol de EC-135 (B-707), dits "Post Attack Command and Control System" (PACCS) ou, plus communément, "Looking Glass". Depuis 1961, un ou deux de ces avions sont toujours en vol: à bord il y a, entre autre, un général de l'Aviation dont la tâche est, en théorie, d'exécuter les ordres du commandant du SAC ou de l'NCA.

En théorie parce que si les soviétiques lançaient avec succès une attaque de "décapitation", la NCA deviendrait de fait "Looking Glass". La conséquence pratique de tout ceci est que, justement pour faire face à des circonstances de ce genre, celui qui est à bord du PACCS peut autoriser-décider l'emploi des forces nucléaires stratégiques. La chose peut avoir lieu de différentes façons: l'avion peut transmettre aux "Launch Control Centers" (LCC) des missiles intercontinentaux basés au sol (ICBM) l'ordre de lancement, dit "Emergency Action Message" (EAM); il peut lancer directement les ICBM, au cas où les LCC ne soient plus en condition d'opérer: il peut faire la même chose par l'intermédiaire d'autres avions "Looking Glass" - si ces derniers n'ont pas été détruits au sol; il peut ordonner de lancer des satellites d'urgence: il s'agit de l'"Emergency Rocket Communication System" (ERCS), une douzaine de missiles "Minuteman" basés à Whiteman dans le Missouri, qui à la place des ogives ont des transmetteurs capabl

es d'envoyer l'ordre de lancement aux bases du reste des ICBM (18). Et encore: l'avion du SAC peut ordonner aux bombardiers de se diriger sur leurs objectifs, même si pour le faire il doit compter sur la présence dans l'espace aérien d'autres avions "Looking Glass" qui servent en quelque sorte de pont aérien avec les formations (en file) de B-52. Enfin il peut communiquer avec les avions C-130 de la Marine, qui à leur tour peuvent transmettre aux sous-marins lance-missiles (SSBN) l'ordre de lancer leurs SLBM. Les avions pour la communication avec les SSBN s'appellent "Tacamo", pour "Take Charge and Move out": il y en a toujours deux en vol, un sur l'Atlantique et l'autre sur le Pacifique, avec le reste des deux groupes de vol en alerte au sol. Les "Tacamo", qui ne peuvent pas être ravitaillés en vol, ne peuvent opérer que 10-11 heures, contre les 24 heures environ de "Looking Glass" (19).

5. L'autorité sur l'emploi des armes nucléaires

Le problème posé par la capacité de "Looking Glass" de décider l'emploi des forces stratégiques, nous ramène à la question "légale" de l'autorité sur l'emploi des armes nucléaires. Il semble évident, à ce point, que celle du président est le moins qu'on puisse dire une monarchie constitutionnelle. Autrement dit l'autorité du chef de l'exécutif est soumise à de nombreuses conditions et/ou exceptions. Pour nous rendre compte de la portée réelle de l'affaire, il faut revenir à l'idée de Contrôle: nous pouvons appeler Contrôle positif la garantie que les armes nucléaires soient utilisées lorsque prévu; nous pouvons appeler, collectivement, Contrôle négatif les mesures prises pour éviter des utilisations impropres. Entre les deux formes de Contrôle il y a un rapport de proportionnalité inverse, dans le sens que maximalisant l'une on minimise l'autre et vice-versa. Des étranglements comme ça, on en rencontre souvent. Peut-être que la forme logique classique est celle de l'erreur bêta (accepter une fausse hypothèse

) contre l'erreur alfa (repousser une hypothèse vraie).

Les mesures de Contrôle négatif sont nombreuses et concernent même le président qui, dans un superbe isolement, serait difficilement écouté - si ce n'est envoyé au diable, comme disait Johnson. Pour tout le reste du groupe de militaires qui, à différent titre, participent au Contrôle, les mesures adoptées sont essentiellement de deux sortes: la première consiste à faire participer plus d'une personne à la fois aux procédures pour l'utilisation d'une ogive; la deuxième est le soi-disant "Permissive Action Link" (PAL), un code numérique sans la connaissance duquel on ne peut pas activer l'ogive. Dans certains cas, comme les centres de Contrôle des ICBM, la "règle des deux hommes" et le PAL coexistent, autrement dit il y a deux individus qui doivent valider et introduire simultanément les codes de lancement - plus une série d'autres mesures de sécurité, dont une qui comporte une sorte de droit de veto de la part de l'équipage d'un autre LCC.

Dans le cas des armes nucléaires, disons non-stratégiques, le PAL est la garantie principale contre une utilisation non autorisée. Enfin en ce qui concerne les sous-marins SSBN, "Looking Glass" et, probablement, les bombardiers et les unités de la Marine dotées d'armes nucléaires (certains sous-marins d'attaque et certains navires de surface à partir des frégates) seul vaut la formule de plus d'un homme - il semble que dans les SSBN ce soit pratiquement tout l'équipage qui participe (20). En d'autres termes, des militaires en service sur ces systèmes possèdent déjà les codes, ou connaissent les procédures, nécessaires pour l'utilisation des différents engins,

La raison d'un tel choix apparait claire compte tenu que dans tous les cas cités il y a de bonnes probabilités pour que les communications avec la NCA sautent. Ou bien, dans le cas de "Looking Glass", qu'il faille succéder à l'NCA. La seule manière de remédier à la "décapitation" est donc celle de pré-déléguer le Contrôle. Ce qui signifie que pour garantir le Contrôle positif, on a dû renoncer à un quantum de Contrôle négatif. Même si nombreux sont ceux qui verraient le PAL sur les unités de la Marine, en particulier les SSBN, en général tout le système de mesures contre l'utilisation non autorisée est considéré plus que satisfaisant. Autrement dit la probabilité d'un scénario du genre du docteur Stranamore - où un général du SAC envoyait, de son propre chef, les bombardiers B-52 bombarder l'URSS - est jugée très basse. Il faut remarquer que le problème dont nous parlons est, d'une façon conceptuelle, différent de celui de la "fausse alerte", que nous verrons plus tard en examinant les systèmes d'alerte ("ea

rly Warning").

Il faut enfin rappeler que le contrôle négatif est d'autant plus efficace que la situation internationale est détendue. Plus les forces nucléaires sont "générées" - jargon pour: augmenter l'état de rapidité opérationnelle - et plus il est probable qu'un commandant, ou tout un équipage, peuvent être induits à ne pas attendre les ordres de la NCA. La conséquence est donc celle de rendre l'alerte un problème en soi. Cela aussi sera traité ci-après: il suffit de rappeler ici que la "Defense Condition" (DEFCON) 1, qui est justement le maximum dans une échelle de 1 à 5 de la "génération" des forces USA, est appelée significativement "cocked pistol" - autrement dit un revolver dont le chien est déjà armé.

6. L'alerte ("early Warning")

Même si rien n'empêche personne d'utiliser en premier les armes nucléaires, l'idée de dissuasion suggère un rôle réactif. La réaction se déclenche en cas d'attaque d'autrui. Il est donc logique qu'il faut être en mesure d'établir en premier lieu s'il y a attaque et d'où elle provient. Il est peut être utile ensuite de déterminer l'échelle et les objectifs de l'attaque. Tout cela est le "warning" et rien d'autre que le I du C3I - puisque sans informations on ne donne pas l'alerte. Une dimension importante du "warning" est le temps: "L'alerte stratégique est l'alerte d'une attaque imminente, avant son exécution. L'alerte tactique est par contre une alerte d'une attaque déjà lancée" (21). En général l'organisation et les moyens décrits dans cette section servent à l'alerte tactique; l'alarme stratégique appartient à plus ou moins tout le reste des ressources à disposition des services de renseignement: des espions aux satellites de reconnaissance.

La première façon d'établir une attaque contre les Etats-Unis faite avec des missiles balistiques est représentée par trois satellites du "Defense Support Program" (DSP). Il sont en orbite géostationnaire (à environ 36.000 km d'altitude), un sur l'hémisphère Est et deux sur l'hémisphère Ouest. A bord ils ont des capteurs à infrarouge qui captent les émissions d'un missile environ une minute après son lancement: le point du globe d'où est partie la fusée est établi avec une approximation de 3-5 km. Les satellites du DSP sont aussi dotés de systèmes pour capter les particules nucléaires et de capteurs de rayons gamma et x, et de capteurs d'EMP. Pour la transmission des données, DSP "East" s's'appuie sur une station de lecture non protégée en Australie; de là ces données sont triées dans le continent américain (Californie) par câble sous-marin. Par contre, les deux DSP "West", étant "en vue", peuvent transmettre leurs informations directement à Sunnyvale en Californie, où se trouve le "Satellite Test Center". C

e dernier, outre à transmettre les données du DSP au "North American Aerospace Defense Command" (NORAD), a la tâche de veiller à garder les satellites américains sur les orbites qui leurs sont assignées, leurs capteurs et leurs antennes bien pointés. Lui aussi, toutefois, peut être défini un "large, soft target", un gros objectif non renforcé. En plus du NORAD, l'NMCC, l'ANMCC et le SAC reçoivent les données du DSP - désolé pour la foule d'acronymes. C'est le premier, de toute manière, qui a un rôle clé, car c'est à lui que revient l'"attack assessment" - combien sont et où sont dirigées les ogives attaquantes - et sa diffusion aux autres postes de commandement.

Les satellites d'"early warning" sont intégrés dans une série d'autres capteurs, surtout radar. Il s'agit de a) le "Ballistic Missile Early Warning System" (BMEWS), trois radars situés respectivement à Clear en Alaska, à Thule au Groenland et à Fylingdale Moore en Grande Bretagne; b) les deux radars "Pave Paws", un à la base aérienne de Otis dans le Massachusetts et l'autre à la base aérienne de Beale en California, dont la mission principale est l'alerte contre le lancement de SLBM; c) le "Perimeter Acquisition Radar Characterization System" (PARCS), une sorte de résidu du système anti-missiles balistiques (ABM) "Safeguard" à présent démantelé, qui sert surtout à l'"attack assessment"; d) les radars FPS-85 e FSS-7, tous deux en Floride, avec la tâche de découvrir des lancements de SLBM au Sud; e) le radar "Cobra Dane", dans les îles Aléoutiennes en Alaska, dont le rôle principal est toutefois ``la récolte d'informations'' (22). D'après Desmond Ball, ``Il se peut que certaines fonctions

d'"early-warning et d'"attack assessment" soient remplies par des systèmes de "signals intelligence" (SIGINT). Ces systèmes comprennent plus de 2.000 stations d'interception dans le monde entier, des satellites d'"electronic intelligence" (ELINT) et "communications intelligence" (COMINT) sur des orbites relativement basses, et les satellites pour la SIGINT en orbite géostationnaire... qui enregistrent les signaux à ondes courtes'' (23).

Les radars préposés à découvrir une attaque effectuée par bombardier sont désormais considérés d'une importance secondaire - mais comme nous verrons, ils ont été toutefois modernisés. Les 3 sites de la "Distant Early Warning (DEW) Line", qui va de l'Alaska au Groenland en passant par le Canada, y compris deux radars en Islande, datent des années cinquante. En plus de la DEW line il faut mentionner: un système de 13 radars en Alaska, une autre ligne de 24 radars manoeuvrée par les canadiens (PINETREE), des radar de défense aérienne à Hawaï et deux radars portés par des aérostats en Floride.

La redondance des capteurs qui s'occupent de l'"early warning" fait en sorte que le principe en vigueur est celui de la "double phénoménologie" ("dual Phenomenology"), une importante mesure de sécurité. En d'autres mots, il faut que plus d'un système signale une éventuelle attaque avant que ne se déclenchent les contre-mesures - dont la mesure extrême des représailles. On comprend bien qu'il s'agit d'un cas où la complexité est la bienvenue: de nombreux contrôles croisés servent de police d'assurance contre de fausses alertes causées par des pannes toujours possibles ou par le mauvais fonctionnement d'un appareil. Malgré cela la chronique de cet après-guerre a donné plusieurs fois la nouvelle de certaines dangereuses bévues, provoquées soit par un vol de canards, soit par la mort d'un microchip, soit par l'oubli d'un programme de war-game dans les ordinateurs du NORAD. Dans certains cas on est arrivés au point de faire allumer les moteurs des bombardiers et de les préparer au décollage. Il ne faut pas beauco

up pour comprendre, de toute manière, que rien de trop grave n'est jamais arrivé. A ce propos un discours analogue à celui déjà fait à propos du contrôle négatif est valable: dans une situation internationale détendue tout le système d'"early warning" fonctionne de manière excellente contre ce genre d'éventualité que l'on a l'habitude d'appeler guerre par erreur. Mais la crise grave, où les forces nucléaires devaient se trouver en état avancé d'alerte, est une autre histoire. A ce point il y a le danger qu'on se contente d'une seule "phénoménologie". C'est dans une telle conjoncture qu'une "fausse" alerte pourrait provoquer la catastrophe.

7. Les communications

L'ensemble des moyens de communication qui assure la soi-disant "connectivité" entre la NCA et les forces nucléaires s'appelle "World Wide Military Command and Control System" (WWMCCS). Prononcé "Wimex", celui-ci est à peine plus qu'un nom: dans le sens qu'il n'intègre que partiellement les différents systèmes de C3 développés et mis en oeuvre pour leur compte. Ceux qui concernent les communications comprennent les lignes de téléphone, les câbles sous-marins, les systèmes radio, les satellites, etc. Les lignes de téléphone utilisées par le Pentagone sont celles des réseaux commerciaux de la Att et de la Gte; pour cette utilisation, une redevance est payée. Une partie seulement des communications téléphoniques est chiffrée.

"Les utilisateurs des communications par satellite se divisent en trois catégories: les utilisateurs avec activité ordinaire à haut trafic, y compris les terminaux diplomatiques; les forces tactiques qui ont un trafic inférieur mais qui nécessitent d'une couverture à l'échelle mondiale et de petits terminaux mobiles et robustes; les forces stratégiques et leurs commandements relatifs, avec encore moins de trafic mais une grande robustesse. Le "Defense Satellite Communication System" (DSCS, prononcé "discus"), le "Fleet Satellite Communications (FleetSatCom)", et les systèmes de l'"Air Force Satellite Communications" (AFSATCOM) correspondent plus ou moins à cette tripartition" (24).

"Discus" et "FleetSatCom" bénéficient de 4-6 satellites chacun, tous sur orbite géostationnaire. AFSATCOM consiste par contre d'un bon nombre de transpondeurs à bord d'autres satellites, dont ceux qui viennent d'être cités et d'autres, dans une variété d'orbites. D'après Ashton Carter, "la gamme de satellites de communication à disposition des militaires américains est complétée par certains systèmes appartenant aux alliés, par différents satellites de communication expérimentaux et par des satellites hors service mais encore capables de fonctionner partiellement. Les satellites de communication civils ou qui appartiennent à d'autres pays, peuvent être utilisés dans certains cas par les militaires USA" (25). La plupart des satellites de communication transmettent en UHF ("ultra-high frequencies") et SHF (super-high frequencies"), alors que sont en cours de développement des systèmes en EHF ("extremely high frequencies"). En général, plus haute est la fréquence plus on obtient les avantages suivants: une capa

cité supérieure de transmission de données par unité de temps; longueur inférieure de l'antenne de transmission; résistance supérieure aux interférences ("jamming"; distorsion inférieure au passage dans une ionosphère dérangée par des explosions nucléaires. Le "Survivable Low Frequency Communication System" (SLFCS) travaille par contre sur les basses fréquences. Il s'agit d'un réseau à l'échelle mondiale de transmetteurs VLF/LF ("very low frequencies/low frequencies"), qui comprend deux sites haute puissance, des capteurs de son installés aux quartiers généraux, dans les postes de commandement, les sous-marins, les LCC et les bombardiers (via des sites au sol). Les basses fréquences sont pratiquement le seul moyen pour communiquer avec les sous-marins en immersion.

L'SLFCS, avec les différents postes de commandement aéroportés ("Kneecap, Looking Glass, Tacamo" etc.), avec l'ERCS, AFSATCOM et "FleetSatCom" forme le "Minimum Essential Emergency Communication Network" (MEECN). Ce dernier, "d'après le Département de la défense", consiste en un système conçu pour survivre à une attaque et fournir les moyens essentiels pour le routage de l'"Emergency Action Message", dans le but d'exercer un contrôle précis et délibéré sur les options nucléaires stratégiques, c'est-à-dire pour la mise en oeuvre du SIOP" (26). AFSATCOM dispose à lui seul de 900 terminaux pratiquement dans tous les centres de contrôle des forces nucléaires et dans les principaux postes de commandement.

8. La "ligne chaude" Moscou-Washington

Se rapportant en quelque sorte au C3I est l'organisation pour communiquer avec l'adversaire - et ceci aussi bien en situation de crise, qu'en cas de négociation pour la cessation des hostilités. A part les canaux diplomatiques ordinaires, la "ligne chaude" ("hotline") est tout ce dont disposent les deux grandes puissances.

La hotline, dont le nom officiel est "Direct Communication Link" (DCL), fut instituée par un "Memorandum of Understanding" signé à Genève par les Usa et l'Urss le 20 juin 1963. Il ne s'est jamais agi d'un téléphone, ni rouge ni d'une autre couleur, mais bien d'un téléscripteur de chaque côté de la ligne. Une ligne aussi dans le sens physique: un câble télégraphique via Londres-Copenhague-Stockholm-Helsinki; ou bien un circuit radio via Tanger.

Le 30 septembre 1971, les Usa et l'Urss signèrent par contre à Washington un véritable accord sur l'amélioration de la DCL. On ajoutait par conséquent deux circuits supplémentaires pour la transmission des messages, tous deux par satellite (un satellite russe, l'autre américain), le circuit radio via Tanger fut démantelé et l'autre via câble gardé en réserve. En outre, dans le même accord, les parties décidaient d'augmenter le nombre de terminaux dans les deux pays; ce qui, du moins en ce qui concerne les américains, ne semble pas avoir été fait.

La dernière mise à jour de la DCL est assez récente: elle remonte au 17 juillet 1984. En dépit du mois choisi, nous sommes en pleine phase de gel entre les deux pays, et les négociations de Genève sont interrompues. La forme diplomatique en ressent: il s'agit, en effet, d'un échange de notes auquel fut donné alors - sur l'insistance précise des soviétiques - très peu d'importance sur les médias. La note soviétique est en quelque sorte emblématique du peu d'envie de discuter que Moscou avait à l'époque: "L'Ambassade de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques" accuse réception de la note du Département d'état du 17 juillet 1984, dont le texte est le suivant: (Citation de tout le texte de la note américaine).

L'ambassade d'URSS déclare que la partie soviétique accepte les propositions contenues dans la note du Département d'état. Si bien que cette note, avec cette réplique, constitueront un accord, en vigueur dès la date de la réplique de l'Ambassade" (27).

La note américaine explique, de toute façon, en quoi consiste cette dernière amélioration. Via les satellites INTELSTAT et STATSIONAR, Moscou et Washington devraient être en mesure d'échanger des informations par télécopieur. L'accord prévoit aussi une série de mécanismes pour coder les transmissions - des mécanismes fournis par les américains aux soviétiques, par un transfert classique de technologie.

Le télécopieur élimine le filtre du dactylographe, qui est une source potentielle d'erreurs supplémentaires. Il permet en outre la transmission de desseins, de graphiques, de cartes, etc. Il n'élimine cependant pas le problème de la traduction. D'après un rapport du secrétaire américain à la Défense Weinberger: "La traduction est la phase la plus lente dans le processus de communication directe. Un spécialiste peut traduire littéralement au rythme maximum de 1.000 mots par heure et fournir une revue sommaire au rythme de 6.000 mots l'heure" (28).

Des communications directes, par voix ou par vidéo, ont été exclues. Les raisons sont, à ce qu'il semble, les suivantes: on veut exclure des facteurs émotionnels, comme le ton de la voix ou l'expression du visage, à des moments particulièrement lourds de conséquences: les deux leaders doivent pouvoir consulter leurs staffs avant de pouvoir avancer des propositions ou répliquer, ce qui est incompatible avec les temps de la communication directe.

9. L'évolution de la stratégie nucléaire américaine

Il est nécessaire à présent de faire une pause pour essayer de comprendre ce que prétend le gouvernement américain de son système de C3I nucléaire. En parlant justement de cela, le secrétaire à la Défense de l'administration Carter, Harold Brown, a écrit: "le degré de flexibilité requis dépend de combien d'options stratégiques doivent être disponibles et pendant combien de temps. Ceci à son tour dépend de la doctrine adoptée. Dissuader et, si nécessaire, combattre une guerre nucléaire. Dans le cas le plus simple, où la seule réponse contemplée était la rétorsion thermonucléaire totale sur des objectifs militaires et sur des centres urbains et industriels, il n'y a pas besoin d'une grande sophistication" (29).

Le "cas le plus simple" dont parle Brown, en admettant qu'il ait jamais existé, a été mis de côté en janvier 1961, au moment de l'installation d'une administration - celle de Kennedy - qui avait fait de la critique contre la doctrine de la rétorsion massive, un des thèmes de sa campagne électorale. Cette critique était en grande partie basée sur le fait que cette doctrine, par son peu ou son manque de flexibilité, était considérée peu croyable. C'est ici que commence la longue recherche de flexibilité - et donc la multiplication des options et des objectifs - qui caractérise l'évolution de la stratégie nucléaire américaine du dernier quart de siècle. Par la suite McNamara prendra ses distances de ces tendances, inventant si ce n'est le terme lui-même, du moins l'idée de la Destruction mutuelle assurée (MAD), une conception de la dissuasion beaucoup moins exigeante en fait de flexibilité. Il est par contre probable que la poussée originelle des six premiers mois de l'administration Kennedy (dont McNamara étai

t secrétaire à la Défense) ait laissé des traces sur le SIOP beaucoup plus durables que le MAD. Tous les successeurs de McNamara ont ensuite contribué à éloigner toujours plus la doctrine nucléaire américaine du "simplest case" cité par Brown. Exception faite de l'allusion faite par les deux présidents, Nixon et Carter, à des idées contre courant: respectivement, l'idée de la "sufficiency" et celle de la dissuasion minimale. Des développements restés sur le papier, de toute manière, et vite démentis par la suite de leurs administrations.

En résumé, voici les principes de base de la stratégie nucléaire Usa: a) la crédibilité, c'est-à-dire une dissuasion croyable doit être en mesure de répondre au niveau de violence, aux objectifs politiques et militaires, choisis par l'adversaire - si ces derniers sont limités il faut des réponses limitées, la menace de l'oblitération n'étant pas croyable si ce n'est pour des menaces tout aussi globales; b) croyable est par conséquent ce qui empêche les coups de l'adversaire, pas ce qui se contente de menacer une punition ("denial" au lieu de "punishment"); la capacité d'infliger une punition, dans la forme de la destruction assurée d'un certain pourcentage de la population et de la capacité industrielle, doit être laissée en réserve; d) si la dissuasion échoue les Etats-Unis doivent tenter de limiter les dégâts ("damage limitation") et d'arrêter au plus tôt les hostilités à des conditions avantageuses; e) la dissuasion ne s'écroule pas une fois pour toutes, mais "degrades gracefully" (elle diminue par échelo

ns): au cours de la guerre une marge de supériorité est représentée par les forces gardées en réserve, de l'usage desquelles on peut s'abstenir, pour signaler à l'adversaire qu'il doit se modérer et l'inviter à en faire autant ("intra-war deterrence"); f) la marge même de supériorité permet d'augmenter le niveau de violence, si on le considère opportun, ou bien de mettre cette responsabilité sur le dos de l'adversaire ("escalation dominance"); g) sur la base de tous les principes précédents, le critère guide est celui de la flexibilité ("flexible response"), concrétisé par la disponibilité d'une gamme d'options limitées ("limited nuclear options") ou sélectives ("selected nuclear option").

Je crois que l'on peut affirmer que ces principes sont à la base des trois derniers documents officiels américains qui fixent les lignes-guide de la doctrine stratégique: le "National Security Decision Memorandum" (NSDM) 242 signé par Nixon en janvier 1974; la "Presidential Directive" (PD) 59, signée par Carter en juillet 1980; la "National Security Decision Directive" (NSDD) 13, signée par Reagan en octobre 1981. Ce ne sont pas des documents publics et la plupart des fois ils sont mentionnés d'une façon différente: par exemple le premier est rappelé comme "doctrine Schlesinger" (secrétaire à la Défense de l'époque) ou "Limited Nuclear Options"; le second comme "countervailing strategy"; le troisième n'a pas d'étiquettes particulières, si ce n'est qu'une série d'articles publiés par le "New York Times" en mai-juin 1982 a laissé entendre qu'il s'agit d'une doctrine qui s'inquiète de "comment dominer dans une guerre nucléaire prolongée" (30). Chacun de ces documents est le développement logique, avec quelques

mises au point mineures, du document précédent. Mieux vaut, donc, étudier ces derniers.

Des directives et des mémorandums sont mis en pratique dans un document de l'état major, le SIOP déjà cité, qui est celui qui met les différentes options à disposition du président. Dans le SIOP-5D de 1980 ces options étaient divisées en quatre catégories: "Major Attack Options, Selected Attack Options, Limited Attack Options and Regional Nuclear Options". Ce qui est le plus important c'est que le SIOP a toujours réservé au président deux catégories spéciales, une pour les attaques préliminaires (traduction sommaire de "preemptive", principe sur lequel nous reviendrons. NdA) sur l'Union Soviétique et une autre pour le Lancement dit sur Alerte ("Launch on Warning") (31). Les objectifs potentiels en Union Soviétique sont, eux aussi, répartis en quatre groupes: forces nucléaires, forces militaires conventionnelles, la leadership politique et militaire, les objectifs économiques et industriels - aucun de ses groupes ne contenant des centres urbains comme tels. La prolifération des options, de toute manière, semb

le impliquer celle des objectifs potentiels, qui dans le SIOP-5D sont au nombre de 40.000 (quarante mille). Pratiquement tout le globe: "Il y a, par exemple, des milliers d'objectifs dans les pays du Pacte de Varsovie, en Chine, à Cuba, au Vietnam, et même certains objectifs dans un "territoire allié et neutre" qui n'est pas mieux précisé (32). Le nombre d'objectifs et jusqu'à trois catégories d'options en plus des "Major Attack Options", garantissent que du côté américain du moins il y a la volonté de se préparer à un conflit nucléaire assez prolongé. Ce qui nous ramène au C3I, dont le degré de flexibilité et de sophistication dépend justement, en utilisant les mots de Brown, de "combien d'options stratégiques différentes doivent être disponibles et pendant combien de temps".

La conscience que dès que l'on se met sur le chemin de la réponse flexible on devient très exigeant en fait de C3I date de la même époque que les premières critiques de la rétorsion massive. En décembre 1962, John McNaughton, l'"Assistant Secretary of Defense" de l'époque, soutenait que les efforts américains pour améliorer les capacités de commandement et de contrôle "... ont visé à assurer que les forces américaines puissent être utilisées ou pas, selon les cas, de manière contrôlée et consciente, toujours sous la direction des plus hautes autorités civiles" (33).

Encore à Rand, avant de devenir secrétaire, Schlesinger écrivait qu'une nouvelle doctrine croyable "... exige des forces superprotégées pour la dissuasion au cours des hostilités ("intra-war deterrence"), capables de survivre longtemps et avec des communications et un contrôle excellents. Elle exige, dans les missions contre les forces antagonistes, la capacité d'évaluer les dégâts - et de réassigner des vecteurs sur les objectifs - rendant par cela plus dures les conditions nécessaires pour le système de commandement, de contrôle et de communications" (34).

Quant aux administrations Carter et Reagan il faut dire qu'aussi bien la PD-50 que la NSDD-13 ont été précédées par d'autres documents, PD-58, PD-53 et NSDD-12, qui ont à voir avec le C3I. D'après le "New York Times", l'administration américaine actuelle vise à des forces stratégiques et à des systèmes de C3 en mesure de soutenir "... des contre-attaques nucléaires contrôlées pendant une période de temps prolongée, gardant en même temps une réserve de forces nucléaires suffisantes pour garantir la dissuasion et l'intimidation ("protection and coercion") durant et après l'attaque"; les systèmes de communication "... doivent assurer la capacité d'exécuter des plans ad hoc, même après des attaques répétées... ces systèmes devraient soutenir la reconstitution et l'utilisation des forces stratégiques de réserve, en particulier une pleine communication avec les sous-marins stratégiques" (35). Autrement dit "le président (Reagan) juge qu'un système moderne de commandement doit résister à une attaque nucléaire et co

ntinuer à fonctionner encore pendant six mois" (36).

10. Scénarios de guerre nucléaire limitée

Il devrait être clair après la description sommaire des paragraphes précédents que le système américain de contrôle des forces nucléaires est sophistiqué, et certainement complexe. Qu'il soit aussi flexible que la réponse flexible l'exige, c'est une autre paire de manches. Dans les pages qui suivent nous essayerons d'évaluer tous les facteurs, y compris le C3I, qui influencent la possibilité de traduire en pratique la doctrine stratégique américaine.

Pour cela il faut imaginer une attaque, imaginer un scénario. Il s'agit nécessairement d'une attaque limitée: la nécessité de disposer d'options limitées pour répondre à des attaques limitées est ce qui a conduit l'évolution de la stratégie nucléaire américaine, et ce qui a rendu nécessaire à son tour un C3I robuste et ayant la vie longue - nous l'avons à peine vu.

On peut alors penser à une attaque soviétique sur le territoire des Etats-Unis, effectuée avec une poignée d'ogives nucléaires sur les zones moins densément peuplées et qui, par hasard ou par choix, épargne les ganglions fondamentaux du système de contrôle. A une telle attaque le président américain pourrait répondre avec l'option la plus limitée du SIOP; une réponse probablement semblable à l'offense subie. De ce pas, peut-être, l'échange pourrait continuer pendant les six mois où l'administration Reagan entend s'équiper. C'est un scénario tellement insensé qu'il y a de quoi avoir honte d'en parler: quels avantages les soviétiques pourraient-ils tirer d'une telle "guerre" ? Et quels avantages les américains auraient-ils de limiter la rétorsion? L'auteur ne croit pas qu'il y ait des réponses.

Compte tenu aussi du fait que ce que l'on connaît de la doctrine soviétique porte à exclure "des gestes d'ouverture" comme celui qui vient d'être mentionné, un scénario du genre a peu de poids dans la littérature. Peu mais pas aucun.

"Si l'Union Soviétique devait, pour quelque raison, lancer une attaque avec 50 armes nucléaires qui tueraient un million d'américains - a écrit Harold Brown - les partisans de cette doctrine (dans le contexte Brown se réfère au NAD) conseilleraient-ils au président de lancer une attaque totale qui tuerait 100 millions de soviétiques et provoquerait une réponse soviétique qui tuerait autant d'américains?" (37). Il semble vraiment que le point clé dans ce raisonnement contourné soit ce "pour quelque raison". Pour quelque raison les soviétiques, ou qui à leur place, peuvent tout faire, même des choses insensées. Il est en quelque sorte nécessaire d'assumer la rationalité de la contrepartie; autrement on finit par prétendre d'une doctrine nucléaire "rationnelle" qu'elle dissuade aussi contre des actes d'irrationalité.

Un scénario tout aussi singulier mais de grand succès, il y a encore quelques années, est celui de l'attaque contre les forces antagonistes contre les sites des ICBM. Serait-ce une attaque limitée, à laquelle répondre de manière toute aussi limitée? "Dans le cas d'une attaque soviétique contre les 1.504 silos d'ICBM, l'estimation du nombre de victimes est de 800.000 à 50 millions" (38). Le chiffre le plus bas du Pentagone présenté au Congrès en septembre 1984. Les thèses étaient très optimistes et les critiques furent nombreuses. Au point que, l'année suivante, le Département de la défense refit ses calculs et conclût qu'il y aurait eu 18,3 millions de morts. L'estimation la plus haute est le résultat, par contre, d'une étude d'un organisme gouvernemental, l'Arms Control and Disarmament Agency (ACDA).

Une attaque contre les forces antagonistes soviétique exhaustive ne se limiterait de toute façon pas aux sites d'ICBM: il comprendrait les bases des bombardiers et des sous-marins, les centres de commandement et de contrôle et les dépôts d'armes nucléaires. L'étude déjà citée de 1975 indiquait à 21,7 millions le nombre de morts; alors qu'une étude plus récente, faite par trois chercheurs de l'Université de Princeton, estime le nombre de victimes entre 13 et 34 millions, à cause du fallout et des effets directs des explosions, sans compter les morts à moyen et long terme (39).

Et il est vrai cependant que chacun est libre de considérer "limité" ce qu'il préfère. Il est toutefois permis de douter que telle serait l'interprétation donnée aux nombres que nous venons de voir par un pays qui dans toutes les guerres combattues dans les deux derniers siècles a perdu un million deux cent mille hommes, sans avoir eu de victimes civiles, si ce n'est dans la guerre de sécession. D'ailleurs Harold Brown écrit, dans son rapport annuel au Congrès en janvier 1979: "Je commence moi-même à douter qu'à une attaque soviétique sur nos forces stratégiques, dont les dégâts collatéraux ne comporteraient "que" quelques millions de morts parmi les américains, on pourrait répondre convenablement sans inclure parmi les objectifs un centre urbain-industriel" (40). Que l'on tienne compte que, répondant sur des objectifs urbains-industriels, toute prétention de garder limitée la guerre nucléaire sauterait dès le début. Ces considérations tiennent à plus forte raison si l'on invertit les rôles: "Les effets coll

atéraux d'une attaque contre les forces antagonistes américaine contre l'Union Soviétique sont probablement supérieurs à ceux d'une attaque contre les forces antagonistes soviétique... La moitié environ des 26 sites soviétiques d'ICBM se trouvent à l'Ouest des Ourals, et plusieurs d'entre eux sont proches de certaines zones parmi les plus peuplées d'URSS. L'impact potentiel de cette disposition est rendu plus pénétrant par le régime des vents soviétiques" (41).

Revenant à l'hypothèse d'une attaque soviétique, il faut dire que la doctrine de ce pays encourage la plus exhaustive des attaques contre les forces antagonistes possibles. Bien que sur la base de principes différents et avec une terminologie différente (42), les soviétiques mettent aussi la dissuasion à la première place parmi les objectifs de leur politique stratégique. Cependant, si la dissuasion échoue, l'URSS se réserve d'utiliser tout de suite, massivement et au préalable (in a "preemption mode") leurs propres forces nucléaires, dans le but de dégrader les forces adversaires et de limiter les dégâts de leur côté. A leur façon, par conséquent, les soviétiques croient aussi à la "damage linitation" et aux attaques contre les forces antagonistes. Mais la ressemblance avec les conceptions américaines s'arrête là, l'usage massif étant le contraire des attaques sélectives qui sont si chères à leur contrepartie. En effet, "Dans la littérature soviétique des principes comme l'escalation contrôlée et la guerre

nucléaire limitée ne sont pas pris sérieusement en considération" et, chose tellement plus importante pour le sujet de ce chapitre, "L'idée américaine de s'abstenir d'attaques aux centres de commandement et de contrôle, du moins dans la mesure où ces centres servent à contrôler l'escalation et conduire les négociations, ne figure pas dans la doctrine militaire soviétique" (43).

11. C3I et guerre nucléaire limitée

Le premier problème de C3I pour la conduction d'une guerre nucléaire limitée et contrôlée étroitement du centre, se poserait à cause de la forte vulnérabilité des principaux centres de commandement, fixes et aéroportés, à une attaque de SLBM et/ou ICBM. Parmi les objectifs il y aurait aussi, très probablement, les bases qui accueillent les avions pour le ravitaillement en vol - avec le résultat que le temps de permanence en vol d'avions de type "looking Glass" en serait fortement réduit. Nous avons déjà parlé de toutes les autres questions relatives à la vulnérabilité de la NCA et de sa succession problématique. Un corollaire important, de toute façon, concerne les pourparlers pour arrêter les hostilités: on se souviendra, en effet, que la doctrine américaine vise à finir la guerre avant l'apocalypse, si possible à des conditions avantageuses. Avec qui les attaquants "traiteraient-ils"? Qui pourrait déclarer avoir la situation sous contrôle? Un général de l'Aviation ou un contre-amiral? Comment ces pourparle

rs pourraient-ils se dérouler, après que la "hotline" ait sauté? Il faut aussi rappeler que la question vaut dans les deux sens: parmi les quatre catégories d'objectifs du SIOP-5D il y a la leadership politique et militaire. Si les Usa se servaient de ces options il n'est pas clair avec qui, par la suite, ils pourraient discuter le cessez-le-feu.

Les fonctions d'"early warning" aussi peuvent être facilement compromises. Les trois satellites du DSP, outre leur vulnérabilité intrinsèque - mais de ceci nous parlerons à part - bénéficient de stations au sol qui ne sont ni ne peuvent être protégées contre les effets d'explosions nucléaires, conventionnelles ou contre de simples actes de sabotage. Les radars au sol souffrent de la même vulnérabilité. D'autre part, à l'exception des trois radars du BMEWS, ils sont tous situés dans des bases de bombardiers, d'ICBM ou d'avions-citerne - ce qui simplifie les calculs d'une attaque contre les forces antagonistes soviétique. On dira qu'une attaque contre les systèmes d'alerte équivaut à, ou est une forme d'alerte - et c'est certainement vrai. Toutefois les capacités déjà insuffisantes de graduer la réponse sur l'échelle et les objectifs de l'attaque adversaire, fondement de l'escalation contrôlée, seraient annulées.

Nous avons déjà parlé du peu de capacités de graduer la réponse, parce que les moyens d'évaluer l'attaque ("attack assesment") semblent plutôt précaires. C'est la tâche du NORAD, dont le quartier général, malgré le fait qu'il ait été creusé "dans" le Mont Cheyenne au Colorado, est considéré vulnérable. Si le NORAD cesse de fonctionner, ou bien n'est plus en mesure de communiquer avec les autres postes de commandement, ces derniers continuent à recevoir les données des capteurs d'"early warning", mais ne peuvent pas les traiter. Dans des conditions idéales, par contre, deux gros obstacles empêchent une caractérisation précise de l'attaque. Le premier est représenté par les limites des capteurs: ni les satellites du DSP, ni les radars, ne sont en mesure, en cas d'une attaque qui comporte plus que quelques missiles, de discriminer les ogives des vecteurs, d'en déterminer le nombre et de prévoir les points d'impact (c'est-à-dire les objectifs). Seul le PARCS a une capacité limitée de suivre la trajectoire des og

ives (quelques dizaines): mais il ne réussit pas à établir avec certitude les objectifs. De plus le PARCS a un rayon d'action limité: les ICBM attaquants seraient déjà à deux tiers de leur voyage et le temps qu'il resterait pour bénéficier des prédictions pourtant limitées de ce radar seraient de l'ordre de dix minutes. Enfin le NORAD est, à ce qu'il semble, mal équipé pour le traitement des données - quelle que soit la qualité de ces dernières. La cause doit en être recherchée dans une décision prise par le Pentagone dans les années soixante-dix - sur la proposition du NORAD lui-même - d'acheter un ordinateur Honeywell de la série 6.000; un ordinateur qui travaille en "batch processing", une procédure extrêmement lente. Des corrections ont été tentées par la suite, mais "L'effet net de l'effort de développement de l'ordinateur du NORAD a été de réaliser pour les années quatre-vingts un système rafistolé qui, lorsqu'il fonctionne - équivaut à peine à l'installation des années soixante qu'il devait remplacer"

(44).

Comme on voit il y a, dans tout le problème du C3I, un lien qu'on ne peut éliminer: le temps. En admettant même que dans le prochain futur le NORAD se dote d'un ordinateur plus sophistiqué et que les différents capteurs d'"early warning" soient en mesure de pondre toutes les données nécessaires pour caractériser l'attaque - en admettant même cela, il n'y a pas moyen de comprimer le temps de la décision politique et militaire. Du moment où un SLBM sort de l'eau jusqu'au moment de l'impact sur l'objectif, il peut s'écouler moins de dix minutes; l'intervalle correspondant à partir de la sortie d'un ICBM de son silo est d'une demi heure environ. C'est dans ces limites que la NCA est appelée à se réunir, à assimiler les informations psychologiquement dévastantes qui lui parviennent, à choisir "rationnellement" la réponse la plus adéquate parmi les options du SIOP et en ordonner l'exécution. Il semble probable que, dans de telles conditions, le choix se réduirait à l'alternative entre répondre massivement et ne pa

s répondre du tout, sachant que dans ce dernier cas la rétorsion serait décentralisée aux militaires plus en aval le long de la ligne de commandement.

Le facteur temps influence la praticabilité d'une des options du SIOP: le lancement des ICBM sur alerte.

Autrement dit "trop de choses doivent se passer en moins de vingt-cinq minutes: l'alerte tactique doit être élaborée le long de la chaîne de commandement; le président devrait la recevoir, croire qu'elle est vraie, et autoriser le feu; l'autorisation devrait être transmise et confirmée aux équipages préposés au lancement des missiles, qui, avant de pousser sur le bouton, devraient y croire. Sur le papier tout cela peut être fait dans le temps disponible; dans le vif d'une crise, avec des gens terrifiés par l'apocalypse, une séquence aussi rapide et sans obstacles est peu concevable" (45).

En résumé, la vulnérabilité des systèmes d'alerte, leur basse capacité d'évaluation de l'attaque et des délais très serrés pour la décision politique et militaire, sont tout des facteurs qui mettent fortement en doute la praticabilité d'une réponse contrôlée. Le résultat est que les principes de la doctrine stratégique américaine en vigueur apparaissent dès le début peu réalistes.

Les appareils de communication - en laissant toujours de côté, pour l'instant, les satellites - partagent ce type de vulnérabilité aux effets thermiques et dynamiques des explosions nucléaires, aux effets des explosions conventionnelles ou aux actes de sabotage qui est typique des grosses installations fixes - souvent dotées de grandes antennes et d'autres appareils tout aussi exposés. Dans certains cas il n'y a même pas besoin d'arriver à la destruction physique des installations recevantes et transmettantes. L'important c'est de rendre inintelligible, en le brouillant, le contenu des communications. Certaines fréquences et certains appareils résistent aux contre-mesures électroniques. Toutefois, en général, "Les forces militaires soviétiques ont une gamme formidable de dispositifs de brouillage; des unités pour la guerre électronique dotées d'équipements pour la recherche des sources radio et le brouillage participent à la plupart des opérations militaires soviétiques" (46).

L'impulsion électromagnétique (EMP) mérite une place à part, parmi les effets des explosions nucléaires sur les communications. La force de l'EMP se mesure en volt par mètre (V/M) et, en général, elle est directement proportionnelle à la puissance de l'ogive et de l'altitude de l'explosion. L'EMP trouve dans beaucoup d'éléments du système de contrôle les meilleurs conducteurs: antennes, fils électriques, câbles de téléphone, tours de support, rails, carlingues en aluminium des avions. l'effet de l'impulsion varie d'une panne momentanée d'un appareil (des hausses dans la puissance absorbée par une installation électronique peuvent, par exemple, interrompre le fonctionnement grâce justement aux mesures d'auto-protection qui y sont incorporées d'habitude) jusqu'à la rupture d'une composante comme un fusible ou un transistor. Le vrai problème, de toute façon, semble être représenté par le fait que "Une seule explosion à 200 milles d'altitude sur le centre des Etats-Unis continentaux, donnerait lieu à une EMP sur

tout le pays et sur une partie du Canada et du Mexique. Un tout petit nombre d'ogives - certainement moins que cinq - pourraient annuler les communications dans tous les Etats-Unis avec 50-100.000 V/M" (47). Différentes mesures de protection contre l'EMP sont prises et elles concernent un peu tous les éléments du C3I américain. Il est cependant assez douteux qu'on puisse arriver à rendre le système, dans son ensemble, en quelque sorte indifférent à l'impulsion.

12. Les sous-marins stratégiques (SSBN)

A aucun observateur de la politique stratégique américaine ne peut échapper le fait que les sous-marins lance-missiles balistiques sont la clé pour comprendre cette politique. Dit en termes un peu crus, ils illustrent le comportement dissociée que tant de gens s'efforcent de mettre en évidence dans les choix stratégiques de Washington.

Des sous-marins en patrouille - et la moitié des SSBN Usa est toujours dans ces conditions, contre 20% des soviétiques - on sait qu'ils sont pratiquement invulnérables, grâce aussi - de nouveau dans le cas américain - des capacités soviétiques qui ne sont pas exceptionnelles dans la lutte contre les sou-marins. Par contre, et pour les raisons que nous verrons, les SLBM sont les forces nucléaires qui se prêtent le plus mal à la mise en pratique de la doctrine en vigueur. Une doctrine qui se base sur la capacité de contrôler la guerre nucléaire, sur l'auto-élimination dans l'utilisation de la force, sur des attaques qui ne sont pas spasmodiques mais limitées en intensité, objectif et dimension, capables de communiquer de la rationalité et une disponibilité à l'accord aux dépends de la vengeance "brute".

Cependant les responsables de la planification stratégique américaine, mis devant le choix entre l'invulnérabilité typique des SLBM et les caractéristiques (précision, capacité de varier les objectifs, facilité de communication, modulation de l'attaque, etc.) des autres systèmes d'arme nucléaires plus conformes aux principes de la doctrine, ont toujours opté pour le premier. Si bien que plus de la moitié des ogives américaines montées sur des vecteurs stratégiques équipent les SLBM. Il faut dire, de toute façon, que tout le débat sur cette question est souvent faussé par une surestimation de la vulnérabilité des ICBM et des bombardiers.

Comme dans le cas des ICBM, la précision des SLBM a aussi augmenté au fur et à mesure qu'apparaissaient de nouvelles générations de missiles. Le "Trident" D-5, qui entrera prochainement en service dans l'arsenal américain, sera le premier SLBM doté de capacité contre les forces antagonistes. On ne doit, de toute manière, ce résultat qu'en partie aux progrès dans les systèmes de conduite du missile lui-même. Dans le cas des SLBM un rôle clé est exercé par des systèmes étrangers aussi bien au vecteur qu'au sous-marin: il s'agit des satellites de navigation. Pour frapper un objectif qu'on ne voit pas, il faut savoir d'où on tire. Et le savoir avec beaucoup de précision, car une erreur sur sa propre position, se réverbère sur l'objectif. Cette précision est assurée, précisément, par les satellites.

En temps de paix, évidemment, il n'y a quasiment pas de problèmes.

En guerre, c'est un peu différent. Tout d'abord le sous-marin ne navigue pas toujours à un point couvert par l'orbite du satellite. Deuxièmement: les communications, directes ou par des stations au sol, ont lieu sur les hautes fréquences (VHF et UHF); pour les recevoir l'unité doit faire sortir une antenne pendant quelques minutes, courant le risque de révéler sa position. Troisièmement: aussi bien le satellite que les stations au sol sont vulnérables. Si, comme cela apparait probable dans un échange nucléaire "prolongé", le cordon ombilical avec les stellites de navigation est coupé, la possibilité d'effectuer des attaques de précision chirurgicale avec les SLBM est quasiment annulée.

La dernière génération de SSBN américains, classe "Ohio", possède 24 puits de lancement pour autant de missiles. Chaque missile a huit ogives, dans le cas du "Trident" C-4, ou dix, dans le cas du prochain "Trident" D-5. On arrive comme ça à 192, avec le C-4, ou à 240, avec le D-5, ogives par sous-marin. On peut présumer que les missiles d'un sous-marin seraient utilisés tous ensemble - pour autant que les délais techniques de l'opération le permettent - parce qu'une fois qu'un missile a été lancé, la plate-forme devient repérable et par conséquent vulnérable. Il est cependant très difficile qu'une attaque avec 192-240 ogives nucléaires soit interprétée par les soviétiques comme une attaque limitée.

Les communications les plus sures avec les sous-marins ont lieu sur les basses fréquences. Elles sont sures parce que plus la fréquence est basse et mieux elle pénètre dans l'eau, permettant au sous-marin de ne pas s'exposer. Inutile d'ajouter que les stations qui transmettent depuis terre en VLF - les principales sont trois - sont extrêmement vulnérables.

Toutefois, même les postes de commandement aéroportés, comme "Looking Glass", et les avions "Tacamo" de la Marine peuvent transmettre en VLF. Mais ce n'est pas une opération simple. Hormis la vulnérabilité déjà discutée de ces avions, ainsi que leur peu d'autonomie, un problème tout particulier est représenté par l'antenne qui leur est nécessaire pour transmettre en VLF. Une antenne de plusieurs kilomètres et qui pèse une tonne: "Malheureusement il est difficile de voler en remorquant une antenne aussi lourde, en évitant de plus qu'elle n'oscille. A cause de la traction importante créée par l'antenne, même lorsqu'elle n'est déroulée que partiellement, l'avion doit voler tout droit et à une altitude constante, ou bien il doit virer tout doucement, pour qu'elle reste stable. Si cependant elle commence à osciller, elle peut se décrocher et obliger l'équipage à la couper (le second pilote et le préposé à l'antenne ont les instruments pour le faire)... L'avion n'a pas d'antenne de rechange" (48).

La dernière forme de communication avec les SSBN est par l'ERCS. Monté sur des missiles "Minuteman" et déployé avec ces derniers, le système est l'une des victimes probables d'une attaque contre les forces antagonistes soviétique. De toute façon, même si on devait réussir à le lancer, l'ERCS transmet en VHF, proposant encore une fois les problèmes déjà vus. De plus le type de message de ce système, l'EAM, est un simple "Go!" ("Go code") - c'est peu pour les conditions de l'escalation contrôlée.

En définitive, donc, les SSBN ont un set d'objectifs très limité et peu de capacité de changer ces objectifs; si un message leur parvient dans une crise aiguë, ce n'est qu'un ordre de lancement dont il ne peuvent même pas accuser réception ou demander confirmation sans s'exposer irréparablement; si aucun message ne leur parvient pendant un temps assez prolongé ceci équivaut à un ordre de lancement, parce qu'il est probable que l'équipage en déduise qu'il y a eu une attaque sur les Etats-Unis; en absence de PAL, comme nous l'avons vu, si l'équipage décide de lancer il peut le faire; une fois qu'on a lancé un missile, il faut lancer tous les autres.

13. Satellites et anti-satellites

En distinguant les satellites sur la base des missions qu'ils effectuent, on peut dire que les satellites importants pour le C3I sont de quatre types: satellites de communication, de reconnaissance et de surveillance, de navigation, et météorologiques. La quatrième catégorie est la seule qui n'a pas encore été introduite. Tout ce qu'il faut savoir, de toute façon, se résume dans le fait que des conditions atmosphériques particulières peuvent avoir un impact sur les performances de certains systèmes d'arme - des bombardiers aux missiles balistiques. Les militaires ont donc besoin à ce propos de données mises à jour.

Un satellite qui ne peut pas exercer sa mission est inutile, même s'il est intact. Nous avons déjà vu certains moyens pour limiter ou annuler les missions des satellites, sans les détruire: l'attaque contre les bases à terre, le brouillage électronique. Un autre système est la tromperie ("deception": un exemple est le chiffrage des émissions télémétriques durant les vols d'essai des missiles balistiques, qui trompe justement les satellites d'intelligence et empoisonne les esprits à la "Standing Consultative Commission" (SCC) - l'organisme où les soviétiques et les américains discutent des cas de violation apparente du SALT. Un autre exemple est l'"aveuglement" toujours possible des satellites d'"early warning", en saturant leurs capteurs d'infrarouge par une grosse source de chaleur. Enfin des explosions nucléaires au-dessus où à la limite de l'atmosphère peuvent produire, en plus de l'EMP, des dégâts directs aux satellites situés sur les orbites plus basses.

Nombreux sont aussi les moyens, actuels ou possibles, d'attaquer et détruire les satellites. Les missiles anti-missiles balistiques (ABM) peuvent être utilisés comme anti-satellites (ASAT): l'Urss en a un qui est opérationnel, tandis que les Usa devraient avoir, peut-être en dépôt, le "Spartan" - en plus les américains ont expérimenté un intercepteur non nucléaire de missiles balistiques au nom compliqué de "Homing Overlay Experiment" (HOE). Les ICBM et les SLBM peuvent être programmés pour faire exploser leurs ogives à l'apogée de leur trajectoire, à environ 1.400 km de hauteur, avec des résultats semblables à ceux que l'on peut obtenir en utilisant un missile ABM nucléaire.

Des lasers basés au sol peuvent, peut-être dès à présent, endommager les satellites sur des orbites basses. Il existe enfin la possibilité de mines spatiales - des satellites déjà en orbite, à faire exploser à côté du satellite-victime au moment opportun. Il est assez improbable qu'il y ait déjà des mines dans l'espace, étant donné que le mouvement parallèle d'un satellite étranger par rapport à un satellite ami pourrait difficilement échapper à celui qui possède ce dernier.

Il y a enfin l'ASAT proprement dit, c'est-à-dire les systèmes d'arme développés dans le but spécifique de la lutte anti-satellite. L'Urss et les Usa ont chacun un ASAT.

Le système soviétique fonctionne avec un principe analogue à celui des mines: il doit d'abord être mis en orbite et ensuite amené à proximité du satellite-victime. A ce point l'ASAT explose et on suppose que ses débris endommagent l'objectif jusqu'à le rendre inactif. Entre 1968 et 1982, l'Urss a effectué 20 tests de son ASAT: les estimations les plus bienveillantes indiquent que le nombre d'essais positifs s'élève à 13. Parmi les sept qui ont échoué, il y en a six où l'intercepteur était expérimenté avec un système de guide terminal aux infrarouges, au lieu qu'au radar comme dans les autres cas. Le système a été expérimenté à des altitudes comprises entre 200 et 1000 km: on y trouve, comme victimes potentielles, les satellites américains de reconnaissance photo et certains satellites de navigation et météo. On n'y trouve pas, par contre, les satellites de navigation "Navstar" et les quatre satellites météo GOES.

Le système américain est formé au contraire d'un missile à deux stades - le premier stade est le missile AGM-69, le second la fusée "Altair" de la Thiokol. Sur ce dernier est montée une ogive, dite "Miniature Homing Vehicle", dotée d'un système de guide aux infrarouges et d'un poids de 1.200 kilos. L'ogive n'explose pas, mais détruit le satellite-victime par impact. Tout le système a 5 mètres de long et 50 cm de large. Il est monté saur un avion de chasse F-15 qui le lance d'une hauteur de 10-15 km. En ajoutant à celle-ci le rayon d'action des deux stades on arrive à présumer que l'ASAT américain puisse frapper jusqu'à 475 km, tenant donc à sa portée les satellites de reconnaissance photo, ceux de surveillance océanique et, sans doute, certains satellites de communication. Nous disons sans doute parce que ces derniers sont sur une orbite fortement elliptique, dite "Molnyia" du nom justement de ces satellites soviétiques: alors que son apogée, à 40.000 km est clairement hors de portée de n'importe quel ASAT a

ctuel, son périgée n'est qu'à 440 km. Toutefois lorsque le satellite se trouve à cette hauteur il voyage aussi au maximum de sa vitesse - compliquant tant soit peu la mission de l'ASAT. En théorie, de toute manière, l'ASAT américain peut réussir à atteindre un satellite au périgée de son orbite "Molnyia", étant basé sur le principe de la traversée de l'orbite. Mais pas le soviétique: étant co-orbital il peut se porter à l'apogée, mais il ne réussit pas à atteindre la vitesse nécessaire pour s'approcher du satellite-victime. Les satellites soviétiques d'"early warning" sont eux aussi sur une orbite "Molnyia", dont le périgée est à 688 km. Pour les rendre vulnérables les américains devraient augmenter le rayon d'action de leur ASAT - chose sur laquelle ils travaillent déjà.

Un autre avantage du système américain est que sa plate-forme de lancement, l'F-15, est très flexible. Pour revenir à l'exemple des satellites soviétiques en orbite "Molnyia", leur périgée passe par l'hémisphère Sud, où il est toujours possible de trouver une base pour un F-15 ayant l'ASAT à bord. Le système soviétique est beaucoup moins flexible. Pour illustrer ce point, Ashton Carter a imaginé une attaque contre les satellites de navigation américains TRANSIT, qui sont sur des orbites polaires à 1.100 km de hauteur. L'ASAT soviétique - écrit Carter - a été expérimenté à cette altitude mais jamais en orbite polaire: nous supposerons, toutefois, que la chose ne comporte pas de problèmes supplémentaires. Les cinq satellites TRANSIT sont disposés sur cinq plans orbitaux à environ 36 degrés l'un de l'autre. L'ASAT soviétique doit attendre que la rotation terrestre amène le point de lancement de Tyuratam sous l'orbite du satellite-objectif; ce qui se passe environ toutes les deux heures et demi. Même si l'ASAT s

oviétique pouvait être lancé à ce rythme, il faudrait douze heures avant que Tyuratam passe sous tous les cinq plans orbitaux. Entre-temps les Etats-Unis se rendraient surement compte de l'attaque en cours contre leurs propres satellites de navigation. Combien une capacité de ce genre peut-elle être utile aux soviétiques?" (49).

Les pourparlers sur la mise au ban des armes antisatellites stagnent. L'administration américaine semble avoir peu ou pas d'intérêt à ce propos. Le Congrès insiste au contraire pour un moratoire sur les tests de l'ASAT, un moratoire que les soviétiques observent depuis 1982 - sans d'ailleurs réussir à convaincre l'exécutif. Le dernier test du système américain remonte au mois d'août 1985. Le C3I dépend plus que le soviétique du fonctionnement d'un nombre limité de satellites. "Par conséquent, où est l'avantage net des Usa - faire en sorte que les satellites opèrent suivant une loi des deux côtés, ou promouvoir une ère de vulnérabilité pour tous les satellites" (50). La réponse semblerait évidente, mais manifestement il n'en est pas ainsi. En premier lieu, en observant probablement les capacités actuelles de la contre-partie, les américains se sentent en mesure de gagner une course à l'ASAT ou, plus en général, à la militarisation de l'espace. Les militaires Usa ont ensuite des préoccupations spécifiques. A c

e qu'il semble "La raison officielle pour faire repartir le programme ASAT américain a été le besoin de rendre vulnérables les satellites soviétiques de surveillance océanique" (51), car ceux-ci peuvent servir à diriger le tir soviétique sur les groupes de la Marine Usa basés sur les porte-avions. Dans ce cas aussi, par conséquent, d'autres considérations ont la priorité sur l'exigence d'assurer à la doctrine stratégique américaine les moyens de se réaliser.

14. Les nouveaux programmes de C3I Usa et la guerre nucléaire limitée

Quelles sont les implications pratiques de la vulnérabilité du système américain de C3I stratégique?

"Il faudrait 50-100 ogives - a écrit Desmond Ball - rien que pour mettre hors service les installations fixes du système national de commandement ou pour mettre hors d'état les anneaux de communication entre la "National Command Authorities" et les forces stratégiques'' (52).

D'après Bruce blair, au contraire, "En 1985 les forces stratégiques soviétiques étaient capables de frapper pratiquement tous les centres de C3I basés au sol... Il n'existe pas plus de 400 objectifs primaires et secondaires, aux Usa, y compris les 100 centres de contrôle du lancement des "Minuteman". Avec dans leur arsenal stratégique 7.000 ogives capables d'arriver à destination, les planificateurs militaires soviétiques peuvent facilement assigner deux ogives à chaque objectif américain de C3I" (53).

La plupart des programmes actuels de modernisation ne réussiront pas à changer de beaucoup la situation que nous venons de voir. Par exemple les trois radars du BMEWS - au Groenland, en Alaska et en Grande-Bretagne - pour autant que l'on puisse bénéficier dans le prochain futur de la technique "phased array", sont destinés à rester de grosses installations fixes, et vulnérables. Le même discours est valable pour les deux autres "Pave Paws" en construction, un à la base aérienne de Goodfellow au Texas, l'autre dans celle de Robins en Géorgie.

Les "Tacamo" de la Marine passeront sur l'E-6A (B-707), ce qui pourra amener son temps théorique de permanence en vol sur le standard de "Looking Glass", mais certainement pas éliminer le reste des problèmes de communication que nous avons vu avec les sous-marins: du reste on transférera sur l'E-6A les installations des C130, ni plus ni moins.

La "Distant Early Warning Line" pour l'alarme contre bombardiers sera rénovée avec 13 nouveaux radars AN/FPS-117 à long rayon, plus 39 radars à court rayon au Canada. Beaucoup se demandent en quelle mesure cet effort est nécessaire: les soviétiques ont un petit nombre de bombardiers et le Pentagone dispose d'autres moyens pour découvrir une attaque de leur part - des satellites de reconnaissance aux satellites ELINT et COMINT.

Par contre, un énième programme centré sur les radars, du type "Over The Horizon/Backscatter" (OTH/B), n'est qu'à ses débuts. Le système agit sur les longues distances - au-delà de l'horizon, justement - faisant "rebondir" les signaux radar contre la ionosphère: de cette façon on détecte aussi des objets volants à basse altitude. L'OTH/B est l'idéal pour l'alarme contre les bombardiers, mais il ne peut pas être installé au Nord - là où passe la voie la plus courte pour bombarder les Usa à partir de l'Urss, - parce que dans la région arctique les anomalies électromagnétiques sont très communes et la ionosphère est instable. Lorsque les différents sites de radar OTH/B seront prêts dans la prochaine décennie, ils couvriront toute route possible d'attaque contre les Etats-Unis continentaux, "... sauf... la direction de laquelle il est plus probable qu'arrivent des bombardiers soviétiques" (54). Ils n'offriront de toute manière aux soviétiques, qu'une poignée d'objectifs vulnérables en plus.

La vraie menace que l'OTH/B est appelé à affronter n'est cependant pas les bombardiers, mais les missiles de croisière. C'est une menace qui n'est pas immédiate, mais qui est certainement prévisible: les soviétiques, comme d'habitude, sont en train de tout faire pour combler le fossé avec les américains dans ce secteur. Sur les missiles de croisière beaucoup de commentaires ont exagéré en minimisant, soutenant que leur lenteur relative permet leur découverte et par conséquent leur neutralisation par les défenses aériennes. En réalité leurs dimensions réduites et leur vol à basse altitude rendent tout cela très difficile, si ce n'est impossible. Les militaires, des deux côtés, le savent et prennent les mesures du cas. Certaines de celles-ci sont en train d'alimenter la polémique sur le respect des accords.

La construction d'un gros radar "phased array" en Sibérie centrale, à Krasnojars, est le cas de violation soviétique le moins controversable adopté par les américains. - à l'art. VI du Traité ABM, chacune des parties s'est engagée à ne pas "aligner dans le futur des radars pour l'alerte contre une attaque de missiles balistiques stratégiques, excepté dans des sites le long du périmètre de son territoire et orientés vers l'extérieur". Peu de gens ont remarqué, toutefois, que les Etats-Unis sont en train de tomber dans la même violation, probablement pour les mêmes raisons, avec les deux nouveaux "Pave Paws" en Géorgie et au Texas. "Le premier de ces radars sera à 260 km de la côte atlantique et le second à 200 km de la frontière mexicaine et à deux fois plus du golfe du Mexique. S'ils avaient été installés plus près de la côte, ces radars aussi auraient été plus vulnérables à une attaque préliminaire de missiles de croisière lancés de la mer du type qui a sans doute motivé la construction du radar à proximité

de Krasnojarsk. Les deux nouvelles installations radar américaines peuvent être considérées comme une violation de l'"ABM Treaty" pas uniquement parce qu'ils sont situés "à l'intérieur des terres", mais aussi parce que leur champ visuel combiné pourrait couvrir jusqu'aux deux tiers des Etats-Unis continentaux. Pour cette raison l'Union Soviétique a accusé officiellement les Etats-Unis de violation du traité (55). Nombreux sont encore les nouveaux programmes de C3I stratégiques définis par cette administration. Les satellites du DSCS sont sans cesse modernisés: on en est maintenant à la troisième génération, version B, "avec davantage de capacité anti-brouillage et davantage de redondance entre les composantes", d'après la description de "Aviation Week and Space Technology" (56). Toujours pour les communications à terre le MILSTAR, un satellite destiné à agir sur une orbite plus élevée que l'orbite géosynchrone, à 100-120 km d'altitude, est en cours de développement. Le MILSTAR utilisera les très hautes fréq

uences - la portion la plus basse des EHF ("extremely high frequencies") et la plus élevée des SHF. Le but de certaines de ces mesures est plus clair si l'on tient compte que plus un satellite est haut, plus il est à l'abri d'ASAT éventuels et du fait que les soviétiques n'ont pas de techniques de "jamming" en EHF. Trois satellites formeront, de toute manière, l'ensemble du réseau. Les critiques de cette décision soutiennent qu'il aurait mieux valu miser sur la redondance - par exemple avec un grand nombre de satellites plus simples, ou bien en ajoutant sur chaque type de satellite des transpondeurs en UHF, comme le fait déjà AFSATCOM - plutôt que sur quelques systèmes couteux et ultrasophistiqués. Dans l'immédiat les Usa ont aussi un problème de non-disponibilité de vecteurs avec lesquels mettre en orbite les satellites de tout genre: le 28 janvier le désastre du Challenger a arrêté le Shuttle probablement jusqu'en 1988; le 18 avril c'est par contre la fusée "Titan" qui explosait, provoquant une autre pause

de plusieurs mois dans les lancements. Le secrétaire à l'Aviation, Edward Aldridge, a déclaré récemment que lorsque le Shuttle reprendra ses vols "le Département de la défense sera en retard de 20 missions" (57). Entre-temps il est probable que soit approuvé un programme pour une nouvelle fusée, de dimensions semblables à la fusée européenne Ariane, qui devrait être prête pour la fin de la décennie.

Il reste à mentionner deux derniers programmes: le "Ground Wave Emergency Network" (GWEN) et les "Mobile Ground Terminals". Le premier sera un complément du réseau téléphonique, formé d'un nombre très élevé de stations recevantes et transmettantes appelées "noeuds". Chaque noeud en aura beaucoup d'autres dans son rayon d'action et des systèmes automatiques veilleront à orienter les messages suivant le chemin le plus court et/ou le plus praticable. Le second programme se compose d'environ 400 fourgons équipés comme terminaux de "Discus". Dans les deux cas, comme on voit, on essaye de remédier à la vulnérabilité de certains systèmes en multipliant leur nombre.

De toute manière, rien de l'effort actuel de modernisation des C3I américains ne peut être interprété comme quelque chose qui fait cadrer les comptes avec la doctrine stratégique de ce pays. Les anneaux destinés à rester faibles - la NCA, les capteurs d'"early Warning", les stations au sol pour les satellites, etc. - sont trop nombreux pour penser que des échanges "contrôlés" d'ogives nucléaires puissent durer des mois. Sans compter que la course aux contre-mesures est ouverte: comme cela est toujours arrivé dans le passé les soviétiques combleront le fossé, dans ce cas avec des ASAT pour les orbites plus élevées, ou avec des moyens pour brouiller les communications en EHF, ou avec d'autres systèmes encore, imprévisibles aujourd'hui.

"L'idée de guerre nucléaire contrôlée est essentiellement non-stratégique là où elle tend à survoler sur différentes réalités qui caractériseraient naturellement tout échange nucléaire - a écrit Desmond Ball, ajoutant " - vraiment il ne peut y avoir aucune possibilité de contrôler une guerre nucléaire... L'affectation de ressources ultérieures à l'amélioration de la capacité, de la part de l'organisation de commandement et de contrôle, de survivre et de continuer à fonctionner, ne peut altérer fondamentalement cette situation" (58).

Des jugements tout aussi nets viennent de Bruce Blair: "Si la dissuasion échoue, elle échoue totalement; le schéma rudimentaire et le peu de capacité de continuer à fonctionner de notre système de C3I rendent vaine toute l'idée d'échanges contre les forces antagonistes multiples, synchronisés et prolongés. La recherche d'une marge d'avantage au moyen d'attaques limitées est une construction purement intellectuelle qui a peu ou aucune importance dans les circonstances actuelles" (59).

Il est rare de rencontrer des prises de position si fortes dans la littérature spécialisée - en particulier celle qui a l'imprimatur de l'Iiss ou de la Brookings. D'autre part dans ce cas particulier le sens commun a quelque raison de se rebeller. Comme les quarante mille objectifs du SIOP-SD ou la prétention de combattre une guerre nucléaire pendant six mois.

15. Crise, guerre et forces nucléaires.

Entre la paix et la guerre il y a une nouvelle zone grise: la crise. L'ambiguïté de la situation-crise se reflète dans l'impossibilité de lire de manière univoque les événements qui la scandent: une simple précaution peut être interprétée par l'interlocuteur comme le prélude d'une attaque; un geste visant à montrer de la fermeté peut être pris pour une provocation; un geste de distension peut être pris pour de l'indécision.

Le cauchemar qui revient parmi les observateurs des problèmes de sécurité contemporains est celui de la répétition des mobilisations spéculaires qui firent précipiter en 1914 dans la première guerre mondiale la crise qui a suivi l'assassinat de Sarajevo. Au précédent historique s'ajoutent toutefois aujourd'hui certaines caractéristiques particulières. La première et la plus importante est la présence des armes nucléaires et elle a deux aspects: la gamme des destructions que ces armes peuvent provoquer est terrifiante; le temps nécessaire pour effectuer cette destruction est très limité. Il fallait des années pour mettre à genoux un autre Etat: "Les armes nucléaires peuvent le faire rapidement" (60). La deuxième caractéristique est le produit des systèmes gigantesque de C3I mis sur pied par les Usa et l'Urss: théoriquement ils sont en mesure de prendre note en temps réel de la moindre perturbation dans l'équilibre des forces militaires adversaires et de prendre subitement des mesures correspondantes: "sous ce

rtains aspects, les forces stratégiques américaines et soviétiques se sont combinées en un seul, gigantesque, système nucléaire" (61).

Donc une crise entre les deux superpuissances est destinée à être vécue par les protagonistes comme une immense menace mariée à un sens d'urgence tout aussi immense. Le résultat probable est que n'importe quel geste de précaution qui impliquerait les forces nucléaires - du genre la hausse de leur niveau d'alerte - serait interprété comme une provocation et égalée. Avec la "génération" des armes nucléaire, ce sont les liens du contrôle négatif qui seraient relâchés. Il y aurait bientôt la conviction que ce n'est qu'une question de minutes avant que l'autre n'ouvre les hostilités. Il vaut mieux, par conséquent, limiter autant que possible les dégâts en visant les forces nucléaires adversaires et ses centres de C3I. Tout cela, dira-t-on, correspond à la doctrine soviétique. C'est aussi, de toute façon, une des options du SIOP, la "Preemption" - une option que les américains n'ont jamais exclu de posséder et qui est probablement celle que les militaires considèrent la plus réaliste en cas de guerre.

Les systèmes de C3I américains et soviétiques sont péniblement inadéquats pour une guerre nucléaire longue et contrôlée. Ils vont par contre très bien pour la "preemption". Par exemple communiquer aux sous-marins l'ordre de lancement n'offre pas de difficultés particulières avant de subir une attaque. Dans le contexte d'une option d'attaque préliminaire ("preemption attack"), qui ne peut être que massive et contre les forces antagonistes, disposer d'un SLBM équivaut à être, quel que soit le missile à bord, un système trop peu flexible pour la doctrine Usa en vigueur.

Tout cela ne signifie pas que les américains, ou les soviétiques, soient impatients d'attaquer les premiers. Ça signifie seulement que si une crise entre eux prenaient la tournure de la spirale, tous deux auraient les stimulations, les moyens et les plans pour tirer les premiers. Il est bien d'insister de garder tout cela séparé de l'attaque à sang froid - qui est une éventualité beaucoup plus éloignée. Le jargon stratégique a l'habitude à ce propos de faire une distinction entre "preemption" et "prevention".

Beaucoup d'anecdotes, entre le macabre et l'humoristique, circulent sur la propension des militaires américains à la "preemption". En septembre 1957 Curtis LeMay - le commandant du SAC qui semble avoir inspiré Stanley Kubrick - fit aux membres d'une commission gouvernementale la déclaration suivante: "Si je vois que les russes rassemblent leurs avions pour une attaque, je leur enlève la merde qu'ils ont sur le dos ("I'm going to knock the shit out of them") avant qu'ils décollent". A quoi les commissaires objectèrent: "Ce n'est pas la politique de la nation". Et LeMay: "Peu m'importe. C'est ma politique. C'est ce que j'entends faire" (62).

Par contre, et à propos de "prevention": en 1961 le Pentagone soumit à Kennedy une étude d'après laquelle une attaque américaine sur l'Union Soviétique aurait pu avoir pour résultat la neutralisation de l'arsenal nucléaire adversaire - les soviétiques avaient alors 4 (quatre) ICBM opérationnels. Les pertes américaines, avec un peu de chance, auraient pu se limiter à 2-3 millions. Personne dans l'Administration ne pensa, pas même pour un instant, de réaliser le plan (63).

Ces deux épisodes illustrent la différence pratique entre "preemption" et "prevention", entre l'attaque "préliminaire" dans la certitude que l'autre est sur le point de prendre l'initiative et l'attaque préventive à sang froid, ainsi que les différentes attitudes des civils et des militaires. Entre autre l'action des crises sur les processus décisionnels peut être comprise aussi dans les termes du passage progressif de l'autorité des politiques aux militaires.

16. La stratégie nucléaire américaine: un bluff?

Pourquoi tant d'insistance sur une scénario de crise? Parce que c'est le contexte par excellence où surgissent des questions réalistes sur l'utilisation des armes nucléaires. Si l'on pense avec autant de réalisme aux réponses possibles il semble permis de conclure que les réponses américaines tendent à ressembler assez aux réponses soviétiques. Dans les deux pays on comprend que le seul état mental adapté à l'utilisation des armes nucléaires est celui du désespoir: convaincu de l'imminence de l'attaque d'autrui, j'essaye de limiter les dégâts (les miens) en attaquant le premier. Ici la "damage limitation" peut être uniquement considéré rationnelle si on survole sur le fait qu'il n'y a rien d'autre à choisir - autre chose que des options - une fois certains de l'imminence d'une guerre nucléaire. Et s'il n'y pas à choisir on ne voit pas comment la rationalité puisse se manifester. En effet personne ne peut vraiment croire de limiter des dégâts au sens absolu: des fractions de leurs arsenaux stratégiques de l'

ordre du millième peuvent causer des millions de morts (64). Il reste alors à se demander pour quelle raison la doctrine stratégique américaine - mais il vaudrait mieux l'appeler "declaratory policy", la version publique (65) - s'obstine à ne pas prendre acte de la réalité et à poursuivre celles qui, à la lumière de ce que nous avons discuté, ressemblent à de véritables chimères.

Une première réponse est que la recherche d'options - la vraie essence de la doctrine Usa - a une forte charge de persuasion. On peut comprendre que n'importe quelle autorité qui s'imagine dans la situation de devoir utiliser des armes nucléaires, préfère imaginer qu'un résultat moins catastrophique soit possible. Et les illusions confortantes font toujours beaucoup de chemin.

Mais la réponse que l'auteur trouve plus convaincante est une autre. Et autrement dit qu'il s'agir d'un bluff. On dit souvent qu'une doctrine qui vise à rendre une guerre nucléaire contrôlable et rationnelle est dangereuse parce qu'elle peut donner à ceux qui l'adoptent un sens de confiance dans leurs capacités de le faire vraiment - et donc d'abaisser le seuil nucléaire. Il est probable que ce soit justement l'impression que le gouvernement américain entend donner à sa contrepartie. Une illustration de ce point peut être faite en ayant recours au "jeu de la poule". Autrement dit les deux pilotes qui se lancent à vitesse folle l'un contre l'autre: le perdant est celui qui s'écarte de la trajectoire de collision. Il est clair que personne ne se mettrait à faire ce "jeu" contre quelqu'un dont les instincts suicides sont connus. Par conséquent pour être "champion" dans le jeu de la poule il faut laisser entendre que l'on a quelque raison en plus pour aller jusqu'au fond. Transposé aux équilibres nucléaires tout

cela signifie que déclarer croire à la contrôlabilité de la guerre est justement une raison en plus pour laisser entendre de pouvoir aller, si nécessaire, jusqu'au fond. Mieux encore ensuite si un épisode du passé renforce cette absence de scrupules: de 1946 à 1973 les Etats-Unis ont envoyé 19 fois des signaux politiques moyennant les armes nucléaires (en les mettant en état d'alerte); l'Urss une fois (66). En outre, "le niveau de rapidité opérationnelle des forces stratégiques soviétiques en temps de paix est... significativement plus bas que celui des Etats-Unis" (67).

En somme les américains essayent de convaincre, et de se convaincre, d'être encore en mesure de tirer des avantages politiques de la menace de l'utilisation des armes nucléaires ("coercion"). Toutefois le fait que la dernière alerte remonte à 1973 en dit long: la marge est toujours plus mince. Il reste à espérer qu'il n'y ait pas un président américain qui prenne la doctrine trop au sérieux. Ni un leader soviétique qui se pique de découvrir s'il s'agit d'un bluff.

17. Contrôle des armements et politique étrangère

La situation illustrée par le jeu de la poule est souvent appelée, certes plus élégamment, "competition in risk taking". Que l'on pense encore d'obtenir des avantages politiques dans une course à celui qui risque le plus avec les armes nucléaires est surement inquiétant. D'où certains appels à la modération, comme celui-ci de John D. Steinbruner, directeur des études de politique étrangère à la Brookings Institution: "Dans une crise le maximum de l'état d'alerte des deux côtés, doit être considéré prudemment équivalent à la guerre et ne devrait pas être adopté pour des raisons moins graves que celles qui justifient la guerre elle-même. Ce principe rend nécessaire de se retenir rigoureusement des impulsions à utiliser les forces stratégiques pour envoyer des signaux de décision" (68).

D'autres pensent au contraire que la "competition in risk taking" doit être réglée par des accords bilatéraux, avec des mesures de contrôle des armements. Aux Usa, le premier à faire circuler des propositions de ce genre a été le sénateur Henry Jackson en 1982; après sa mort, l'initiative a été reprise deux ans plus tard par deux de ses collègues, Sam Nunn e John Warner (69). Les Usa et l'Urss, d'après les thèses des deux sénateurs, devraient établir des "centres de réduction du risque nucléaire" dans leurs capitales respectives, fonctionnant 24 heures sur 24, en contact direct entre eux, et avec les plus hautes autorités politiques et militaires. En alternative, la proposition prévoit un centre unique, en territoire neutre, avec du personnel militaire et civil des deux pays.

L'Administration Reagan a accueilli l'initiative, en la tournant au soviétiques sans trop de conviction (70). Pour une fois il est difficile de donner tort au président: une crise vraiment grave aurait pour protagonistes les plus hautes autorités des deux superpuissances. Un ou plusieurs centres avec un personnel de second plan relatif finiraient naturellement par être dépassés, si ce n'est considérés avec soupçon par leurs autorités respectives. Enfin des organismes du genre pourraient même être à effet contraire: un excès de confiance dans leur efficacité comme frein d'urgence pourrait facilement donner lieu à des comportements moins que prudents.

En somme il faudrait bien d'autres accords de contrôle des armements pour stabiliser la situation. Aucun accord important n'est cependant en vue, après presque six ans d'Administration Reagan. Nous sommes au contraire à la répudiation du SALT 2 - jamais ratifié par les Usa - et au paradoxe d'une "offensive de paix" soviétique à laquelle il est difficile, pour une fois, de nier toute substance - que l'on pense, par exemple, au moratoire unilatéral des tests nucléaires, respecté par l'Urss pendant un an (août 1985 - août 1986) et prolongée ensuite pendant quatre mois. Personne n'a compris, en effet, combien - ou pire, si Reagan est intéressé à un accord avec l'Union Soviétique. Comme personne n'a compris si Reagan soit convaincu ou pas que les Usa et l'Urss doivent forcément cohabiter. La seule façon d'éloigner le spectre d'une crise grave est d'autre part justement celui de partir de cette conviction et de construire sur celle-ci un rapport de coopération entre les Usa et l'Urss, entre l'Est et l'Ouest.

Il s'agit, comme on voit, de problèmes de fond de politique étrangère. Des problèmes qui ne peuvent être résolus par aucun raisonnement, tout sophistiqué qu'il soit, sur la dissuasion nucléaire.

GLOSSAIRE

ABM: antiballistic missile

ACDA: arms control and disarmament agency

AFSATCOM: air force satellite communications

ANMCC: alternate national military command center

ASAT: antisatellite

BMEWS: ballistic missile early warning system

C3I: command, control, communications and intelligence

COMINT: communications intelligence

DCL: direct communication link

DEFCON: defense condition

DEW: distant early warning (line)

DSCS: defense satellite communications system

DSP: defense support program

EAM: emergency action message

EHF: extremely high frequencies

ELINT: electronic intelligence

EMP: electromagnetic pulse

ERCS: emergency rocket communications system

FLTSATCOM: fleet satellite communications

GWEN: ground wave emergency network

HOE: homing overlay experiment

ICBM: intercontinental ballistic missile

LCC: launch control center

MAD: mutual assured destruction

MEECN: minimum essential emergency communications network

NCA: national command authorities

NEACP: national emergency airborne command post

NMCC: national military command center

NORAD: north american air defense command

NSDD: national security decision directive

NSDM: national security decision memorandum

OTH/B: over the horizon/backscatter

PACCS: post attack command control system

PAL: permissive action link

PARCS: perimeter acquisition radar control system

PD: presidential directive

SAC: strategic air command

SALT: strategic arms limitation talks

SCC: standing consultative commission

SHF: super high frequencies

SIGINT: signal intelligence

SIOP: single integrated operational plan

SLBM: submarine-launched ballistic missile

SLFCS: survivable low frequency communications system

SSBN: ballistic missile nuclear submarine

Tacamo: take charge and move out

UHF: ultra high frequencies

VHF: very high frequencies

VLF: very low frequencies

WWMCCS: world wide military command and control system

NOTES

1. FREEDMAN L., "The evolution of Nuclear Styrategy", St. Martin's Press, New York, 1981, p. XV.

2. Ce n'est pas par hasard que l'on utilise le terme "decapitation" pour indiquer une attaque visant à supprimer la leadership d'un pays.

3. Cfr. UNITED STATES INFORMATION SERVICE, "Daily Wireless File", 4 juin 1986.

4. Cfr. ``Growth in Funding Yields Strategic, Tactical Benefits'', "Aviation Week and Space Technology", 9 déc. 1985.

5. Ancien chercheur de la Brookings et auteur du volume cité dans la note suivante, Blair a été pendant très peu de temps consultant du Pentagone sur le C3I. Il a été ensuite éloigné après avoir écrit pour l'"Office of Technology Assessment" du Congrès un rapport sur le C3I que l'Administration a retiré de la circulation, en lui joignant la qualification de SIOP-ESI - ces documents ne peuvent être lus que par le président, le secrétaire à la Défense, le "Chairman du Joint Chiefs of Staff" et le "Deputy Secretary of Defense". Cf. ``The Ultimate Secret: A Pentagon Report Its Author Can't See'', "The Wall Street Journal", 19 fév. 1986.

6. BLAIR B. G., "Strategic Command and Control - Redifining The Nuclear Threat", The Brookings Institution, Washington DC, 1985, p. 247.

7. "Ibidem".

8. BALL D., ``Can Nuclear War Be Controlled?'', "Adelphi Paper" No. 169, Iiss, London, automne 1981, p. 38.

9. BETTS R. K., ``Surprise Attack and Preemption'', in ALLISON G. T., CARNESALE A., NYE J. S. Jr. (par), "Hawks, Doves and Owes - An Agenda for Avoiding Nuclear War", W.W. Norton Company, New York and London, 1985, p. 56.

10. Cit. in PRINGLE P., ARKIN W. M., "S.I.O.P. - The Secret U.S. Plan for Nuclear War", W.W. Norton Company, New York and London, 1983, p. 205.

11. BRACKEN P., "The Command and Control of Nuclear Forces", Yale University Press, New Haven and London, 1983, p. 202.

12. PRINGLE P. et ARKIN W. M., "op. cit.", p. 39.

13. "Ibidem", p. 216.

14. TALBOTT S., "Deadly Gambit", Alfred A. Knopf, New York, 1984, pp. 273-274. Les SLBM ne peuvent être rappelés; les bombardiers et les sous-marins lance-missiles ont des ogives nucléaires; le nombre de missiles soviétiques est assigné par l'"intelligence" américaine.

15. BLAIR B. G., "op. cit.", pp. 262-263.

16. PRINGLE P. et ARKIN W. M., "op. cit.", p. 217.

17. FORD D., "The Button - The Pentagon's Strategic Command and Control System", Simon and Schuster, New York, 1985, p. 137.

18. ``Il se peut aussi qu'un système ERCS parallèle et invulnérable existe sur les sous-marins lance-missiles balistiques''. TUCKER J. B., ``Strategic Command-and-Control vulnerabilities: Dangers and Remedies'', "Orbis", hiver 1983, p. 946.

19. Il y a trois autres postes de commandement aéroportés (sur KC-135) pour autant de postes de commandements régionaux avec des responsabilités nucléaires: "Silk Purse" pour le commandement européen, "Blue Eagle" pour le commandement du Pacifique et "Scope Light" pour le commandement de l'Atlantique.

20. ARKIN W. M. et FIELDHOUSE R. dans "SIPRI Yearbook 1984", p. 496, indiquent que le nombre de membres d'un équipage d'un SSBN nécessaire ``pour valider les ordres de lancement et pour effectuer l'attaque''est 4. Ils soutiennent ensuite que le PAL se trouve sur les bombardiers.

21. BRACKEN P., "op. cit.", p. 5.

22. "SIPRI Yearbook 1984", p. 474.

23. BALL D., "op. cit.", p. 40.

24. CARTER A. B., ``Satellite and Anti-Satellite: The Limits of the Possible'', "International Security", printemps 1986, p. 55.

25. "Ibidem", p. 56.

26. Cit. dans "SIPRI Yearbook 1984", p. 478.

27. "Bulletin USPID", an III, No. 1/2, mars 1986, p. 214.

28. "Ibidem", p. 207.

29. BROWN H., ``Strategic Forces and Deterrence'', "ACIS Working Paper", n. 42, Center for International and Strategic Affairs, University of California, Los Angeles, août 1983, p. 32.

30. Les articles du "New York Times" ont tous pour auteur HALLORAN R. et ont été publiés le 30 mai, le 4 et le 21 juin 1982. Sur la ``Doctrine Schlesinger'' voir DAVIS L. E., ``Limited Nuclear Options - Deterrence and the New American Doctrine'', "Adelphi Paper" n. 171, Iiss, London, hiver 1975/6. ``The Countervailing Strategy'' est le titre d'un article publié par SLOCOMBE W. ("Deputy Undersecretary of Defense for Policy Planning" dans l'administration Carter) sur "International Security", printemps 1981.

31. PRINGLE P. et ARKIN W. M., "op. cit.", pp. 187-88.

32. "Ibidem", p. 188.

33. Cité dans DAVIS L. E., "op. cit.", p. 2.

34. Cité dans FREEDMAN L., "op. cit.", p. 378.

35. Cité dans BLAIR B. G., "op. cit.", p. 28.

36. "Ibidem", pp. 7-8.

37. BROWN H., "op. cit.", p. 34.

38. BALL D., "op. cit.", p. 27.

39. Cfr. DAUGHERTY W., LEVI B. et HIPPEL F. V.``The Consequences of `Limited' Nuclear Attacks on the United States'', "International Security", printemps 1986.

40. Cité dans BALL D., "op. cit.", p. 29.

41. "Ibidem", p. 28.

42. Cfr. HOLLOWAY D., "The Soviet Union and the Arms Race", Yale University Press, New Haven and London, 1983, pp. 31-35.

43. BALL D., "op. cit.", p. 32.

44. FORD D., "op. cit.", p. 82.

45. BETTS R., "Surprise Attack: Lesson for Defence Planning", cité dans BLAIR B. G., "op. cit.", pp. 235-236.

46. BALL D., "op. cit.", p. 13.

47. "Ibidem", p. 11.

48. FORD D., "op. cit.", pp. 155-156.

49. CARTER A. B., "op. cit.", p. 80.

5O. FORD D., "op. cit.", p. 206. En italique dans l'original.

51. SHAPLEY D., ``Strategic doctrine, the militarization and the `semi-militarization' of space'', dans YASANI B. (par), "Space Weapons - The Arms Control Dilemma", SIPRI, Taylor Francis, London and Philadelphia, 1984, p. 64. Sur ce point cfr. aussi CARTER A. B., "op. cit.", p. 89.

52. BALL D., "op. cit.", p. 35.

53. BLAIR B. G., "op. cit.", p. 182.

54. FORD D., "op. cit.", p. 212.

55. NINCIC M., ``Les Etata-Unis et l'Union Soviétique peuvent-ils avoir une confiance réciproque?'', "Le Scienze", juin 1986, pp. 17-18.

56. 9 dic. 1985, p. 49.

57. Cit. in SANGER D., ``U.S. Plans to Shift Military Satellites From Shuttle to New Midsized Rocket'', "International Herald Tribune", 25 juin 1986.

58. BALL D., "op. cit.", p. 36-7.

59. BLAIR B. G., "op. cit.", p. 5.

60. SCHELLING T., "Arms and Influence", cité dans MANDELBAUM M., "The Nuclear Question - The United States and Nuclear Weapons 1946-1916", Cambridge University Press, Cambridge (MA), 1979, p. 3.

61. BRACKEN P., "op. cit.", p. 59.

62. L'épisode est rapporté dans KAPLAN F., "The Wizards of Armageddon", Simon and Schuster, New York, 1983, p. 134.

63. "Ibidem", pp. 298-301.

64. Ce qui est bien connu par ceux qui ont eu de grosses responsabilités dans la matière, et qui constitue un frein - qu'il vaut mieux ne pas sous-estimer - non seulement pour l'utilisation en soi des armes nucléaires, mais aussi à la naissance d'une crise tellement grave qu'elle ferait envisager cette utilisation, BUNDY M., conseiller à la sécurité nationale de Kennedy, a écrit: ``Dans le monde réel des vrais hommes politiques - aussi bien ici qu'en Union Soviétique - une décision qui comporte ne fut-ce qu'une seule bombe à l'hyrogène sur une ville de son propre pays serait immédiatement interprétée comme un coup catastrophique; dix bombes sur dix villes seraient un désastre au-delà de l'histoire; et cent bombes sur cent villes, impensables''. ``To Cap the Volcano'', "Foreign Affairs", oct. 1969 p. 10.

65. ``La politique nucléaire américaine compte quatre parties différentes: la politique d'utilisation ("employment policy"), la politica d'achat ("acquisition policy"), la politique déclaratoire ("declaratory policy"), e la politique de déploiement ("deployment policy")... La "Declaratory Policy" oriente les fonctionnaires américains sur ce qu'ils doivent dire en public des politiques d'utilisation et d'achat''. DAVIS L. E., "op. cit.", note 2, p. 1. En italique dans l'original.

66. Cfr. HOLLOWAY D., "op. cit.", p. 51.

67. TUCKER J. B., "op. cit.", p. 951.

68. ``Nuclear Decapitation'', "Foreign Policy", hiver 1981-82.

69. Sur la proposition Nunn-Warner cf. "Bollettino USPID", n. 1/2, mars 1986, pp. 199-201. En général sur la même question voir aussi LANGER URY W. e SMOKE R., "Beyond the Hotline: Controlling a Nuclear Crisis, A Report to the United States Arms Control and Disarmament Agency", Washington DC, 1984.

70. Cfr. GORDON M. R., ``U.S. Soviet Discuss Accidental Nuclear War'', "International Herald Tribune", 7 mai 1986.

 
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