interview de Marco Pannella par Jacobo Garcia
(Il tiempo - Madrid - Ottobre 1988)
SOMMAIRE: A cause de la faillite du proportionnalisme il faut réformer la politique. Selon l'auteur le bipartitisme est le seul système qui a réussi, parce que la démocratie pluripartitique a produit le fascisme et le communisme au cours de ce siècle. On constate aussi la faillite du nationalisme et la nécessité de créer des partis transnationaux. En plus on parle de la situation problématique du Pr et des raisons pour s'inscrire au parti.
(Nouvelles Radicales N. 6 - Octobre 1988)
Il y a douze ans il vint en Espagne aider les objecteurs de conscience et entama une grève de la faim. Aujourd'hui il est arrivé à Madrid avec sa campagne pour dépénaliser les drogues. Dans son pays il cherche des appuis pour se faire élire commissaire de la Communauté Européenne. En plus de toutes ces batailles, il lutte pour la création des Etats-Unis d'Europe et pour maintenir à flot son Parti Radical, avec seulement quelque cinq mille affiliés.
Lors de sa précédente interview à TIEMPO, en novembre 1986, il dit que son parti, le Parti Radical, courait le risque de disparaître, qu'il fallait atteindre les chiffres d'au moins dix mille inscrits en Europe et au moins huit cent en Espagne.
EL TIEMPO: Quelle est la situation actuelle?
Marco PANNELLA: Nous continuons à être peu, cinq mille dans le monde entier, et nous avons huit cent millions de lires de dette.
E.T.: Et en Espagne ? Combien êtes-vous ?
M.P.: Seulement 103. Le problème est que s'inscrire à notre parti est un choix que seul peut faire une élite, non pas une élite aristocratique ou de pouvoir, mais une élite au bout du compte. Sans aucun doute, ce qui manque aujourd'hui ce ne sont pas les internationales de parti, mais un parti international, et moi je ne peux accepter que les hommes politiques européens ne profite pas de l'occasion pour être aussi radicaux.
E.T.: A quoi croyez-vous que l'on doive cette résistance à militer dans votre parti ?
M.P.: Je ne suis pas sûr, cependant je crois qu'aujourd'hui le pire des conformismes, le plus mortel, soit celui de la gauche. En tout les cas, pour grave que soit notre situation, elle est plus grave encore en dehors. Quelqu'un est radical parce qu'il ressent l'urgence de résoudre des problèmes comme celui de la drogue ou celui de la détérioration de l'environnement.
E.T.: Il y a douze ans que vous êtes venu en Espagne pour témoigner votre solidarité aux objecteurs de conscience emprisonnés par la justice franquiste ? Croyez-vous que quelque chose ait bougé dans l'intervalle ?
M.P.: Si nous prenons les problèmes un à un, le résultat est pauvre, cependant dans l'ensemble quelle amélioration ! On peut nourrir de grandes espérances à propos de l'Espagne, pas seulement en Espagne.
E.T.: Est-ce que les stars qui adhérèrent au Parti Radical à la suite de votre appel désespéré de fin 1986, Ionesco, Marek Halter, Savater, travaillent beaucoup pour le Parti ?
M.P.: Probablement que non. Cependant le seul fait d'avoir prêté leur nom est déjà important.
E.T.: Et Suarez, que vous voyez de temps en temps, peut-on le décrire comme un radical ?
M.P.: Et bien, Suarez... Personnellement j'insiste sur le fait que je ne sais en réalité en quoi consiste être radical. Je sais ce que c'est d'être affilié au Parti Radical. Il se peut que je sois personnellement un mauvais radical, mais je suis un bon affilié au Parti Radical. De la même manière qu'en dehors du parti il peut y avoir des radicaux excellents qui cependant sont de très mauvais militants. Parfois la chose la plus intéressante chez Suarez c'est son pragmatisme, même si cela constitue aussi une limite. Nous autres nous avons dénoncé l'idéologisme et le nationalisme comme étant le SIDA de la vie civile, des institutions. Il est alors indubitable que Suarez ne court pas le risque de tomber dans ces deux vices d'une grande partie de la classe politique. Avoir été renversé alors qu'il détenait le pouvoir, démontre qu'il l'a utilisé de manière fort civile.
E.T.: Mais cela ne fait pas de lui un radical n'est-ce pas ?
M.P.: Bien, si je pense au C.D.S. (le centre démocratique et social, ndlt), je me demande quel type de développement il peut avoir, qu'est-ce que pense Suarez, si Suarez sait et comprend la crise du parti national. A sa manière, le parti socialiste en souffre aussi. Alfonso Guerra a reproposé le problème transnational du parti socialiste, il a compris que le parti socialiste, dans ce corps énorme, s'est perdu en chemin... Guerra, Suarez, Tamanes, mais également Fraga ont le même problème.
E.T.: Voulez-vous dire que la formule "parti" est usée ?
M.P.: Je veux dire qu'aujourd'hui on a besoin d'un nouveau "carbonarisme" (1), d'une nouvelle maçonnerie, mais entendez-moi bien cependant, d'une massonerie publique, officielle, de combat. Etre organisés, unis d'un côté et séparés d'autres côtés. Ce qui est en train de s'user ce ne sont pas les partis, mais le national. Aujourd'hui le national meurt et produit la mort. Madrid ne résoudra jamais le problème basque, pas plus que Londres le problème irlandais, Belgrade celui du Kosovo, ni Israël celui du Moyen-Orient. Une proposition faite par Madrid au Pays Basque sera rejetée par principe. Si c'était Bruxelles qui la faisait au nom des Etats-Unis d'Europe, elle serait acceptée et applaudie.
E.T.: La solution transnationale vaut-elle aussi en dehors de l'Europe ?
M.P.: En Europe la violence est le résultat de la révolution romantique, nationale. Mais dans le Tiers-Monde on meurt également alors que là les Etats n'existent pas, ne représentent rien, si ce n'est la seule violence. Pour cette raison, le transnational, le fédéralisme, nos réponses sont bonnes pour la Yougoslavie ou Israël, mais aussi pour le Burkina Faso.
E.T.: Et qu'est-ce que cela supposera pour l'Europe? L'existence de trois ou quatre grands partis transnationaux ?
M.P.: Regardez, il y a des données d'une évidence incroyable. En France par exemple, dans le droit continental, le vote à la proportionnelle, le pluripartisme, est une paralysie. Vous aussi, vous êtes dans cette situation, et cela parce que l'usage de la radio et de la télévision protège le parti socialiste. Quand une société ne vit pas dialectiquement, quand il n'y a pas de compétition, elle peut s'en tirer pendant plusieurs années, mais après vient le choc.
E.T.: Alors, quelle est la solution ? deux, trois, quatre partis... ?
M.P.: Pour nous la démocratie a fonctionné au cours de ce siècle seulement avec le bipartisme. L'Espagne eut un système proportionnel et elle vit l'avènement du franquisme. Dans l'Allemagne de Weimar, de la proportionnelle et des partis idéologiques vainquit le nazisme. En France, personne ne s'en rend compte, mais les partis votèrent au Parlement la confiance à Pétain à une grande majorité. Le proportionnalisme, la démocratie politique pluripartitique, a produit au cours de ce siècle le fascisme et le communisme.
E.T.: Oui, seul resta le bipartisme.
M.P.: Exact. En Grande-Bretagne, le bipartisme (peu d'Etat, beaucoup de société, des partis électoraux, de grandes tendances) se maintient depuis des siècles. Et c'est là une solution qui vaut autant pour Belgrade, pour Varsovie que pour Ouagadougou.
E.T.: Egalement pour les pays qui vivent depuis des décennies sous l'emprise d'un système à parti unique ?
M.P.: Il se peut que oui. Que pouvons-nous proposer à Belgrade ? Qu'elle rétablisse tous les partis de l'avant-guerre, pour rétablir les luttes ethniques et idéologiques ? Le système américain, anglo-saxon, les amenera à en avoir deux: le conservateur (communiste) et le progressiste. En Pologne, ce second parti serait celui de l'Eglise Catholique.
E.T.: Comment se prennent les décisions dans un parti transnational ?
M.P.: Etant donné qu'entre nous il n'existe aucune obligation ni nécessité de suivre les décisions du parti, une décision se prend et s'enregistre parce qu'elle est la conviction de tous, de la grande majorité. Dans le cas contraire c'est inutile. Dans la plupart des partis il existe la discipline, l'exclusion, l'expulsion, les admonestations. Intérêts et carrières entrent en jeu. Nous autres nous nous reconnaissons et nous nous rencontrons pour une espérance, un objectif.
E.T.: Cependant quelqu'un doit bien faire les propositions...
M.P.: De temps en temps il y a une idée qui nous fascine. Tous nous serions disposés à l'adopter. Le problème est la manière dont elle peut se réaliser. C'est cela le problème du parti: comment, de quelle manière, avec quelles règles se font les choses. Cependant je retourne à dire qu'étant donné qu'entre nous quelqu'un peut être inscrit au parti et, en même temps, se présenter dans d'autres partis et y compris conserver des thèses opposées à celles qui ont été adoptées officiellement, il n'y a aucun intérêt à imposer des objectifs. L'objectif, et non pas l'idéologie, est la raison de l'inscription au Parti Radical. C'est seulement cela, et non pas le socialisme, le libéralisme ou le radicalisme. Quelqu'un s'inscrit dans notre parti parce qu'il veut, par exemple, en finir avec le fléau de la drogue.
E.T.: Cela veut dire que le parti ne représente jamais ses membres qu'en partie ?
M.P.: Juste. Pour nous le parti ne représente pas l'affilié. C'est un instrument, un outil. Un parti qui représente ton humanité, ta personne, a déjà quelque chose de totalisant. Pour cette raison nombre d'entre nous sommes en faveur de la société anglo-saxonne: deux partis, beaucoup d'associations civiles, et une grande mobilité entre les deux partis. Telle est notre vision: nous devons nous unir radicalement pour les objectifs, qu'ils soient ceux qui furent notre passé et notre futur.
(1) nom donné au mouvement d'unification nationale italienne parce que ses membres se mêlaient aux charbonniers dans le maquis