de Paolo PietrosantiSOMMAIRE: La campagne pour la reconnaissance de l'objection de conscience en Pologne.
(Nouvelles Radicales N. 1 - Avril 1988)
Slawomir Dutkiewicz a été arrêté le 12 décembre 1987. Incarcéré à la prison de Bydgoszcz, il entame le jour-même une grève de la faim. Depuis de nombreuses semaines il est alimenté de force.
Il est membre de Wolnosc i Pokoj. Comme tant d'autres membres de ce mouvement avant lui il a refusé d'endosser l'uniforme et de prêter serment de fédélité à l'alliance militaire à laquelle la Pologne adhère.
Wolnosc i Pokoj se constitua de façon plus ou moins formelle en 1985 autour d'un objectif central, celui de la lutte pour l'objection de conscience et l'organisation d'un service alternatif. Très vite néanmoins le mouvement élargi le champ de ses objectifs: antimilitarisme, désarmement, écologie, la liberté d'expression, ... en Pologne, mais pas seulement puisqu'une autre des caractéristiques de ce mouvement est de ne jamais être tombé dans le piège "anti-russe", "anti-soviétique". D'où leur grande attention aux autres problématiques, est-européennes et occidentales.
Le 10 décembre 1987, Slawomir Dutkiewicz passe en procès pour la première fois et est condamné à deux ans et trois mois de réclusion. La défense et l'accusation (qui avait demandé quatre d'incarcération en première instance) font appel au jugement. Entre-temps un élément nouveau d'importance survient: Jerzy Urban, porte-parole officiel du gouvernement de Varsovie fait part de la volonté du gouvernement de présenter une projet de loi relatif à l'organisation d'un service alternatif d'une durée double du service militaire (celui-ci dure deux ans). Depuis lors rien de plus précis n'a filtré quant aux intentions du gouvernement. On peut supposer - mais c'est du domaine des suppositions - que le Ministère Public retira sa requête en appel dans laquelle il rappelait sa demande d'une condamnation à quatre ans de prison.
Le cas Dutkiewicz va en appel le 29 janvier devant la Section Militaire de la Cour Suprême, à Varsovie, le "cas" seulement puisque l'inculpé est contraint à rester en prison, sous perfusion. La Cour avait deux possibilités: confirmer la sentence de première instance ou accueillir, au moins en partie, les arguments de la défense. Elle ne pouvait de toute façon pas aggraver la peine puisque l'accusation avait retiré sa requête en appel. Pourtant elle a opté pour la confirmation de la peine. Slawomir reste donc en prison, condamné à deux ans et trois mois de prison. Le Sénateur radical, Lorenzo Strick-Lievers qui était à Varsovie pour assister au procès ne put franchir le portail du Palais de Justice et c'est dehors, avec les camarades de WiP qu'il attendit la sentence. En apprenant celle-ci il déclarait alors: "L'annonce du Gouvernement polonais selon laquelle il procéderait à une certaine reconnaissance de l'objection de conscience a été démentie par cette sentence; ses paroles ne correspondent pas à ses acte
s. Le chemin à parcourir est encore long mais nous ne manquerons pas, nous les radicaux, de la parcourir avec les amis de Wolnosc i Pokoj."
Le différend est ouvert, la confrontation avec le Général Jaruzelski est ouverte pour qu'il respecte les engagements pris publiquement devant la presse du monde entier, pour qu'un projet de loi en faveur de la reconnaissance de l'objection de conscience soit tout de suite déposé.
A la lumière de ces événements quelques conclusions s'imposent. Il est indubitable en effet que l'annonce du Gouvernement polonais a constitué une reconnaissance de la force politique et morale désormais conquise par les objecteurs polonais et le mouvement Wolnosc i Pokoj en particulier. Il est tout aussi vrai cependant qu'une telle déclaration constituerait un geste particulièrement bas s'elle ne se traduisait pas rapidement dans la réalité et d'abord dans un geste concret à l'égard de Slawomir Dutkiewicz, toujours en prison, alimenté de force, privé de toute visite, y compris de ses parents.
Sa bataille est désormais un symbole, symbole de la bataille pour l'objection de conscience en Pologne et ailleurs mais aussi symbole d'une bataille menée conjointement par Wolnosc i Pokoj et le Parti radical sans oublier les 25 personnes qui ont décidé un peu partout en Pologne de s'inscrire au Parti Radical.
PROJET DE RESOLUTION DE WOLNOSC I POKOJ SUR LE SERVICE ALTERNATIF
Le texte qui suit a été rédigé par les membres du Mouvement Indépendant polonais Wolnosc i Pokoj - Paix et Liberté. C'est aussi une première réaction "officielle" du Mouvement aux propositions du Gouvernement Polonais d'instaurer un service civil alternatif.
INTRODUCTION
L'idée-maîtresse est d'obtenir une réglementation qui assure des conditions de service civil qui s'apparentent le plus aux conditions normales de travail telles que décrites dans le code du travail. Ceci pour résoudre le problème de l'absence de législation existant à ce jour en matière d'objection de conscience au service militaire. Nous proposons que le Parlement polonais change la loi qui affirme le droit général de défendre la "République populaire de Pologne", et en particulier son cinquième paragraphe. Le décret du Conseil des Ministres sur le Service Alternatif ainsi que d'autres règlements administratifs devraient être modifiés également.
Paragraphe 1
Tous les citoyens sujets à l'obligation militaire ont le droit d'accomplir un service alternatif.
a. L'on obtient le droit au service civil alternatif après avoir rempli un formulaire général, délivré sur simple demande par les organes administratifs chargés de la conscription.
b. Les motivations quant au choix du service alternatif ne doivent pas être mentionnées dans ce formulaire. Le choix en faveur du service civil peut être opéré à tout moment, également après l'enrôlement.
Paragraphe 2
Les organes de l'administration préposés au service alternatif attribuent les postes en tenant compte des qualifications professionnelles et du lieu de résidence des requérants.
Le fait d'être dirigé vers une service civil alternatif résulte d'une décision administrative et la procédure d'usage est réglée par la loi et par le code de procédure administrative.
Les décisions qui concernent la prestation du service alternatif bénéficient d'une procédure d'appel auprès d'un tribunal administratif en cas de violation de la loi.
Paragraphe 3
Le service alternatif se déroule à travers des engagements dans des institutions sanitaires, dans des services sociaux, dans les services de protection de l'environnement, d'éducation et dans d'autres institutions d'utilité publique en tenant compte de la qualification professionnelle du conscrit.
a. Dans des cas spéciaux, le service alternatif peut être accompli dans d'autres secteurs à condition qu'il y ait accord des deux parties.
b. Les règlements des Tribunaux du Travail s'appliquent aux personnes accomplissant un service alternatif.
c. Le contrat de service alternatif a les caractéristiques d'un contrat de travail normal pour toute la durée du service alternatif.
Paragraphe 4
Le Ministère du Travail, des revenus et des Affaires Sociales est responsable du service alternatif.
Paragraphe 5
Les conscrits en service alternatif ont droit:
a. à un salaire non inférieur au salaire minimum officiel;
b. à des vacances;
c. à des congés légaux;
d. aux assurances sociales libres;
e. à la sécurité sociale pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille à leur charge, d'un montant non inférieur au minimum social officiellement prévu;
f. à la liberté de mouvement à l'intérieur du pays;
g. à des possibilités d'études complémentaires;
h. à des conditions de travail respectant les normes de sécurité et d'hygiène;
i. aux autres garanties prévues par les réglementations spéciales.
Paragraphe 6
Celui qui accomplit le service alternatif ne peut être obligé à vivre dans des casernes, à endosser un uniforme ou d'autres signes distinctifs du service alternatif. Il ne peut être contraint à aucun serment ni être rappelé pour des manoeuvres de réservistes. Il n'est pas sujet à des manoeuvres militaires ni à un endoctrinement politique.
Paragraphe 7
Les horaires de travail durant le service alternatif correspondent aux horaires légaux de travail et cette période est comptabilisée dans les calculs de pension.
Paragraphe 8
Le règlement d'éventuels conflits surgissant dans le cadre du service alternatif sont de la compétence des Tribunaux du Travail, selon les procédures d'usage pour les conflits en matière de contrat de travail.
Paragraphe 9
La durée du service alternatif ne peut être supérieure au double du service militaire, à condition toutefois que ce dernier soit réduit de façon drastique. La durée du service civil ne peut de toute façon être supérieure à 24 ou 36 mois.
Paragraphe 10
Les règles du service civil sont valables également pour les étudiants et les diplômés.
Cette position du Mouvement Wolnosc i Pokoj n'est pas définitive. Appel à tous pour des propositions.
Wolnosc i Pokoj, le 6 février 1988