par Paolo MiggianoIRDISP-INSTITUT DE RECHERCHES POUR LE DESARMEMENT, LE DEVELOPPEMENT ET LA PAIX
SOMMAIRE: La course au réarmement? D'accord. Mais l'Italie là dedans? Ce ne sont pas les Etats-Unis et l'Union Soviétique qui organisent cette course? Il est vrai que les deux grandes puissances sont les principales responsables de la course au réarmement. Les principales, mais pas les seules. L'Italie aussi a sa part de responsabilité. Inférieure mais pas négligeable. En chiffres absolu la dépense militaire de l'Italie a été en 1985 au huitième rang dans le monde. En ce qui concerne le nombre d'hommes sous les armes, au quinzième rang. Et parmi les exportateurs mondiaux d'armes, les italiens occupent la sixième place. Le poids du secteur militaire dans l'ensemble de l'économie italienne est encore assez contenu: la dépense absorbe 2,7% du produit national brut; les armes représentent 2,7% de la richesse produite par l'industrie et 2,3% des exportations. En outre les menaces militaires contre la sécurité de l'Italie sont moins graves que celles que doivent affronter beaucoup d'autres acteurs internationaux -
y compris beaucoup de nos alliés. Nous nous trouvons donc dans une situation qui offre beaucoup d'opportunités de limitation des dépenses, d'expérimenter des conversions au civil des productions militaires, de promouvoir une politique de sécurité réaliste et de distension. Malheureusement on ne profite pas de ces opportunités. Au contraire, dans les dix dernières années, c'est la tendance à l'extension qui s'est affirmée, et il est urgent de la stopper. C'est depuis la moitié des années 70, en effet, que l'Italie commence à figurer parmi les principaux exportateurs de systèmes d'armes, et que la dépense militaire dépasse les taux de croissance annuelle concordés à l'OTAN. Et c'est toujours dans cette période que commencent à se faire entendre les défenseurs d'un "nouveau rôle" militaire de l'Italie en Méditerranée. Le "Livre blanc", présenté par le Ministre de la Défense Spadolini au cours de l'hiver 1984-1985, résume et met au point ces développements, évidemment du côté de ceux qui les ont soutenus et il
espère qu'ils continueront. Ce volume, par contre, met en relief les doutes, les interrogatifs, les propositions alternatives par rapport à ce qui a été jusqu'à présent un monologue de l'establishment.
("L'ITALIE ET LA COURSE AU REARMEMENT" - Un contre-livre blanc de la défense - par Marco De Andreis et Paolo Miggiano - Préface de Roberto Cicciomessere - Franco Angeli Libri, 1987, Milan)
4. LA POLITIQUE ITALIENNE DE SECURITE
par Paolo Miggiano
1. Introduction
Au cours des dix dernières années la politique militaire italienne a profondément changé. Les dépenses militaires, comme nous l'indiquons dans une autre partie de ce volume, ont augmenté de manière significative. A partir de 1979, l'augmentation de ces dépenses a correspondu à une série de missions militaires dans la région méditerranéenne. En outre, toujours à cheval sur les années quatre-vingts, sur le plan de la confrontation militaire Est-Ouest l'Italie a assumé un rôle déterminant pour la réalisation du programme de modernisation des forces nucléaires de théâtre de l'Otan.
Le premier paragraphe de ce chapitre décrit ce processus de dynamisme militaire croissant, ses contradictions et ses ambiguïtés. Une attention particulière est consacrée aux sollicitations du partenaire principal de l'Alliance atlantique, les Etats-Unis, pour une plus grande prise de responsabilité militaire des alliés européens et en particulier de l'Italie.
Le deuxième paragraphe est consacré à l'analyse du "Livre Blanc" (Lb) de la Défense, présenté vers la fin de 1984. Le Lb constitue le bilan officiel que la Défense fait des expériences des premières années quatre-vingts, traçant en même temps une politique de sécurité pour les prochaines années. Tout en n'étant pas exempt de vieilles et de nouvelles ambiguïtés et réticences, le Lb annonce une réponse croyable à différentes contradictions de la politique militaire précédente. Une réponse à notre avis dangereusement velléitaire, qui n'a pas fait l'objet de l'attention nécessaire. Le troisième paragraphe est consacré à l'apparition, particulièrement dans les deux dernières années, de la menace terroriste d'origine arabo-islamiste. On évalue les développements récents de l'activité terroriste, ses causes et son utilisation de la part de certains états comme instrument militaire. On analyse également le choix de l'administration Reagan de donner une réponse militaire aux "états mandants" du terrorisme, les résult
ats de ce choix, de même que les dangers que cette stratégie militaire anti-terroriste comporte pour la sécurité régionale et mondiale.
Dans le dernier paragraphe on essaye de tracer une politique de sécurité pour l'Italie répondant aux menaces effectives et capable de promouvoir la détente aussi bien dans les rapports Est-Ouest que Nord-Sud.
2. Le dynamisme militaire des dix dernières années
Dans les vingt-cinq années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, les forces armées italiennes avaient eu une fonction militaire marginale. En cas d'invasion de l'Est leur rôle était de résister quelques jours avant l'arrivée des renforts des Etats-Unis et/ou avant le début de l'escalation nucléaire. Un rôle tout à fait important leur avait été par contre confié dans le "blocage intérieur", comme garants contre une insurrection communiste possible, liée ou pas à une attaque de la part du Pacte de Varsovie. Un rôle qui avait ravivé une fonction de dissuasion intérieure, anti-populaire, assumé historiquement pendant de longues périodes par l'Armée post-unitaire (1). Un rôle qui, faisant abstraction de la concrétisation effective de l'insurrection communiste supposée, avait été utilisé par le gouvernement et par la droite comme moment de pression et d'intimidation contre les luttes ouvrières et les tournants démocratiques, et qui avait fourni un terrain fertile pour l'implication des forces armées dans la s
tratégie de la tension et dans les complots putschistes (2).
Vers la fin des années soixante-dix la convergence d'une série de facteurs internationaux et intérieurs pousse vers la modification de ce rôle. Il y a un intérêt accru de l'administration américaine Nixon-Ford (1969-1976) pour un plus grand engagement européen, conséquence directe des développements de la guerre du Vietnam.
Le soutien à l'aventure au Vietnam comporte pour les Etats-Unis une utilisation croissante de ressources économiques et humaines. La nécessité d'hommes est affrontée avec la réintroduction du service militaire et avec le transfert d'unité du théâtre européen. Cet engagement accru fait pendant à une disponibilité toujours moins forte des américains à supporter les coûts économiques et humains d'une guerre considérée si ce n'est injuste, du moins erronée. Beaucoup de jeunes rappelés désertent et s'expatrient (en 1973, à la fin du conflit, ils sont un demi million), le Congrès met des limites toujours plus pressantes aux dépenses, aux armes chimiques, à l'utilisation des forces armées hors des frontières. Ces conditionnements intérieurs deviennent les éléments fondants de la politique militaire de l'administration Nixon-Ford: une réduction de l'engagement militaire direct, la redécouverte de la diplomatie, une plus grande prise de responsabilité des alliés. La nouvelle formule "plus de défense avec moins de dan
gers pour les vies américaines et moins de dépenses pour le contribuable des Etats-Unis", comporte nécessairement un plus grand engagement des amis et des alliés.
En 1970 l'Otan lance un programme de modernisation des forces militaires européennes (qui ne réussira cependant pas à faire augmenter les budgets militaires européens dans la mesure prévue). A cette requête d'un plus grand engagement financier les Etats-Unis associent des mesures de soutien au développement des industries nationales de guerre. Avec ces mesures, rappelle Melvin Laird, secrétaire à la Défense de 1969 à 1973, les alliés et les amis des Etats-Unis "auraient été plus capables de répondre à la menace croissante contre leur sécurité au niveau de conflits locaux et régionaux" (3).
Ces sollicitations pour un plus grand rôle de défense contre des menaces externes de la part des alliés européens, parmi lesquels l'Italie, s'ajoutent à de nouvelles tendances qui font leur apparition parmi les militaires italiens. Au début des années soixante-dix, un nouveau groupe de hauts officiers parvient à la tête des forces armées. Ils ont en commun le refus d'un rôle de super-police intérieure et la recherche d'un rôle plus légitimé par le pays, plus proprement de guerre, typique des militaires des pays industrialisés. La restructuration de l'instrument militaire en fonction des nouveaux objectifs s'accompagne de la marginalisation progressive des groupes néo-fascistes et d'un rapport plus respectueux pour le parlement, ainsi que d'une poussée à réduire l'écart avec la société civile. C'est du monde de l'industrie, avec lequel les militaires sont en contact direct pour le développement et la production d'armements, que sont changées certaines valeurs portantes des nouvelles forces armées: c'est la na
issance de "l'entreprise défense qui produit le bien sécurité". Pour jouer un rôle moderne et croyable de guerre, les nouveaux militaires "technocrates" proposent des changements de l'instrument militaire, des doctrines opérationnelles et l'acquisition de nouveaux systèmes d'arme.
Une loi spéciale est approuvée en 1975 qui alloue mille milliards pour la modernisation des moyens de la Marine. Deux ans plus tard suivent les lois de modernisation pour l'Armée et l'Aviation, de deux mille milliards supplémentaires. Si l'objectif général des programmes est une plus grande sécurité par rapport aux menaces extérieures, la définition de ces dernières n'est pas homogène. Dans les programmes de restructuration de l'Armée et de l'Aviation il y a une reconnaissance implicite que la menace pour laquelle il est nécessaire de se rééquiper est celle qui est constituée par une invasion possible par le Pacte de Varsovie, qu'il faut affronter avec les autres pays de l'Otan. Une menace militaire par rapport à laquelle les militaires doivent (en ce qui les concerne) préparer les défenses nécessaires. Une conception de sécurité qui, au-delà de critiques à des aspects en particulier ou à des systèmes d'arme, correspond à une plus grande capacité de défense militaire du territoire national. La conception de
sécurité qui substantifie la modernisation de la Marine est différente (4). Les menaces que la Marine identifie en Méditerranée ne sont qu'en partie des menaces militaires liées à la confrontation Est-Ouest. Ce sont aussi des menaces contre "des intérêts nationaux vitaux" de nature économique, comme le libre flux des ravitaillements énergétiques, les activités de la pêche, les droits d'exploitation du fond de la mer. Ces intérêts nationaux vitaux peuvent être mis en cause par des "conflits mineurs et des instabilités locales" qui sortent du cadre de la confrontation Est-Ouest. Par rapport à ce menaces la Marine revendique un rôle de stabilisation dans les zones qui sont pour nous d'un "intérêt plus direct", c'est-à-dire les pays nord-africains et du Moyen-Orient". Il s'agit d'une tâche que l'Otan (à cause de ses caractéristiques géographiquement délimitées) ne peut et que l'Europe n'est pas en mesure d'exercer (d'après la Marine). Une tâche donc, que la Marine pense exercer toute seule, qui comprend non seul
ement des actions "dissuasives" mais aussi "préventives", qui justifie la construction d'un porte-avions et des moyens de débarquement prévus dans son plan de modernisation. En résumé, la sécurité promue par la Marine correspond à une projection nationaliste de la force militaire loin des frontières pour résoudre aussi des contentieux qui ne sont pas militaires, plus qu'à une meilleure défense contre des menaces militaires en Méditerranée en collaboration avec les alliés. Le programme de modernisation de la Marine est aussi une réponse à la crise euro-américaine de 1973, au cours de la guerre arabo-israélienne du Yom Kippur. Cette année-là, pour ravitailler Israël en armements, les Etats-Unis demandent aux alliés européens de pouvoir utiliser leurs bases. A leur tour les pays arabes menacent un embargo pétrolier à l'égard des pays européens au cas où ils consentent à la requête américaine. Les gouvernements européens décident de refuser aux Etats-Unis l'utilisation de leurs bases. Pour le gouvernement italie
n il s'agit d'une mesure liée à la diversité de nos intérêts nationaux par rapport aux intérêts des Etats-Unis. Des intérêts économiques différents, car aussi bien l'Italie que l'Europe - contrairement aux Etats-Unis - achètent sur les marchés arabes la plupart du pétrole dont ils ont besoin. Mais aussi des différences d'évaluation politique sur la situation au Moyen-Orient. Une politique, comme l'explique en 1974 le ministre des Affaires étrangères de l'époque Aldo Moro, qui reconnait l'état d'Israël, mais qui demande son retrait des territoires occupés après 1967. Pour la Marine le choix de 1973 semble avoir été un choix obligé, un chantage subi à cause du manque de moyens militaires nécessaires pour le contraster; des moyens que l'on se propose d'acheter avec le programme de modernisation. Cependant personne, ni au niveau du gouvernement ou de la classe politique, ne semble trop s'inquiéter de l'écart potentiel entre la politique étrangère et la politique militaire ou des différences de ligne des trois fo
rces armées. Le moment de crise passé chacun continue de son côté. Chacune des forces armées occupée à développer des systèmes d'arme et des doctrines pour "sa" sécurité. La politique étrangère continue sur la voie de la solution politique des tensions moyen-orientales, en particulier de la question palestinienne. Les exportations militaires suivent la logique des plus hauts profits et de la vente aveugle dans le Tiers Monde. Du reste, dans la seconde moitié des années soixante-dix, l'attention des forces politiques était entièrement tournée sur les problèmes intérieurs du pays. A gauche, la fin de la période d'ingérence des forces armées dans la politique intérieure ouvre une phase dans laquelle ne semblent exister que des questions "techniques" et d'"efficacité" privées de toute épaisseur politique. Des propositions même intéressantes, comme celle d'une structuration différente de la défense inspirée aux modèles suisse et yougoslave (5), reçoivent une tiède et vague sympathie de certaines forces et certain
s personnages politiques, mais sont carrément refusées par le principal parti d'opposition (6). Vers la fin des années soixante-dix de nouveaux événements mettent l'Italie en condition de jouer un rôle militaire plus significatif. Encore une fois le stimulant principal vient du gouvernement américain et des politiques militaires adoptées par les administrations Carter et Reagan. Avec la nouvelle administration Carter (1977-1980), la prise de responsabilité des alliés, un choix presque obligé pour l'administration précédente, devient un objectif programmatique. En 1978-1979, l'Otan adopte un nouveau plan pour accroître la force de dissuasion nucléaire et conventionnelle en Europe. Le Ltdp ("Long Term Defense Program") prévoit l'installation de nouveaux missiles nucléaires de théâtre ("cruise" et Pershing 2") et une augmentation annuelle des budgets militaires des pays de l'Otan du 3%, pour une période de dix ans (en 1985 le Comité des plans de défense de l'Otan a prolongé l'engagement jusqu'en 1992).
Mais la requête américaine d'un plus grand engagement européen est plus vaste. D'autres requêtes dérivent des inquiétudes croissantes pour la région du golfe Persique, conséquentes aux changements qui ont eu lieu en Asie centrale et sud-occidentale à la fin des années soixante-dix. L'écroulement du régime du Shah en Iran, après la révolution islamique, amène avec lui la désagrégation de la Cento (l'alliance militaire entre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, le Pakistan, l'Iran et la Turquie). A la perte de l'allié persan s'ajoute l'invasion de l'Afghanistan par l'Union Soviétique, qui est vue comme le premier pas d'un projet d'expansion globale, visant, entre autre, à prendre le contrôle de la zone économiquement stratégique du Golfe Persique. Une zone qui est ultérieurement menacée par l'éclatement du conflit Iran-Irak.
En prévision d'une incursion soviétique dans la zone du Golfe le gouvernement américain prépare une série de mesures opérationnelles. Le siège du commandement des forces navales américaines en Europe (Cincusnaveur) est déplacé de Londres à Naples, où se trouve déjà le siège du commandement des forces alliées de l'Europe du Sud (Cincsouth). Les deux forces, américaines et Otan, sont placées sous le commandement d'un seul officier américain. La "Rapid Deployment Force" (Rdf) est constituée, une force d'utilisation rapide pour la zone du golfe Persique, dirigée par un commandement central (Uscentcom, "United States Central Command") créé lui aussi expressément. La Rdf est constituée de différentes unités qui, en cas de crise dans le golfe Persique, seraient transférées et mises à la disposition du commandement central. Aux alliés européens les Etats-Unis demandent en premier lieu de se préparer pour remplacer les unités américaines en Europe assignées à la Rdf. Il s'agit, en ce qui concerne l'arme méditerranéen
ne, d'une partie de la 6ème flotte, qui est déplacée dans l'Océan Indien. Il s'agit aussi du seul bataillon aéroporté d'infanterie américaine rangé en Italie ("1st Battallion, 509th Airborne Infantry Combat Team"), transformé en élément avancé de la 82ème division aéroportée, la pointe de diamant de la Rdf. A partir de 1980 l'engagement Otan pour le remplacement des unités américaines devient opérationnel. Aux alliés les Etats-Unis demandent également une disponibilité à l'utilisation de leurs bases et de leurs infrastructures nécessaires au déploiement de la Rdf. La réponse de l'Otan a cette requête est un oui conditionné: chaque pays se réserve de fournir les bases en évaluant la situation cas par cas. Il y a enfin, du côté américain, une tendance à entraîner toute l'Alliance ou des pays en particulier dans ses opérations "hors zone", c'est-à-dire hors de la zone géographique couverte par le Traité de l'Atlantique Nord. En effet, de l'avis du commandant de l'Otan Alexander Haig, exprimé en 1980 lors d'une
audition au Congrès américain, l'Otan aurait des "frontières arbitraires".
Avec la venue de l'administration Reagan (1981) les objectifs du rapport avec les alliés changent de nature. La caractéristique fondamentale de la politique militaire de la nouvelle administration est l'unilatéralisme, aussi bien au niveau des plans de réarmement nucléaires que des plans conventionnels, tant à l'égard des adversaires qu'à l'égard des alliés, tant dans la définition de nouvelles stratégies que dans une plus grande propension à l'intervention militaire directe. Ce qui change aussi, par rapport à l'administration précédente, ce sont les perceptions de la menace et les stratégies et les instruments nécessaires pour l'affronter. Carter avait construit avec la Rdf une grande force réactive pour affronter une incursion russe en Asie sud-occidentale. Avec l'administration Reagan par contre une place supérieure est donnée aux menaces mineures, et en particulier à la menace terroriste. La responsabilité de la menace terroriste est attribuée, certaines fois avec fondement et d'autres fois sans l'ombre
d'une preuve, à tous les adversaires des Etats-Unis: de la Libye au Nicaragua, du Liban à l'Union Soviétique, de la Syrie à la Corée du Nord. On construit ainsi aussi bien un cadre stratégique relativement homogène, qu'une nouvelle légitimation à l'usage de la force contre des menaces mineures. En outre, tout affrontement local peut devenir partie d'un affrontement global avec l'Union Soviétique, souvent définie (sans preuves) comme le centre du réseau terroriste mondial. Parmi les scénarios de conflits locaux la Méditerranée occupe une place de premier plan. En 1983 l'amiral William J. Crowe Jr., ancien commandant des forces alliées de l'Europe méridionale et actuellement chef de l'état-major conjoint américain, déclare: "Un inventaire des points d'instabilité et de crise potentielle en Méditerranée porte à la conclusion qu'une menace sérieuse contre la paix de la région Sud, et peut-être contre l'Otan tout entier, ne se limite pas à l'Europe, mais est située aussi à l'Est et au Sud de la zone d'intérêt tra
ditionnel et de responsabilité de l'Otan" (7). Avec le nouvel unilatéralisme et la nouvelle stratégie de l'administration Reagan, des éléments anciens et récents d'ambiguïté objective, venant d'une délimitation qui n'est pas claire entre les commandements et les forces Otan et les commandements et les forces américaines, créent davantage les conditions pour une participation forcée des alliés dans les décisions américaines qu'une plus grande responsabilité de leur part dans leur propre défense.
A cheval sur les années quatre-vingt l'Italie commence à assumer un rôle dans la politique militaire nettement plus significatif que dans le passé, aussi bien dans le domaine nucléaire qu'au niveau conventionnel. Au cours de l'année 1979, avec l'approche de la phase d'installation des nouveaux missiles nucléaires de théâtre "cruise" et "Pershing 2", l'Otan vit une situation d'impasse. Alors que la Grande-Bretagne maintient fermement son soutien à l'installation dans les délais prévus, la Belgique et la Hollande proposent un renvoi. La République Fédérale Allemande subordonne son acceptation des missiles à la condition de ne pas être le seul pays européen continental à assumer cette position. Le soutien italien à l'installation devient ainsi déterminant pour l'approbation définitive, à Bruxelles, du déploiement des euromissiles. Le Parti socialiste contribue à soutenir cette décision du gouvernement en fournissant son soutien au Parlement. Et c'est aussi grâce à ce choix qu'en mars 1980, le Ministère de la dé
fense est confié, pour la première fois dans l'histoire de la République, à un socialiste: Lelio Lagorio.
Au rôle décisif exercé par l'Italie dans la décision de moderniser les forces nucléaires intermédiaires de l'Otan ne correspond cependant ni un débat, ni une connaissance approfondie des questions relatives à la stratégie nucléaire et au contrôle des armements. Si cette dernière expression est presque inconnue dans la culture italienne (8), les motifs de stratégie militaire que le gouvernement et la Défense mettent à l'appui de l'installation des euromissiles sont d'un simplisme déconcertant (si l'on se réfère à la portée du problème). Il s'agirait plus ou moins de reconquérir une condition d'égalité avec le Pacte de Varsovie, en installant un nombre de "cruise" et de "Pershing 2" équivalent à celui des SS-20 rangés par l'Union Soviétique à partir de 1977. Le débat stratégique très insuffisant qui a précédé et suivi ce choix laisse penser que celui-ci ait été accompli pour des raisons différentes que celles militaires, c'est-à-dire pour confirmer une fidélité politique et idéologique aux Etats-Unis, et peut-
être même comme "monnaie d'échange" pour un traitement de faveur au niveau politique ou économique.
La question de la "clause de dissolubilité". Plusieurs fois au cours de son mandat le ministre Lagorio déclare que l'Italie considère valable la clause de la dissolubilité, selon laquelle on n'exclut pas, suivant le résultat des négociations, l'interruption du programme de déploiement des missiles. Par contre, dans le communiqué final avec lequel le Conseil atlantique de l'Otan approuve le 12 décembre 1979 l'installation des euromissiles, il n'y a rien qui présage l'annulation de la décision prise. Nulle part on ne parle de la clause de la dissolubilité, ni d'une option zéro ni même d'une adhésion partielle de l'Italie, conditionnée par une clause de dissolubilité adoptée dans le cadre national. Bien que la clause de dissolubilité ne soit rien d'autre qu'un auspice, elle est toutefois présentée par les autorités politiques et acceptée par les médias comme un acte effectif de politique militaire. Une formule qui aura une fortune inversement proportionnelle à sa consistance. En mars 1984 le ministre de la Défe
nse Spadolini déclare "solennellement" au parlement que "la clause de dissolubilité" garde tout son sens" (9), si bien que l'Italie "n'exclut pas, à propos du résultat des négociations, non seulement l'interruption du déploiement des missiles... mais aussi le retrait des missiles déjà installés". D'ailleurs, de la part également des forces qui s'opposent aux euromissiles les motivations stratégiques et de sécurité sont secondaires par rapport aux motivations politiques et idéologiques (par ex. "la volonté réarmiste de l'impérialisme américain"). Indicative à ce propos est le peu, si ce n'est l'attention nulle consacrée par les pacifistes à la nature d'arme nucléaire de théâtre de l'avion Tornado, critiqué presque exclusivement pour ses coûts économiques élevés.
On distingue aussi d'autre part, dans les deux camps, des positions plus attentives aux aspects de sécurité. En novembre 1983 le secrétaire du Parti communiste Enrico Berlinguer demande au gouvernement de prolonger les délais d'installation des missiles pendant "qu'en même temps du côté soviétique non seulement la situation actuelle devrait être gelée, mais il faudrait procéder au démantèlement d'une partie des SS-20" (10). Dans la Démocratie chrétienne émergent aussi, à côté d'hypothèses de nationalisme nucléaire, des positions différentes. Ainsi, si en 1982 le sous-secrétaire démocrate-chrétien à la Défense Bartolo Ciccardini propose de se doter d'armements nucléaires nationaux (11), en 1983 le député Manfredo Bosco, responsable du département état et institutions de la Démocratie chrétienne, affirme que "l'on devrait parvenir à un scénario dans le contexte duquel ne soient présentes que des forces conventionnelles (équilibrées à un niveau plus bas que le niveau actuel) et les forces de la dissuasion nuclé
aire basée sur les sous-marins" (12). Dans la même direction d'un non-aplatissement total sur les choix de l'administration Reagan vont aussi certaines déclarations, d'autre part improvisées et immédiatement corrigées, du président du Conseil Bettino Craxi. En septembre 1983, au cours d'une visite à Paris et à Londres, Craxi déclarait que sur la date d'installation des missiles "nous ne ferons pas une question d'orgueil" et il ajoute que la requête soviétique de compter les forces nucléaires franco-anglaises aux fins des négociations a une valeur. En mai 1984, au cours d'une visite au Portugal, Craxi propose que, à la reprise des pourparlers de Genève, les deux superpuissances suspendent les installations de missiles sur le territoire européen. Des affirmations qui montrent tout au moins une lueur d'une plus grande sensibilité italienne (par rapport à l'administration Reagan) pour la négociation sur le contrôle et la réduction des armements nucléaires. Malheureusement ces lueurs de conscience nucléaire ne mû
rissent pas. En mars 1984, à Comiso, le premier groupe de seize missiles "cruise" devient opérationnel. Début 1985, le second groupe est aligné. A partir de 1980 le budget militaire italien montre des taux d'augmentation encore plus marqués que dans les cinq années précédentes. N'ayant pas à soutenir les coûts d'un armement nucléaire autonome, cette augmentation doit être mise en relation avec le développement de la capacité de guerre conventionnelle. De 1979 à 1984 les trois forces armées ont effectué six missions militaires à l'étranger, dont cinq missions dans la région méditerranéenne. A la même époque la plupart des exercices ont concerné la capacité de déplacement rapide du Centre-Nord au Sud. Toujours au Sud, on a construit "ex novo" ou transféré du Nord des unités de l'Armée, de l'Aviation et de la Marine. De nouveaux polygones militaires ont été ouverts ou renforcés dans la région des Nebrodi (Sicile) et dans la plaine des Pouilles. Parallèlement à la programmation opérationnelle les autorités polit
iques-militaires ont consacré une attention croissante à la menace venant du Sud et soutenu la nécessité d'un nouveau modèle de défense.
La question de la menace venant du Sud est évidemment liée aux sollicitations déjà citées de l'administration Carter pour un soutien plus fort des alliés Otan à une intervention possible dans le golfe Persique. Ces sollicitations imposent des choix clairs aux alliés. Jusqu'à quel point satisfaire la requête pour un plus grand engagement "hors zone"? En ne remplaçant que les vides que la diminution de la présence américaine laisse dans le dispositif de défense Otan? Ou en fournissant aussi les bases pour l'utilisation de la Rdf? Ou alors aller jusqu'à ranger dans les opérations ses propres unités militaires aux côtés des unités américaines? Sous un autre aspect la menace venant du Sud est liée aux sollicitations de la Marine pour la projection de la force militaire dans la défense des "intérêts économiques vitaux" de l'Italie. Une incitation à l'engagement direct hors-zone qui a des prémisses semblables aux prémisses américaines, mais qui a - comme nous l'avons vu - un caractère nationaliste. Cette pression p
ose également des problèmes. Jusqu'où s'étendent les intérêts vitaux à défendre militairement? Dans quel cadre auront lieu les interventions hors-zone? Dans le cadre Onu ou hors de ce dernier? Avec quels objectifs? Les réponses à ces questions tracent les différentes combinaisons de la politique militaire italienne oscillante, caractérisée par le double binôme de réalisme et velléitarisme, subalternité et indépendance vis-à-vis de l'allié américain. Une politique militaire qui passe et repasse avec désinvolture entre tous les cadres possibles définis par le binôme cité plus haut. C'est-à-dire une politique chaque fois velléitaire et subalterne, velléitaire et indépendante, réaliste et subalterne, réaliste et indépendante; un cours erratique qui dans les dernières années montre cependant une tendance à se restreindre, se limitant à osciller entre le velléitarisme subalterne et le velléitarisme indépendant. Aux problèmes indiqués ci-dessus s'en ajoute un autre, bien plus de fond: l'Italie est-elle disposée à a
ccepter comme légitime l'intervention militaire offensive pour la solution de controverses économiques et d'instabilités locales? La volonté des deux derniers ministres de la Défense de ne pas expliciter clairement cet objectif, tout en le poursuivant graduellement, confère au débat italien sur la sécurité un caractère confus, contourné et ambigu.
La gestion Lagorio (mars 1980 - août 1983) du Ministère de la défense semble empreinte, au début du mois, de réalisme et d'indépendance. A l'invitation américaine de juin 1980 pour une participation italienne à une force multinationale pour garder ouvert le détroit d'Ormuz (golfe Persique), Lagorio répond négativement. Les "orientations de politique militaire" (13) que le ministre présente ce même mois au parlement semblent, à première vue, rendre pragmatique le choix accompli. Le menace du Sud est identifiée avec le renforcement de la puissance aéronavale soviétique en Méditerranée, par rapport à laquelle, à cause aussi de la diminution de la présence américaine, il faut s'équiper. A cette vision réaliste semble aussi s'inspirer l'accord de 1980 avec le gouvernement maltais pour la défense, également militaire, de la neutralité de l'Ile. Net est aussi le refus de l'hypothèse de conférer "des frontières arbitraires" à l'Otan, élargissant de fait la zone d'utilisation. Il est vrai, admet Lagorio, que "les int
érêts de chacun des Pays (qui font partie de l'Alliance) et les intérêts de l'Alliance dans son ensemble sont aujourd'hui exposés au-delà du territoire couvert par le pacte militaire-défensif", mais hors de la zone de compétence de l'Otan "les mécanismes de l'entente militaire sont sans effet".
Mais, à bien voir, le réalisme n'est que dans les choix immédiats, alors que certains éléments de planification opérationnelle contrastent avec l'optique réaliste de substitution partielle de l'engagement américain en Méditerranée. La programmation opérationnelle de la Marine prévoit en effet un élargissement de la zone d'utilisation de la Méditerranée centrale à la Méditerranée orientale, de même qu'une capacité navale croyable "dans tout le bassin de la Méditerranée". On propose ainsi deux "groupes d'utilisation", un en mer Tyrrhénienne et l'autre en mer Ionienne, capables d'"opérations à long rayon d'action". La Méditerranée est une petite mer que les unités de la Marine peuvent parcourir en long et en large sans problèmes. La 6ème flotte américaine a opéré pendant des années en Méditerranée sans diviser ses forces, d'ailleurs beaucoup plus significatives. Pourquoi alors planifier des opérations à long rayon et constituer deux groupes d'utilisation? Simplement parce que la projection vers le Sud, justifié
e comme une meilleure défense de l'Otan contre les forces soviétiques, a d'autres objectifs hors de la zone Otan. En effet, d'après Lagorio, l'Italie doit exercer "un double rôle stratégique... aussi bien pour la défense de l'aile droite de la coalition Otan que pour la défense avancée de la région méditerranéenne contre des menaces éventuelles venant du Sud". Caché entre les lignes de parties mineures des "Orientations", nous trouvons les menaces venant du Sud et hors de la zone Otan qui expliquent le renforcement des "capacités opérationnelles globales" souhaité par Lagorio. Même des phénomènes de déstabilisation locale, hors de la zone Otan, sont une menace grave parce qu'"une compromission des équilibres existants, même uniquement régionale, peut nuire à la sécurité globale". Et voilà que font leur réapparition les menaces chères à la Marine, à laquelle appartient la "sauvegarde des intérêts nationaux et la protection des lignes de communication maritime essentielles pour la survie de notre pays". Ainsi
le velléitarisme sorti par la porte rentre, au niveau de programmation opérationnelle, par la fenêtre.
Certains éléments ambigus de la politique militaire de Lagorio deviennent plus clairs au cours de l'année. La région ou zone méditerranéenne va bien au-delà de la mer Méditerranée. Elle est définie clairement par les militaires. La figure n. 3 représente l'analyse des conflits internationaux, divisés par régions, effectuée dans le 102ème cours (1980-1981) supérieur d'état-major de l'Ecole de guerre inter-forces (14). Trois régions militaires (ou théâtres ou zones) bordent la Méditerranée. La région 1 correspond au théâtre européen et aux frontières géographiques de l'Otan. Les régions 6 et 2 correspondent à la zone de l'Afrique septentrionale (de la Mauritanie et du Sahara occidental jusqu'en Egypte) et du Moyen-Orient (de l'Egypte jusqu'en Iran, y compris la Mer Rouge et le golfe Persique). Deux zones hors de la zone d'utilisation Otan, mais qui correspondent aux zones d'utilisation opérationnelle annoncées par la Marine dès 1974. D'ailleurs ces deux régions correspondent fondamentalement aussi aux zones d'
utilisation opérationnelle prévues par le gouvernement américain pour ses commandements européen et central, comme le montre la figure 4 (15). Le fait que la région méditerranéenne comprenne ces trois zones est confirmé par Lagorio en 1981. Expliquant que, pour les interventions hors zone, l'Otan a adopté une politique "qui prévoit pour chaque pays une participation autonome à la sécurité collective", Lagorio précise que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne étendent leur surveillance jusqu'à l'Océan Indien et le golfe Persique", alors que l'Italie exerce "un rôle plus incisif dans la zone sud de l'Alliance Atlantique", c'est-à-dire "les Balkans, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord" (16).
La menace du Sud est elle aussi définie plus clairement et n'est plus liée à une plus grande force militaire soviétique.
Les tensions possibles avec le Sud du monde, déclare Lagorio lors d'un congrès de l'Institut international d'études stratégiques (Iiss) de Londres, sont liées à la question de la survie: "Une survie pour laquelle l'accès aux ressources est sans aucun doute, pour l'instant, un des aspects les plus critiques pour le monde occidental (...) Nous priver des ressources ou nous en empêcher l'accès peut être en effet un moyen assez efficace pour réduire notre capacité de résister et même d'exister. Une nouvelle sorte de menace fait ainsi son apparition: non plus la menace frontale qui a opposé l'Est et l'Ouest... mais celle d'un encerclement. Et ainsi un nouveau moyen dangereux de stratégie indirecte apparait (17). D'où la décision de la défense de "fournir une meilleure contribution à la sécurité générale des zones qui sont les plus proches de nous" et de développer un dialogue "si possible amical" avec le Sud.
Cette position met sous un tout autre jour certaines initiatives prises par Lagorio, en particulier celle sur la "task force" à double usage militaire-civil. La proposition naît officiellement suite au tremblement de terre en Irpinia en novembre 1980, et se propose de constituer une Force d'intervention rapide (Fopi) capable de se déplacer en 24 heures n'importe où dans le pays. Une force dotée d'une double capacité, qui peut être utilisée aussi bien contre les tremblements de terre que contre des menaces éventuelles d'agression au Sud, armée aussi bien de pelles mécaniques que de bazookas. Pour l'achat de moyens pour la protection civile le parlement approuve à l'unanimité un financement extraordinaire à la Défense de plus de 600 milliards. Même les premières affirmations du ministre, pour lequel la Fopi serait formée de parachutistes et de fantassins de la Marine, n'éveillent pas les soupçons des forces politiques. Parmi les quelques critiques, il y a celle de l'annuaire de l'Institut des affaires internat
ionales de Rome: " si l'on veut mettre sur pied une unité aguerrie d'assaillants il faut dire clairement comment on entend l'utiliser. Ce serait grave si on essayait de la faire passer pour la solution des problèmes de défense civile, alors qu'il s'agit en fait de quelque chose qui n'a presque rien à voir avec les conceptions défensives italiennes" (18).
D'autre part les conceptions défensives italiennes sont elles aussi en train de changer rapidement. En janvier 1981 Lagorio informe les parlementaires du Comité Otan de la Commission défense de la Chambre que "la Défense a entamé récemment un processus de révision de certaines idées qui ont longtemps dominé le domaine des études et des prévisions stratégiques. C'est un discours qui tient compte de la nouvelle situation de la Méditerranée" (19). Mais, dans les deux ans et demi du reste de son mandat, Lagorio ne dira rien de plus au parlement sur la révision stratégique en cours, se justifiant avec un prolongement présumé des études sur la question (voir ci-après). Le manque d'élaborations générales correspond en 1982 au décollage de l'initiative militaire. En 1979, il y avait déjà eu deux missions. La première avait été la croisière "humanitaire" des croiseurs Doria et Vittorio Veneto et du navire d'appui Stromboli pour sauver des réfugiés vietnamiens en mer de Chine. Avec la seconde l'Italie avait envoyé un
groupe d'hélicoptères pour renforcer les rangs de l'Unifil ("United Nations Interim Force in Lebanon"), la force d'interposition créée par l'ONU pour servir de coussin entre Israël et le Liban. Mais les missions de 1982 sont différentes des missions précédentes. En mars les dragueurs de mines Palma, Mogano et Bambù sont envoyés en mer Rouge pour faire partie de la force multinationale d'observation (Mfo, "Multinational Force and Observers"), chargée de veiller au respect des accords de Camp David entre l'Egypte et Israël. Leur tâche spécifique est de "participer à la libre navigation" du détroit de Tiran: La Mfo n'est cependant pas une force de l'ONU. Elle est formée des pays qui entendent soutenir la paix entre Israël et l'Egypte, c'est-à-dire seulement certains pays occidentaux. Du point de vue politique c'est un choix significatif, du point de vue militaire il s'agit d'une intervention limitée, dans une zone fondamentalement pacifiée. Peu de chose par rapport à la mission libanaise qui, à partir du mois d
'août, verra les forces armées italiennes engagées à fond pendant un an et demi.
La première intervention italienne au Liban (Italcon 1, de l'acronyme qui désigne le premier contingent italien de la force multinationale) a pour objectif l'exode des combattants palestiniens retranchés à Beyrouth suite à l'invasion israélienne du Liban (juin 1982, opération "Paix en Galilée"). C'est la seule alternative politique à une guerre en pleine ville, qui se transformerait nécessairement en un massacre. Une initiative sollicitée aussi par les Etats-Unis et approuvée par toutes les parties en cause (gouvernement et milices libanaises, palestiniens et israéliens). L'Organisation des Nations Unies semble au début se charger de l'initiative, mais les veto émis en son sein la bloquent. Le gouvernement italien décide de toute manière de maintenir son engagement, avec un accord bilatéral avec le gouvernement libanais. Pour souligner le caractère pacifique de l'opération, des blindés italiens partent pour le Liban sous les couleurs blanc et bleu de l'Onu. En septembre, une fois sa mission conclue positivem
ent, Italcon 1 rentre au pays. Dans les jours qui suivent les milices phalangistes, avec la complicité de l'Armée israélienne, entrent dans les camps de réfugiés palestiniens désarmés de Sabra et Chatila, où elles accomplissent un massacre de vieux, de femmes et d'enfants.
Le gouvernement libanais (et les palestiniens) appelle de nouveau à l'aide. Les gouvernements italien, français, anglais et américain répondent positivement, constituant - sur la base de différents accords bilatéraux - une force multinationale (Mnf, "Multinational Force"). Mais le but et la nature de cette nouvelle intervention d'Italcon 2 changent, du moins sur le papier. Il ne s'agit pas uniquement de protéger les camps palestiniens, mais aussi de renforcer l'autorité du gouvernement libanais. L'accord italo-libanais prévoit en effet qu'Italcon 2 puisse s'engager dans des combats non seulement pour se défendre, mais aussi dans le cas où l'accomplissement de sa tâche exigerait un soutien aux forces armées du Gouvernement libanais" (20). La composition du contingent et les armements changent eux aussi. Aux "bersaglieri" recrutés du bataillon Governolo, qui avaient déjà formé Italcon 1, s'ajoutent les paras, de carrière pour la plupart, de la brigade Folgore qui devaient former la Fopi pour la protection civi
le). Italcon 2 est dotée du feu d'appui moyen (canons de 105 mm et mortiers de 120) et lourd (des navires italiens qui resteront à l'ancre dans le port de Beyrouth). A cause du caractère contradictoire potentiel de ses objectifs (protéger les camps palestiniens et soutenir en même temps le gouvernement libanais devient difficile si ce dernier a pour objectif de chasser les palestiniens de ces mêmes camps) et à cause des armements adoptés, Italcon 2 est à la limite entre le "peace keeping" (maintien de la paix) et le "peace enforcing" (imposition de la paix). La différence entre les deux tâches est significative. Dans le "peace keeping" les forces étrangères, avec le consensus de toutes les parties en cause, s'interposent entre les adversaires (21). Dans le "peace enforcing" les forces étrangères appuient par la force une des parties en cause contre l'autre ou les autres. Un exemple typique de "peace enforcing" fut l'intervention américaine dans les années cinquante en Corée en faveur du gouvernement de la Co
rée du Sud. Au Liban, appuyer uniquement un gouvernement et des forces armées qui représentent une minorité du pays (22) aurait voulu dire glisser du "peace keeping" au "peace enforcing". Un choix fait par les contingents américains et français, mais pas par le contingent italien.
Mise en ombre par la mission au Liban qui est plus importante, il y a en 1982 une troisième mission italienne, unilatérale. En octobre le destroyer Audace, la frégate Orsa et le navire d'appui Vesuvio (12ème groupe naval) sont envoyés à Mogadiscio (Somalie). Il ne s'agit pas uniquement d'une visite d'amitié. "L'Italie - explique avec désinvolture Lagorio au parlement - a jugé récemment qu'il était de son intérêt et de sa responsabilité d'intervenir en Afrique orientale pour un plus grand équilibre des parties en conflit" (23). L'idée (abandonnée heureusement par la suite) de pouvoir jouer un rôle de stabilisation militaire dans l'ancienne Afrique orientale italienne est une claire manifestation de velléitarisme nationaliste, qui s'écarte assez fort de la politique de réalisme indépendant assumée par le ministre de la Défense au Liban. C'est une politique velléitaire aussi bien pour le rayon d'utilisation militaire qu'il confie aux forces armées, que pour le fait qu'elle n'a été soutenue par aucune motivation
sérieuse et aucune préparation, presque comme si les raisons de l'engagement militaire italien en Afrique orientale dérivaient automatiquement de la tradition impériale d'autrefois ou... de la victoire italienne aux championnats mondiaux de football. Une politique velléitaire dans ses objectifs mais qui n'est pas faible quant à ses partisans, en premier lieu la Marine avec ses aspirations à un rôle d'intervention régionale: il est significatif, même si peu de gens l'ont souligné, que les affirmations de plus grande autonomie des Etats-Unis coïncident avec la mission de la Marine à Mogadiscio. "L'Alliance - explique Lagorio - n'achève pas et ne peut achever la politique italienne. Notre pays, comme tout autre pays libre et souverain, poursuit en effet une politique qui, si elle coïncide en bonne partie avec la politique atlantique, ne concorde pas nécessairement avec cette dernière dans toutes ses actions réelles et surtout elle est autonome et indépendante en ce qui concerne tous les territoires qui ne sont
pas couverts par le Traité de l'Atlantique Nord" (24).
Curieusement c'est l'incapacité italienne d'un engagement militaire réaliste à l'intérieur d'une alliance qui s'est manifestée au cours de la seconde guerre mondiale, qui semble refaire ici son apparition. Dans les six premiers mois du conflit, pour obtenir un prestige équivalent à celui des allemands, Mussolini mena une guerre "parallèle", mais qui n'était pas coordonnée avec la guerre allemande (25). Au lieu de s'occuper sérieusement de la flotte anglaise en Méditerranée, le Duce attaqua la France et la Grèce, et se lança en Afrique du Nord pour conquérir des reconnaissances territoriales. Des initiatives qui se conclurent par une tragédie et qui poussèrent l'Italie à une guerre plus réaliste, "subalterne" à la stratégie allemande.
Le développement de la mission libanaise, suivi par les médias avec une attitude de promotion publicitaire plus que d'information indépendante, galvanise les cadres militaires. Parmi ces derniers, ce sont les propositions des "aigles" (26) qui dominent. Même dans les rangs de l'Armée ce sont les fauteurs de la projection nationaliste et offensive de la force qui font leur chemin. Un livre paru au printemps 1983, écrit par l'ancien général de l'Armée Luigi Caligaris et par le futur directeur du "Corriere della Sera" Piero Ostellino, trace les exigences et les projets de ces nouveaux militaires (27). L'exigence fondamentale des forces armées, expliquent Caligaris et Ostellino, n'est pas dans des fonctions déviantes comme la protection civile, mais dans des fonctions d'intervention et de stabilisation dans la région méditerranéenne. "Il ne suffit pas - expliquent les deux auteurs - de se défendre contre les menaces venant de l'Est et contemplées par la défense atlantique si on fait ensuite place aux menaces min
eures dans les régions méditerranéennes où l'Otan ne peut intervenir comme telle". Pour exercer convenablement ce rôle les forces armées doivent rectifier leurs objectifs et également leur esprit. Leur tâche doit être celle de la formation du "combattant méditerranéen" plus que du "manager de la défense"; leur structure doit être changée avec des instruments nouveaux dans la foulée de ce qui a été fait dans d'autres pays occidentaux. Les Etats-Unis - soulignent Caligaris et Ostellino - l'ont bien compris, en formant leur Force ambitieuse d'Intervention Rapide, qui n'est pas seulement dotée de la technologie la plus moderne, mais qui se sert aussi d'un personnel d'une préparation opérationnelle de haut niveau. Et les moyennes puissances comme la France et la Grande-Bretagne semblaient l'avoir encore mieux compris, elles qui n'ont jamais renoncé à une capacité d'intervention extérieure, moyennant leurs unités d'élite". Il n'y a qu'en Italie, observent les auteurs, "que la fameuse force d'intervention... trouve
tant de difficultés à naître par pédantisme politique et militaire. Plus d'un an et demi après l'annonce de la volonté de la constituer, peu de sérieux n'a été fait. Dans ce cas aussi on a donné la priorité absolue à la force parallèle pour la protection civile". Ce sont des appréciations qui mordent leur frein par rapport aux ambiguïtés et aux réticences du ministre de la Défense, et qui sont loin d'être isolées aux plus hauts niveaux militaires.
Même le chef d'état-major de la Défense, le général de l'Armée Vittorio Santini, dans son intervention au Casd du mois de juin 1983 critique l'insistance sur les fonctions "pourtant toujours secondaires de la protection civile", avec lesquelles "on tend à contenter cette certaine culture pacifiste qui domine aujourd'hui" (28). "Il faudrait par contre - continue Santini - préparer de nouveaux instruments en plus de ceux qui existent, comme le Comité des chefs d'Etat-major dans sa haute responsabilité technique a supposé dans une étude sur le soi-disant nouveau modèle de défense". Mais Lagorio n'a pas voulu rendre publique cette étude. La fin de son mandat s'approchant il a préféré laisser le problème à son successeur.
Avec l'arrivée du républicain Giovanni Spadolini au Ministère de la Défense (août 1983) les poussées pour la projection offensive de la force sont reconduites aux coordonnées d'une utilisation moins parallèle et plus subalterne à la politique militaire de l'administration Reagan. Trois sont les tâches que les "Orientations de politique militaire" du nouveau ministre indiquent aux forces armées: la défense des frontières, la défense de l'Europe avec les alliés, "contribuer, en accord avec l'ONU et avec nos alliés et sur demande des états intéressés, à rétablir des conditions humanitaires et de stabilité politique dans des zones d'une importance particulière pour la sécurité de la Méditerranée" (29). Ce rôle extérieur est légitimé comme une réponse à une menace venant du Sud qui, contrairement à l'analyse de Lagorio, n'est pas une menace militaire contre l'Otan. Elle consiste "en une dispute mineure conséquente à un contentieux se référant uniquement à l'Italie et qui pourrait se manifester dans des actions of
fensives tendant à l'acquisition de zones de territoire national peu étendues mais de grande valeur stratégique, ou bien adressées contre le trafic maritime national en Méditerranée". Dans ce cas - conclut Spadolini - l'Italie pourrait uniquement répondre à l'offense moyennant un instrument militaire autonome et croyable". Dans le cadre de l'Otan l'hypothèse de débarquements en Italie du Sud a toujours été considérée (et elle l'est toujours) improbable et de toute manière secondaire dans un scénario de guerre entre blocs. Dans un scénario de conflit bilatéral entre l'Italie et un autre pays elle a été jugée encore moins croyable par deux chefs d'état-major de l'Armée (30). Mais la qualité de la menace de débarquements au Sud n'est pas dans sa validité, mais dans son utilité à des fins de manipulation: elle permet de justifier l'introduction de lignes défensives et préventives au nom de la légitime défense du territoire national. Ainsi les "Orientations" de Spadolini proposent "des mesures de prudence des foy
ers potentiels de crise représentés par certains pays méditerranéens".
Sur les coordonnées de l'engagement militaire "hors des frontières", Spadolini précise, en polémique indirecte avec Lagorio, que les rôles de stabilisation régionale "n'auraient pas de sens et ne seraient pas réalistes du point de vue opérationnel en-dehors d'un lien organique avec la stratégie occidentale". De la ligne donnée par le ministre précédent à la stabilisation régionale on ne critique pas la partie objectivement velléitaire , même au niveau opérationnel (engagement en Afrique orientale), mais uniquement son caractère incohérent par rapport à une "stratégie occidentale" qui n'est pas mieux définie. L'objectif de la critique est par conséquent le caractère parallèle, relativement autonome et sans coordination avec les Etats-Unis, de l'engagement militaire italien en Afrique orientale et au Liban promu par Lagorio. Spadolini veut remplacer cet engagement parallèle par un engagement plus subordonné à l'allié américain, plus réaliste uniquement parce que moins indépendant. Mais réduire, en même temps q
ue ses propres velléités nationalistes, également sa propre autonomie ne résout pas les problèmes; ça ne fait que les mettre dans les mains d'un partenaire plus fort mais pas infaillible. Même le gouvernement et les forces armées américaines (ou françaises) peuvent poursuivre des objectifs velléitaires et faire de mauvais choix, comme au Vietnam ou au Liban. En août 1983, l'accord stipulé avec les différentes forces libanaises saute. L'Armée libanaise essaye de prendre le contrôle des montagnes de la Chouf et se heurte aux milices druses, tandis qu'à Beyrouth des unités militaires et des milices phalangistes s'affrontent avec les milices chiites. Il devient toujours plus clair que le gouvernement et les forces armées libanaises n'expriment qu'une composante, celle chrétienne maronite, de la société libanaise. Simultanément les requêtes du gouvernement libanais augmentent pour un engagement direct dans la guerre civile du contingent multinational, auquel on demande de se ranger dans le Chouf ou d'appuyer les
unités restées à Beyrouth. A cette requête les différents contingents répondent de manière différente. Aux coups de canon tirés par les batteries druses du Chouf contre l'Armée libanaise, qui tombent parfois près des camps de la Mnf, les contingents français et américain répondent par des contre-canonnages navals et des bombardements des avions embarqués. Un support analogue est fourni par les américains et les français à l'Armée de Gemayel dans ses rafles pour désarmer les autres milices. Italcon 2 garde par contre une attitude plus neutre. L'artillerie navale, mise aux dépendances du commandant de terre Franco Angioni, n'est utilisée par ce dernier que comme menace pour éloigner le tir ennemi d'Italcon 2 (31). En outre les italiens refusent de prendre part aux rafles et aux affrontements (32). Du côté italien on applique en substance une auto-limitation délibérée de l'usage de la force, qui donne des résultats positifs.
Mais au pays certains représentants du nouveau gouvernement présidé par le socialiste Bettino Craxi prennent sérieusement en considération l'hypothèse de suivre les américains et les français sur la voie de l'appui total au gouvernement Gemayel. Au cours du mois de septembre Spadolini fait définir des plans opérationnels pour envoyer des armements lourds à Italcon 2 et pour le doter du feu lourd d'un ou plusieurs groupes de chasseurs bombardiers, dont on programme le déplacement à Chypre (des mesures qui ne seront heureusement pas prises, à cause aussi des critiques croissantes des forces d'opposition). L'usage étendu de la force de la part des contingents français et américain, motivé aussi bien comme une autodéfense que comme un soutien au gouvernement Gemayel, n'augmente cependant pas la première ni ne renforce le second. A la fin du mois d'octobre deux attaques suicides avec des voitures bourrées d'explosif provoquent des centaines de morts parmi les militaires français et américains. En février 1984, ap
rès que les autres contingents aient abandonné le Liban, Italcon 2 est lui aussi rappelé au pays. Ainsi que se termine une mission qui a coûté à l'Italie un mort et soixante-dix blessés, mais qui aurait pu avoir des coûts humains fort supérieurs si l'intervention italienne s'était aplatie, politiquement et du point de vue opérationnel, sur celle des Etats-Unis. Six mois plus tard l'Italie revient faire partie d'une autre force multinationale. En août l'explosion d'une série de mines anti-bateaux dans le canal de Suez et en mer Rouge poussent le gouvernement égyptien à demander de l'aide pour une opération de surveillance et de déminage. Encore une fois l'opération est menée par une force multinationale sur la base d'accords bilatéraux. Le gouvernement italien envoie les dragueurs de mines Castagno, Frassina, Loto et le navire d'appui Cavezzale.
De toutes ces opérations dans la région méditerranéenne le débat politique a mis chaque fois en lumière différents éléments, mais il y en a un qui nous parait avoir été négligé. Toutes ces missions militaires à l'étranger ont eu une immense valeur du point de vue opérationnel pour leur utilisation extérieure. Une chose est d'opérer chez soi, connaissant le climat, les lieux, sans que les entrepôts ne soient loin. Mais c'est bien autre chose que faire une croisière de plusieurs mois à l'autre bout du monde ou bien de nourrir et utiliser plus de 2000 hommes pendant dix-huit mois à plus de 2000 kilomètres de l'Italie. Une chose c'est de faire des exercices dans un climat de paix modifié artificiellement durant les exercices. Mais un engagement opérationnel dans un pays où la guerre est réelle est tout autre chose. Toutes ces missions ont permis l'acquisition d'expériences et de capacités fondamentales: une vérification des moyens et de la cohésion des unités, la mise au point du support logistique et d'éléments
de doctrine d'utilisation, l'expérimentation des systèmes de communication commandement et contrôle, etc. Du point de vue opérationnel on a acquis et amélioré, en six ans d'expériences sur le terrain, une bonne partie de ce qui est nécessaire pour toute intervention efficace dans la région méditerranéenne. Même les points faibles d'une intervention extérieure, aussi bien au niveau militaire que politique, ont été mis en évidence et, en partie du moins, résolus. Parmi les points faibles de la politique, il faut souligner l'habitude désormais consolidée de ne pas soumettre à l'approbation préalable du parlement les traités internationaux qui encadrent les missions à l'étranger. Sur les interventions militaires à l'étranger nous avons à présent en Italie un contrôle parlementaire très inférieur, dans les faits, à celui qui existe aux Etats-Unis, où une loi spéciale (33) établit que, après deux mois de guerre hors des frontières, le Congrès doit se prononcer sur la continuation de l'hostilité et un vote négatif
de sa part met automatiquement fin à l'engagement militaire. Parmi les problèmes politiques qui ne sont que partiellement résolus il y a celui d'une plus grande indisponibilité des soldats du contingent par rapport aux soldats de carrière pour des opérations extérieures, voulues par le gouvernement mais pas par la société civile. Au cours de la mission libanaise une première réponse a été fournie par les autorités, passant de l'envoi sur base volontaire à celui sur commandement (34). Une pratique elle aussi consolidée avec la mission en Mer Rouge. Par rapport à la nature politique des missions hors de la zone Otan il faut enfin souligner que, si elles se sont maintenues dans le cadre du "peace keeping", il est également vrai que l'opération la plus significative, celle au Liban, non seulement a couru le risque de devenir quelque chose de différent, mais qu'elle a aussi donné lieu à des bilans et des planifications opérationnelles conséquentes qui vont bien au-delà.
Au centre du débat post-libanais il y a la question concrète de l'aviation de la Marine, derrière laquelle on trouve cependant une question plus de fond, se rapportant au poids et à la nature de l'intervention au Sud de la zone Otan. D'habitude c'est la Marine qui exprime de façon plus décidée et cohérente la projection offensive de la force. Interviewé par un quotidien sur les leçons à tirer de l'expérience libanaise, le chef d'état-major de la Marine Vittorio Marulli explique la leçon que la Marine a tiré de l'expérience des... Falkland-Malouines (35). Dans ce conflit, d'après Marulli, "on a mis en évidence le rôle que joue un ensemble de moyens aériens embarqués sur des unités tout pont à tonnage limité, rapidement disponibles et directement utilisables par le commandement naval". "Le support d'un instrument aéronaval devant Beyrouth - continue Marulli - aurait certainement garanti une crédibilité et une sécurité qualitativement très différentes que celles réalisées uniquement avec les canons embarqués".
Un rapprochement de faits dans lequel il est inutile de chercher aucune logique ou aucune vérification historique, parce que le problème est ailleurs: la Marine veut ses avions sur ses porte-avions, aux ordres du commandement naval. Le porte-avions, avec les nouvelles unités de débarquement déjà en production et le bataillon San Marco renforcé par des soldats de carrière permettront "des opérations prolongées à grande distance des bases nationales". Avec ces "présences tangibles"... bien au-delà des frontières étroites", la Marine italienne se propose l'objectif qui n'est pas sans être modeste de "contenir l'introduction soviétique en Afrique du nord et au Moyen-Orient" (36).
L'évaluation du chef d'état-major de l'Aviation Basilio Cottone est différente: il évalue positivement la décision de ne pas avoir rangé les groupes de chasseurs bombardiers à Chypre et critique le sens politique du choix d'un porte-avions (37). Une chose est, d'après Cottone, effectuer des tâches de pacification comme l'ont fait les italiens au Liban, mais c'est bien autre chose de se doter d'"une force d'intervention rapide capable d'exprimer une fonction offensive... plutôt qu'une fonction de conciliation et de conviction". Pour Cottone, c'est encore la menace aéroterrestre au Nord-Est qui est la plus consistante, tandis que pour l'emploi des avions en Méditerranée les avions de l'Aviation répartis dans les bases métropolitaines suffiraient. Cottone s'oppose aux missions hors zone appuyées par la Marine, au nom "de la politique militaire de l'Alliance atlantique et de ses objectifs, qui sont défensifs" (38). Le chef d'état-major de l'Armée Umberto Capuzzo se montre lui aussi sceptique quant à l'hypothèse
de constituer une véritable force d'intervention rapide qui demanderait "tant et de tels moyens qu'il serait difficile de l'armer dans la situation actuelle du budget des forces armées" (39).
La Marine ne peut négliger de mettre de l'ordre dans cet enchevêtrement de divergences de doctrine militaire, auquel s'accompagne un climat de bagarre entre la Marine et l'Aviation sur le contrôle des avions opérant en mer et entre les forces armées sur les ressources de budget.
3. Le "Livre blanc" de la Défense
Fruit d'un travail qui a duré plusieurs mois et auquel ont collaboré pour la première fois un groupe de chercheurs civils n'appartenant pas aux forces armées, le "Libre blanc" (Lb à partir de maintenant) de la Défense 1985 (40) entend résoudre les divergences doctrinaires entre les forces armées et définir une seule perspective stratégique pour l'instrument militaire. Le but, explique Spadolini dans l'introduction, est "un modèle de défense, cohérent dans ses objectifs, dans la détermination de la force, dans la détermination des structures administratives et de commandement, dans l'intégration nationale, et naturellement réfléchi aussi dans la formation et l'organisation du budget de la Défense". Le plus grand mérite du Lb est celui de fonder la politique italienne de sécurité à partir de la définition des menaces, auxquelles est consacrée toute une partie du volume. En effet, ce n'est qu'après avoir identifié les menaces que l'on peut proposer les moyens et les doctrines opérationnelles qui substantifient
la partie militaire d'une politique de sécurité (qui comprend des parties économiques, politiques et diplomatiques tout aussi importantes). Pour la première fois, dans une publication officielle de la Défense, on indique comme source de la menace non seulement l'autre bloc, mais aussi les pays du Tiers Monde: "L'augmentation de la situation de tension entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique - explique le Lb - ainsi que la complexité changeante de la zone sud, ont comporté un accroissement parallèle de la 'menace', diversifiée de par ses formes et ses instruments". Ainsi, à côté de la menace militaire traditionnelle directe, représentée par une invasion possible au Nord-Est par le Pacte de Varsovie, on identifie une autre menace, même si elle n'est pas militaire et indirecte, dans la région méditerranéenne. Ici, outre les forces aéronavales soviétiques, apparaissent de nouvelles menaces de la part de certains pays du Tiers Monde.
Le Lb consacre peu d'attention à la menace au Nord-Est et au théâtre central européen. On fait une histoire de l'Alliance atlantique engagée dès sa naissance pour éviter le réarmement nucléaire et manquant de toute tendance ayant un caractère offensif. Une analyse superficielle et discutable, qui tombe souvent dans des professions de foi, comme lorsqu'elle soutient que "dans l'opinion publique, après presque quarante ans d'Alliance, la conviction est consolidée et indéfectible que celle-ci a un caractère exclusivement défensif, que la légitimité de ses programmes est absolue, que son engagement pour le contrôle des armements au plus bas niveau possible, comme condition d'un désarmement général et contrôlé, est démontré". Dans les autres pays européens de l'Otan l'analyse des nouvelles doctrines militaires des forces armées américaines ("Air Land Battle, Deep Strike, Air Force 2000") a amené plusieurs chercheurs militaires et plusieurs leaders politiques à critiquer comme étant offensive la doctrine du comman
dant de l'Otan Bernard Rogers de l'attaque aux forces de second rang (Fofa, "Follow On Forces Attack") (41). Rogers lui-même est intervenu dans ce débat, le considérant par conséquent comme ayant un fondement (42).
Sur toute cette question par contre le Lb survole, masquant le manque d'une contribution de sa part aux élaborations Otan par des convictions idéologiques indéfectibles. La doctrine Rogers est bien critiquée parce qu'elle coûterait trop en nouvelles technologies, parce qu'elle ne serait peut-être pas plus efficace contre les dernières doctrines opérationnelles soviétiques, parce qu'elle augmenterait la supériorité technologique des Etats-Unis sur l'Europe. Mais les critiques esquissent une ligne de résistance faible parce qu'elles n'attaquent pas le fonds du problème: le caractère fortement offensif de la Fofa, basé sur la projection immédiate du conflit à des centaines de kilomètres à l'intérieur du territoire ennemi. Ainsi l'Italie participe aussi à la recherche sur les nouvelles technologies dans le cadre d'une subalternité totale aux stratégies américaines et sans qu'il ne vienne à l'esprit d'aucun responsable italien de la sécurité d'utiliser les nouvelles technologies pour une stratégie défensive. Au c
ontraire, à partir de 1984 les déclarations du ministre Spadolini et de certains de ses conseillers en faveur de la projection offensive de la force également au Nord-Est ont augmenté (43). Même sur l'engagement "prouvé" de l'Otan pour le contrôle des armements au plus bas niveau possible, il est permis de nourrir des doutes. En effet le Lb, en expliquant que la dissuasion se base sur l'équilibre des forces, affirme que ce dernier "pour être efficace, doit se réaliser à tous les niveaux et sur toutes les catégories d'armement". Une conception qui, sans calculer les points de force de sa propre organisation militaire, vise à l'obtention de l'égalité sur les points de force de l'adversaire; une conception qui, concrètement, ouvre la voie au réarmement aux plus hauts niveaux dans toutes les catégories d'armements. Cette même philosophie semble justifier du côté italien le choix d'installer avant 1987 les sept groupes de "cruise" nucléaires, pour un total de 112 missiles, à Comiso. Un choix qui est présenté comm
e étant obligé, la seule possibilité après le déploiement des SS-20 soviétiques à partir de 1977. La bonne volonté du gouvernement et de la Défense pour le contrôle des armes nucléaires et les pourparlers serait elle aussi "démontrée" par la clause habituelle de la dissolubilité. Cette dernière est inexistante au même titre que n'importe quel contrôle gouvernemental et parlementaire sur les armes nucléaires installées en Italie. Sur leur nombre le Lb ne dit rien, presque comme si les seules armes nucléaires en Italie étaient les "cruise". Sur leur utilisation on affirme que "l'utilisation des armes nucléaires est disciplinée, dans le cadre de l'Alliance atlantique, par des procédures de consultation concordées depuis longtemps, qui assurent la pleine participation des pays membres et confèrent un poids particulier aux Alliés sur le territoire desquels ces armes sont situées". Des informations insuffisantes et des affirmations péremptoires qui montrent le degré d'"inconscience nucléaire" de la plupart des dir
igeants de la politique militaire italienne.
Les armements nucléaires présents en Italie vont bien au-delà des "cruise" de Comiso. D'après l'analyste américain William M. Arkin il y a en Italie environ 550 ogives nucléaires, sans compter celles qui sont embarquées sur la 6ème flotte américaine (44): il y a 32 missiles "cruise" déjà opérationnels à Comiso (sur un total de 112 missiles prévus); 250 bombes sur les avions italiens et américains; 50 ogives pour les missiles "Lance" de l'Armée italienne; 70 ogives pour les missiles "Nike-Hercules de l'Aviation italienne; 22 mines atomiques sous contrôle direct de l'Armée américaine; 40 projectiles nucléaires de 203mm pour l'artillerie américaine; 65 bombes atomiques de profondeur pour avions et hélicoptères aussi bien américains qu'italiens; 50 ogives nucléaires pour les missiles anti sous-marins de la Marine américaine.
Les procédures de consultation sur l'utilisation des armes nucléaires qui permettraient à l'Italie d'avoir "un poids particulier" dans leur utilisation, sont couvertes par le secret. Etant donné que Spadolini n'a pas communiqué l'adoption de nouvelles procédures, lorsqu'il parle de "procédures concordées depuis longtemps", il est permis de se référer à ce qui est ressorti à ce sujet il n'y a pas si longtemps. Durant la gestion Lagorio de la Défense on a beaucoup discuté sur le thème de la "double clé", une américaine et l'autre du pays qui reçoit, nécessaire pour faire partir un missile nucléaire. Mais la définition de "double clé" est à la fois rassurante, parce qu'elle rappelle des mécanismes de contrôle croisé sûrs et expérimentés dans la vie quotidienne, et fourvoyante, parce qu'elle ne correspond plus à la réalité de la vie quotidienne qu'elle évoque. Une porte avec deux serrures a besoin de deux clés pour être ouverte. La double clé nucléaire fonctionnait de la même façon autrefois. Durant les années s
oixante et soixante-dix les alliés sur le territoire desquels les armes nucléaires se trouvaient possédaient le vecteur, alors que les ogives nucléaires étaient gérées et contrôlées par des militaires américains. Par exemple, pour faire partir un des missiles nucléaires "Jupiter" installés de 1959 à 1962 dans les Pouilles, il fallait les missiles - achetés par les américains et sous contrôle italien - et les ogives - appartenant aux américains et gérés par les américains. Si les militaires italiens n'avaient pas fourni les vecteurs, les missiles nucléaires n'auraient pas pu partir.
Aujourd'hui cependant la situation a changé car la moitié environ des armes nucléaires qui se trouvent en Italie, parmi lesquelles les nouveaux "cruise", appartiennent toutes (vecteurs et ogives) aux forces armées américaines. L'inexistence d'une double clé technique est confirmée par une déclaration du Comité spécial sur les armes nucléaires de l'Assemblée atlantique en octobre 1983: "Bien que Lagorio et Heseltine pensent que la dispersion des Glcm ("cruise" lancés du sol) en temps de crise comporte un mécanisme de contrôle qui pourrait être utilisé par le pays qui les accueille, le Comité est de l'avis qu'il n'existe aucune raison technique qui empêche de lancer un missile de croisière partant d'une base quelconque" (45). Pour contrôler l'utilisation des armes nucléaires avec des vecteurs américains, l'Italie peut uniquement compter sur un processus de consultation avec les alliés américains, qui "temps et circonstances permettant" écouteraient notre gouvernement (46). En cas de décisions divergentes entre
les gouvernements européens et le gouvernement américain la seule garantie des européens consisterait dans l'usage de la force pour imposer la volonté nationale.
La question des armes nucléaires tactiques (ou de champ de bataille) est tout autant sous-estimée. Les missiles "Lance" et "Nike-Hercules", les mines et les projectiles atomiques sont considérés par beaucoup comme les plus dangereux parce que - étant rangées à proximité de la frontière - ils pourraient être utilisés dans les phases initiales du conflit, pour ne pas risquer de les perdre. A ce propos le Lb se contente d'affirmer que, derrière les frontières, l'Otan prévoit l'utilisation préférentielle des armes conventionnelles".
Dans le manque total d'explications techniques convaincantes il ne nous reste plus sur les armes nucléaires que la parole de Giovanni Spadolini. Ce qui nous met tous dans la fâcheuse condition du Jules César de Shakespeare qui, à propos de Brutus, affirme: "Brutus a donné sa parole. Et Brutus est un homme d'honneur". D'autre part la parle de Spadolini n'est pas toujours ferme, ni rassurante. Lorsque, en automne 1984, le Parti communiste demande de savoir si des sous-marins équipés de "cruise" nucléaires (Slcm, "Sea Launched Cruise Missile") font halte dans la base de la Maddalena, Spadolini déclare à la Chambre que "le contenu de l'accord ne permettrait pas que cette base accueille des sous-marins armés de missiles à ogive nucléaire" (47). Oui. De même que l'accord "ne permettrait pas" la présence d'armes nucléaires à la Maddalena, les procédures de consultation avec l'Italie "ne permettraient pas" le lancement d'armes nucléaires de notre territoire contre notre volonté.
Une grande place est par contre consacrée par le Lb à la nouvelle menace au Sud, qui devient la menace principale. En effet le Lb souligne non seulement "le déplacement sensible du barycentre des crises concernant l'Europe vers le Sud et, surtout, vers la Méditerranée", mais affirme aussi que "les proportions et les poids de puissance entre zones régionales et sub-régionales se sont transformés (Méditerranée/Golfe Persique/Afrique)". La nouvelle menace du Sud est de type différent par rapport à la menace directe et militaire du Nord-Est. Elle est en effet aussi bien directe (force aéronavale soviétique) qu'indirecte (contentieux économiques et politiques avec des pays peu stables du Tiers Monde). Une menace si vaste qu'elle modifie à 90 degrés l'optique militaire italienne: or il ne s'agirait plus pour l'Italie uniquement de défendre à l'Est le "flanc" droit de l'Otan, mais d'être surtout l'avant-poste du "front Sud de l'Otan". Toute la partie du Lb consacrée à la situation internationale sert à légitimer ce
nouveau rôle italien dans la région méditerranéenne. Dans la période qui a suivi la seconde guerre mondiale on a assisté, d'après le Lb, à un processus de "diffusion de puissance", qui a ôté le monopole de l'usage de la force aux vieilles puissances industrielles et les a mis dans une condition de supériorité inférieure par rapport aux pays du Tiers Monde. Dans le Tiers Monde sont apparus de nouveaux acteurs (états de nouvelle indépendance et nouvelles alliances sur base raciale, confessionnelle et régionale) et semi-acteurs (mouvements de libération nationale comme l'Olp, le Swapo et la Résistance afghane) bien armés et capables d'avoir une incidence sur la situation internationale. L'usage de la force de la part des pays industrialisés, qui reste cependant décisif pour le Lb, ne s'est jamais montré toujours efficace pour contrôler les crises. En particulier ce sont les deux superpuissances qui sont obligées "de réduire leur capacité de contrôle des crises internationales". Pour elles, "l'intervention mili
taire effective et virtuelle" est "devenue toujours plus coûteuse et improductive comme l'ont prouvé le Vietnam et l'Afghanistan". Même les dynamiques des alliances militaires qui aboutissent aux deux superpuissances montrent la même faiblesse dans la gestion des crises et, en outre, leur intervention peut faire dégénérer les conflits locaux dans un affrontement général, même nucléaire, entre l'Est et l'Ouest. On laisse ainsi entendre que, de ce cadre, ressortiraient des espaces supérieurs pour un rôle militaire des moyennes puissances, même en-dehors de l'alliance dont elles font partie. Un rôle militaire aucunement symbolique étant donné que, d'après le Lb, contrairement au passé, aujourd'hui l'usage "virtuel" de la force n'intimide même pas des petits pays du Tiers Monde. Une analyse qui ressemble à une théorisation de l'intervention anglaise dans les Malouines, mais que le Lb se garde bien de citer. Ainsi cette curieuse analyse basée sur une seule preuve devrait garantir que les moyennes puissances, parm
i lesquelles l'Italie, seraient en mesure de faire au niveau plus ou moins régional ce que les Etats-Unis et l'Union Soviétique n'ont pas réussi à faire au niveau mondial.
Pour l'Italie la zone d'utilisation opérationnelle régionale est la zone méditerranéenne, qui cependant, comme nous l'avons déjà vu et comme le confirme le Lb, est un "ensemble" formé de différentes zones "de celles du Moyen-Orient à celle de l'Otan, à l'Afrique septentrionale aux Balkans". Dans la région méditerranéenne les menaces contre l'Italie sont nombreuses et ne concernent qu'en partie l'hypothèse d'un affrontement entre blocs. Dans le scénario traditionnel de guerre entre les blocs les forces Otan en Méditerranée auraient la tâche principale de garder ouvertes les routes maritimes pour l'arrivée des renforts par mer dans l'Europe du Sud. Des renforts qui serviraient à alimenter le front principal, celui d'Europe centrale.
A ce scénario le Lb en ajoute un autre, d'après lequel "l'introduction politique-militaire de l'Union Soviétique en Méditerranée", plus ou moins combinée avec les "actions de certains protagonistes locaux", aurait pour objectif l'étranglement énergétique et économique de l'Italie et de tout l'Otan. Ainsi du Sud sont menacées les zones maritimes pour l'exploitation desquelles il y a des contentieux, toute l'économie italienne à cause d'embargos possibles pour les matériaux stratégiques, de nouveau toute l'économie à cause d'"actions de déstabilisation dans des zones d'intérêt stratégique" (lire Golfe Persique), de même que les îles où pourraient avoir lieu des petits débarquements "de petite étendue mais d'une grande valeur politique et stratégique". Enfin, seule vraie nouveauté par rapport à ce que la Marine déclare depuis dix ans, il y a la menace "contre les citoyens et les sociétés italiennes à l'étranger" Même si pudiquement le Lb ne les cite pas, il n'est pas difficile de déterminer les nouveaux ennemis
de la Défense: avant tout la Libye, mais aussi la Syrie et parfois l'Algérie (rien que pour rester en Méditerranée). Il est évident que beaucoup de ces menaces n'ont rien à voir avec une plus grande capacité défensive de l'Otan en Méditerranée. Mais, avec le Lb la doctrine officielle est qu'il ne faut pas uniquement garantir "l'intégrité du territoire national, l'inviolabilité des frontières, la défense des espaces aériens", mais aussi les "intérêts vitaux" de nature économique de l'Italie.
Pour affronter efficacement aussi bien la menace au Nord-Est que celle au Sud le Lb prévoit la réorganisation pour "des missions opérationnelles inter-forces" de la programmation militaire. Ainsi pour s'acquitter de la double tâche de sécurité nationale et internationale cinq missions inter-forces sont définies: la première, de défense Nord-Est; la deuxième de défense au Sud et aux lignes de communication; la troisième de défense aérienne; la quatrième de défense opérationnelle du territoire; la cinquième d'"action de paix, sécurité et de protection civile".
Il est difficile de se faire une raison du pourquoi de ces cinq missions alors que, de l'ensemble du cadre tracé, ne ressortent clairement que deux menaces. Probablement, dans la prolifération des missions pèsent aussi bien les résistances corporatives de force armée (si bien qu'il fallait au moins trois missions) que, peut-être, la volonté de Spadolini de diluer dans plusieurs missions le poids réel du nouvel engagement au Sud (pour ne pas alarmer le parlement). Une chose est certaine: les missions sont nombreuses et les effectuer coûtera cher, surtout parce que le rôle de l'Italie ne s'arrêtera pas en Méditerranée et parce que, en Méditerranée, le Lb sous-estime la contribution des autres pays alliés. Il est vrai que parmi les points fermes de la politique italienne de sécurité il y a le "choix européen" (les autres sont la Constitution, l'Otan et la "spécificité méditerranéenne" de l'Italie. Mais la présence en Méditerranée de forces navales espagnoles, françaises, grecques et turques, ainsi que la contri
bution que pourraient apporter d'autres alliés européens dans des situations de crise, est presque ignorée. Dans la planification opérationnelle concrète les affirmations européistes de Spadolini ne trouvent pas une correspondance et ne deviennent que la feuille de vigne qui couvre les velléités nationalistes de la Marine. Pour ses tâches en Méditerranée et dans la région méditerranéenne la Marine sera en effet dotée de deux "groupes aéronavals de haute mer", gravitant l'un à l'Est et l'autre à l'Ouest du canal de Sicile. Ce sont les vieux "groupes d'utilisation" de haute mer, mais dont maintenant il est explicite qu'ils sont aéronavals; autrement dit formés chacun de différentes unités autour d'un porte-avions. Avec deux porte-avions pour conduire les deux groupes aéronavals de haute mer, et avec le renforcement des unités de débarquement, la contribution navale italienne à un scénario de guerre entre blocs n'améliora pas fort. Ce qui améliorera surement c'est la capacité de projection offensive dans des co
nflits comme ceux des Malouines ou du golfe de la Syrte. Il faut remarquer à ce propos que les polémiques qui ont surgi entre les forces politiques sur la constitutionnalité du porte-avions, de même que celles qui ont surgi entre la Marine et l'Aviation sur le monopole des avions à aile fixe, ont été surmontées, du moins au niveau gouvernemental. Un dessein de loi présenté par le gouvernement en août 1985 (48) prévoit que la Marine puisse embarquer ses propres avions pour défendre son porte-avions. Parmi toutes les solutions possibles à fournir au problème de l'aviation de la Marine, celle qui a été proposée par le gouvernement nous parait la pire: timide lorsqu'il s'agit d'attaquer le monopole de l'Aviation sur les avions à aile fixe et en même-temps condescendante à l'égard des aspirations de "statu" et de puissance régionale de la Marine. Une solution plus respectueuse des intérêts corporatifs des deux forces armées que de la fonctionnalité militaire effective (49).
L'Aviation aura elle aussi un rôle dans cette nouvelle projection offensive au Sud. Avec l'acquisition des nouveaux avions Tornado, et le prolongement de leur rayon d'action grâce au ravitaillement en vol, le groupe de vol de Tornado de Gioia del Colle (Bari) pourra couvrir une grande partie de la vaste région méditerranéenne. Pour l'Armée aussi la projection offensive au Sud comporte des changements significatifs, surtout la constitution d'une Force d'intervention rapide (Foir ou Fir) sur la foulée de la Rdf américaine et de la Far ("Force d'action rapide") française. Le projet de la Fopi de Lagorio est bouleversé. Sur la Force d'intervention rapide, explique le Lb, "les études relatives... s'étaient initialement orientées vers une force mobile "bivalente" en mesure aussi bien d'affronter les exigences opérationnelles déjà citées, que de participer aux interventions de protection civile en cas de calamités publiques (tremblements de terre, inondations, etc.). Successivement cependant, suite aussi à l'expéri
ence du contingent italien au Liban, on s'est rendu compte que les finalités étaient trop différentes entre elles pour qu'il fut possible d'y pourvoir avec le même instrument. On s'est par conséquent orienté vers la préfiguration de deux forces mobiles d'intervention rapide: la premières destinée essentiellement à la protection civile; la deuxième destinée institutionnellement à l'accomplissement de tâches de défense mobile du territoire national et éventuellement de sécurité internationale". Mais de ces deux forces une seule se développera, parce que l'on est en train d'évaluer la situation d'organisation et la rapidité opérationnelle de la Fopi pour établir "l'intérêt ou non d'un commandement uniquement pour cette exigence spécifique". Il reste ainsi la Fir, avec des fonctions uniquement militaires, mais toujours doubles: pour boucher rapidement les trous dans la défense du territoire et pour des actions de sécurité internationale: la double fonction militaire n'est rien d'autre qu'une couverture momentané
e; comme d'habitude la justification de l'instrument à des fins de défense territoriale ne sert qu'à légitimer une utilisation discutable de projection externe (50).
"En particulier dans la région méditerranéenne", explique dans une autre partie le Lb, on prévoit "l'utilisation de forces militaires d'intervention rapide pour la prévention et le contrôle des conflits". En plus des fonctions d'"interposition d'armistice", la Fir devrait aussi exercer des actions de "garantie des droits humains" et de "protection et d'évacuation de citoyens italiens à l'étranger gravement et directement menacés". D'après le Lb ces fonctions s'encadreraient "rigidement dans les critères établis par la Charte des Nations Unies". Mais il s'agit de fonctions qui vont au-delà du "peace keeping". L'utilisation de la sigle de l'Onu pour légitimer les interventions unilatérales de la Fir est instrumentale. l'Onu n'a jamais donné naissance à des forces de prévention des conflits, ni n'a besoin de forces d'intervention rapide. Pour finir c'est Spadolini lui-même qui explique comment l'avis de l'Onu n'est pas un lien pour les missions de la Défense à l'étranger: "Des difficultés recourantes de l'Onu e
t même des superpuissances à contrôler des crises en particulier peuvent mettre un état méditerranéen, comme l'Italie, en condition de devoir assumer des responsabilités ponctuelles pour prévenir les conflits" (51). A propos du passage doctrinal de la Fopi à la Fir il faut souligner le fait qu'à une opposition d'abord souterraine et ensuite toujours plus explicite des autorités militaires à l'engagement dans la projection civile ait correspondu l'utilisation des fonds du chap. 4071 à des fins militaires, comme nous le montrons dans le chapitre sur les dépenses militaires. En décembre 1985 la Fir effectue son premier exercice. Si quelqu'un avait nourri l'espoir que sa tâche principale aurait été la défense nationale, il se trompe. Le nouveau chef d'état-major de l'Armée Luigi Poli, en faisant le bilan de l'exercice, indique la première carence dans le manque d'un transport stratégique adéquat (52). Pour se déplacer rapidement à l'intérieur des frontières nationales les avions de transport G-222 et C-130 sont
valables, mais ils sont par contre insuffisants pour la région méditerranéenne. Pour intervenir au Moyen-Orient et en Afrique du Nord il faut des avions plus grands et avec davantage d'autonomie. Ce n'est pas un hasard si les militaires français se plaignent aussi du manque d'avions de transport stratégique pour les interventions de la Far en Afrique centrale (53). Le commandement de la Fir est le premier commandement italien inter-forces, mais la philosophie de l'intégration du Lb prévoit la constitution de commandements semblables pour chacune des cinq missions. De cette intégration inter-forces il faut souligner qu'elle n'est que secondairement motivée par des exigences de réduire les gaspillages dus aux duplications des structures. Ce qui est bien plus important c'est l'efficacité accrue au combat que l'intégration et la création de commandements spécialisés a porté dans les armées modernes. Comme le rappelle aussi le Lb, les commandements de l'Otan sont inter-forces, et il n'y a qu'un seul commandant qu
i dirige l'utilisation d'avions, de navires et de chars dans un théâtre donné. La spécialisation par théâtres, ou missions, est aussi un des pivots de la structure militaire américaine. Aux Etats-Unis les chefs d'état-major soignent particulièrement l'acquisition des moyens et l'instruction générale du personnel. Par contre dans chaque zone régionale ce sont des commandements spécialisés qui planifient et dirigent les opérations, comme le commandement central pour la région du golfe. Pour les guerres des étoiles les systèmes d'arme doivent encore venir, mais aux Etats-Unis on a déjà créé un commandement de l'espace ("Space Command") pour ce théâtre de guerre. En outre les doctrines opérationnelles les plus récentes pour les opérations militaires valorisent toujours plus la force synergique de la gestion de la part d'un seul commandement de théâtre des différentes forces armées. L'"air Land Battle" (bataille aéroterrestre) met l'accent sur l'efficacité de l'utilisation intégrée des forces de la part du comand
ant au sol, qui utilise pleinement tous les moyens aériens pour développer l'énergie de l'offensive terrestre. Mais en Italie la force de résistance corporative de chacune des forces armées est un puissant facteur de frein pour la restructuration fonctionnelle vers le modèle américain. Pour vaincre ces résistances le Lb prévoit un projet de loi de restructuration des plus hautes autorités de la Défense moyennant une double centralisation, opérationnelle et technique. Il s'agit d'un projet qui confère une prééminence claire au chef d'état-major de la Défense sur les chefs d'état-major des forces armées et sur les futurs commandants de mission. Cette centralisation s'accompagne d'un renforcement analogue du rôle du secrétaire général de la Défense quant au choix des nouveaux systèmes d'arme.
En août 1985 le gouvernement a présenté son projet de loi sur la réorganisation de la direction de la Défense (54).
4. la menace terroriste
Au cours des années quatre-vingts, et surtout dans les derniers temps, l'Europe est devenue théâtre et objectif d'un nombre croissant d'actions terroristes d'origine "arabe". Nous rappelons brièvement les principales.
En 1984 une femme policier anglaise est tuée par des coups de fusil tirés de l'ambassade libyenne à Londres. L'épisode se relie à la volonté du régime de Gheddafi de liquidation physique des dissidents et à la volonté britannique de protéger les exilés opposants de Gheddafi. Toujours en 1984 il y a l'opération déjà citée de la pose de mines en Mer Rouge qui, en plus de la possibilité de créer des problèmes énergétiques à l'Europe, est en premier lieu une menace directe contre l'Egypte, dont les entrées dépendent pour un tiers des péages pour le passage par le canal de Suez. Dans la guerre Iran-Irak le gouvernement égyptien soutient les irakiens. L'action est revendiquée par l'organisation "Jihad" islamique, tandis que radio Téhéran soutient que le la pose de mines est "un coup dur pour les puissances arrogantes".
En juin 1985 un groupe de terroristes chiites déroute sur Beyrouth le vol 847 de la Twa, tuant un soldat américain et prenant 39 passagers en otage. En échange de la libération des otages les terroristes demandent la libération de sept cents combattants chiites capturés par les israéliens durant l'invasion du Liban. Après 17 jours de pourparlers secrets l'échange a lieu et les otages sont libérés. Les pourparlers sont menés avec la médiation de la milice Amal, la plus modérée des organisations chiites. Les soupçons sur les auteurs du déroutement s'orientent par contre sur les fondamentalistes islamiques, c'est-à-dire sur les milices chiites les plus radicales comme Guerre sainte islamique, Parti de Dieu, Amal islamique; des milices directement reliées ou financées par l'Itan et la Syrie. Au début du mois d'octobre 1985, pour répondre au meurtre de trois israéliens à Larnaka (Chypre), l'aviation israélienne bombarde le quartier général de l'Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) à Tunis. Parmi
les soixante-dix morts environ, douze sont citoyens tunisiens. Le 7 octobre 1985 quatre terroristes palestiniens s'emparent du bateau de croisière italien Achille Lauro et de ses 400 passagers. Pendant cinq jours le bateau navigue en Méditerranée orientale sans trouver ni un permis d'escale ni une réponse aux demandes de libération de 50 palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Entre-temps les terroristes tuent le passager Klaus Klinghoffer, de nationalité américaine et de foi hébraïque, mais gardent la chose secrète. Grâce à l'oeuvre de médiation de l'OLP et des gouvernements égyptien et italien les terroristes acceptent de mettre fin à leur action en échange de la liberté. Le bateau est ramené au Caire. Le 11 octobre, des avions américains interceptent le Boeing 737 égyptien avec à son bord les auteurs du détournement et Abul Abbas, le membre du comité exécutif de l'OLP qui a conduit l'oeuvre de médiation, et l'obligent à atterrir à l'aéroport sicilien de Sigonella. L'intention du gouvernement a
méricain, qui a fait affluer à Sigonella une unité spéciale Seal ("6th Sea Air Land Team") de sa Marine, est d'embarquer tous les passagers sur un autre avion et de les amener aux Etats-Unis. D'après le gouvernement américain, Abul Abbas, plus qu'un médiateur de l'OLP, aurait été en fait l'organisateur du déroutement de l'Achille Lauro. Les preuves fournies à la hâte par l'administration Reagan sur Abbas ne suffisent cependant pas à convaincre le gouvernement italien, qui considère également inacceptable l'extradition "manu militari" des auteurs du détournement. A Sigonella, dans une situation qui frôle presque le conflit armé, les carabiniers et les soldats de l'aviation imposent la volonté de notre gouvernement aux unités spéciales américaines: les auteurs du détournement sont conduits dans une prison sicilienne et Abul Abbas est transféré d'abord à Rome et ensuite en Yougoslavie.
Au début du mois de décembre le vol 648 d'Egypt Air, avec une centaine de passagers, est dérouté sur Malte. La seule requête des auteurs du détournement est le carburant, qui est refusé par le gouvernement maltais. Les terroristes menacent de tuer un passager toutes les dix minutes si leurs requêtes ne sont pas satisfaites. Deux femmes, une de nationalité israélienne et l'autre américaine, sont assassinées. Une intervention des troupes spéciales égyptiennes libère 40 passagers, tandis que 57 autres meurent tués aussi bien par les terroristes que par les militaires égyptiens. Le groupe le plus soupçonné pour le déroutement est celui d'Abu Nidal - un commando révolutionnaire, hostile à toute hypothèse de solution de la question moyen-orientale basée sur la reconnaissance de l'état d'Israël. C'est toujours sur Abu Nidal que se concentrent les soupçons sur les assauts du 27 décembre aux guichets de la El Al des aéroports de Rome et de Vienne, qui font 15 morts et des dizaines de blessés.
A cette escalation terroriste qui a pour objectifs privilégiés des citoyens israéliens et américains, l'administration Reagan réagit de manière progressive. Après le déroutement de l'avion de la Twa à Beyrouth, l'administration américaine propose à ses amis et alliés une série de sanctions économiques contre le Liban, comme l'annulation des vols pour Beyrouth et le bloc naval. Après les attentats de Vienne et de Rome l'attention des Etats-Unis se tourne en particulier vers la Libye. A ses alliés Washington demande de la suivre dans la voie des sanctions économiques comme l'embargo commercial et le retrait des techniciens; des mesures que le gouvernement américain met en acte malgré les réponses négatives des européens. Les activités commerciales et financières libyennes aux Etats-Unis sont également gelées. Cependant très vite les initiatives économiques et diplomatiques américaines laissent la place aux initiatives militaires. En 1986, à la fin du mois de mars, la 6ème flotte commence un exercice dans le go
lfe de la Syrte. Le gouvernement libyen avait déclaré depuis longtemps que le golfe de la Syrte faisait partie de son territoire; une mesure qui n'était pas reconnue par le droit maritime international, mais pratiquée également par l'Italie à propos du golfe de Tarante. Ces mesures avaient été suivies des déclarations bellicistes de Gheddafi qui avait défini la frontière maritime de la Syrte comme une "ligne de mort": les bateaux étrangers qui l'auraient franchie seraient devenus des objectifs militaires. Les américains répondirent aux premiers missiles lancés contre les avions de la 6ème flotte en bombardant la base de missiles. Deux vedettes libyennes lance-missiles qui essayaient de s'approcher des navires américains sont coulées par les avions. C'est l'opération "Prairie Fire" (plaine en flamme), avec laquelle les Etats-Unis inaugurent la nouvelle stratégie de réponse militaire au terrorisme. La réponse terroriste parvient début avril. Une bombe explose sur un avion de la Twa en vol pour Athènes, faisan
t quatre morts. l'attentat est revendiqué par une organisation palestinienne inconnue. Une autre bombe explose dans une discothèque de Berlin-Ouest fréquentée par des militaires américains, faisant deux morts (un soldat américain et une femme turque) et des dizaines de blessés. Le 15 avril, sur la base de présomptions de preuves de la responsabilité libyenne dans les attentats, d'ailleurs jamais montrées à la presse, les représailles américaines sont lancées avec l'opération "El Dorado Canyon". 18 bombardiers F-111, partis de leurs base en Angleterre, et 14 bombardiers A-6, partis des porte-avions Coral Sea et America, bombardent des casernes et des aéroports dans les environs de Tripoli et de Bengasi. Parmi les objectifs il y a aussi la caserne de Bab el Aziza, le quartier général de Gheddafi, défini quelque jours plus tôt par Reagan comme "un chien enragé". Le leader libyen évite le bombardement, mais parmi les 37 morts déclarés par le gouvernement libyen il y a aussi sa fille. Un bombardier américain F-11
1 est abattu et les deux pilotes de l'équipage meurent. Quelques heures après le raid deux missiles libyens, Scud et Otomat (55), explosent à deux cents mètres de l'Ile de Lampedusa, où se trouve une base radar du type Loran ("Long Range", à long rayon) utilisée par la Marine américaine pour l'opération. L'apparition de la menace terroriste et le choix de l'administration américaine d'une solution surtout militaire contre le terrorisme soulèvent quelques questions d'extrême importance: quelle est la nature de la menace et quelle est la manière la plus efficace de l'affronter.
Le terrorisme d'inspiration arabe et islamique est une réalité indiscutable, mais une partie importante de l'opinion publique, surtout à gauche, tend à le considérer comme un phénomène spontané, né du désespoir des palestiniens contre un adversaire beaucoup plus fort militairement comme Israël, et de plus appuyé par la superpuissance américaine. Cette analyse n'est qu'en partie vraie. Avant tout il n'y a pas que le terrorisme palestinien, mais aussi le terrorisme chiite, lié à une volonté et à un réalité explicite d'exportation de la révolution intégriste islamique qui a eu lieu en Iran. En second lieu certains pays arabes ont toujours essayé de conditionner le mouvement palestinien, organisant et finançant les organisations palestiniennes les plus proches de leur stratégie de politique étrangère ou directement sous leur contrôle.
Avec le rapprochement progressif, malgré des oscillations, de l'Olp de Yasser Arafat vers une hypothèse de solution politique du problème palestinien (reconnaissance de la part d'Israel du droit des palestiniens à un état en échange de la reconnaissance des palestiniens au droit d'exister de l'état d'Israel), la dépendance des organisations palestiniennes qui refusent la solution politique des états arabes qui soutiennent les mêmes positions a augmenté. La Syrie et la Libye sont les états qui appuient le plus les organisations palestiniennes du front du refus, tandis que l'Egypte et la Jordanie sont parmi les plus engagés pour une solution politique sous le patronage de l'OLP.
Les cibles du front du refus ne sont plus ainsi uniquement les américains et les israéliens mais également l'OLP elle-même, l'Egypte, la Jordanie ainsi que les pays européens favorables à une solution politique. Des groupes terroristes comme celui d'Abu Nidal reçoivent explicitement un support économique et logistique aussi bien de la Syrie que de la Libye, avec la seule différence que la Syrie opère de manière discrète. Gheddafi revendique au contraire publiquement son soutien à toutes les organisations palestiniennes du refus. Un congrès "anti-impérialiste" qui s'est déroulé à Tripoli à la moitié du mois de mars 1985 voit, à côté des indiens d'Amérique et des séparatistes Moros des Philippines, des représentants de l'aile militaire de l'ETA basque et du groupe d'Abu Nidal (56). Et le soutien de Gheddafi n'est pas seulement verbal. Certains terroristes auteurs des attentats à l'aéroport de Rome et de Vienne voyagent avec des passeports tunisiens, que le gouvernement de Tripoli avait précédemment retiré à le
urs légitimes propriétaires expulsés de Libye. Le fait que le terrorisme arabo-islamiste soit "aussi" un instrument militaire de certains gouvernements n'implique pas du tout que la meilleure façon de le battre soit les interventions militaires plus ou moins "chirurgicales". L'intervention militaire américaine n'a pas réussi à abattre, comme elle se proposait, le " chien enragé" Gheddafi. Ni encore moins à l'affaiblir. La Libye s'est serrée autour de Gheddafi et les pays arabes ont fait de même, même les plus modérés. D'ailleurs il n'est pas exclu que le raid américain puisse pousser Gheddafi à fournir à l'Union Soviétique les bases navales et aériennes qui lui manquent en Méditerranée.
La tension en Méditerranée a de toute manière déjà augmenté, elle est devenue permanente et elle a entraîné directement l'Italie. Les rapports des Etats-Unis avec ses alliés européens et avec les pays arabes les plus modérés ont empiré. Bref, la perspective d'une solution politique au conflit moyen-oriental s'est éloignée, alors qu'en même temps la perspective de nouveaux conflits en Méditerranée s'est rapprochée. Sur le plan politique la non-utilisation de la part des américains et des européens de la disponibilité offerte par Arafat ces dernières années a usé sa leadership et a contribué au tournant du printemps 1985, avec la rupture du pacte Jordanie-OLP et l'éloignement d'une perspective praticable de solution politique. Sur le plan militaire, s'il est vrai que l'action américaine a obligé l'Europe à prendre certaines mesures diplomatiques et économiques contre la Libye (qui auraient dû être adoptées depuis longtemps), il est tout aussi vrai que sont apparues des tendances dangereuses et velléitaires à s
uivre l'administration Reagan dans la voie de la guerre non déclarée à la Libye.
Les déclarations favorables à la guerre préventive de Giovanni Spadolini (57) ont été accompagnées des requêtes de renforcement rapide des instruments offensifs, comme la Fir ou les avions embarqués, eux aussi liés parfois à des optiques d'utilisation préventive (58). La menace terroriste est ainsi transformée en une guerre entre états susceptibles de générer encore plus d'affrontements dangereux entre blocs. La menace terroriste pourrait par contre être affrontée par d'autres moyens, surtout non militaires. Un plus grand contrôle sur l'activité libyenne en Italie augmenterait la capacité de prévenir les attentats, des sanctions économiques et diplomatiques dans un climat de distension militaire contribueraient à une révision de la politique libyenne par rapport au terrorisme ou à un changement de régime; la relance de l'action diplomatique pour une solution politique du conflit moyen-oriental ôterait tout espace au terrorisme "palestinien". Enfin, au niveau militaire, des instruments de défense non offensiv
e pourraient être développés, améliorant la capacité de repérage d'attaques militaires venant d'Afrique du Nord et la défense côtière.
5. Sécurité comme supériorité défensive
Nous avons vu dans les paragraphes précédents combien le rôle militaire de l'Italie a changé dans les dernières années. Nous avons vu comment d'une position de marginalité substantielle de l'engagement militaire on est passé à des dépenses militaires importantes, à des interventions militaires significatives, à des programmations opérationnelles ambitieuses, à avoir un rôle décisif dans les choix de réarmement nucléaire. Nous avons vu aussi comment s'est développée bien que motivée des façons les plus diverses, la projection de l'instrument militaire dans la vaste région méditerranéenne. Avec le Lb la Défense a fait une synthèse de l'expérience passée et a défini une politique de sécurité pour le futur. Il nous parait juste de nous poser quelques questions. Quels sont les coûts de la politique de sécurité proposée par le Lb? Est-ce une politique de sécurité adaptée aux menaces militaires effectives contre l'Italie? Est-ce une politique qui augmente la sécurité nationale, régionale et internationale?
Examinons certains coûts de la projection offensive de la force dessinée par la Défense. Le Lb prévoit la construction de deux porte-avions et de leurs avions. Le coût presque définitif du croiseur Garibaldi est de 700 milliards (59). Au total, les coûts d'achat et d'embarquement de 14 avions "Harrier" rien que pour le Garibaldi ont été calculés par Guido Zaza à plus de 1.000 milliards: Par conséquent pour avoir deux porte-avions il faudrait un minimum de 2.700 milliards. Le problème avec les porte-avions c'est que, avec le développement de missiles toujours plus précis et 'intelligents', ils ont besoin d'un nombre énorme de moyens pour se défendre. Ce n'est pas par hasard que la formation de combat de la flotte américaine consiste en trois porte-avions, avec environ deux cents avions différents, de plus de vingts navires de guerre d'escorte et d'une vingtaine d'unités auxiliaires. D'après Edward N. Luttwack, un analyste américain consultant du Pentagone, une "task force" aéronavale ``avec de bonnes probabil
ités de survivre'' en Méditerranée coûterait à l'Italie de 4 à 12 mille milliards, avions exclus (61). D'après l'ancien général Luigi Caligaris le coût nécessaire pour mettre en place la Force d'intervention rapide serait de 2.500 milliards (62). Même s'il ne s'agit que d'estimations, nous sommes déjà à des chiffres qui dépassent tout le bilan annuel de la Défense, qui dépassent de beaucoup les trois mille milliards des trois lois promotionnelles de 1975-1976 et les mille milliards de la dernière lois spéciale pour AM-X, EH-101 et Catrin. En outre ces estimations sont à notre avis des sous-estimations. Combien coûteraient, par exemple, les nouveaux avions de transport stratégique déjà déclarés nécessaires pour la Fir? Et combien coûterait payer les dizaines de volontaires de troupe fondamentaux pour des interventions externes qui déplaisent à la société civile (63)? Se charger de toutes ces dépenses serait de toute façon nécessaire si elles garantissaient au pays une plus grande sécurité par rapport aux mena
ces militaires effectives. Examinons un peu en détail les caractéristiques des deux menaces contre la sécurité de l'Italie: celle au Nord-Est et celle au Sud, en utilisant les données de l'Institut international d'études stratégiques (Iiss) de Londres et d'autres chercheurs sur les forces militaires en jeu (64).
Dans le scénario d'une invasion de l'Europe par les troupes du Pacte de Varsovie on admet généralement que ce seraient les forces du Pacte rangées en Hongrie, avec les forces russes du district militaire (dm) de Kief, qui se chargeraient du front italien. L'Armée hongroise dispose d'une division blindée de 2ème catégorie (avec des effectifs jusqu'à 50% du total), ainsi que de cinq divisions motorisées ("motor rifle") dont deux de 2ème catégorie et trois en 3ème catégorie (dotées uniquement du personnel nécessaire pour l'encadrement). Ces divisions disposent de 1.200 chars des années cinquante (T-54 et T-55) et de 30 chars modernes T-72. L'aviation hongroise dispose d'environ 150 avions d'interception (120 MIG-21 et 25 MIG-23). En Hongrie se trouvent aussi deux divisions blindées et deux divisions motorisées soviétiques, toutes deux en 1ère catégorie (avec des effectifs au complet). Toujours en Hongrie, l'Aviation soviétique dispose de 135 MIG-21 et de 60 avions SU-17 et SU-24 d'attaque au sol. Six autres div
isions blindées (cat. 2) et quatre motorisées (cat. 3) et une d'artillerie pourraient être déplacées du dm de Kief et utilisées pour l'offensive. De toute manière, pour mettre sur le terrain les forces de cat. 2 et 3 le Pacte de Varsovie devrait avoir recours à une mobilisation qui ne passerait pas inaperçue et qui permettrait des mesures analogues à l'Otan. Avant d'atteindre l'Italie ces forces devraient passer par l'Autriche et/ou la Yougoslavie, affrontant la résistance des deux pays. Pour les forces qui auraient franchi les défenses de l'Autriche et de la Yougoslavie la seule voie croyable de pénétration en Italie seraient les 60 kilomètres du passage de Gorizia. Cinq brigades alpines défendraient de toute manière les Alpes. Pour défendre le passage de Gorizia il y aurait par contre 13 brigades blindées ("armoured"), mécanisées et alpines, la brigade missiles et d'autres unités antiaériennes de l'Armée. 130 mille hommes en tout. Ces hommes disposeraient d'importantes forces blindées: en plus des vieux M-
47, 920 Leopard 1 et 300 M-60A1. Parmi les 1.110 pièces d'artillerie il y a 150 FH-70 et 268 M-109 et M-110. 60 nouveaux hélicoptères anti-char A-129 sont en cours de livraison, avec plusieurs milliers de missiles anti-chars Milan. L'Aviation dispose d'environ 300 avions de combat et de bombardement, dont une centaine de nouveaux Tornado (77 déjà opérationnels et les autres sur le point d'être livrés). En outre, dans quelques années, 187 avions de chasse AM-X d'attaque au sol seront livrés. La force de défense italienne par rapport à cette menace est telle que dans une étude du Centre hautes études défense (Casd) de 1983 on avance la possibilité de pouvoir affronter l'attaque des forces du Pacte de Varsovie uniquement au niveau conventionnel, sans avoir recours à l'utilisation des armes nucléaires tactiques (65). En outre, il est vraisemblable que les forces du Pacte de Varsovie aient aussi considéré ces éléments de force aussi bien de l'Italie que de l'Autriche et de la Yougoslavie. "En effet - observe Maur
izio Cremasco, chercheur de l'Institut affaires internationales de Rome - une analyse des exercices du Pacte de Varsovie de 1970 à 1976 pourrait amener à la confirmation de l'hypothèse d'une planification militaire du Pacte de Varsovie qui exclu l'invasion de l'Italie" (66).
L'appréciation plus réaliste de la menace au Nord-Est a contribué à augmenter l'attention et l'engagement militaire italien au Sud. Dans le scénario d'un conflit entre blocs en Méditerranée la menace principale contre la sécurité de l'Italie est constituée par la force aéronavale soviétique. La 5ème escadre navale soviétique (Sovmedron, "Soviet Mediterranean Squadron"), concentrée principalement en Méditerranée occidentale, est formée d'éléments de la flotte de la Mer Noire plus quelques sous-marins de la flotte de la Baltique. Normalement la 5ème escadre est constituée par environ 45 unités, dont 10-12 navires de combat, 7-8 sous-marins d'attaque et 2 sous-marins avec des missiles "cruise" (67). L'aviation de la Marine soviétique dispose aussi d'avions modernes de bombardement, basés au sol, mais avec un grand rayon d'action, comme le STU-22 "Backfire". Environ une centaine de TU-22 et des plus vieux TU-16 "Badger" sont à disposition de la flotte de la Mer Noire. En Méditerranée il y a aussi la 6ème flotte
américaine formée normalement de 30-35 unités, dont deux porte-avions avec plus de 150 avions, 14 navires de combat, quatre sous-marins d'attaque, un groupe amphibie (un bataillon de marines sur trois navires), 12 navires d'appui (68). Outre à la 6ème flotte américaine il y a en Méditerranée la Marine italienne avec trois croiseurs, quatre destroyers, 16 frégates, huit corvettes, neuf sous-marins, 25 dragueurs de mines, deux navires de débarquement et différents navires d'appui. Depuis 1976 la France a déplacé en Méditerranée (Toulon) environ la moitié de sa flotte, correspondant à deux porte-avions, 14 navires de combat et d'escorte, onze sous-marins (deux nucléaires d'attaque et neuf à propulsion conventionnelle), cinq dragueurs de mines et cinq navires de débarquement. Depuis quelques années la France participe aussi aux manoeuvres Otan en Méditerranée. L'Espagne, qui depuis 1982 est entrée dans l'Otan, dispose d'une flotte discrète. Il s'agit d'environ 35 unités, dont un porte-avions, 11 avions de chasse
, 11 frégates, quatre corvettes, 12 dragueurs de mines. Depuis 1985 l'Espagne participe à des manoeuvres conjointes avec d'autres pays Otan en Méditerranée, même si le nombre d'unités destinées à opérer de manière continue dans cette mer n'est pas encore clair. L'Angleterre aussi, comme les deux pays cités ci-dessus, participe depuis quelques années aux manoeuvre conjointes de l'Otan en Méditerranée. La Grèce, autre pays Otan, dispose de dix sous-marins, 14 avions de chasse, sept frégates, 17 dragueurs de mines, une vingtaine d'unités de débarquement. La Turquie, elle aussi membre de l'Otan, dispose de 16 sous-marins, 12 avions de chasse, six frégates, 33 dragueurs de mines et d'une soixantaine d'unités amphibies. Même si une partie des forces navales grecques et turques serait engagée contre la flotte soviétique en Mer Noire, la contribution des deux pays en Méditerranée serait de toute manière significative. Dans un scénario d'affrontement entre blocs en Méditerranée il faudrait considérer l'apport que des
pays comme la Libye et l'Algérie pourraient donner aux forces du Pacte de Varsovie. Un apport qui cependant serait plus que balancé par les forces navales de l'Egypte et d'Israel. Même en étendant l'analyse aux forces aériennes et de missiles présentes en Méditerranée, dont la description détaillée exigerait un chapitre à part, le cadre des rapports de force en Méditerranée ne change pas: il y a dans cette mer une nette supériorité des forces de l'Otan. D'après Maurizio Cremasco: "L'équilibre militaire dans la région Sud apparait, en général et dans certains secteurs spécifiques, encore à faveur de l'Otan. Une attaque de surprise (ou avec un minimum de préavis) serait impossible sur le front Sud: bien qu'étant peu croyable comme hypothèse de début des hostilités en Europe, elle serait techniquement possible sur le front central... En outre sans le contrôle total des détroits turcs et la possibilité d'utiliser les ports et les aéroports le long du littoral africain, Sovmedron même n'apparait pas en mesure d
e soutenir des opérations prolongées de guerre, surtout si l'on considère la supériorité des forces aéronavales occidentales" (69). Pour les forces soviétiques la disponibilité de base d'appui sur le littoral africain n'est pas sûre. "Ni la Libye ou la Syrie, ni encore moins l'Algérie - explique encore Cremasco - ne peuvent être considérés à priori comme des pays totalement pro-soviétiques (...) L'alignement sur les positions de l'URSS est sujette à des limites évidentes. La convergence sur le plan politique se réalise principalement lorsqu'il y a une coïncidence d'intérêts et d'attentes et par conséquent sur la base de l'obtention d'objectifs nationaux. Les liens établis grâce aux aides militaires n'apparaissent pas en mesure à eux seuls de fournir une certitude sur la continuité sur le plan politique... de conditionner les choix de politique étrangère du pays hôte". Par conséquent une hypothèse réaliste de défense contre les menaces militaires en Méditerranée, planifiée en collaboration avec les alliés, ne
demanderait pas de multiplication par deux du budget de la Défense, dus à la construction de nouveaux instruments de projection de la puissance militaire.
Il est évident que, les conditions changeant, on parvient à des conclusions différentes. Si la menace à laquelle répondre est étendue aux menaces non militaires, si au lieu de la défense en Méditerranée on pense à la projection dans les régions d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, si l'on assume une optique nationaliste velléitaire pour laquelle l'Italie devrait répondre toute seule à tous ces engagements il est inévitable que les coûts économiques de l'appareil militaire soient destinés à exploser. Et il se peut aussi que les coûts économiques ne seraient pas les plus chers à payer avec une telle politique. Si les dépenses actuelles et la configuration de l'instrument militaire semble, dans l'ensemble, capable de garantir la sécurité italienne dans un cadre européen, nous devons nous demander si le projet défini par le Lb augmenterait la sécurité nationale et internationale. Au niveau national les ressources affectées à la projection offensive de la puissance militaire au Sud comporteront, même dans le cas
d'augmentations importantes des allocations militaires, une soustraction équivalente de ressources nécessaires au maintien d'une défense adéquate du territoire national. Le mécanisme est fort simple et a déjà été souligné il y a dix ans par le député communiste Enea Cerquetti: "En définitive les développements atteints dans la période 1968-1974 n'ont pas effacé les points faibles des Forces armées, déjà dénoncés dans les publications militaires dans les secteurs des armes anti-char, de la protection aérienne, de la défense des côtes, des ports, du trafic maritime. Au contraire nous sommes sur le point d'avoir une ligne de chars qui a une organisation hautement offensive, nous avons une Aviation Militaire en déséquilibre vers le bombardement, et une Marine militaire qui soigne toujours plus ses capacités de protéger des convois militaires de débarquement plutôt que d'autres convois" (70). Aujourd'hui encore le Lb se plaint du retard de la défense anti-char, du peu de résistance du réseau radar aux brouillage
s électroniques, du manque de radars aéroportés pour identifier des avions qui, volant au raz des vagues, essayeraient d'atteindre le territoire italien. A ces carences on pourrait en ajouter beaucoup d'autres, parmi lesquelles le manque d'un satellite européen pour contrôler la situation en Méditerranée (la France est la seule à en avoir un). De nouvelles et de vieilles carences défensives n'ont pas été résolues, alors que l'on acquérait de nouvelles potentialités offensives avec le porte-avion, les navires de débarquement, les avions de bombardement stratégique et nucléaire. Mais le drainage des ressources à la défense n'est pas seulement économique. La concentration de l'attention au Sud et sur les conflits locaux détourne également des ressources intellectuelles de la menace au Nord-Est et éloigne le débat italien sur la sécurité de celui des autres pays européens.
Au niveau de sécurité régionale la projection offensive de la puissance militaire tracée par le Lb ne nous semble pas garantir une plus grande stabilité. Si nous considérons comme région la région méditerranéenne, y compris le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, une grande partie de l'instabilité de la zone n'est pas due directement ou indirectement au manque d'une solution politique du problème palestinien. Le recul de ces dernières années de cette solution politique et des forces qui la soutiennent, est dû à de nombreux facteurs: la faiblesse des forces qui veulent cette solution en Israël; la faiblesse de l'OLP d'Arafat qui a pourtant essayé de travailler pour cette solution; l'intérêt relatif de beaucoup de pays arabes à trouver une solution possible et praticable au problème palestinien; l'abandon de la part de l'administration Reagan de l'engagement, commencé par la précédente administration Carter, pour une solution politique; l'hostilité de l'Union Soviétique à une solution qui, même si positive, s'ét
ait développée sans son apport; le manque de détermination des pays européens (et de l'Italie) à soutenir cette solution politique même en présence d'une nouvelle administration américaine avec des opinions divergentes. L'éloignement d'une solution politique au problème palestinien a correspondu avec une utilisation toujours plus grande, mais toujours moins productive, de la puissance militaire. Avec l'opération "Paix en Galilée", Israël pensait aider la minorité chrétienne-maronite à prendre le pouvoir. Un Liban contrôlé aurait dû garantir, moyennant la répression des palestiniens, la sécurité d'Israel au Nord. Rien de tout cela n'a été obtenu. Au contraire, à la vieille menace palestinienne s'est à présent ajoutée celles des chiites plus ou moins intégristes, avec leurs techniques d'attaque suicide avec des véhicules bourrés d'explosif. Les contingents américains et français à Beyrouth n'ont pas obtenus des résultats différents avec leur utilisation de la puissance militaire. Les raids de l'aviation israél
ienne contre le quartier général de l'OLP à Tunis ont été suivis du déroutement de l'Achille Lauro et des attentats contre les bureaux de la El Al à Vienne et à Rome. Les raids de Reagan contre la Libye ont été suivi de l'attaque de missiles de Gheddafi contre Lampedusa. Et il n'y a aucune raison rationnelle qui fasse supposer que la chaîne de l'escalation militaire et de la tension diminuera dans le futur. Au contraire, un conflit régional est déjà en train de s'étendre dangereusement, intéressant toujours plus de nouveaux acteurs et de nouveaux théâtres, se rapprochant dangereusement de l'Europe et de ses armes nucléaires. Des considérations analogues sur la sécurité régionale peuvent être faites sur la projection de la puissance militaire dans la région méditerranéenne pour résoudre des contentieux de nature économique et énergétique. Par contre les interventions, même militaires, qui ont eu plus de succès dans la région, ont été celles qui étaient basées sur l'auto-limitation de la force et liés à une pe
rspective de solution politique des conflits. De cette nature a été l'intervention du contingent italien à Beyrouth et celui du contingent ONU dans le Sud du Liban, celui de la Mfo en Mer Rouge et aussi l'action de Déminage du canal de Suez. Toutes des actions ou bien légitimées par l'ONU ou basées sur le consensus préventif de toutes les parties en cause (ainsi que sur l'abandon de l'engagement lorsque le consensus des parties en cause vient à manquer). La sécurité internationale a assumé un sens tout à fait nouveau avec l'ère nucléaire. Le développement des capacités destructives des armes nucléaires a été accompagné par un développement parallèle d'initiatives et de disciplines nécessaires au contrôle de ce potentiel destructif sans précédents. On a essayé de limiter les arsenaux nucléaires des états qui les détenaient et on a essayé d'empêcher que de nouveaux états entrent en possession d'armes nucléaires. Si sur le second objectif on a obtenu quelque chose de significatif, les niveaux des armements nucl
éaires des cinq puissances qui les possèdent officiellement ont atteint un niveau tel qu'ils peuvent faire sauter toute la planète plusieurs fois en l'air. Une condition absurde qui pose une menace sérieuse: la fin de l'espèce humaine. Ainsi, avec une conscience nucléaire toujours plus diffuse, une juste sensibilité de tous les pays et de tous les peuples s'est aussi développée afin qu'entre les puissances nucléaires il y ait un équilibre le plus possible stable, pour éviter l'explosion d'un conflit nucléaire. La conviction générale est que le théâtre opérationnel européen est celui où une guerre nucléaire pourrait éclater avec le plus de probabilités. La détente au niveau européen est ainsi devenue un des objectifs principaux de ceux que nous pourrions définir au sens large comme pacifistes. Cette situation de relative stabilité européenne a été dernièrement mise en discussion. Les dangers liés aux nouvelles armes et aux nouvelles doctrines "warfighting" (littéralement de combat, autrement dit qui admettent
que pour donner de la crédibilité à la dissuasion il faut améliorer la capacité de commencer, soutenir et mener victorieusement à conclusion une guerre nucléaire) augmenteraient très fort à cause d'une militarisation progressive des rapports Nord-Sud qui porteraient la tension vers le théâtre européen. Et c'est justement ce qui est en train de se passer. Même sous cet aspect le projet de développement militaire du Lb ne semble pas augmenter la sécurité internationale. L'attention accrue consacrée par le Lb à des hypothèses d'utilisation opérationnelle au Sud s'accompagne d'une analyse superficielle, qui élude le débat européen ouvert par les autres alliés européens dans l'Otan, réticent sur les armements nucléaires déployés en Italie. Mais cacher les dimensions de l'armement nucléaire qui se trouve en Italie et ignorer les problèmes posés par les nouvelles armes et les nouvelles doctrines opérationnelles (conventionnelles, nucléaires et intégrées) ne signifie pas les résoudre. Dans les milieux militaires ég
alement est en train d'apparaître une conscience nucléaire embryonnaire, exprimée par le document du Csad déjà cité dans lequel on demande le retrait d'une partie au moins des armes nucléaires tactiques. Mais le problème est plus vaste. Il est temps de se demander si la sécurité italienne et européenne est augmentée par le développement incessant des armes nucléaires ou par l'introduction d'une nouvelle génération d'armes chimiques (71). De même qu'au niveau mondial il est temps de se demander le sens d'augmenter les arsenaux nucléaires capables de détruire plusieurs fois la planète. Même si on dit que les armes nucléaire ont garanti quarante ans de paix en Europe on ne peut pas prouver le contraire, autrement dit que sans les armes nucléaires cette paix n'aurait pas existé. Mais, surtout, il n'est pas dit que ce qui a été valable pour le passé le soit aussi pour le futur. Au contraire, les caractéristiques techniques et les doctrines d'utilisation des armes nucléaires font justement penser le contraire. Dan
s un monde dominé par les unilatéralismes réarmistes des superpuissances et par la capacité d'"overkill" (littéralement de 'surtuer', c'est-à-dire d'anéantir la population adversaire plus d'une fois), des actes de désarmement nucléaire unilatéral nous semblent être une contribution à la sécurité collective. La réduction progressive des arsenaux nucléaires et le retour à une situation de dissuasion nucléaire minimum nous semble être la situation la plus souhaitable. En outre, comme nous avons essayé de démontrer, même une Italie désarmée du point de vue nucléaire aurait la capacité de se défendre et de contribuer à la défense de l'Europe.
En critiquant la politique de sécurité proposée par le Lb nous avons déjà indiqué implicitement certains éléments d'une proposition différente de sécurité. Au désarmement nucléaire unilatéral de l'Italie devrait correspondre un engagement militaire conventionnel réaliste, basé sur une plus grande collaboration avec les alliés européens à tous les niveaux, du niveau opérationnel à celui de la construction de nouveaux armements. A la renonciation de la projection de puissance dans la région méditerranéenne devrait correspondre une capacité militaire défensive plus adéquate et une politique de sécurité où les moyens non militaires aient un plus grand rôle.
Une politique étrangère basée sur le fait d'être l'ami de tout le monde, toujours et de toute façon, n'est pas une politique étrangère. Mais une politique surmilitarisée n'amène pas à la solution des tensions. Dans une politique homogène et cohérente de sécurité, il faut donner plus de place aux instruments de la diplomatie, à ceux de pression économique, à la valorisation des vieilles et des nouvelles institutions supranationales pour la solution des conflits. Le désintérêt historique et le scepticisme latent des gouvernements et de l'opinion publique italienne pour l'ONU doit être renversé. La possibilité d'instituer de nouveaux forums pour la résolution de conflits dans des zones régionales à haute tension est désormais urgente et mûre. Il est curieux que le Lb affirme que le rôle exercé par le Groupe de Contadora en Amérique centrale soit positif et qu'il ne se pose pas le problème de développer un lieu semblable de confrontation pour la Méditerranée, ce dont on a justement besoin.
Aussi bien les rapports Est-Ouest que Nord-Sud demandent ne fut-ce qu'une redéfinition de la stratégie européenne et des moyens de fonctionnement de l'Otan. Par rapport aux processus de réarmement nucléaire développés en Union Soviétique et aux Etats-Unis, plusieurs pays Otan, comme l'Espagne, la Norvège, l'Islande et le Danemark ont refusé et refusent encore de déployer des armes nucléaires. Par rapport aux poussées de l'administration Reagan pour une confrontation militaire avec les pays du Tiers Monde (plus ou moins liée au terrorisme ou aux contentieux énergétiques ou à la confrontation globale avec l'Urss) il faut prendre clairement ses distances. L'utilisation des bases Otan en Méditerranée pour des opérations unilatérales américaines qui sortent des objectifs défensifs de l'Otan est inacceptable. Le manque systématique de consultation des gouvernements européens de la part de l'administration Reagan sur les opérations des unités américaines en Europe ne laisse aucun espace. Ou les opérations des force
s Otan en Méditerranée sont aussi subordonnées à l'autorité politique des pays européens, ou bien la sortie de l'Italie de l'Otan devient une nécessité. La première hypothèse peut passer par une réforme de l'Otan qui trace avec clarté de nouveaux mécanismes politiques et opérationnels (structures de commandement) qui réaffirme au moins un pouvoir de veto du pays accueillant quant à l'utilisation des forces Otan dans d'autres buts que ceux défensifs. La première hypothèse pourrait aussi se réaliser beaucoup plus simplement avec la venue d'une nouvelle administration au gouvernement des Etats-Unis. De toute façon, aussi bien pour évaluer la possibilité d'une réforme que pour préparer la sortie de l'Otan, une démonstration de la volonté de l'Italie de ne pas accepter les actes unilatéraux des Etats-Unis serait utile, en décidant par exemple la sortie de l'alliance militaire mais en restant dans l'alliance politique de l'Otan (comme le fit à l'époque la France). Un tel acte, sans être définitif, poserait avec la
juste force le problème de notre divergence avec notre plus grand allié. Se contenter des mots ne ferait rien d'autre qu'alimenter la conviction de l'administration Reagan de pouvoir entraîner les alliés européens vers des engagements qu'ils ne partagent pas.
Cependant à côté des mesures de nature politique et juridique il est également nécessaire de commencer à développer de nouvelles stratégies européennes de défense, qui ne soient pas de pures formes de faible résistance titubante aux stratégies américaines et qui répondent de manière différente de celles-ci à la menace militaire réelle du Pacte de Varsovie. La supériorité technologique des pays occidentaux et aussi la plus grande flexibilité et capacité d'initiative des armées occidentales (due à la liberté typique des systèmes démocratiques occidentaux) peuvent se conjuguer dans un modèle de défense plus solide, mais qui ne puisse être interprété par l'adversaire comme une plus grande menace pour son territoire. Un modèle où la supériorité défensive d'un pays dissuade l'agresseur potentiel d'attaquer et qui le pousse en même temps à chercher lui aussi des plus grandes capacités défensives. La recherche et le débat sur la "défense défensive" (ou "défense non offensive"), qui a déjà commencé dans d'autres pays
européens occidentaux (71), est aussi le signe d'une renaissance européenne dans la pensée stratégique, une renaissance qui essaye de marier dans la réalité une perspective de paix avec une plus grande sécurité.
NOTES
1. Sur la fonction de répression et dissuasion comme constante des Forces armées italiennes voir ROCHAT G., MASSOBRIO G., "Breve Storia dell'Esercito italiano dal 1861 al 1943", Giulio Einaudi, Turin, 1978.
2. Sur la tentative de putsch de 1964, organisée par le général De Lorenzo, voir TERRACINI U. et autres, "Sugli eventi del giugno-luglio 1964 e le deviazioni del SIFAR", Feltrinelli, Milan, 1971. Les autres tentatives putschistes ou de déstabilisation qui ont eu lieu à la fin des années soixante-dix ont fait l'objet de poursuites pénales et d'enquêtes journalistiques. Il manque cependant des reconstructions historiques qui relient chacune des actions, du massacre de piazza Fontana au putsch Borghese, de la Rose des Vents à l'alarme dans les casernes en 1974. Sur le rôle prétorien des forces armées à cette époque voir aussi ROCHAT G., MASSOBRIO G., "op. cit.", p. 309 et CEVA L., "Le Forze armate", Utet, Turin, 1981, pages 368-369.
3. Cfr. LAIRD M. R., ``A Strong Start in a Difficult Decade, Defense Policy in the Nixon-Ford Years'', "International Security", automne 1985, pages 5-26.
4. ETAT-MAJOR DE LA MARINE, ``Prospettive e orientamenti di massima della marina Militare per il periodo 1974-1984'', "Rivista Marittima", avril 1974. De larges extraits du document, connu comme ``libro bianco della marina'', sont rapportés dans CERQUETTI E., "Le Forze armate italiane dal 1945 al 1915", Feltrinelli, Milan, 1975, pages 353-358.
5. Les articles des partisans de la défense territoriale sont en grande partie recueillis dans ISTITUTO STUDI E RICERCHE SULLA DIFESA (Istrid) (par), "La difesa del territorio", Rome, 1980.
6. "Ibidem". Voir en particulier les interventions, favorables à la défense territoriale du député socialiste Falco Accame et du député de la Gauche indépendante Eliseo Milani et l'intervention, contraire, de Aldo D'Alessio responsable comuniste pour les problèmes des forces armées.
7. Cit. dans ARKIN W. M., ``A Global Rôle for Nato'', "Bulletin of the Atomic Scientist", janv. 1986, pages 4-5.
8. La sous-estimation du contrôle des armes nucléaires de la part des militaires et des politiques italiens fait pendant au peu d'attention académique à ce propos. Comme exception positive à cette tendance nous citons la bonne introduction au contrôle des armes nucléaires de CASADIO F. A., ``La gestione dei sistemi strategici: il `controllo dei conflitti' e le ricerche sulla pace'', dans JEAN C. ( par), "Il pensiero strategico", Franco Angeli, Milan, 1985, pages 133-188.
9. Cfr. ISTITUTO AFFARI INTERNAZIONALI (Iai) ( par), "L'Italia nella politica internazionale 1983-1984", Franco Angeli, Milan, 1986, p. 164.
10. "Ibidem", p. 163.
11. CICCARDINI B., ``L'Italia deve avere una sua atomica o può fidarsi degli ombrelli altrui?'', "Il Tempo", 30 août 1982.
12. BOSCO M., ``Un confronto metodico sui problemi delle F.A.'', "Il Popolo", 13 mars 1983.
13. LAGORIO L., "Indirizzi di politica militare", Ministère de la défense, Rome, juin-juil. 1980. Le citations qui suivent sont tirées de cette publication.
14. LOVINO F., CARUSO G., ``Conflitti nel mondo'', "Revue militaire", janv.-fév. 1982, pages 15-23.
15. La carte est tirée de ARKIN W. M., FIELDHOUSE R. W., "Nuclear Battlefields", Ballinger, Cambridge (Usa), 1985, pages 4-5. La zone de responsabilité du Commandement central américain (Uscentcom) a été récemment étendue jusqu'à couvrir l'Afghanistan et le Pakistan. Cfr. HARRISON S. S., ``Measures to Defuse the Indian Ocean and the Gulf'', "International Herald Tribune", 3 avril 1986.
16. LAGORIO L., "Appunti" 1918/1981, Le Monnier, Florence, (1981), pages 236.
17. "Ibidem, pages 174-177.
18. INSTITUT AFFAIRES INTERNATIONALES (Iai) ( par), "L'Italia nella politica internazionale 1980-1981", Edizioni di Comunità, Milan, 1982, p. 182.
19. Cfr. "Ibidem", pages 180-181.
20. Cfr. le point 5 de la lettre d'accord entre le Gouvernement italien et le Gouvernement libanais, rapporté dans IAI ( par), "L'Italia nella politica internazionale 1982-1983", Edizioni di Comunità, Milan, 1985, p. 77 nota 24.
21. Les opérations de "peace keeping" sont une institution relativement nouvelle dans le domaine des interventions militaires et répondent à la tentative de doter la communauté internationale d'instruments en mesure de garantir les normes du droit international, limitant au minimum l'usage de la force entre les Etats. La plupart des opérations de "peace keeping" ont été contrôlées par l'Organisation des Nations Unies. A partir des années 60 l'Onu a effectué 13 opérations de ce genre, dans lesquelles sont morts 664 hommes. Il vaut ici la peine de rapporter l'analyse officielle de l'Onu sur l'idée et sur la pratique du "peace keeping": ``Peu après la création des Nations unies en 1945, il devint clair que certains moyens prévus par le Statut pour maintenir la paix internationale n'auraient pas pu être appliqués à cause du climat de guerre froide qui s'était développé entre les membres permanents du Conseil de sécurité. Ainsi, au lieu de l'engagement commun des pays les plus forts pour imposer la paix mondiale,
comme le prévoyait le Statut, les Nations Unies commencèrent à créer des missions d'observateurs et, ensuite, des forces armées avec des armes légères fournies par des petites et des moyennes puissances. Bien que la Ligue des nations ait utilisé elle aussi des techniques semblables (en envoyant par exemple en 1935 une force multilatérale de 3.300 hommes pour contrôler le bon déroulement du plébiscite sur le destin de la Saar), les opérations de "peace keeping" sont une véritable innovation des Nations Unies. Le personnel de l'Onu, envoyé avec l'accord des parties en cause, ne vise pas à imposer la paix mais à contenir les situations explosives pour donner une possibilité à la paix. Il s'agit essentiellement d'actions de frein, visant à freiner ou à contrôler un conflit pendant que l'on poursuit les tentatives d'amener les parties en cause à la table des négociations... La définition des opérations de "peace keeping" dans les rapports du secrétaire général est celle d'une opération qui comprend du personnel
militaire mais sans pouvoir d'imposition ("enforcement"), décidée par l'Onu pour aider à maintenir ou à ramener la paix dans des zones de conflit. Les opérations sont de deux types: missions d'observateurs et missions de "peace keeping". Toutes deux sont soumises aux mêmes principes. elles sont créées par le Conseil de sécurité et, exceptionnellement, par l'Assemblée générale, et sont sous la direction du secrétaire général. Elles doivent bénéficier de l'approbation des gouvernements hôtes et, en principe, aussi des parties impliquées. Le personnel militaire nécessaire est fourni par les états membres sur base volontaire. Les observateurs militaires ne sont pas armés et, alors que les soldats des missions de peace keeping de l'Onu sont armés avec des armes légères, ils ne sont pas autorisés à l'usage de la force si ce n'est pour se défendre. Les opérations ne doivent pas interférer avec les affaires intérieures du pays hôte et ne doivent en aucune façon être utilisées pour favoriser une des parties en confli
t... Les opérations de "peace keeping" ont été généralement utilisées dans des conflits régionaux. Elles exercent le rôle impartial et objectif du troisième acteur qui aide à créer et à maintenir le cessez-le-feu et forme une zone coussin entre les parties opposées''. Cfr. UNITED NATIONS, "aThe United Nations at Forty", United Nations Publication, New York, 1985, pages 90-91.
22. La répartition des fonctions d'état et de gouvernement a lieu au Liban sur la base d'un accord entre les différentes communautés religieuses, stipulé il y a dix ans. Ce système d'état, qui n'est pas basé sur des élections qui tiennent compte des changements qui ont lieu dans le corps électoral, ne peut être considéré comme étant démocratique. Au niveau des fonctions gouvernementales et d'état la minorité chrétienne-maronite est sur-représentée. Egalement parmi les officiers des forces armées libanaises, surtout à haut niveau, les maronites sont sur-représentés.
23. Cit. dans IAI (par), "L'Italia nella politica internazionale 1982-1983, op. cit.", p. 94.
22. Discours du Ministre LAGORIO à la Commission défense de la Chambre des députés, 13 oct. 1982, texte du Service d'information publique Défense p.l.
25. L'expression ``guerre parallèle'' semble avoir été inventée par Mussolini lui-même, comme le remarque Giorgio Rochat rapportant le témoignage du général Soddu cité dans ROSSI F., "Mussolini e lo Etat-major. Avvenimenti del 1940", Tipografia Regionale, Rome, 1951, p. 35. Sur l'analyse de la guerre parallèle à l'Allemagne voir ROCHAT G., MASSOBRIO G., "op. cit.", pages 270-275.
26. La distinction entre `faucons' et `colombes' est fort utilisée dans les autres pays occidentaux. Tout en étant schématiques ces définitions sont utiles du point de vue cognitif. Elles caractérisent différentes approches à la politique de sécurité où se manifestent non seulement des analyses différentes, mais aussi des visions politiques et idéologiques différentes du monde. En Italie la distinction est peu utilisée et c'est le jugement neutre d'"experts" comme des techniciens au-dessus des parties qui prévaut. Ceci aussi est un signe du retard culturel sur les questions de sécurité de notre pays.
27. OSTELLINO P., CALIGARIS L., "I nuovi militari. Une radiographie des Forces armées italiennes", Mondadori, Milan, 1983. Les citations qui suivent sont respectivement aux pages 38,
28. Cit. dans IAI ( par), "L'Italia nella politica internazionale 1982-1983, op. cit.", pages 82-83 pour la première citation; p. 92 pour la seconde.
29. SPADOLINI G., "Indirizzi di politica militare", présenté par Giovanni Spadolini en novembre 1983, rapporté dans "Informazioni parlamentari difesa (Ipd)",, n. 19-20, 1983, pages 29-36, dont sont tirées les citations qui suivent.
30. Il s'agit d'Eugenio Rambaldi et Umberto Cappuzzo. En particulier cfr. l'interview accordée par ce dernier à "Panorama Défense", oct.-nov. 1982.
31. Le différent emploi technique et politique des armes lourdes de la part du contingent italien est décrit dans ANGIONI F., "Un soldato italieno in Libano", Rizzoli, Milan, 1984, pages 101-102: ``Les autres contingents de la force multinationale disposaient d'un support naval ou aéronaval. Le contrôle de ces moyens ou de ces armes n'était pas, pour les français et les américains, assigné au commandant de contingent, mais maintenu par les organes supérieurs de commandement, situés hors du Liban. Dans notre cas au contraire on avait jugé opportun, au niveau politique et militaire, de faire dépendre aussi l'emploi du feu naval du commandant du contingent. Une décision qui devait se révéler fort sage. Elle permit à celui qui avait le contrôle minute par minute de la situation au sol de réagir aux attaques, faisant intervenir les canons ou menaçant de les utiliser au moment opportun et avec la rapidité nécessaire. Se comporter d'une manière différente, réagissant `à zone' ou ne réagissant pas en temps voulu, n
ous aurait fait dépasser cette frontière très labile qui sépare l'auto-défense des représailles''. Angioni raconte ensuite comment, en septembre 1983, la menace de l'utilisation de l'artillerie navale italienne ait suffi à déplacer le tir des artilleries druses. Cfr. "ibidem", pages 105-109.
32. Angioni rappelle que ``un jour l'Etat-major libanais décida d'appuyer la police dans une grosse opération de `nettoyage' de la ville des éléments suspects; l'aide de la force multinationale fut demandé. Chaque contingent, dans le cadre de son secteur, aurait du encercler les quartiers, participer aux ratissages des maisons et effectuer des arrestations (...) Durant la réunion avec les responsables libanais... j'essayai d'expliquer l'inopportunité de la participation des forces de paix à des opérations de ce type (...) Notre tâche consistait à appuyer l'Armée libanaise dans la défense contre des ennemis extérieurs, et pas à participer à des opérations contre la population (...) Tout le monde n'était pas d'accord, mais nous n'avons pas changé d'idée''. "Ibidem", pages 60-61.
33. Il s'agit du "War Powers Act" approuvé par le Congrès américain au cours de la guerre du Vietnam.
34. Le 16 septembre 1983 le ministre de la Défense Spadolini déclare à "La Repubblica" que ``sur cette histoire il est juste de dire un mot clair: les soldats ont en Italie l'obligation de l'obéissance aux ordres légitimes de leurs supérieurs''. D'après Franco Angioni la décision de passer des départs volontaires aux départs commandés est prise, sur proposition d'Italcon 2, par l'état-major de l'Armée et non par le gouvernement, qui a seulement été informé de la nouvelle mesure. Cfr. ANGIONI F., "op. cit.", p. 80.
35. Interview de Vittorio Marulli à "Il Giornale", 16 avril 1984.
36. MARULLI V., ``Compiti, responsabilità e impegni della marina militare alla luce della situazione del Mediterraneo e delle aree adiacenti'', conférence tenue au Centre hautes études militaires (Casd) le 19 juin 1984, "Quaderni del Casd 83/84, p. 14.
37. Interview de Basilio Cottone a "Il Giornale", 20 avril 1984.
38. COTTONE B., ``L'Aeronautica militare nell'evoluzione dello Strumento nazionale. Situazione, problemi, prospettive'', conférence tenue au Casd il 12 juin 1984, "Quaderni del Casd 83/84", p. 4.
39. Interview de Umberto Cappuzzo a "Il Giornale", 16 avril 1984.
40. MINISTERE DE LA DEFENSE, "La Difesa. Libro bianco 1985", Ministère de la défense, Rome, nov. 1984, 2 vol. Le vol. 2 est un appendice documentaire. A cette publication se réfèrent les citations qui suivent, là où ce n'est pas différemment indiqué.
41. La "Air Land Battle" (Alb), la nouvelle doctrine opérationnelle de l'Armée américaine, est exposée dans le manuel ("Field Manual") 100-5. De vastes extraits de ce manuel se trouvent dans CENTRO SICILIANO DI DOCUMENTAZIONE GIUSEPPE IMPASTATO (par), "Airland Battle. La stratégie de guerre Usa 1984-2019", Satyagraha editrice, Turin, 1985. Dans le même volume il y a la traduction du document "Air-Land Battle 2000"; une version légèrement modifiée de l'Alb signée en août 1982 aussi bien par le général américain Meyer que par l'inspecteur des forces armées d'Allemagne Fédérale Glanz. Dans la publication "Angriff als Verteidigung" (1984) le groupe parlementaire des verts allemands a critiqué la ligne offensive de la nouvelle doctrine dans ses différentes versions. Une traduction du document des verts allemands se trouve dans "Futura, bulletin d'informations pour la paix et le désarmement", suppl. à "Arcipropone", hebdomadaire d'information de l'Arci de Florence, n. 49, 1985. Sur les affinités entre Alb et Fofa
voir PLESH D. T., ``Airland Battle Natòs Military Posture'', "Adiu Report", mars-avril 1985, pages 7-11. La nécessité d'une définition plus claire de la stratégie Otan par rapport à celle de l'Armée américaine a amené en 1985 le Comité plans défense de l'Otan à définir un cadre conceptuel militaire ("Conceptual Military Framework", Cmf). Sur le Cmf et ses ressemblances avec l'Alb voir DE WIJK R., ``Otan Plans for the 1990s'', "Adiu Report", sept.-oct. 1985, pages 6-9.
42. Cfr. la directive à long terme du commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur), approuvée par le Comité plans défense de l'Otan le 9 novembre 1984, rapportée dans "Ipd", n. 6-7-8, 1985, pages 19-22.
43. A p. 41 du cit. "La Défense Libro bianco 1985", à propos de la mission au nord-est, on affirme que ``la manoeuvre défensive'' (sic) prévoit comme première tâche de ``découvrir, retarder, empêcher le mouvement des forces adversaires "encore avant qu'elles n'attaquent les positions de défense", en utilisant dans ce but les forces aériennes et le feu des systèmes d'arme à plus longue portée''. Etant donné que la doctrine officielle de l'Otan et de l'Armée italienne et celle de la défense avancée, visant à contenir l'offensive adversaire au-delà de la frontière, l'attaque programmée d'usure des forces adversaires avant le contact direct avec nos propres forces ne pourrait avoir lieu que sur les territoires de l'Autriche et de la Yougoslavie. Le choix d'acquérir une profondeur de manoeuvre dans le territoire adversaire est une des caractéristiques, avec l'utilisation des nouvelles technologies, de l'Alb et de la Fofa. Toujours en 1984 le ministre Spadolini explique que ``les nouvelles technologies... amélior
ent... la défense en profondeur et la mobilité des forces'' dans l'échiquier nord-oriental. Cfr. SPADOLINI G., "Nota aggiuntiva allo stato di previsione per la Difesa 1985", Ministère de la défense, Rome, oct. 1984, p. 3. En 1985 Spadolini revient plus clairement sur le sujet, expliquant que pour réaliser la défense avancée au nord-est il faut ``interdire l'alimentation de l'effort offensif ennemi moyennant la neutralisation, surtout par le feu en profondeur, des échelons successifs et des réserves''. Un rôle de premier plan est attribué dans ces opérations, outre qu'aux chars, aux avions et aux hélicoptères qui doivent ``user le dispositif adversaire, couper ses flux de ravitaillement et empêcher la manoeuvre des réserves''. Cfr. SPADOLINI G., "Nota aggiuntiva allo stato di previsione per la Difesa 1986", Ministère de la défense, Rome, oct. 1985, pages 4 et 5. Carlo Maria Santoro, professeur à l'Université de Bologne qui a fait partie du comité restreint pour la rédaction du "Livre blanc" s'exprime de man
ière beaucoup plus explicite sur la projection offensive de la force dans les territoires d'autrui. A propos de la mission au Nord-Est, Santoro prévoit explicitement la projection immédiate, presque préventive de la force militaire italienne pour bloquer l'avancée soviétique à Karlovac et Lubjana (Yougoslavie) et sur l'axe Innsbruck-Graz (Autriche). Cette nouvelle stratégie, définie explicitement comme application de la "Air Land Battle" dans le Nord-Est, serait justifiée par une stratégie soviétique peu croyable de percée en Autriche pour attaquer ensuite le Trentin, ainsi que par une hypothèse encore moins croyable de non résistance et/ou collaboration de l'Autriche et de la Yougoslavie à une invasion soviétique. Cfr. SANTORO C. M., CALIGARIS L., "Obiettivo difesa", Il Mulino, Bologne, 1986, pages 55-79.
44. Cfr. ARKIN W. M., ``Evolving Military and Political Role of U.S. Military Forces and Nuclear Weapons in Italy'', rapport présenté au congrès ``Armes nucléaires et contrôle des armements en Europe'', Castiglioncello (Li), 21-25 oct.i
1985, p. 4. L'Union des savants pour le désarmement (Uspid), qui a organisé le congrès, a soigné la publication des actes dans le fascicule V-XII/1985 de la revue "Scientia". Cfr. aussi, du même auteur et de Richard Fieldhouse, le chapitre ``Les forces américaines en Italie'', dans INSTITUTO DI RICERCA PER IL DISARMO LO SVILUPPO E LA PACE (Irdisp) ( par), "Quello che i russi già sanno e gli italieni non devono sapere" (2ª édition), Irdisp, Rome, mars 1984, pages 7-24. Une estimation qui coïncide presque avec celle de Arkin est dans DE ANDREIS M. ``The Nuclear Debate in Italy'', "Survival", mai-juin 1986, pages 195-207.
45. Cfr. "Ipd", n. 21, 1983, pages 48-49.
46. Cfr. COTTA RAMUSINO P., ``Intervento di Paolo Cotta Ramusino'', relation présentée au congrès ``Armes nucléaires et contrôle des armements en Europe'', p. 7.
47. Déclaration de Spadolini au Sénat de la République du 20 febbraio 1985, in "Ipd", n. 1-2, 1985, pages 46-47.
48. Le texte du d.d.l. gouvernemental sur l'aviation embarquée émané le 6 août 1985, est dans "Ipd", n. 15-16-17, 1985, p. 65. 49. Le débat entre la Marine et l'Aviation sur l'aviation de la Marine ou sur les avions embarqués s'est développée avec beaucoup d'ampleur et de fortes polémiques en 1984-85. On peut trouver une synthèse des arguments dans le chapitre sur la politique stratégique et militaire de l'annuaire de l'Institut affaires internationales de Rome, "L'Italia nella politica internazionale 1984-85", qui paraîtra prochainement chez l'éditeur Franco Angeli. Schématiquement, le contentieux entre les deux armes concernaient deux questions: le modèle de défense et le monopole sur les avions à aile fixe. Pour l'Aviation la volonté de la Marine d'avoir sa propre aviation, même embarquée sur des porte-avions, correspondait à une politique de projection agressive de la force. La politique de la Marine étant erronée et peu constitutionnelle, l'Aviation ne voyait aucune raison de l'appliquer et de réduire s
on monopole sur les avions à aile fixe. La Marine demandait sa propre aviation pour différentes raisons, certaines desquelles de type fonctionnel général (selon lesquels même la Marine allemande possède des avions basés au sol), et d'autres de type fonctionnel spécifique (protection du porte-avions Garibaldi dans des opérations loin des bases aériennes métropolitaines). Si le critère principal de choix avait été celui de consolider un modèle de défense structurellement défensif, on aurait pu parvenir à une rupture du monopole traditionnel de l'Aviation italienne sur les avions et à la constitution d'une aviation de Marine à l'allemande. Le critère principal suivi par Spadolini a été par contre celui d'une redistribution partielle du pouvoir sur les avions entre les sub-corporations de force armée. Le monopole de l'Aviation sur les avions a été brisé, mais seulement en ce qui concerne les avions qui seront embarqués sur le Garibaldi. La Marine aura le contrôle total sur la puissance de son porte-avions mais d
evra dépendre pour la surveillance maritime et la lutte anti sous-marins des avions de l'Aviation.
50. Voir à ce propos ce qu'affirme Carlo Maria Santoro, qui a pris part à la rédaction du "Livre Blanc": ``L'énucléation d'une mission spéciale pour les interventions externes créa toutefois certains problèmes d'ordre politique. Le soupçon que la Mission 5 pouvait en quelque sorte assumer un caractère offensif et de "force projection" surtout dans les "outer area" de l'Otan, amena le Ministre de la Défense à transférer la question de la FOIR en constitution dans le cadre de la Mission 4 (défense du territoire, c'est-à-dire la moins inquiétante de toutes)''. Cfr. SANTORO C. M., CALIGARIS L., "op. cit.", p. 98.
51. SPADOLINI G., "Nota aggiuntiva allo stato di previsione per la Difesa 1985, op. cit.", p. 3.
52. Cfr. ROSSI S. A., ``Diecimila `Rambo' nelle sabbie mobili di ministeri e bilanci'', "Il Sole 24 Ore", 17 dic. 1985. Sur la structuration et les objectifs de la Force d'intervention rapide cfr. CALlGARIS L., CREMASCO M., ``Italian Rapid Interventionson Force'', "Paper Iai"/02/85, Institut affaires internationales Rome. Dans la partie soignée par Caligaris on distingue soigneusement entre opérations en territoire national, continental et outre-mer, ainsi qu'entre opérations d'intensités différentes. Les distinctions sont liées au choix des différentes unités militaires à assigner pour chaque opération spécifique au commandement de la Fir. Les opérations hors du territoire national à moyenne et haute intensité vont bien au-delà du "peace keeping" et prévoient l'intervention unilatérale de l'Italie ``pour s'acquitter d'engagements pris par le pays et/ou protéger les citoyens et les intérêts italiens à l'étranger''. La conception offensive qui accompagne cette ligne de la Fir, et son lien avec la doctrine de
l'Alb, est évident dans la description d'opérations en profondeur (jusqu'à 80 km.) dans le territoire yougoslave qui devraient être développées par des unités du 5º corps d'armée. On peut se demander spontanément si les opinions de Caligaris sont partagées par les autorités militaires et si, au cas où la réponse est affirmative, ces dernières ont pris soin d'entendre l'opinion du gouvernement Yougoslave.
53. Cfr. CHIPMANN J., ``French Military Policy and African Security'', "Adelphi Papers" n. 201, International Institute for Stategic Studies (Iiss), Londra, été 1985, pages 17-18. Les "Transall" de transport dont dispose la France ne peuvent parcourir à pleine charge que 1.800 km. Même avec la possibilité d'être ravitaillés en vol ces avions doivent de toute façon disposer d'escales intermédiaires pour atteindre le théâtre opérationnel de l'Afrique centrale. Après avoir écarté l'hypothèse d'acheter l'avion de transport américain "Starlifter" C-141, le gouvernement français s'est replié sur la possibilité d'utiliser des avions civils comme l'Airbus. Les autorités françaises ne considèrent cependant pas que ce soit la bonne solution et en 1984 le ministre de la Défense de l'époque Hernu a lancé des entretiens avec des fonctionnaires des gouvernements européens et américain pour le développement conjoint d'un avion de transport stratégique pour l'An 2000.
54. Cfr. "Ipd" n. 15-16-17, 1985, pages 63-65.
55. Sur la possibilité que les missiles lancés contre la base radar de la Garde côtière américaine de Lampedusa soient, au lieu que des Scud balistiques soviétiques, des missiles lancés par une vedette libyenne (qui est équipée avec des missiles Otomat de la société italienne Oto Melara), cfr. WATSON R. et autres ``Reagan's Riders'', "Newsweek", 28 avril 1986.
56. Cfr. NORDLAND R., WILKINSON R., ``Inside Terror, Inc.'', "Newsweek", 7 avril 1985.
57. Interview de Giovanni Spadolini à "La Repubblica" du 23 avril 1986, où le ministre de la Défense affirme: ``Contre les missiles balistiques à guide inertielle... il n'y a pas de défense possible ni de repérage en temps voulu. Excepté, naturellement, l'attaque préventive contre leurs bases de lancement ou les représailles après''.
58. Cfr. CALIGARIS L., ``Il Sud, naturalmente'', dans "Fuoco sull'Italie", suppl. à "Panorama" du 20 avril 1986. Dans l'article on repropose tout l'arsenal des instruments militaires offensifs appuyés à chaque fois par les faucons: le porte-avions, la Fir, etc. Cfr. aussi SILVESTRI S., ``E se la miglior défense fosse l'attacco?'', "L'Europeo", 18 janv. 1986. Dans l'article la menace méditerranéenne est clairement identifiée dans la Libye, contre laquelle on prévoit l'utilisation, suivant la nécessité, aussi bien de la Fir que de l'aviation embarquée sur le Garibaldi. Le souhait d'une attaque préventive, explicite dans le titre de l'article, a été exaucé trois mois plus tard par les porte-avions américains.
59. Le coût actuel du Garibaldi a été déduit en transformant en lires 1986 les coûts soutenus dans les différentes années pour le croiseur tout pont. Cfr. le cinquième chapitre de ce volume.
60. Cfr. ZARA G., ``Il bilancio della difesa non consente sprechi e inutili sovrapposizioni'', "L'Avanti", 27 mars 1985.
61. Interview d'Edward N. Luttwack au "Corriere della Sera", 14 juil. 1984.
62. Cfr. CALIGARIS L., CREMASCO M., "op. cit.", p. 65.
63. Le choix d'augmenter les volontaires de troupe à court service (ou des soldats du contingent à long service) n'est généralement pas comme on croit un choix technique, mais un choix principalement politique. Le problème technique lié à la complexité technologique des systèmes d'arme modernes, qui exigent une plus grande période d'instruction pour le personnel, pourrait être résolu d'autres façons. Premièrement, par la valorisation des connaissances acquises précédemment par les soldats du contingent; deuxièmement, moyennant également un service militaire plus long mais rétribué comme un travail; troisièmement, moyennant des mesures d'encouragement au recrutement pendant quelques années de jeunes ``pauvres mais intelligents'', auxquels proposer en échange de 3 à 5 années de service le payement de leurs études universitaires. Mais le choix du soldat volontaire, qui fait du travail militaire une profession en analogie avec celle du sous-officier et de l'officier, vise à bien d'autres résultats politiques. L'
histoire des conflits des dix-quinze dernières années montre comment les troupes du contingent ne sont fondamentalement pas dignes de confiance pour des interventions agressives et d'occupation en territoire étranger. Les soldats américains du contingent au Vietnam, russes en Afghanistan, portugais dans les colonies africaines, israéliens lors de l'invasion du Liban, rien que pour citer des exemples parmi les plus significatifs, ont créé tellement et de tels problèmes aux leaders politiques et militaires qu'ils les ont poussé sur la voie du retrait des troupes. Au contraire la fiabilité des armées totalement volontaires pour des opérations agressives et d'occupation a été confirmée, comme le montre l'efficacité avec laquelle l'Armée anglaise occupe depuis des dizaines d'années l'Irlande et l'aventure des Falkland-Malouines. Le choix même du gouvernement américain de passer d'une armée de service à une armée entièrement volontaire (1973) est basé sur ce type de considérations, visant à garantir au pouvoir pol
itique un instrument militaire pour des interventions externes libre des conditionnements de la société (les militaires du contingent sont la société civile dans les forces armées). En effet avec le recrutement de volontaires on réalise un processus d'auto-sélection suivant lequel ce sont des personnes qui possèdent des valeurs particulières, différentes de celles de la majorité de la population, qui sont choisies pour faire partie des Forces armées. Ceci a beaucoup d'importance du point de vue politique lorsque l'on considère que la différence de valeurs entre la société et les militaires de carrière concerne des thèmes comme l'usage de la force dans les relations internationales. La vieille critique de Palmiro Togliatti, qui voyait dans les militaires de profession des possibles ``prétoriens du pouvoir'' (dans une société peu développée), doit être remplacée par une nouvelle critique qui souligne le danger que des forces armées uniquement de militaires de carrière deviennent (dans les sociétés développées)
des sortes de ``prétoriens de la politique étrangère du pouvoir''. Sur les raisons du changement du modèle militaire américain de la conscription au volontariat et sur la formation d'un corps militaire avec des opinions différentes de celles de la société voir BACHMAN J. G. et autres, "The All Volunteer Force", University of Michigan Press, Ann Arbor, 1977. Sur la différence de conceptions entre militaires de carrière et société en Italie certaines données qui ressortent d'une enquête effectuée entre 1983-84 par l'Université de Bologne sur un échantillon d'officiers de l'Armée, sont significatives. Même si la recherche n'entre pas dans le fonds des attitudes des militaires par rapport à la politique étrangère, deux données démontrent cependant la conception politique différente des militaires et leur volonté de conditionner la politique militaire du pays. 43,7% des officiers interviewés préférerait un ``système démocratique présidentiel'' au lieu du système parlementaire actuellement en vigueur; 57,3% est f
avorable à confier le Ministère de la défense à un militaire plutôt qu'à un civil. Cfr. PRANDSTRALLER G. P., "La professione militare in Italia", Franco Angeli, Milan, 1985. Le choix d'augmenter les volontaires de troupe dans les Forces armées italiennes est motivée explicitement par Caligaris avec la non-fiabilité des soldats du contingent pour les interventions externes de la Fir qui ne rentrent pas dans le cadre du "peace keeping": ``Au niveau politique l'utilisation des soldats du contingent... ferait naître des problèmes sérieux s'ils étaient utilisés dans des missions comme celles qui sont prévues pour la force d'intervention rapide... dans des situations qui dépassent souvent le rôle traditionnel de défense de la frontière militaire. L'opposition des familles des soldats, des soldats eux-mêmes et de certaines forces politiques, qui a été surmontée durant la crise de Beyrouth, pourrait provoquer l'échec de l'opération''. Cfr. CALIGARIS L., CREMASCO M., "op. cit.", p. 46.
64. INTERNATIONAL INSTITUTE FOR STRATEGIC STUDIES (Iiss), "The Military Balance 1985-1986", Iiss, London, 1985. Voir anche DE ANDREIS M., "op. cit.", pages 21-26.
65. Cfr. CENTRO ALTI STUDI DIFESA (Casd), "Il concetto strategico dell'Alleanza Atlantica per gli anni '90 alla luce della possibile evoluzione della dottrina della risposta flessibile", Ministère de la défense, Rome, juin 1983.
66. CREMASCO M., ``Situazione internazionale nell'area mediterranea e problematica del modello di difesa `italiano ''', dans ISTITUTO STUDI E RICERCHE SULLA DIFESA (Istrid) ( par), "Gli indirizzi de la difesa italiana, Rome, 1982, p. 113.
67. ARKIN W. M., "op. cit.", pages 4-5. D'après le "Military Balance 1985-1986" la 5ª escadre navale soviétique est formée de 9-10 sous-marins, 6 navires de combat, deux navires amphibies, un dragueur de mines, et 17-25 navires auxiliaires.
68. "Ibidem", p. 6-7. D'après le "Military Balance 1985-1986" la 6ª flotte américaine consiste en six sous-marins à propulsion nucléaire, (Ssn), deux porte-avions, 12 navires de combat, une unité de Marines sur trois navires de débarquement
69. CREMASCO M., ``La politica militare italiana nel Mediterraneo'', in F. Tana ( par), "La lezione del Libano", Ipalmo-Franco Angeli, Milan, 1985, p. 96. La citation suivante est à p. 97.
70. CERQUETTI E., "op. cit.", pages 366-367.
71. Après une période de stase dans le réarmement chimique, dans les dernières années les Etats-Unis ont augmenté les dépenses de recherche et de développement pour les nouvelles armes chimiques binaires (appelées ainsi parce qu'elles sont formées de deux produits chimique qui se mélangent, donnant naissance à un produit agressif uniquement au moment du lancement du projectile). Il s'agit de la bombe "Big Eye", transportée par avion, et des projectiles pour artillerie de 155 mm. et pour le nouveau lance-fusées d'artillerie (Mlrs, "Multiple Launch Rocket System") que certains pays Otan - dont l'Italie - sont en train de construire. Le composé chimique des binaires est un gaz moutarde de la dernière génération. D'après les militaires américains les zones privilégiées d'utilisation des nouvelles armes chimiques sont celles qui sont assignées au commandements européen et central des forces armées des Usa. C'est pourquoi les pressions de l'administration Reagan vers un engagement européen pour le déploiement futu
r des nouvelles armes chimiques en Europe ont augmenté. En mai 1986 le Comité plans défense de l'Otan (qui réunit les ministres de la Défense des pays de l'Alliance), a ``pris acte'' de la décision du gouvernement américain de commencer la production des nouvelles armes chimiques. Une position ambiguë, jugée par beaucoup "pilatesque", fruit d'une médiation entre pays qui ne sont pas disponibles à accueillir les nouvelles armes chimiques (Norvège, Danemark, Hollande et Grèce) et pays plus disponibles (dont l'Italie). L'utilisation des bombes au gaz moutarde produirait, dans une zone densément peuplée comme l'Europe, des effets destructifs comparables à ceux des armes nucléaires de théâtre. Sur tous les aspects de la nouvelle course au réarmement chimique voir ROBINSON J. P., ``Chemical and Biological Warfare: Developments in 1984'', in "SIPRI Yearbook 1985", Taylor and Francis, London and Philadelphia, 1985, pages 159-190. Et, toujours du même auteur, ``Chemical and Biological Warfare: Developments in 1985'',
dans "SIPRI Yearbook 1986", Oxford University Press, Oxford et New York, 1986, pages 159-179. Sur l'engagement militaire italien renouvelé dans le domaine chimique, qui semble pour l'instant se limiter à une amélioration de la capacité de défense passive contre des attaques chimiques, voir DE ANDREIS M., MIGGIANO P., ``Dossier armi chimiche'', "Irdisp Paper", Rome, 1985.
71. Dans la République Fédérale Allemande les recherches sur la défense défensive sont surtout menées par un groupe de chercheurs du Plank Institut di Starnberg. Cfr. MUELLER A., ``Structural Stability at the Central Front'', relation présentée au congrès ``Armi nucleari e controllo degli armamenti in Europe''. Cfr. AFHELDT H., "Verteidigung und Frieden. Politik mit militaerischen Mitteln", Hanser, Muenchen, 1976. Cfr. aussi du même auteur "Defensive Verteidigung", Rowohlt Taschenbuch Verlag, Hamburg, 1983. Depuis août 1985 le Centre of Peace and Conflict Research de l'Université de Copenhague publie le bulletin "Nod, Non-Offensive Defence", qui documente sur l'évolution du débat à ce propos au niveau européen.