de Leonardo Sciascia(Il Corriere della Sera - Milan - 19 mai 1988)
SOMMAIRE: L'auteur parle de Tortora, comment il était avant et après l'injustice soufferte, de la dignité avec laquelle il a conduit sa bataille pour une justice juste.
(Nouvelles Radicales N. 3 - juin 1988)
J'ai connu Enzo Tortora à Caltanissetta en 1958. Il y avait eu,
quelques mois auparavant, un échange de lettres entre nous.
Personnellement je ne savais pas qui était cet Enzo Tortora qui, ayant lu quelques-uns de mes récits m'en faisait part de façon si
chaleureuse. Mais mes filles savaient qui il était; et peut-être que sa lettre me valut une espèce de promotion à leurs yeux. Quant à moi je ne l'ai jamais vu à la télévision.
A chacune de nos rencontres jusqu'au moment où l'injustice s'abattît sur sa vie, nous parlions de Stendhal, de vieux livres, de vieilles gravures. Ensuite, durant les dernières années, nous n'avons plus parlé que des problèmes de la justice.
J'étais une des rares personnes qui avaient tout de suite cru en son innocence, et je l'avais déclaré tout net, encaissant les reproches de quelques bien-pensants.
J'ai ensuite, comme je le pouvais, suivi et encouragé sa bataille. Une bataille qu'il a su mener de façon parfaite, avec rigueur et dignité.
Je l'ai revu après de nombreux mois samedi dernier. Il était
méconnaissable, il parlait difficilement, il souffrait atrocement.
Mais il parlait avec précision et passion dans la grande illusion que son sacrifice puisse servir à quelque chose. C'est avec cette illusion donc qu'il est mort.
Espérons que ce ne soit pas vraiment une illusion.