de Gianfranco SpadacciaSOMMAIRE: Ci-dessous les paroles prononcées au nom du Parti Radical par le sénateur Gianfranco Spadaccia, lors des funérailles d'Enzo Tortora.
(Nouvelles Radicales N.3 - Juin 1988)
Enzo, on m'a confié cette tâche difficile. En général, dans ce genre de circonstances, j'aime écouter et prier à ma manière, comme je sais et comme je peux, laïquement, à travers la réflexion et le souvenir, pour trouver dans l'évocation du passé la force pour le futur.
Je dois le faire maintenant à haute voix parce que m'ayant dit au dernier moment de parler, je n'ai rien préparé.
Un mois, cinq ans nous séparerent de ce terrible 17 juin 1983. Durant ces cinq ans, tu as connu de tout, depuis que ces caméras de télévision que tu avais servies si fidèlement ont repris avec
insistance les images de ton arrestation, montrant aux italiens leur présentateur de TV le plus connu, le plus populaire et le plus aimé, transformé en un instant en un dangereux criminel.
Durant ces cinq années, tu n'as pas été l'interprète d'une comédie à l'italienne. Tu as été le protagoniste d'une grande tragédie, d'un drame authentique. Tu as été à la hauteur du rôle, Enzo. Même ceux qui non sans suffisance et parfois avec dédain et mépris te faisaient passer pour l'homme du sentimentalisme facile - et sous-entendu faux - uniquement parce que tu savais parler aux sentiments des gens, doivent maintenant le reconnaître.
Ils ne savaient pas, ou ignoraient volontairement que cette capacité de parler aux gens, aux sentiments des gens provenait aussi de ta culture, de tes cultures, de cette énorme bibliothèque que tu aimais tant, qui t'a donné tant de force dans les moments difficiles. Tu as été arrêté à l'improviste, tu es resté stupéfait, incrédule, tu as subi des accusations infâmes, tu as subi la solitude d'une instruction dont il était difficile, il semblait impossible même de démêler les fls. Tu as connu les arrêts "domiciliaires" parce que ta santé a commençé à se ressentir de cette épreuve. Ensuite, alors que de nombreuses personnes, même de bonne foi, même parmi celles qui te considéraient innocent, t'invitaient un peu à l'italienne à ne pas lui donner une dimension politique, tu as eu le courage, tu as eu cette capacité de transformer ton cas personnel en un cas général, en une occasion de réflexion collective et aussi de bataille politique et civile. Tu as eu le courage et la faculté de le rendre politique au sens le
plus noble de ce terme. La politique comme gouvernement de la cité, la politique comme la res publica, la chose de tous.
Et tu as honoré tes engagements. Tu as affronté le procès, la condamnation, cette condamnation ignominieuse à 10 ans de prison. Tu étais étiqueté comme un camorriste, comme un criminel, comme un semmeur de mort. Au Parlement européen, tu as eu le réconfort des parlementaires de tous les pays d'Europe qui t'avaient connu. Après avoir examiné les actes du procès, ils affirmèrent que cette autorisation ne pouvait et ne devait être concédée parce qu'en vertu des critères juridiques européens, ce procès était frappé d'illégitimité. Et ils refusèrent de lever l'immunité dont tu jouissais.
Mais, malgré cet appui, honorant les engagements que tu avais pris devant tes électeurs - personne ne le rappelle aujourd'hui et peu de gens s'en souviennent - tu as été le seul parlementaire italien qui a démissionné pour te confronter à ceux qui t'avaient condamné et qui t'accusaient de vouloir frapper la justice italienne en la rendant incapable de réagir face à la criminalité. Tu donna ce grand exemple socratique en sachant honorer la justice dans ta condition de prévenu d'abord, dans celle de condamné ensuite. Enzo, tu as su honorer la justice comme personne d'autre ne l'a jamais fait.
Tu as ensuite connu la réparation du procès en appel, l'innocentement, le retour à la vie civile. Je te dis merci, Enzo, pour avoir pu donner durant ces cinq années cette grande preuve de courage, de dignité personnelle, civile et humaine, ce grand exemple de rigueur.
J'ai lu que tu es mort sans paroles de pardon, mais tu n'as jamais prononcé de paroles de vengeance. Tu as prononcé des paroles de justice et le pardon suppose la justice. Enzo, je te dis maintenant au revoir; ciao Enzo. Finalement, tu peux reposer en paix. Tu n'as pas été touché à l'esprit, parce que ton esprit a toujours été, à chaque moment, indomptable.
C'est pour cela que tu as été touché dans la chair. Maintenant, finalement, tu peux reposer en paix. C'est à nous qu'il revient de continuer.