de Piotr NiemczykSOMMAIRE: Cet article que l'on doit à un militant actif du mouvement "Paix et Liberté" (Wolnosc i Pokoj - WiP, ndlr), donne une vue d'ensemble de la situation des objecteurs de conscience polonais.
TYGODNIK MAZOWSZC - VARSOVIE - 6 JANVIER 1988
Plus de la moitié des détenus politiques polonais sont des objecteurs de conscience. A la suite des dernières arrestations, ils sont à nouveau dix.
Au cours des quinze derniers jours du mois de décembre, "Paix et Liberté" s'est mobilisé comme jamais auparavant. L'action de défense en faveur des prisonniers a culminé avec une grève de la faim de deux semaines à Varsovie. Onze personnes l'ont entamée le 13 décembre, chez un particulier, le 16 décembre, six autres personnes se sont jointes à la grève à Opole. Le 24 décembre, ces deux groupes ont été rejoints par un troisième fort de six personnes, à Sopot. Avec des grévistes isolés dans d'autres villes, la grève s'est terminée le 27 décembre avec 28 personnes. En l'espace de deux semaines, les militants de WiP ont recueilli à Gdansk et à Poznan plusieurs milliers de signatures sur des pétitions. A Wroclaw, deux personnes ont quotidiennement manifesté du 13 au 31 décembre sous des banderoles, et d'autres manifestations plus petites ont également eu lieu à Opole et à Szczecin. Qui plus est le mouvement n'avait jamais jusqu'alors été soutenu à ce point par "Solidarnosc": Lech Walesa, la Commission Régionale E
xécutive (RKW) de Basse Silésie avec Wladyslaw Frasyniuk, Zbigniew Bujak, Jacek Kuron, Adam Michnik ont apporté leur soutien, de même que le Conseil Général du Parti socialiste polonais qui a publié une déclaration spéciale.
Les manifestations ont été organisées avec le soutien du Parti radical (originaire d'Italie mais qui étend actuellement ses activités dans d'autres pays d'Europe). Grâce à cet énergique allié, les grévistes de WiP ont été épaulés par environ 140 autres personnes, membres du Parti radical et pacifistes italiens, belges, français, espagnols, hollandais, yougoslaves, grecs et turcs. A Noël, des militants italiens et belges ont organisé devant les représentations diplomatiques des manifestations en faveur des prisonniers polonais, en faveur notamment de Slawek Dutkiewicz qui observait une grève de la faim en prison. D'autres pays ont exprimé leur solidarité, entre autres le Groupe soviétique pour l'instauration de la confiance entre l'Est et l'Ouest.
Quand la menace d'une grève de la faim internationale a été brandie, le Parlement européen a voté le 12 décembre presqu'à l'unanimité une résolution dans laquelle il a appelé les gouvernements des pays de l'Est à traiter ce problème d'objection de conscience et de service de remplacement avec plus de justice.
Si d'autres prisonniers politiques étaient l'objet de semblables actions de soutien, ils seraient probablement déjà libres. Dans le cas des objecteurs de conscience, de tels espoirs ne sont pas permis. La réaction du pouvoir a été classique bien qu'assez peu cohérente. Les manifestants ont été traduits devant des tribunaux de simple police; les grévistes de la faim ont été laissé en paix à Varsovie mais molestés à Wroclaw où la police a tenté de mettre fin à leur mouvement en les gardant à vue pendant plusieurs heures. Le journal "Zolnierz Wolnosci" (Soldat de la liberté) a inauguré une série d'articles agressifs. Mais c'est le directeur de la maison d'arrêt de Bydgoszcz qui a fait preuve de la plus mauvaise volonté, en interdisant que soit transmise au gréviste de la faim Dutkiewicz une lettre dans laquelle ses amis lui demandaient de mettre fin à la grève le 27 décembre en même temps qu'eux.
Les autorités ont peur que l'instauration d'un service de remplacement n'éclaircisse les rangs des nouveaux appelés et affaiblisse la discipline de l'armée: si le travail à l'hôpital devient une alternative réelle au service militaire, l'armée devra s'humaniser pour éviter la défection de tous ceux qui sans motivations politiques préféreront travailler dans les services sanitaires. Au cours de l'année dernière, le ton des militaires de haut rang s'est fait de plus en plus violent. Au VIième plénum du Comité Central, le chef de la direction politique de l'armée, le général Szadlo a annoncé que les autorités prendraient des mesures décisives contre ceux qui affaiblissent la défense du pays; le général Jaruzelski a, quant à lui, déclaré lors d'une émission de télévision (une rencontre avec des jeunes à laquelle le pouvoir a fait une grande publicité) qu'aucun pays ne pouvait renoncer à ses soldats et que seuls les pantouflards refusaient de servir. D'un autre côté, un pays qui se prétend civilisé ne peut s'obst
iner à maintenir une législation clairement répressive. Les commissions de recrutement tentent donc de convaincre les appelés réticents, ou de s'en débarrasser en leur proposant (au mépris de la loi) d'aller travailler dans une mine ou de faire leur service dans la défense civile. On les dirige également vers des commissions de santé ou bien alors on repousse leur incorporation à plus tard. C'est la direction centrale qui sélectionne ceux qui iront en prison. Les autorités militaires l'ont clairement admis au procès de Jacek Borcz de Kolobrzeg.
Depuis l'automne 1986, le WiP a eu connaissance de 108 refus de servir sous les drapeaux (sur trois incorporations). 22 de ces objecteurs ont été emprisonnés, dont 12 pour peu de temps (six ont été remis en liberté, six ont accepté d'aller faire leur service dans la défense civile). 7 ont été autorisé à faire un service de remplacement, 1 a été porté sur la liste des réservistes, et 5 ont cédé et sont allés faire leur service (parmi ces cinq, un a été rapidement renvoyé car il continuait à poser des problèmes). Les autres empêchent les fonctionnaires de l'armée de dormir. Les témoins de Jéhovah sont dans une situation plus difficile encore car leur religion leur interdit même le service de remplacement. Le Général Michalik, chef adjoint de la direction politique de l'armée, a cependant affirmé lors d'une rencontre avec des jeunes au club des intellectuels catholiques de Varsovie qu'un tiers seulement des témoins de Jéhovah finissent par échouer en prison; les autres, moins orthodoxes, accepteraient un compro
mis. Cette information semble plausible: le WiP connaît les noms de 18 témoins de Jéhovah qui se trouvaient en 1987 en prison pour avoir refusé d'accomplir leur service militaire.
Il semble peu probable que les actions de décembre infléchissent la politique des autorités à l'égard des objecteurs de conscience. Deux habitants de Przssnysz (Wojciech Wiksinski et Wieslwo Soliwodski) ont été élargis le 14 et le 16 décembre après avoir été condamnés à deux ans de prison avec sursis et une amende, et après avoir accepté de servir dans la défense civile; Mark Czahor de Gdynia a été acquitté le 21 décembre, mais Krzysztof Gotowicki de Gdansk et Kazimierz Sokolowski de Gerzow Wielkopolski ont été arrêtés, respectivement, le 25 et le 29 décembre. Enfin le Tribunal de la Marine de Guerre de Gdansk a condamné le 31 décembre Piotr Bednarz à trois ans de prison. Le fait qu'un autre objecteur de conscience, Joachim Pawliczek de Zdzieszowice près d'Opole, ait obtenu l'autorisation de faire un service de remplacement à l'hôpital confirme l'absence de toute espèce de règle dans ce domaine.
Le fait que les critères qui président à l'octroi du service de remplacement ne soient nulle part définis arrange le pouvoir et tout donne à penser qu'il maintiendra cet état des choses. Tant que l'autorisation d'accomplir un service de remplacement dépendra du bon vouloir du chef de la commission de recrutement, chaque objecteur de conscience devra s'attendre à être éventuellement arrêté. La possibilité d'intimider les appelés n'a pas de prix pour la direction militaire, au point de compenser les désagréments que lui causent le maintien des objecteurs de conscience en prison et les actions en leur défense.