de Gaetano DentamaroSOMMAIRE: Témoignage du Général Ambrogio Viviani au procès en appel de Michalis Maragakis, objecteur de conscience politique en Grèce.
GRECE
----------------------------------------------------------------- "J'ai affirmé ce qui a toujours été ma pensée de soldat. Parce qu'être militaire ne signifie pas être militariste. J'ai dit que ce que nous, militaires, sommes appelés à défendre, ce n'est pas seulement un territoire, mais plutôt les droits et les valeurs de nos sociétés démocratiques. Parmi ces derniers, le droit à la liberté de choix et de conscience de chaque citoyen est une valeur primordiale, ..."
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Deux ans et deux mois d'emprisonnement: tel est le verdict du procès en appel de Michalis Maragakis, 31 ans, sculpteur, le premier objecteur de conscience politique dans la Grèce d'après les colonels. La Grèce de Papandreou, une Grèce au gouvernement socialiste au pouvoir depuis de nombreuses années grâce à l'absence d'adversaires crédibles, aux prises avec la nécessité d'effectuer des sauts qualitatifs et avec les entraves de la vieille politique. Un pays baigné par des mers parsemées d'îles formées, au dire de la légende, par la poussière qui restait à Jupiter après qu'il eut créé les continents. Un pays aux multiples difficultés politiques, diplomatiques, et aux nombreuses tensions militaires. En avril de l'année dernière, au moment où Maragakis se rendait à la justice militaire, amorçant ainsi son action de désobéissance civile destinée à affirmer le droit au service civil, la marine grecque s'apprêtait à ouvrir les hostilités contre les navires du Croissant.
Objection de conscience : une folie, ou presque, dans un pays où une des armes les plus puissantes de la caste militaire n'est autre que le contrôle complet de la "justice" militaire. Et en effet trois procès consécutifs se sont conclus par un verdict identique: 4 ans de prison. Par la suite, le premier de ces procès a été annulé. Voilà pourquoi, pour la justice militaire grecque, la détention de Michalis Maragakis ne prend cours qu'à partir d'octobre: six mois de séjour dans les geôles du pays qui ne comptent pour rien.
Voilà aussi pourquoi personne ne s'attendait à un tel verdict de part de la Cour d'Appel militaire. Le témoignage d'Ambrogio VIVIANI, Général à la retraite et Conseiller Fédéral du Parti Radical a produit un effet certain sur les officiers siégeant à la Cour. Mais voyons sur quoi s'est concentré sa déposition : "avant tout, raconte Viviani, je me suis présenté comme un témoin sui generis; parallèlement au témoin de la War Resister's International et à celui des objecteurs de conscience allemands, je me suis présenté non comme un objecteur de conscience, mais au contraire comme un soldat qui, au cours de sa vie, n'a jamais fait d'objection, un soldat qui a toujours pensé qu'il servait les lois, la communauté. J'ai parlé à des militaires dans un langage qu'ils pouvaient comprendre".
En effet, en se présentant devant la Cour, Ambrogio VIVIANI a salué militairement la main au front, en un geste qui a déconcerté de nombreuses personnes présentes et impressionné les juges eux-mêmes: c'est précisément la photo de cet instant qui fut publiée le lendemain dans les journaux.
"J'ai affirmé ce qui a toujours été ma pensée de soldat, parce qu'être militaire ne signifie pas être militariste. J'ai dit que ce que nous, militaires, sommes appelés à défendre, ce n'est pas seulement un territoire, mais plutôt les droits et les valeurs de nos sociétés démocratiques. Parmi ces derniers, le droit à la liberté de choix et de conscience de chaque citoyen est une valeur primordiale, et nous devons reconnaître que celui qui demande à effectuer un service civil, alternatif, sans armes, ne peut pas être assimilé à celui qui refuse totalement l'obligation de participer à la défense. Par conséquent nous devons reconnaître aux objecteurs de conscience le droit d'apporter leur contribution à la défense, pacifiquement et sans armes, par l'intermédiaire d'un service civil alternatif: tel est sans aucun doute, le devoir du pouvoir législatif, mais c'est un devoir qui doit être encouragé. Un des juges m'a demandé si je me rendais compte que la Grèce est en guerre contre la Turquie depuis 1821. J'ai répon
du que j'en étais parfaitement conscient, que je connaissais l'histoire; mais que si nous ne défendions pas en première instance la liberté de conscience de nos citoyens, en réalité, nous les militaires, pour quelle raison nous battrions-nous ?"
En réduisant la sentence de façon aussi spectaculaire, les militaires ont certainement voulu refiler l'as de pic au pouvoir politique, au moment où le Parlement grec discutait et approuvait une réforme du service militaire. Réforme, entendons-nous puisqu'elle prévoit uniquement la possibilité d'effectuer un service militaire non armé, dans le cadre toutefois de la structure militaire et pour une durée double de celle du service militaire.
"C'est là une proposition inacceptable, et non une reconnaissance de l'objection de conscience, et encore moins un service alternatif", déclare Tanassis Makris, un autre objecteur de conscience parmi les dix qui, à la suite de Maragakis, ont annoncé leur décision de désobéir et sont en attente d'être jugés. "Je ne connais personne qui soit disposé à accepter cette loi".
Pour l'instant Maragakis a fait appel devant la Cour Suprême et son procès n'aura pas lieu avant l'été. Pourtant dans la solitude de la prison, il a pris la décision d'entamer une grève de la faim "au finish" à partir du lundi 22 février. Cette initiative, qui déconcerte quelque peu ses compagnons en liberté, a pour but de réaffirmer le droit au service civil. Maragakis demande sa libération immédiate et qu'une nouvelle loi sanctionne la reconnaissance de l'objection de conscience. Et de fait on parle en Grèce d'une nouvelle loi qui devrait instaurer un système de "défense populaire" et qui pourrait reposer le problème. En ce moment, alors que la presse grecque met l'accent sur l'autonomie et sur ce qui semble être le nouveau cours de la justice, le PASOK de Papandreou brandit le nouveau service militaire non armé comme une grande nouveauté, la plus grande concession possible face au problème de la menace militaire turque toujours présente. Et, mis à part quelques rares exceptions, aucune voix dissidente ne
s'est élevée sur la scène politique grecque.
Toutes les instances politiques en Grèce semblent d'accord sur une chose: l'objection de conscience décimerait l'armée, et ce n'est pas admissible. On devrait compter 3 objecteurs turcs pour chaque grec. Et voilà donc la Grèce, seul pays de la Communauté à ne pas connaître ne fut-ce qu'un semblant de service civil.
Mais du reste, essayez donc de parler d'objection de conscience en Turquie! Et, au sein des pays de la Communauté Européenne, existe-t-il un pays qui ne fasse pas acte d'inquisition vis-à-vis des objecteurs pour connaître leurs motivations, qui ne les discrimine pas? Y-en-a-t-i un seul qui considère vraiment le service civil comme une alternative de défense, voire comme une possibilité supplémentaire, politique, de recherche de la sécurité.