Giancarlo ArnaoGiancarlo ARNAO, Italie. Médecin, auteur de nombreux livres sur les aspects pharmacologiques et sociaux des stupéfiants et auteur d'études sur les drogues légales (alcool et nicitine), il est considéré comme l'un des principaux spécialistes du phénomène de la drogue. Il est engagé depuis des années dans la campagne pour la dépénalisation des dérivés du cannabis et est l'un des fondateur du Co.R.A.
SOMMAIRE: Les politiques en matière de stupéfiants sont largement régies par des organisations internationales rattachées aux Nations unies. Ce caractére international est perçu à tort, par le grand public, comme une garantie d'objectivitè et de démocratie. On constate au contraire qu'en matière de drogues, la politique des Nations unies reflète les idéologies des partis politiques au pouvoir, et plus particulièrement celles des États les plus puissants. Par ailleurs, une centralisation des politiques à niveau aussi élevé entraîne une immobilité, une incapacité d'adaptation aux réalités concrètes.
("Les coùts du prohibitionnisme", Actes du Colloque international sur l'antiprohibitionnisme en matiére de drogues, Bruxelles, 29 septembre - 1 octobre 1988; Ed. PSYCHOTROPES, volume V, numéros 1 et 2, 1989).
Diverses institutions ont été créées tant au niveau national qu'international pour affronter le problème des drogues. La plupart d'entre elles font partie de l'ONU.
L'organe suprême de décision de l'ONU est son Assemblée générale. Les décisions sont élaborées par le Conseil Economique et Social, (ECOSOC), Economic and Social Council.
Il y a deux agences qui appartiennent à l'ECOSOC :
1) la Commission des Drogues Stupéfiantes (Commission on Narcotic Drugs) qui est responsable des décisions politiques et législatives;
2) le Bureau International de Contrôle des Stupéfiants (I.N.C.B.), International Narcotic Control Board, dont la fonction est d'évaluer et de contrôler l'application de la Convention Unique, (C.U.).
Autres agences de l'ONU qui s'intéressent à la question:
3) l'Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) dont fait partie le Comité d'Experts sur les drogues stupéfiantes (appartenant à la Division de Pharmacologie et de Toxicologie) qui réalise un travail d'expertise spécifique;
4) le Fonds ONU pour le contrôle de l'abus des Drogues (UNFDAC) U.N. Fund for Drug Abuse Control, créé au début des années '70 pour financer des programmes destinés à résoudre les problèmes de l'abus des drogues.
Il y a également le "Groupe Pompidou" qui opère dans le cadre de la C.E.
Les organisations internationales, et en particulier celles de l'ONU bénéficient dans l'opinion publique d'une image de très grand prestige et d'objectivité maximum due au fait que leur statut supra-national est assimilé à une position au dessus de la mêlée.
En réalité, pour le problème de la drogue, comme pour les autres, la présence de représentants de divers Etats n'assure pas nécessairement cette articulation d'opinions qui est la seule garantie d'un débat objectif à moins que les critères de choix des composants des agences elles-mêmes ne soient explicitement déterminés dans ce but.
Les représentants des pays dans les agences de l'ONU sont choisis, soit par les gouvernements, soit par les bureaucraties locales : elles sont donc destinées à refléter les tendances et les cultures des classes politiques au pouvoir. D'autre part comme cela se passe pour d'autres problèmes, les actions et les choix politiques des agences ONU reflètent inévitablement les équilibres de pouvoir et donc les rapports de force entre les différents Etats.
Il suffit d'analyser les comportements des agences de l'ONU pour trouver une confirmation de ces affirmations.
Depuis l'instauration de la Convention Unique (C.U.), les documents officiels de l'ONU reprennent une série de mots-clefs pour justifier la normatives du contrôle international:" abus", "utilisation non médicale", "narcotique", "substance psychotrope", "drogué". Aucun de ces termes n'est défini de manière univoque, ni dans le texte de la C.U. (qui est pourtant précédé d'un glossaire détaillé) ni dans les autres documents de l'ONU et de l'OMS.
La preuve la plus significative de la "subjectivité" de la politique de l'ONU en matière de drogues réside dans le choix des substances à soustraire au contrôle.
Si le but du contrôle devait être de garantir la santé publique, un discours global sur le contrôle des drogues aurait dû inclure aussi les substances psycho-actives plus populaires dans le monde industrialisé comme l'alcool et le tabac. Par contre, la Convention Unique s'est occupée exclusivement des substances comme les dérivés de l'opium, du cannabis et de la coca, c'est à dire, les "intoxiquants voluptuaires" qui étaient généralement utilisés en Asie, en Afrique et en Amérique Latine.
Faut-il considérer ce choix comme étant dicté par les rapports de force entre les nations industrialisées et celles en voie de développement?
Ainsi, le cannabis est devenu illégal pour la raison officielle qu'il n'avait pas d'usage médical. Mais on oublie qu'il était consommé à des fins de plaisir par des centaines de milliers de personnes dans les pays non-industrialisés. Le rôle des rapports de force ne concerne pas seulement les rapports Nord-Sud dans le monde, mais aussi l'hégémonie des USA vis-à-vis des autres pays occidentaux.
Il existe une importante documentation sur cette hégémonie (cfr. Hulsman 1984; Latimer 1981 p.165-174; Salomon 1969 P.80 et autres).
Le type de politique menée par les USA apparaît clairement lorsqu'on voit quelles sont les personnes qui sont choisies pour représenter les USA sur la scène internationale. Pensons à Harry Anslinger, Directeur du Narcotic Bureau, artisan de la criminalisation du cannabis aux USA en 1937 a travers une campagne de propagande qui n'avait aucun lien avec la réalité.
(Cfr. Becker 1966, pp.140-142; Brecher 1972, p.416; Grinspoon 1971,pp. 92-97 et 101; National Commission 1972, p.16), il fut nommé représentant des USA à la Société des Nations et à la Convention Unique de 1961 (cfr. Inglis 1975, p 198).
Il est étonnant de constater que les agences de l'ONU parviennent à garder leur crédibilité scientifique lorsqu'elles assimilent cannabis et héroïne. En effet, ces
substances sont associées dans le tableau IV de la Convention Unique et sont sujettes à un contrôle maximum, du fait de leur "propriété" particulièrement dangereuse (art. 2 par S (a)) par rapport aux substances incluses dans le tableau I (opiacées et morphine, II (codéïne et dérivés) et III (préparations contenant des opiacées ou de la codéïne).
L'ONU prouve qu'elle ignore tout de ce qui a été publié et expliqué à propos des énormes différences de danger entre le cannabis et l'héroïne et qui fait pourtant partie du patrimoine de connaissance de l'opinion publique mondiale même dans ses couches les moins développées culturellement.
Mais ce qui est le plus paradoxal c'est que l'ONU ne semble même pas s'être rendu compte que certaines législations nationales (parmi lesquelles les législations britannique et italienne) ont désapprouvé la classification de la Convention Unique en attribuant au cannabis et à l'héroïne des niveaux de contrôle différenciés.
La nécessité de séparer conceptuellement les drogues illégales de celles qui sont légales a contraint l'Organisation Mondiale de la Santé à adopter un comportement pour le moins bizarre par rapport à la question de la dépendance au tabac (bien connue de millions de personnes qui ont cherché à arrêter de fumer) Elle n'a pas inséré le tabac dans la classification des "dépendances spécifiques" créée en 1965, où se retrouvaient entre autres des substances, comme les hallucinogènes, qui n'engendrent pas de dépendance et d'autres comme le cannabis pour lequel la dépendance est sujette à discussion. Pour le tabac, elle a créé une classification à part dénommée "abus non-dépendant" (cfr. Jaffe 1977, p.210).
La séparation entre drogues légales et drogues illégales a été revendiquée en diverses occasions même encore ces derniers temps, par exemple lors d'un Colloque qui s'est tenu à Amelia en septembre 1987, le Directeur de l'UNFDAC a affirmé que : " à la rigueur l'alcool n'est pas une drogue, sinon les pâtes le seraient aussi, si on en mange de trop (Corriere della Serra 19 septembre 1987).
Gabriel Mehas, expert scientifique de l'ONU, s'est appliqué à théoriser la diversité "de structure" entre les drogues légales et illégales. Selon lui, le cannabis a une capacité d'induire la dépendance sept fois supérieur à celle de l'alcool. Cette évaluation est basée sur la confrontation entre l'incidence des cas d'alcoolisme (c.à.d. dépendance à l'alcool) dans les pays occidentaux et l'utilisation quotidienne (ce qui ne signifie pas nécessairement dépendance) de cannabis en Jamaïque, cfr. "Bull. On Narcotics" vol.XXXVIII, pp. 3-4, 1986).
Maintes fois, les gouvernements du Tiers Monde ont dénoncé la diffusion de l'alcool dans leurs pays (cfr. Inglis p. 223 et Whitaker 1987 p. 194), mais les interventions de l'ONU et de l'OMS se sont avérées assez timides.
Au contraire, en 1984, le Secrétaire du "Council on Alcohol Policy" (USA) a dénoncé cette censure pratiquée par l'OMS dans un document "Boissons alcoolisées : les dimensions du pouvoir corporatif les conséquences sanitaires de la vente des boissons alcoolisées dans le Tiers Monde". Le Professeur Griffith Edwards de l'Université de Londres, auteur de la préface a déclaré qu'il craignait que "le rapport ait été ensablé par la bureaucratie de l'OMS". Un fonctionnaire de cette institution a confirmé qu'il ne devrait pas être publié sous prétexte que les aspects sanitaires du problème n'ont pas été suffisamment évalués" - CASPE 1984 n 84.0058).
La politique des agences de l'ONU semble caractérisée par le principe de l'immuabilité. Le délégué français de la Commission Internationale des Drogues Stupéfiantes a déclaré lors de la session de 1973 :" la question de la relative innocuité de diverses variétés de cannabis, de la prise de drogues en petites ou doses etc., avait sans doute un intérêt théorique et clinique et l'OMS devrait certainement continuer ses recherches dans ce sens mais on ne devrait pas permettre à ces recherches d'influencer de quelque manière que ce soit le contrôle international" CUN : Doc. E/CN 7/SR.727. Cité par Whitaker 1987, p.220).
"The question of the relative harfulness of different variants of cannabis , of taking the drug in small or large doses, etc. was doubtless of theroetical and clinical interest and the World Health Organization should certainly continue its investigations along those lines, but such investigations should not be allowed to influence international control measures in any way whatsoever" (cité par Whitaker 1987, p. 220).
En d'autres termes le divorce entre objectivité scientifique et politique de la drogue est ici explicitement théorisée. La séparation concerne aussi les aspects les plus anodins du phénomène (selon le rapport 1982): l'usage même occasionnel du cannabis peut provoquer normalement des maux de têtes, des vertiges, des diarhées, des vomissements, des maladies abdominales et toute une série de maladies aux oreilles, au nez, à la gorge "cité par Il Manifesto, 9 février 1982).
Maintenant, face à des déclarations du genre, il y a de quoi se demander si ces "experts" ont jamais vu ou interrogé quelqu'un parmi les centaines de millions de personnes qui usent de ces substances.
La tendance à maintenir le statu quo est rigoureusement sanctionnée par la Convention Unique, dont la normative est structurée de façon à permettre l'introduction sans problème de nouvelles substances dans le tableau des substances qui sont contrôlées, mais il est pratiquement impossible d'enlever celles qui y figurent déjà.
"Les possibilités de changer ces traités dans un futur proche sont quasiment nulles. On l'a découvert lorsque, à des moments différents, les Pays-Bas et les USA ont essayé de changer leur politique en matière de cannabis. Des modifications formelles de la Convention Unique sont théoriquement possibles, mais les procédures relatives à ces modifications sont si compliquées et si conditionnées à la coopération de la majorité des membres de la Commission des Stupéfiants qu'il n'y a pas de réelles chances de succès". (Hulsman 1984, p.61).
En effet, jusqu'à présent, il n'est jamais arrivé qu'une substance ait été enlevée de la liste de la Convention Unique, au contraire pour celles qui y figurent, la principale raison d'y rester est d'y avoir toujours été.
Cette attitude est motivée par un présupposé apparamment humanitaire, celui de l'exigence vitale de s'opposer à la "drogue", fléau social de première grandeur parmi ceux qui menacent l'Humanité.
Dans cette perspective, il est significatif que les agences de l'ONU, tentent de grossir les aspects menaçants du problème.
Le rapport INCB de 1985 a soutenu que "les drogues constituent la plus grande menace pour l'Humanité" (La Stampa, 18 janvier 1985), laissant entendre que l'existence d'armements nucléaires et conventionnels, le désastre écologique, la faim et la malnutrition dans le Tiers-Monde (pour ne pas parler des drogues légales, tabac et alcool, qui font cent fois plus de victimes que les drogues illégales) sont, en comparaison, des problèmes sans importance.
Les journaux prennent ces déclarations au sérieux (La Stampa a titré pour l'occasion : "La drogue pire que l'atome"), en se gardant de montrer que ces agences ont tout intérêt à montrer qu'elles ont une fonction d'importance vitale pour l'Humanité.
Ainsi l'opinion publique a une image assez noble des agences de l'ONU parce qu'elles donnent l'impression de se battre pour un objectif de haute valeur idéale.
En réalité cet "idéal" est plutôt une "idéologie", c'est à dire, une structure conceptuelle basée sur des "principes": l'idéologie qui vise à "combattre" la drogue plus qu'à résoudre les problèmes concrets que les drogues provoquént aux individus.
L'approche idéologique converge avec l'approche bureaucratique dans le refus du pragmatisme et dans la réticence à se focaliser sur des problèmes concrets : le premier au nom de la fidélité aux principes, le second pour le respect des normes formelles.
L'histoire et les documents des agences de l'ONU montrent de nombreux cas où le pragmatisme et l'objectivité scientifique font place au bureaucratisme et à l'idéologisme. A ce propos, il existe un document récent qui est assez révélateur.
»(...) dans les discussions concernant l'abus de drogue, diverses expressions ont été utilisées communément qui alimentent, de bonne foi, ou avec une mauvaise intention alimentent une conception erronnée, et empêche la compréhension de la nature des problèmes de la drogue.
»L'ONU décourage l'utilisation de tous les termes et les concepts suivants :"utilisation récréative" de drogue, "utilisation responsable" de drogue, "décriminalisation" et la définition de drogue "dure" et "légère". (UN 1987, p.49)
(...) several terms have been commonly used in discussions of drug abuse which, whether well-meaning or intentionally mislending, foster misconceptions and hinder understanding of the nature of drug problems. The UN discourages the use of all of the following terms and concepts :(recrostional use) of drugs, (responsible use) of drugs (descriminazation), and defining drugs as (hard) or (soft)" (UN 1987,p.49).
En d'autres termes, l'ONU prétend ici enlever du débat certains phénomènes ou certaines hypothèses par la censure des termes, c'est-à-dire des "concepts", et des pensées, ce qui relève d'une attitude exorciste. Les problèmes relatifs aux institutions ont été affrontés par la Commission Gouvernementale des USA dans son rapport de 1973, dans un paragraphe intitulé "la perpétuation du problème". Elle se réfère à la situation américaine mais peut évidemment s'appliquer à toute autre situation nationale ou supra-nationale :
»C'est à cause de l'importance de la préoccupation de l'opinion publique et de l'émotivité liée au problème de la drogue que tous les niveaux de gouvernement ont été poussés à l'action, disposant ainsi de peu de temps pour la planification. La pression politique (...) a concentré les ressources publiques sur les aspects les plus immédiats de l'abus de drogue, soit une initiative qui ne risque pas de se confronter à une quelconque résistance politique. Il en résulte la création de bureaucraties toujours plus grosses qui effectuent des dépenses d'argent toujours croissantes et qui diffusent de la publicité pour faire savoir au public que quelque chose se fait. Peut-être, la conséquence la plus importante de cette politique a été la création au niveau fédéral, étatique et privé d'un intérêt de la part de ceux qui donnent et reçoivent les fonds pour que se perpétue le problème (...) Durant ces dernières années, les programmes pour la drogue sont devenus une industrie de plusieurs milliards de dollars qui adminis
tre ses propres exigences en plus de celles qui sont liées à son fonctionnement.
»Dans le contexte de ses efforts intenses afin de bien faire quelque chose (...), cette société pourrait avoir institutionnalisé de façon imprévisible un projet sans fin (Nat. Comm. 1973, p.27).
" La Commission est préoccupée par le fait que les présupposés fondamentaux sur le problème et la réponse organisatrice du complexe (Industriel de l'abus de drogue) au lieu de le résoudre ou de le diminuer, tendent à le perpétuer (op. cit.P.3)
"Because of the intensity of the public concern and the emotionalism surrounding the topic of drugs, all levels of governement have been pressured into action with little time for planning. The political pressures (...) have resulted in a concentration of public energy on the most immediate aspects of drug use and a reaction along the past of least political resistance. The recent result has been the creation of ever larger bureaucracies, ever increasing expenditures of monies, and an outpouring of publicity so that the public will know that (something) is being done.
Perhaps the major consequences of this ad hoc policy planning has been the creation, at the federal, state and community levels, of a vested interest in the perpetuation of the problem among those dispensing and receiving funds, (...) During the last several years, drug programming has become a multi-billion dollar industry, one administering to its own needs as well as to those of its drug-using clientele. In the course of well-meaning efforts to do something (...) this society may have inadvertantly institutionalized it as a never-ending project". (Nat.Comm.1973,p.27)
The Commission is concerned that the underlying assumptions about the problem and the organizational response of the "drug abuse industrial) complex may, rather than resolve or demotionalize the issue, tend to perpetuate it" (op.cit.,p.3).
C'est la tendance à perpétuer son activité qui a déterminé la violente campagne anti-marijuana du Federal Bureau on Narcotics dans les années '30, laquelle a trouvé son apogée avec la prohibition des substances au niveau fédéral.
"En 1936, Anslinger se trouva dans la situation d'une réduction de presque 26% en quatre ans du budget du FBN. La réponse du FBN consista à tenter d'apparaître plus nécessaire en élargissant le champ de ses activités (...) Il soutint alors qu'il était nécessaire de contrôler la marijuana au niveau fédéral. Il en résulta l'adoption du Marijuana Tax Act de 1937 et alors que les chiffres des arrestations étaient jusqu'alors à la baisse, les condamantions et les arrestations du FBN gonflèrent: en 1938 une condamnation pour drogue sur quatre au niveau fédéral était relative à la marijuana". (Young 1971, p 103).
Il convient de rappeler une dernière chose à props des agences internationales.
Le phénomène de l'usage et de l'abus de drogues n'est pas lié uniquement aux substances mais il est influencé dans une large mesure aussi bien par les circonstances de l'utilisation que par la personnalité de celui qui l'utilise ou par le contexte culturel et social.
Face à une problématique aussi complexe et aussi liée à des réalités culturelles et géographiques diverses, la politique des agences de l'ONU a toujours démontré un désintérêt absolu pour les facteurs du problème liés aux situations locales.
Cette attitude s'est avérée évidente depuis que les drogues traditionnelles ont été interdites dans les pays du Tiers Monde, en favorisant des drogues occidentales : alcool, tabac, médicaments psycho-actifs.
Et cela se confirme aujourd'hui encore dans la mesure où face à l'augmentation continuelle de la diffusion des drogues illégales, les agences de l'ONU proposent en plus d'une augmentation des mesures répressives, une uniformité des comportements entre tous les pays du Globe, une uniformité qui se concrétise aussi dans le refus de reconnaître des expériences qui, au moins au niveau local ont donné de bons résultats.
On connait à ce propos l'attitude adoptée face à la politique menée par le gouvernement hollandais. Celui-ci a été durement attaqué dans le rapport 1983 de l'INCB parce que l'approche "permissive" menace le consensus qui est à la base du système international de contrôle et le principe qui oblige toutes les nations à réduire la disponibilité de drogues (cfr. Kaplan C.1984 p.1).
En d'autres termes, on ne met pas en discussion les résultats de la politique hollandaise mais on la critique parce qu'elle contredit une question de principe.
La conférence internationale des Ministres de l'ONU à Vienne en 1987 a de nouveau adressé des reproches à "certains gouvernements jugés "trop permissifs ou trop dépourvus" dans l'application des lois, la Conférence a proposé une nouvelle convention internationale qui devrait unifier les politiques nationales (cfr. Engelsman 1987 p.8).
De cette manière, les agences supranationales s'arrogent le droit de peser lourdement sur les cultures périphériques en préconisant une homologation planétaire pour le choix des intoxiquants voluptuaires. Cela pose un problème de démocratie que Hulsman a formulé ainsi :
»un autre aspect de la législation internationale en matière de drogues réside dans le fait que son application n'est pas compatible avec les exigences de la démocratie matérielle.
»Au moment où les Etats Européens ont accepté la C.U., les substances prohibées par les traités étaient pratiquement inconnues en Europe. L'acceptation n'a été précédée d'aucun débat public. Elle était considérée comme une décision purement technique qui concernait uniquement les colonies mais qui ne devait avoir aucun impact sur la mère patrie" (Hulsman 1984,p.60-61).
»Another aspect of this international drug legislation is that the mode of its introduction was not compatible with the requirements of material democracy. At the moment the Single Convention ( and the preceding treaties) were accepted by european states, the substances prohibited in those treaties were practically not use in Europe. The acceptance was not proceded by any public debate. The whole issue was seen as a technical matter which touched upon the colonial territories but which would not have any impact for the mother countries (Hulsman 1984, pp.60-61).
Mais cette centralisation se heurte aussi à des problèmes de fonctionnement. Une analyse intéressante d'Hulsman a révelé quatre niveaux d'interventions par rapport au phénomène de l'usage de drogues illégales.
1· un premier niveau qui comprend les gens qui sont en lien direct avec le phénomène : les policiers, les services sociaux, les intervenants, opérateurs médicaux et sociaux;
2· un deuxième niveau qui comprend les gens qui gèrent la politique au niveau local, les magistrats, les administrateurs locaux;
3· un troisième niveau qui comprend ceux qui gèrent la politique au niveau national : ministres de la justice, de la santé, des affaires étrangères etc.;
4) un quatrième niveau qui comprend ceux qui gèrent la politique au niveau international : les agences de l'ONU, Interpol, etc.
Ce dernier niveau est capable d'imposer (au moyen de consultations préalables avec des agences du 3ème niveau) des lois et des normes de comportement à ceux qui travaillent au 1· et au 2ème niveaux.
D'autre part, selon Hulsman : »il est clair que la possiblité de recevoir des signaux provenant des diverses situations concrètes et de faire une politique qui s'y adapte est meilleure au premier et au deuxième niveau.
»Comme nous avons vu (...) la condition nécessaire pour une structure de participation est une "dimension limitée", et une structure de participation est une condition nécessaire pour que la politique puisse s'adapter en ce domaine.
»Cela implique que le premier et le second niveau bénéficient d'une large mesure de liberté par rapport au 3ème et au 4ème niveau.
»le 4ème niveau a un rôle particulier en ce qui concerne ce problème de l'adaptabilité. Actuellement ce niveau reçoit des informations très incomplètes et susceptibles d'être très inattendues à propos de la mesure dans laquelle les buts de la politique sont atteints.
»Les informations sur les effets pervers de cette politique n'arrivent pas. L'agence qui travaille à ce niveau n'est pas de nature à pouvoir élaborer des informations de ce type. Même si l'on modifiait cette organisation de façon à lui permettre de le faire, les procédures habituelles ne permettraient pas une réelle possibilité de réagir adéquatement à ces informations.
»La tendance à la sclérose du 4ème niveau a pour conséquence (...) une résistance contre toutes les adaptations qui sont élaborées aux trois premiers niveaux de la politique de la drogue.
»Le fait de se baser sur le 4ème niveau implique donc une immobilité de la politique de la drogue". (Hulsman 1984, p.69).
"If its clear that the possibilities to be responsive to signals from the different life-worlds and to adapt policy accordingly are the best on the first and second level of drug policy.
As we have seen (...) an (element of smallness) is a necessary condition for a participatory structure and a participatory structure is a necessary condition for adaptability of policy in this field. This implies that the first and second level of drug policy in their relation with the third and fourth policy level. (...) The fourth level has with respect to this aspect of adaptibility a very special place. At present this level receives very incomplete and very unreliable data on the degree in which policy aims
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