par Gianfranco SpadacciaSOMMAIRE: Dans une époque de recrudescence de racisme et d'intolérance, et dans laquelle il est urgent d'affirmer la nécessité de s'opposer à la violence, le fait d'avoir ou de ne pas avoir Gandhi comme symbole du PR revêt une grande signification.
Considérant par conséquent que le fait de ne pas l'avoir adopté comme symbole du parti transnational a été une grande erreur, l'auteur analyse les divers motifs de ce refus qui cache à son tour un refus latent de la nonviolence politique.
(Actes de la Rencontre "Les Radicaux et la Nonviolence: une méthode, un espoir", Rome 29-30 Avril 1988)
En vous remerciant de m'avoir invité à cette rencontre que j'estime très importante, je vous prie de m'excuser si j'arrive devant vous sans relation écrite, et par conséquent sans une réflexion plus approfondie.
Malheureusement nous sommes toujours destinés à sacrifier le temps et les occasions de réflexion à l'urgence continue de "l'action": et souvent, nous avons la sensation que "l'action" est c'est aussi faire toute une série de petites choses qui toutes ensemble peuvent avoir une signification, mais chacune d'elles est quelques fois terriblement insignifiante, pénible et stupide. Excusez ce défoulement, mais lorsque l'on se débat au milieu de dizaines de coups de fil, de sollicitations, on a comme la sensation d'être une espèce d'entonnoir dans lequel tout arrive en même temps et produit un engorgement... et le sentiment d'impuissance devient insupportable: et franchement il devient difficile de se libérer de cette condition et de la surmonter... personnellement, je n'y arrive pas, et je ressens fortement cette frustration.
Cette rencontre est très importante. J'ai appris par les notes que j'ai lues - je n'ai pas pu participer hier - que Giovanni Negri a dit qu'une sorte de ghetto pèse sur cette rencontre, où il flotte déjà un air de "minoritarisme" et un danger de défaite des nonviolents. Je crois que cela est juste, vrai. Et pour donner un sens, une dimension à cette rencontre, je crois que la référence que nous devons faire est une référence à la violence et à l'intolérance qui grandissent. Faisons donc attention à cette habitude de relire les mots et de dire que le nonviolent doit-être intolérant... parce que si entre-nous, nous nous comprenons, nous ne devons pas créer d'équivoques, dans une époque où l'intolérance gagne du terrain; la violence de l'Iran et de l'Irak, sous forme de guerre, que nous pouvons refouler uniquement parce que c'est une guerre entre arabes (comme le disait Marek Halter); ou la guerre plus proche, du Moyen-Orient, dans les territoires occupés, d'Israël et de l'Olp. Ou bien encore la guerre que
nous refoulons parce qu'elle est plus proche, appartient directement à notre histoire, tout aussi aberrante, angoissante, alarmante, parce qu'elle nous dit qu'en réalité nous ne nous sommes pas libérés - nous-autres de culture judéo-chrétienne, de l'Europe démocratique de la Révolution française et de la Réforme - de cette violence: le cas irlandais.
Et nous devons nous méfier de ce racisme européen qui renaît, et que Marek Halter - qui en tant qu'intellectuel juif le ressent encore davantage - nous indique avec S.O.S. RACISME... le racisme qui revient. Et ce n'est pas seulement le racisme de Le Pen, qui séduit tant de monde en France; et ce n'est pas le neo-racisme annoncé tout de suite, dans le sillage opportuniste des succès de Le Pen, par le secrétaire du MSI, Fini, (Mouvement Social Italien), mais le racisme latent et profond qu'il y a en nous. N'oublions pas que nous avons une loi, une clause de sauvegarde de la Convention sur les réfugiés politiques, par laquelle l'Italie se libère de la possibilité, du droit, du devoir de donner à ceux qui le demandent l'asile politique, parce qu'elle s'est réservée le droit d'accorder l'asile politique uniquement aux blancs de l'Est européen. C'est le pays que tout homme politique, de culture, prêtre, savant, intellectuel, que vous rencontrez, vous dira qu'il est "libéré du vice du racisme"... mais le racis
me nous l'avons au contraire dans nos lois et dans notre gouvernement.
Faisons donc attention à nous poser des problèmes qui soient toujours d'absolue cohérence... Voilà, je me méfie toujours de ceux qui ont besoin de s'imposer un système de cohérence: heureusement nous sommes pleins de contradictions; la vie elle-même est une contradiction. La prétention de... ne pas surmonter, mais de briser les contradictions, c'est la mort et non la vie: et alors la recherche de ce système de cohérence, de trouver des "justifications" à la violence... elle est belle la justification du violent qui "s'oppose à la violence du pouvoir", quel besoin il y a de le faire... tout le justifie. Mon problème est de dire que même cette violence n'est pas justifiée: et elle n'est pas justifiée même si elle paraît juste, parce qu'à son tour elle justifie, légitime la violence du pouvoir. Et alors la force de notre Préambule c'est justement cela, Bruno: que nous avons affirmé de manière presque provocatoire cette nécessité de s'opposer de toutes façons à la violence; et pour s'opposer à la violence d
e l'adversaire il faut avant tout détruire sa propre violence, refuser sa propre violence: c'est l'élément de force de la nonviolence, de l'unique nonviolence qui m'intéresse, la nonviolence politique. Puis, bien sûr, il y a les non-violences - très nobles de caractère moral ou religieux, individuelles ou collectives - des végétariens ou des non-violents qui pensent être nonviolents uniquement s'ils arrivent à faire attention à ne pas tuer les fourmis...; et ce sont des choses que je respecte infiniment: mais on peut faire attention de ne pas "estropier" les fourmis, et - à force de respecter les fourmis - on arrive à essayer de comprendre comment désarmer la violence autour de nous, et qui risque de détruire l'humanité et le monde dans lequel nous vivons.
Je dois vous dire franchement que je considère comme une grande défaite, la nôtre et celle du Parti Radical, le fait de ne pas avoir réussi à avoir le symbole de Gandhi au moment de la refondation transnationale du Parti. Je ne sais pas encore si cela est dû uniquement à un moment d'égarement, de crise d'identité, au moment de la refondation, au moment où l'on sentait qu'on larguait les amarres de ce "territoire national" pour prendre une route sans retour, une difficile transition vers le "non-connu" qui est toujours alarmant... et alors on s'accrochait au vieux symbole auquel on était obligé de renoncer (parce que sur le plan européen c'était un symbole qui s'adressait uniquement aux socialistes qui l'avaient déjà, c'est un symbole socialiste...), et l'on disait non à Gandhi parce qu'on s'accrochait à notre identité perdue. S'il en est ainsi ce n'est pas grave, nous avons encore le temps de remédier à cette épouvantable erreur: qui nous coûte en terme de retard, parce que pour un parti comme le nôtre
le fait d'être reconnaissable est essentiel, et la communication de nos idées, de nos valeurs, de notre politique, est fondamentale.
Il ne faudrait pas par contre que, de manière latente, il y ait une sorte de refus de la nonviolence politique, de cette composante de notre histoire radicale des vingt-cinq dernières années. Parce que, bien sûr, parmi les objections qui ont été faites sur le symbole de Gandhi, certaines appartiennent à la tradition précisément de la nonviolence intégraliste, provenant des nonviolents ou des anti-gandhiens; respect de Gandhi parce qu'il était la nonviolence, mais il était aussi autre chose, il était la chasteté, il était les Veda et non pas le message chrétien, il était son milieu historique, politique, etc... Mais avec ce raisonnement on ne tient pas compte du fait que la vie des hommes est faite de moment divers, moi-même j'ai changé tant de fois! Le Gandhi d'aujourd'hui serait sûrement différent. Le Gandhi qui devrait tenir compte de l'histoire de l'Asie post-coloniale, serait un Gandhi différent de celui qui a eu pour interlocuteurs l'Empire Britannique et ces musulmans et ces hindous qu'il espérait
unifier dans l'Inde nouvelle. Et alors, qu'il s'agisse des amis de Bhagwan, lesquels disent que Gandhi était autoritaire et chaste, ou qu'il s'agisse des nonviolents, lesquels disent que par respect pour Gandhi on ne peut prendre Gandhi uniquement pour la nonviolence politique, mais qu'il faut le prendre pour tout, du végétarisme à la toile qu'il filait, et par conséquent au neo-paupérisme qui reproposait une image révolutionnaire et réactionnaire... dans le sens qu'il y avait un fondamentalisme et traditionalisme hindouiste qu'il prétendait essayer, dans le sillage - du reste - de tant de révolutionnaires qui recherchaient encore les communautés agricoles au début du XXè Siècle, non seulement en Russie mais aussi en Europe: bien, ces objections ne me préoccupent pas, elles sont de caractère idéologique et pour cela très fragiles. Par contre, ce qui me préoccupe davantage, ce sont ces autres objections sur l'histoire de l'image: "Il faut refuser la figure humaine, quelle qu'elle soit", comme si la figure hu
maine, son image, n'était pas elle aussi un signe de reconnaissance d'une idée, lorsque cette identification entre figure et idée est justifiée, et qu'il n'est pas moral par conséquent de l'utiliser et de la valoriser. Et le fait de ne pas l'avoir fait, dans une situation où le gandhisme inférieur risque de se reproduire, et qu'il risque de se reproduire des lectures anti-gandhiennes de Gandhi, nous avons en réalité offert à nos adversaires - c-à-d, à ceux qui l'aviliront, qui en feront un usage propre pour en émousser le caractère révolutionnaire et rénovateur - nous leur avons offert l'arme de l'image de Gandhi... précisément à ces possibles adversaires et adversaires aussi de la véritable nonviolence révolutionnaire: à ceux qui utilisent Ernesto Rossi contre les radicaux, tout comme ils utilisaient Salvemini contre Rossi, dans un jeu que nous connaissons très bien et auquel nous nous sommes prêtés. Et comme je ne suis pas un paternaliste - j'aime beaucoup Bruno et lui-aussi m'aime bien - je dis que Bruno
a eu sa part de responsabilités dans tout cela, en offrant cette arme que nous pouvions demander à la figure, à l'image, à l'histoire de Gandhi, à nos adversaires et ceux de Gandhi. Plus grave encore l'histoire de l'image comme "idolâtrie possible"... Si l'on dit que Gandhi on n'en veut pas parce que Gandhi théoriquement on ne l'accepte pas, parce que l'on n'accepte pas la nonviolence ou parce que l'on craint que le choix nonviolent du Parti Radical puisse léser, à certains moments, certaines données de résistance violente auquelles par exemple l'Etat d'Israël est contraint, alors nous affrontons le débat sur cela: mais sans demi-mesures, et sans masques.
Parce que cela ne fait aucun doute: les moments sont difficiles, les situations sont celles que j'ai énoncées, et avoir ce symbole ou ne pas l'avoir... fait la différence. Au moment où Le Pen revient, nous avons vu des choses terrifiantes se produire en Irlande, de part et d'autre: parce que pour la première fois le Royaume-Uni s'est entaché de délits comparables à ceux de ses adversaires, alors que jusque-là - malgré la surdité morale devant les jeûnes - il avait gardé un élément de supériorité politique. Mais je voudrais rappeler un fait très important: lorsque pour la première fois, lors d'une manifestation antinucléaire, en Allemagne, deux agents ont été tués, le mouvement des Grunen a été secoué par un débat, on a discuté pour la première fois de nonviolence en tant que choix idéal, de principe, outre le choix tactique. Parce que, bien sûr, tout le monde, aujourd'hui, est capable de faire une manifestation nonviolente, tout en se réservant mentalement de lancer des bombes ou de se saisir d'un pisto
let ou d'un fusil, demain. Je ne reviens pas ici au passé, je ne me penche pas sur notre histoire, parce que je n'en ai guère le temps: mais je veux dire que parmi tant de choses importantes, de notre choix nonviolent, qui nous ont aidé à comprendre, à être révolutionnaires à notre façon et à faire de la culture et à produire des réformes et à conquérir des données de droit et de libertés nouvelles, au-delà de tout cela, notre choix nous a donné un instrument fondamental de dialogue.
Mais vous imaginez ce que nous aurions pu dire aux dizaines et dizaines de milliers de personnes, de jeunes, qui après 1968 adoptaient - influencés par cette culture de droite et de gauche - le choix et les mythes de la violence révolutionnaire, de la violence armée, et même du martyre de la violence, parce qu'ils empoignaient les armes pour tuer, mais sachant aussi qu'ils pouvaient l'être, procurant ainsi de nouveaux héros aux adversaires et de nouveaux martyrs sur lesquels fonder la révolution; mais vous imaginez ce que nous aurions pu dire aux camarades des Brigades Rouges... La force de notre dialogue résidait justement dans notre clarté théorique, et pratique, du choix nonviolent; et par conséquent, aussi, il est vrai, de notre capacité de vivre la démocratie, mais avec le crétinisme parlementaire ou avec "démocraticisme", et non pas avec le réalisme de l'acceptation du fait accompli et du droit injuste - et c'est ce qui fait la différence - avec la valeur ajoutée du nonviolent à vivre, activer, pr
omouvoir, créer, utiliser la démocratie.
Nous pouvions alors parler aux camarades assassins des Brigades Rouges... et nous pouvions être acceptés, sur le moment, dans la contingence, par la presse qui utilisait tout cela pour nous dire que nous étions "contigus" aux Brigades Rouges, ou complice des Brigades Rouges... En réalité c'était un moment de lutte politique, d'affrontement, qui a eu - certes! - des contiguités dans lesquelles nous avons commis des erreurs, dans lesquelles nous avons eu des camarades qui ont risqué de vivre comme complicité ou comme indulgence cette "contiguité"; mais en réalité ce qui en est sorti c'est un dialogue que je crois fructueux, puisque tant de camarades qui proviennent de cette expérience se sont retrouvés (j'espère non de manière tactique, opportuniste, momentanée) au Parti Radical de la nonviolence... si les différents membres qui avait cru en la violence peuvent trouver ici et aujourd'hui la légitimité - de Franceschini à Bignami, à Vesce. Et, dans ce caractère de la nonviolence, comme élément qui est au c
entre de la dialectique et qui a d'un côté la contestation de la loi injuste, ou même d'un ordre injuste, et de l'autre le fondement de la préparation, de la fondation du nouvel ordre, de la loi, l'espoir de la fondation d'une nouvelle légalité: Pasolini l'avait compris lorsque, parlant aux objecteurs, il disait que la désobéïssance est en réalité le fondement d'une nouvelle obéïssance; on obéït ou l'on objecte au nom de sa propre conscience à la loi injuste qui viole, précisément, notre propre conscience, et l'on crée les fondements de la nouvelle... et c'est déjà l'obéïssance à la nouvelle loi, que l'on ressent comme impérative dans notre propre conscience.
On parle beaucoup de religiosité, et nous sommes souvent attaqués - nous-autres nonviolents - avec l'accusation d'avoir des composantes religieuses, d'exprimer des formes de mysticisme inférieur, d'ascèses inavouées. Je ne refuse pas tout cela; parce que, certes, il y a un élément de conviction religieuse, et il ne faut pas aller très loin pour chercher cette religiosité, qui est une religiosité laïque: il suffit de rappeler Benedetto Croce. On peut juger de plusieurs façons, mais cette affirmation de la "religion de la liberté" a été une intuition profonde. Quant à Gandhi - parce qu'il y a un aspect non pas privé mais personnel, donc politique, des propres choix, et que l'on ne vit pas la vie d'un révolutionnaire s'il n'y a pas derrière de profondes convictions - Gandhi dans ses pages non pas privées mais personnelles, dans lesquelles il parle du rapport avec le christianisme, en Afrique du Sud mais surtout en Angleterre, de ses amitiés avec des chrétiens, de la lecture de l'Evangile, et puis la redéc
ouverte des Veda qu'il avait lu étant enfant, et la justification qu'il n'avait pas éprouvé le besoin de se convertir au christianisme parce que dans les Veda il a trouvé l'essentiel de l'enseignement de Jésus... je crois que ce sont-là des choses très importantes: des choses personnelles et non pas "privées", parce que je ne refuse certainement pas cet aspect religieux, même au sens laïque du droit naturel qui a été des années durant opposé au droit positif par des juristes catholiques réactionnaires: Le ius naturalis, la doctrine philosophique politique affirmant l'existence des droits naturels, qui était opposée - au nom des valeurs de la tradition - au droit positif. Et je crois moi-aussi qu'en termes théoriques nous sommes l'unique parti qui l'ait compris, et - dans le préambule - il a eu le courage de le clarifier, lorsqu'il a écrit: la Loi c'est la loi du "Parti Radical"; quelle loi? Celle des droits de l'Homme, les normes fondamentales de la Constitution, qui sont devenues des droits positifs, du moi
ns en termes d'affirmation de principe, mais qui sont la loi de la nouvelle humanité, violée partout; c'est la donnée que j'ai cru bon de souligner, parce qu'elle me semble très importante.
Nonviolence et Droit, nonviolence et information, et le problème de savoir si la nonviolence est possible là-où il y a un régime dictatorial... On observe que Gandhi a pu être nonviolent en Afrique du Sud (dans la période de domination britannique et non pas de la réaction Afrikaner) et puis dans l'Inde de l'Empire Britannique, parce qu'à la fin l'Empire Britannique - qui reconnaissait des droits politiques réduits de moitié aux sujets hindous de Sa Grâcieuse Majesté - reconnaissait à eux aussi le droit civil au procès anglais: par conséquent ce sujet pouvait demander le droit procédural, et lorsqu'il arrivait - ayant violé la loi injuste - à avoir un procès, il pouvait mettre en route les contradictions entre juste procès et juste juge et la loi injuste; et ces contradictions pouvaient déclencher l'information en Inde mais c'était surtout l'information dans le Royaume-Uni et dans les contradictions morales, politiques et religieuses de la classe dirigeante anglaise. Tout cela est certes vrai: pour auta
nt qu'elle puisse trouver une justification, la nonviolence se justifie toute seule, et il reste le fait qu'elle légitime théoriquement la violence des adversaires - pour autant qu'elle puisse être justifiée dans les faits. C'est précisément cela, le motif pour lequel il faut la refuser.
Le monde, aujourd'hui, est un monde de communication globale, où les problèmes du Chili rebondissent dans le reste du monde et influencent le Chili... les problèmes de n'importe quel état peuvent rebondir dans les autres et revenir sur cet Etat en termes de renforcement de la situation. Je n'ignore pas - Pannella le rappelait - que ces choses doivent-être vues de manière relativiste, par conséquent de l'histoire: Gandhi a gagné en faisant conquérir à l'Inde une révolution nonviolente face à l'Empire Britannique, et il a perdu lorsqu'il a essayé d'empêcher le conflit religieux entre hindous et musulmans qui l'avaient pourtant suivi, les uns et les autres, dans le choix de la nonviolence... même s'il y avait eu de violentes composantes dans la révolution indienne. Et je dois dire ici: attention, avec cette exhumation acritique que l'on fait quelques fois; attention aux simplifications de cette culture orientale, et qui fait croire que tout ce qui vient de la culture orientale est bon. Ces millions de mort
s... bien sûr nous-autres nous avons une idée fausse du boudhisme, de l'hindouïsme, comme s'ils étaient absolument tolérants, et nous avons une vision simplifiée et erronée de Gandhi; il est vrai que Gandhi, la majeure partie de sa nonviolence il l'a apprise dans son rapport avec la culture occidentale, et que chez Gandhi il y a des composantes actives (parce que le nonviolent est actif, et non passif: le nonviolent ne subit pas la démocratie mais il "crée" la démocratie; il ne subit pas la loi, mais il viole la loi, et lorsqu'il l'a violée, il ne se cache pas, mais il demande à ce que la loi le punisse pour l'avoir violée, si bien que cela devient un patrimoine collectif de connaissance et de révolte contre la loi) et je crois que cela n'a rien à voir avec la passivité de la culture orientale. Il faut les dire ces choses-là. Comme il faut considérer que la culture orientale a en soi des éléments de tolérance plus importants: les hindouistes ont été, dans leur lutte contre lers musulmans, beaucoup plus féroc
es que les musulmans. Nous n'avons pas la tradition des "Maman-les-Turcs"; et ici Marek Halter a raison qui disait hier: "comme le juif pour nous est l'usurier, l'arabe est toujours le Maure, le Iago... lorsqu'il n'est pas violent et sanguinaire, c'est l'infidèle emberlificoteur".
J'ai lu Bhagwan, cette "Bible de Bhagwan", Dieu nous en préserve! Je suis un voltairien, je veux rappeler que je me bats pour que Bhagwan vienne en Italie, et je me retrouve dans cette situation cocasse: si je contestais une idée de Bhagwan, il me semblerait être du côté de ceux qui empêchent son entrée dans nos frontières... cependant c'est une chose qui me reste en travers, car il a accusé Gandhi d'être masochiste. Certes, il y a toujours des composantes psychologiques individuelles, mais le problème est de savoir quel type d'expression nous donnons à ces composantes: il se peut que Gandhi ait été masochiste, même s'il ne me semble pas qu'il eût toujours cette particulière vocation, mais il faut voir comment nous exprimons ces composantes de manière positive plutôt que négative. J'ai trouvé dans cette liquidation des jeûnes et de Gandhi, quelque chose qui me fait trouver très important le fait que ces jours-ci notre camarade Majid - que nous avons connu comme Andrea Valcarenghi (de son vrai nom) - ait
adopté cet instrument de lutte pour Bhagwan, qui est lui aussi un refuznik, s'il est interdit de séjour à cause des ses idées et non pas parce qu'il a commis des délits.
Je vais conclure car il me semble avoir dit tout ce que j'avais à dire.
Nous nous trouvons dans un moment difficile, très dur: parce qu'il est dur de construire le parti transnational.
Et je voudrais dire que le parti transnational doit-être quelque chose de plus qu'une exigence morale: si nous décidons de faire le parti transnational c'est parce que nous éprouvons le besoin de représenter des états, des lois, qui ne soient plus nationaux, mais transnationaux, c-à-d, quelque chose qui soit aussi et déjà - dans le respect des démocraties nationales - la contestation de leur insuffisance, la prise d'acte de leur condamnation, s'ils n'arrivent pas à se dépasser, de leur défaite en tant que démocraties. D'où la necessité: on n'est pas transnationaux si on n'est pas également nonviolents, si au moment-même où l'on perçoit l'inadéquation des démocraties nationales à gouverner les problèmes de notre temps, on ne préfigure pas - donc on n'affirme pas - la nouvelle légalité à la fois "supranationale" (celle des Etats-Unis d'Europe) et "transnationale": à savoir les instruments de gouvernabilité qui peuvent faire cesser la violence des individus, qui sont hélas le signe d'incivilisation et non
pas de civilisation. Je réfléchissait l'autre jour, toujours dans le but de ne pas présenter sous des traits infâmants ceux qui se trouvent en face de nous, que si nous pensions aux "têtes rondes" (extrémistes religieux) ou à des prédicateurs de guerres de religion, si nous pensions aux luttes même verbales, théoriques, religieuses, entre Luther et Erasme, et entre Luther et les théologiens contre-réformistes de l'Eglise de Rome, ou aux Cardinaux de l'Inquisition... peut-être que Khomeini nous apparaîtrait moins vilain, peut-être que les fondamentalistes islamiques nous apparaîtraient moins vilains. Un siècle après Cromwell (qui prétendait résoudre les problèmes, lui-aussi, par la violence et la dictature) on réafirme sur le plan de la praxis de l'expérimentalisme britannique le fait qu'entre Whigs et Torries il ne faut pas s'entre-tuer: mais lorsque les uns prennent le pouvoir, les autres sont à l'opposition et ils attendent le moment de prendre le pouvoir sans s'exterminer à chaque fois, et la démocratie n
aît de ce petit et pacifique accord. Un siècle avant la Révolution Française, la classe dirigeante anglaise née du conflit entre presbytériens, minorités religieuses, et l'Eglise Anglicane, trouve ce compromis très pratique. Et qui nous dit qu'entre les neo-sunnites et les neo-scythes il n'arrive pas quelque chose de démocratique d'ici un siècle ou deux? En attendant il y a un petit détail: par rapport à autrefois, le temps ne peut plus se mesurer en siècles ni en générations. Nous vivons dans un monde dans lequel les équilibres doivent-être reconquis, et un système de civilisation doit-être mis en place, affirmant la nonviolence. La conscience dramatique de notre temps est que le temps est court et ne peut aller de pair avec les temps longs de l'histoire; et je crois que c'est l'élément de forte différence, que l'apocalypse se présente malheureusement en termes historiques de possibilité, et non de terreur de l'obscur, de terreur de l'inconnu.