SOMMAIRE: Un appel au peuple israélien de "tendre la main" à ses ennemis, même à risque de sa propre survie, afin de trouver une solution aux conflits en cours. Une solution basée sur les principes de justice enseignés au monde par la culture hébreuse.

(IL CORRIERE DELLA SERA - MILAN - 13 AVRIL 1988 - Nouvelles Radicales N.2 - Mai 1988)

La vie suspendue entre deux journaux télévisés, je vais et viens dans mon laboratoire, incapable de travailler. Je cherche dans le concert des exécrations les quelques rares voix honnêtes, qui rappellent l'"avant" non pas pour excuser, mais pour expliquer l'"après", et je collectionne les coupures de ces rares parents de la pensée, maigre album de famille. J'ai renoncé à la parole depuis des années, mais mon silence est toujours plus rempli des choses non dites. La certitude que personne ne m'écoutera, l'urgence d'écrire à tous.

Frères d'Occident

Frères d'Occident. Les svastika recommencent à salir vos murs. Avant de parler, nettoyez-les.

Frères Yankees

Frères Yankees. L'étoile de David n'est pas une étoile du drapeau américain. Israël est seulement une miette de la grande fouace moyen-orientale. Qu'est-ce que vous attendez pour vous mettre à table avec les russes? Plus le temps passe, plus la miette durcit. Elle finira par rester calée dans la gorge de quelqu'un.

Frères russes

Frères russes. Jamais vous n'avez été aussi discrets que depuis qu'ils vous ont donné la parole. Trop à faire entre les arméniens et les afghans ou désir d'apparaître neutres en vue de l'hypothétique conférence internationale? Aurez-vous une stratégie plus efficace que celle du silence: laissez sortir vos juifs, Israël y reconnaîtra des titres moraux pour proposer au Moyen-Orient une paix qui vous satisfasse vous aussi.

Frères des gauches

Frères des gauches. Votre sensibilité au calvaire palestinien a des accents sublimes, et des racines malsaines. Entremêlés dans un christianisme que vous croyez avoir évacué, trop nombreux sont ceux parmi vous qui sont encore convaincus que la vocation des Juifs soit celle d'habiter exclusivement l'histoire des autres. Malgré l'holocauste vous continuez à douter de la nécessité d'un Etat juif. Levure de vos cultures durant des siècles, notre volonté de redevenir pain vous semble innaturelle. Je demande alors: après combien d'années l'esclave perd-il le droit à la liberté et l'exilé à la patrie? Deux mille sont peut-être trop? Sommes-nous tombés sous le coup d'une prescription? Et encore: pour qu'un peuple soit l'habitant légitime d'une terre faut-il qu'il l'ait conquise par l'épée, la charrue, le temps, l'argent ou un vote international? Choisissez: Israël a été désiré ardemment dans la durée ("l'année prochaine à Jérusalem" prière bimillénaire de Pâque), racheté avec de l'argent (troncs du KKL), bonifié ave

c les charrues (Kibboutz), défendu avec l'épée (quatre guerres en quarante ans), et sanctionné par un vote des Nations-Unies (29 novembre 1947. 33 voix pour, 13 contre, 10 abstentions). Si Sanson donne aujourd'hui des bastonnades à l'aveuglette c'est aussi par la faute de votre complaisance à l'égard des Philistins (Palestine dérive de Falastin, Philistin).

Frères chrétiens

Frères chrétiens. Votre sauveur est né du sein d'une de vos femmes. L'antisémitisme du sein de votre Eglise. Il n'y a pas de visite de Pape qui ne puisse nous le faire oublier. Que Sa Sainteté reconnaisse l'Etat d'Israël, et les jugements de son troupeau commenceront à avoir pour nous quelque valeur.

Frères musulmans

Frères musulmans, fils comme nous d'Abraham. Israël est un Pays imparfait né d'un rêve nécessaire. Si vous ne pouvez l'accepter c'est parce que vous poursuivez un rêve opposé: celui de l'Unité Arabe. Né du souvenir de vos splendeurs passées, il fut votre ciment durant les siècles d'humiliation coloniale. Avec la fin de celle-ci, il a sombré. Le "Monde Arabe" n'existe pas. Seuls existent des pays arabes, aux régimes incompatibles, plus ou moins liés par une même foi, et par une même mauvaise foi à l'égard d'Israël. Votre but n'a jamais été celui de donner une patrie aux Palestiniens, mais d'empêcher aux Juifs d'en avoir une. Parce que nous fûmes dans votre histoire ce que les femmes furent dans vos familles - des sujets de second ordre, sans droit de parole - notre désir d'émancipation vous a semblé, à vous aussi, scandaleux, contre nature. Incapables d'expulser Israël de votre corps géographique vous avez expulsé les juifs de votre corps social. Vous les avez contraints à la fuite. Ainsi faisant vous avez co

nfirmé la vocation au refuge d'Israël; vous avez accru les effectifs de votre ennemi; vous vous êtes privés d'un des arguments les plus porteurs de la propagande arabe: Israël, écharde occidentale. Aujourd'hui la population israélienne est constituée aux deux-tiers de réfugiés des Pays arabes, ou comme le dit Sa Majesté Hassan II du Maroc, d'arabes de religion juive. Les Palestiniens sont restés votre dernière carte. Vous les avez chargés comme une bombe à retardement: avec un "timer" générationnel. Devenue elle aussi trop difficile à manipuler, vous l'avez abandonnée sur le terrain. Aujourd'hui elle explose en chaîne, partout.

Frères Palestiniens

Frères Palestiniens. Les camps dans lesquels vous êtes nés sont l'oeuvre d'une volonté précise. Les actes terroristes de ceux qui s'érigent en paladins de votre cause ne font que retarder votre libération. Il est plus commode de discuter avec un ennemi sincère que de prêter foi à des leaders à la fausseté confirmée. Aujourd'hui vous êtes seuls devant Israël. Regardez bien cet adversaire exécrable. Il ne s'en ira jamais. Pour deux raisons: Israël est le seul pays au monde où sale juif veut dire juif qui ne se lave pas. C'est le seul dans lequel les "envahisseurs" retrouvaient les tombes de leurs ancêtres quand ils fouillaient le sol de la terre occupée. C'est en outre le seul de cette partie du globe dans lequel on peut voter, s'exprimer librement, et aussi absurde que cela puisse sembler, le seul dans lequel vous avez encore quelques amis. Est-il trop tard pour les appeler à l'aide? J'espère que non. Je prie pour qu'il n'en soit pas ainsi. Dieu, auquel je ne crois pas, auquel je crois, auquel je peine à croi

re, s'il est vrai qu'un jour tu arrêtas le soleil, arrête pour un instant la moviola des siècles. Fige en l'air pierres, balles et bâtons. Les hommes ont peut-être encore quelque chose à se dire, et moi deux mots à dire aux miens.

Ecoutes, Israël

Ecoutes, Israël. Ton Dieu Eternel est Un, et tous les enfants de la planète sont ses fils. Il n'y a pas selon moi de coquille dans la Bible: toi, tu n'es pas le peuple élu mais le peuple électeur. Tu as élu Dieu Président de ton histoire pour l'éternité, et si tu as survécu jusqu'en nos jours alors que tant de civilisations ont disparu, c'est parce que tu as été fidèle à ses Lois. Il t'ordonne de te défendre mais aussi d'aimer. Aimer: s'assumer la responsabilité du prochain. Ton prochain est là devant toi. Il a démoli ton image aux yeux du monde, volé tes amis, tué tes fils, et il s'est servi des siens comme ameçon.

Regardes bien, Israël!

Regardes bien, Israël! Cela se passe pour les peuples comme pour les enfants. Certains s'adonnent à une vie violente par manque de parents attentifs à leurs besoins. Avant toi, Israël, les Palestiniens comme Nation, n'existaient pas. Ils sont nés de t'avoir vu naître, ils ont crû à l'ombre de tes victoires, et si aujourd'hui ils crient qu'ils veulent tout, même Tel Aviv et Haifa, c'est plus par désespoir que par conviction: ils n'ont plus rien. Je sais, ils auraient pu se tenir ce morceau de terre assigné par l'ONU en 1947. Mais qui dans l'histoire se trompe dans ses calculs ne peut être pénalisé éternellement. Je sais, il n'y a personne avec qui parler. Tous les palestiniens modérés sont plus ou moins sous l'emprise de l'OLP, et l'OLP prévoit encore dans son statut, la liquidation de l'Etat d'Israël. Je sais, il n'existe dans toute l'histoire de la diplomatie de cas d'un Etat souverain disposé à traiter avec qui se préfigure sa destruction. Je sais, le monde te demande l'impossible: trouver, au risque de ta

survie, une solution qui s'appuie sur la morale que tu as toi-même enseignée au monde et que celui-ci transgresse partout chaque jour. Le monde qui n'a pas eu pitié de toi, prétend de toi la pitié pour qui n'en a pas eu et qui demain n'en aura probablement pas. Essaye quand même. Nous sommes habitués aux miracles. Et aujourd'hui les miracles sont le fait des hommes qui d'un geste inattendu détournent le cours de l'histoire. Tends la main, Israël, même s'il n'y a personne pour la serrer, et prends le monde à témoin de cette main tendue. Finalement on saura qui tu es: non pas une écharde occidentale plantée dans le coeur du Monde Arabe, mais la pointe de diamant du Moyen-Orient dans le monde. Shalom, Salam.