interview de Gianfranco Spadacciapar Andrea Bianchi et Umberto Brancia.
SOMMAIRE: Au lendemain de la conclusion du Congrès du PR de Bologne (janvier 1988), Gianfranco Spadaccia explique, durant une interview, la signification des décisions les plus importantes.
(Notizie Radicali N·1, du 9 janvier 1988)
Ce choix de parti transnational a soulevé quelques remous, non seulement auprès de l'opinion publique mais aussi au congrès. Les communistes ont renoncé depuis 40 ans à l'idée d'international. L'internationale socialiste nous apparaît désormais comme un pacte de consultation: on n'arrive pas par conséquent à savoir dans quelle mesure dans une société complexe comme la nôtre, le PR pense pouvoir faire un saut de telle envergure, et surtout sur quel programme?
Cela n'a pas été une idée improvisée; le PR n'a jamais eu l'adjectif "italien" dans sa propre dénomination, et récemment, il a même eu un secrétaire non-italien, Jean Fabre. Les batailles que nous avons livrées ont toujours été internationalistes, comme la faim dans le monde. Nous pensons aujourd'hui que le saut de l'organisation également de grande envergure, est nécessaire et urgent. Nous venons de subir deux défaites sur ce terrain: la lutte contre l'extermination par la faim et le projet de relancement des Etats-Unis d'Europe. La conclusion que nous en avons tiré est qu'il y a des problèmes qui, de par leur nature, supra-nationale et internationale, ne peuvent même pas être pensés en termes nationaux. Je pense par exemple aux problèmes écologiques, de la disparition des forêts d'Europe centrale à la désertification en Afrique, du problème de la lutte contre l'extermination par la faim à celui des rapports entre monde industrialisé et pays du Tiers-Monde, aux problèmes de la criminalité et de la drog
ue. Mais il y a aussi un problème, vital, de démocratie. Même en Angleterre, le pays le plus anti-fédéraliste et le plus anti-européen, le patronat anglais pousse vers le Marché unique. Par conséquent, nous aurions une accentuation des processus de libéralisation internationale, nous aurions un dépouillement ultérieur des contrôles démocratiques des parlements nationaux, et nous aurions par contre un accroissement des pouvoirs technocratiques des grandes lobby d'intérêts et des bureaucraties internationales, de la communauté comme des internationales des partis qui constituent la cristallisation des impuissances nationales. L'exigence de sortir d'une perspective nationale est ressentie aussi ailleurs, et ensemble nous pouvons trouver peut-être des réponses communes. Nous ne voyons pas pourquoi nous devons dialoguer uniquement avec les forces politiques italiennes et non pas aussi avec les forces politiques des autres pays européens: en effet, même si nous avions ébranlé l'Italie, nous n'aurions obtenu que 5-
10% des solutions de ces problèmes.
Dernièrement, le PR a connu deux phénomènes: d'un côté, surtout après les referendum, nous avons assisté à la chute de l'hypothèse du bloc laïco-socialiste, dans le sens où il y a un autre processus à la fois de fermentation et de rassemblement autour des républicains ou des socialistes. Le projet radical de rassembler 20% des voix autour d'une hypothèse unique n'a point eu d'effet; de l'autre, de timides canaux de communication avec les communistes ont été ouverts à nouveau. Etant donné le climat politique italien d'aujourd'hui, n'y a-t-il pas le risque que votre fuite soit une fuite vers les problèmes européens, si l'on tient compte de la contribution que les radicaux ont donné de par le passé au niveau de mouvement (divorce, avortement, etc...) et si l'on reprend tes affirmations précédentes, nous voudrions également souligner d'autres questions.
Le PR a en effet le mérite de certaines intuitions célèbres, par exemple sur le bi-polarisme Est-Ouest et sur la reconnaissance des contradictions Nord-Sud. Par rapport aux récents phénomènes d'immigration, pensez-vous qu'un parti transnational puisse mieux affronter ces problèmes? Ou bien risquez-vous là-aussi d'opérer un fuite?
Je ne crois pas que nous somme le genre de personnes qui fuient. Nous avons même rappelé que la non-présentation aux élections concerne le PR en tant que tel. Ceux qui pensent que les radicaux sont en vente seront déçus. Nous avons mis sur le tapis une totale disponibilité, qui présume naturellement d'analogues disponibilités. Ceux qui voient en cela une forme de suicide ou de désespoir ou de fuite, se trompe. Bien sûr, lorsque l'on risque de rester ensablé dans un marécage, plutôt que de rester dans ce marécage, il vaut mieux en sortir, aller vers le large. Ce n'est pas une fuite, mais la recherche d'autres priorités, essayer de retrouver le dialogue avec les autres forces politiques, vers des valeurs précises.
Si nous comprenons bien, vous n'excluez pas que chaque représentant radical, et non pas le PR en tant que tel, continuent de travailler à ce projet du bloc laïco-socialiste.
Pendant toute une législature nous avons fait croître un dailogue, des nouvelles possibilités de rapport, à gauche et ailleurs, et à un moment-donné ces fils ont été interrompus. Par exemple, nous avons recherché le dialogue avec toutes les forces laïques, et donc avec le Pri. C'est toujours nous, pour vous donner un autre exemple, qui avons accéléré le phénomène vert, sans aucune jalousie, même si cela nous a coûté au début certaines inimitiés. Les faits nous ont donné raison. Cela a fait naître des rapports positifs avec les verts. Nous n'avons pas l'intention de rompre avec le Psi. Et, à l'égard du Pci on peut aussi surmonter de vieilles oppositions. Pour revenir à la question précédente, l'Italie n'est pas un pays raciste car jusqu'ici il n'en a pas eu les motifs, mais l'Italie n'est pas pour autant vaccinée contre le racisme. Que se passera-t-il lorsque le phénomène de l'immigration augmentera encore? D'autres nations, apparemment plus racistes que la nôtre, sauront mieux que nous affronter le prob
lème. Quant à l'Europe, d'aucuns craignent une sorte de supernationalisme européen, de neo-impérialisme européen: il peut y avoir des tentations en ce sens, mais nous ne devons pas avoir peur de la construction de nouveaux pouvoirs et de nous battre pour donner à ces pouvoirs des bases et des contrôles dèmocratiques. Nous essayons aujourd'hui de réaliser les intuitions de Spinelli. Une autre proposition que nous faisons est celle de créer une autre référence que l'actuelle: le président de la commission exécutive ne serait pas nommé par les gouvernements mais il serait élu par le parlement européen et par les parlements nationaux. Nous nous trouvons face à la croissance d'un phémomène technocratique et à un amenuisement des contrôles des pouvoirs démocratiques en Europe et nous voulons créer une référence diverse de la référence intergouvernementale et de parti national des bureaucraties des 3-4 internationales des grands rassemblements des partis. Nous voulons créer une référence parlementaire sérieuse, com
me source de légitimité démocratique des institutions et des pouvoirs communautaires. C'est pourquoi nous sommes en train de considérer sérieusement l'idée de Giscard, celle d'un co-président du conseil des ministres de la Cee élu par le Parlement européen, par les Parlements nationaux, et qui ne soit pas un président pour six mois uniquement, mais qui reste en charge pour toute la durée de la législature du Parlement européen. Ce sont des débouchés politiques précis. Et sur cette question il est possible de convoquer des referendum dans plusieurs pays. Nous voulons entre-temps reprendre l'initiative de la lutte contre la faim dans le monde, en tant que problème européen.
Par rapport au tableau des nouveautés dont tu parlais auparavant, il y a eu le débat, à l'occasion de l'"heure de religion", sur le Concordat. Vous avez créé la Ligue anticoncordataire...
Non, nous l'avons envisagée, et nous attendions que la Gauche indépendante arrive au rendez-vous. Nous nous étions adressés en particulier à Luciano Guerzoni, à Pierluigi Onorato... Ce sont nos mauvais rapports avec "La Repubblica", à laquelle de nombreux responsables de la Gauche indépendante collaborent, qui ont probablement joué, ou peut-être encore les affrontements sur le referendum de la justice. Plusieurs d'entre-eux étaient pour le Non. Nous avons attendu car nous n'avons pas voulu faire des choses qui auraient exclu ce secteur du mouvement anticoncordataire tel qu'il s'est manifesté au Parlement. Par conséquent, avec Teodori et Strik Lievers nous nous sommes limités à recueillir les premières adhésions, et nous ne désespérons pas de réouvrir la question anticoncordataire avec les libéraux, les camarades de Democrazia Proletaria, des socialistes et des représentants du monde catholique. Il y a eu une allusion intéressante de Craxi lorsqu'il découvrit qu'il fallait revoir le traité, même si par l
a suite, tout a été ré-absorbé avec la piètre solution de l'heure de religion. En ce qui concerne le Pci il y a eu des allusions prudentes mais intéressantes de la part d'Occhetto.Dans le débat sur l'heure de religion, je l'ai souligné au Parlement, Occhetto a fait référence aux mots de Cavour, "Libre Eglise dans un Etat libre". Occheeto n'est pas né d'hier et il est évident que ce slogan n'est pas applicable aux solutions concordataires. Cela m'a semblé être une manière de rouvrir, avec quelque précaution, cette question au sein du Pci. Malheureusement, l'ennui dans ce pays c'est que la lenteur avec les processus politiques progressent est épouvantable. De Bruno Zevi, je ne partage pas beaucoup de positions, mais il m'a dit une chose très juste: "Il faut que tout change (sur le plan politique) pour que rien ne change (sur le pln social et de la civilisation du pays)", tandis qu'aujourd'hui c'est le contraire qui s'est produit: dans cette société, en quarante ans, rien resté immobile et tout a changé, dans l
e bien et dans le mal, dans la manière de vivre, dans notre civilisation, et même dans l'Eglise, mais sur le plan politique rien n'a changé. C'est-là la vraie anomalie de la situation italienne. C'est une situation digne du Guépard, mais à l'envers.
Etant donnés l'absence de militants, la crise des mouvements surtout de gauche, comment a réagi le corps du parti au congrès? Existe-t-il des créneaux pour pouvoir opérer?
Je crois que du moment que le projet politique démarre, les terrains fertiles existent. Il y a le terrain de l'activité spécifique du parti: l'activité transnationale sera valable pour ceux qui iront travailler en France, mais aussi en premier lieu parce qu'à fortiori il y aura immédiatement des thèmes qui sont d'intérêt transnational mais aussi, évidemment, national. Naturellement là où l'on est le plus organisé il faudra faire des pas en avant pour les réaliser, les affirmer et les faire progresser. Puis il y a un terrain qui est découvert, celui de la convergence avec les autres forces politiques, à combler, à inventer. Nous avons commencé une période de refondation qui nous amène probablement hors de la politique institutionnelle en tant que Parti Radical. Je me souviens que, déjà en 1963, à tous ceux qui l'année précèdente nous avaient proposé d'entrer dans les institutions à travers le raccourci de la candidature dans des listes d'autres partis, nous avions le courage non pas de refuser, mais de
dire que nous serions entrés dans les institutions avec les droits civils, avec le divorce, ou bien nous n'y serions pas entré du tout. Et c'est ce qui se produisit. En ces dix années, le rapport avec les forces politiques, externe, n'était pas de repousser ceux qui se trouvaient déjà dans les institutions, c'était un rapport vivant, contradictoire, construit sur des initiatives politiques. Il y a un terrain d'initiative politique même hors de la politique institutionnelle. Si le problème était d'avoir des parlementaires, nous avons prouvé que nous savons le résoudre tous seuls, nous n'ouvrons pas de "marchés", nous n'irons pas frapper aux portes des autres partis. Je pense que ce choix puisse ouvrir une période heureuse dans laquelle notre rapport avec les autres forces politiques italiennes peut devenir, en perspective, le même type de rapport que nous voulons instaurer avec les socialistes belges ou français ou espagnols, ou avec les démochrétiens allemands, hollandais, ou avec l'écologiste français. L'un
ique problème de division vraie, et retard, que nous avons eu , a été celui du symbole de Gandhi, lié à la question de violence-nonviolence. Je ne crois pas que le Parti radical ait voulu répudier l'enseignement gandhien de la nonviolence. Il y a des contradictions parce que ce n'est pas un parti idéologique et il ne demande pas d'avoir foi en une théorie, en une praxis plutôt qu'une autre. Les réserves spécifiques de certaines personnes sur ce thème se sont malheureusement greffées à un moment de passage de l'ancien au nouveau, à un moment de crise d'identité qui s'est exprimé par l'attachement au vieux symbole (la rose dans le poing) des victoires électorales et referendaires: un symbole inutilisable dans le reste de l'Europe, où il est connu comme symbole socialiste. J'espère que la crise d'identité se résume à cela, car je dois dire que le choix de la nonviolence comme théorie et pratique de lutte politique radicalement alternative a été le grand patrimoine radical qui nous a permis d'être non pas des lé
galistes ni des révolutionnistes, mais d'être des réformateurs, des révolutionnaires différents, et il nous a donné la force de pouvoir indiquer une alternative à tous ceux qui, désespérés, n'arrivaient pas à trouver une autre force sinon celle des armes et de la révolte armée. Si aujourd'hui, la moitié de "Prima Linea" est au PR, si aujourd'hui Vesce est un députè radical, malgrè Toni Negri, si Franceschini, condamné par un jury dont faisait également partie Adelaide Aglietta se trouve au Parti radical, je crois que, si nous avons pu parler à ces personnes, cela a été grâce au fait d'être dans les choses nonviolentes et gandhiennes.