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Taradash Marco - 1 febbraio 1989
Vers la narcocratie?
Marco TARADASH

Journaliste âgé de 38 ans, Marco Taradash est également Président du Conseil Fédéral du Parti radical et l'un des principaux animateurs de la campagne du Parti radical en faveur d'une réglementation au niveau international de la production, de la commercialisation et de la consommation de drogues. C'est donc tout naturellement qu'il a été élu à la charge de Secrétaire du Co.R.A. Nous publions le texte de son intervention au Colloque de Bruxelles sur l'antiprohibitionnisme en matière de drogues.

SOMMAIRE: Résultat d'une politique prohibitionniste en matiére de drogues, la narcocratie se caractérise par l'immense pouvoir que s'est taillé l'industrie criminelle, la montée toujours plus forte de la violence et une lourde menace sur les libertés individuelles.

("Les coùts du prohibitionnisme", Actes du Colloque international sur l'antiprohibitionnisme en matiére de drogues, Bruxelles, 29 septembre - 1 octobre 1988; Ed. PSYCHOTROPES, volume V, numéros 1 et 2, 1989).

Je tiens à m'exprimer en tant que journaliste et en tant que citoyen engagé dans la vie politique. Aujourd'hui, la condition de journaliste et celle d'homme politique ainsi que leur statut éthique imposent le développement d'une attitude "généraliste", pour reprendre la terminologie de Jungk. Cela revient à dire d'un côté la capacité de se former une idée générale des choses, et de l'autre celle d'avoir une préoccupation dominante pour l'intérêt général.

Naturellement, ce n'est pas une particularité des seuls journalistes et hommes politiques. L'expérience semble même nous suggérer le contraire, à savoir qu'il est de leur devoir d'être "spécifiques".

Une vision fermée, spécialisée et sectorielle du problème

Voilà, ce qui me paraît particulièrement grave et déroutant, dans le débat en cours dans de nombreux pays du monde sur le problème des drogues et du trafic clandestin. Chaque protagoniste s'enferme dans une vision fermée, spécialisée et sectorielle du problème. Cela se passe régulièrement au niveau officiel des gouvernements nationaux ou des organismes de liaison. Nous voyons ainsi s'élaborer des stratégies contre la toxicomanie, des stratégies contre la criminalité organisée, des stratégies contre le SIDA, et tout ce qui s'ensuit. Pour faire un exemple, on a vu récemment en Italie comment les pouvoirs du haut commissaire contre la mafia ont été étendu. Il est aujourd'hui autorisé à ordonner des écoutes téléphoniques sans l'autorisation d'un magistrat, à entrer et à sortir des prisons pour avoir des entretiens confidentiels avec les détenus, à ordonner des enquêtes bancaires, à obtenir les dossiers des procès encore en cours, à profiter de la collaboration des services secrets, et bien d'autres choses encore

. D'autre part, le gouvernement central et les autres autorités attribuent plusieures dizaines de millions de dollars à l'aide aux toxicomanes, mais ils se trouvent devant de graves difficultés car nombre de ces toxicomanes finissent en prison et ne peuvent donc profiter des traitements prévus.

Ainsi, en intervenant chaque fois sur un aspect particulier du problème, sans remettre en question le cadre global dans lequel se manifeste la pathologie criminelle ou médico-sociale etc., il ne nous est pas permis de voir ce que le généraliste peut découvrir d'un coup d'oeil: à savoir que le phénomène de la drogue est aujourd'hui complexe, par ses interconnexions de caractère économique, criminel, médical ou médico-social, par les répercussions toujours plus fortes sur la vie politique des pays et sur les relations internationales.

Enlever les oeillères!

On est ainsi surpris par le refus de tirer les conséquences logiques des analyses qui, si elles n'étaient pas lues avec des oeillères seraient de très grande utilité pour arriver à une solution des problèmes posés par l'actuelle politique prohibitionniste. On peut lire dans le dernier Rapport de l'Organe International de contrôle des stupéfiants que: "L'utilisation des drogues illégales, aussi bien naturelles que synthétiques a connu une croissance tellement rapide au cours des vingt dernières années qu'elle menace aujourd'hui tous les pays et toutes les couches sociales. Le phénomène ne concerne pas uniquement les grands centres urbains, ni les intellectuels, ni les analphabètes, ni les riches, ni les pauvres: il s'est désormais répandu partout, dans les écoles, sur les lieux de travail, dans les temps libres, le sport". Le rapport ajoute: "La production et la fabrication clandestine de drogues touchent un nombre croissant de pays, dans de nombreuses régions du monde. Ces activités, qui atteignent des propo

rtions alarmantes, sont financées et dirigées par des organisations criminelles qui disposent de ramifications internationales et bénéficient de complicités dans le système financier. Les gros trafiquants de drogues utilisent souvent des canaux absolument légaux employés par d'importantes sociétés multinationales. Ayant à disposition des fonds presque illimités, les trafiquants corrompent les fonctionnaires, répandent la violence et le terrorisme, influencent l'application des conventions internationales pour la lutte contre la drogue et exercent dans les faits un véritable pouvoir politique et économique dans de nombreuses régions du monde". C'est la description d'une nouvelle forme de gouvernement, la pire jamais imaginée, la Narcocratie. Mais nous constatons que les conclusions de l'Onu ne sont pas à la hauteur de ses promesses. Plus grave encore, cette organisation en arrive à non seulement à renouveller les Conventions de 1961 et 1971, celles-là même qui ont prouvé leur faillite mais à les renforcer grâ

ce à un armement répressif qui n'égratignera pas les puissances criminelles mais limitera les garanties libérales et démocratiques dans de nombreux pays.

Lisons le document approuvé en juillet dernier au Sommet de Toronto par les sept pays les plus industrialisés du monde: "La consommation illégale et le trafic illicite de substances stupéfiantes fait courir de graves risques aux populations des pays du Sommet, de même qu'à celles des pays producteurs et de transit. Il est nécessaire d'améliorer d'urgence la coopération internationale entre toutes les institutions compétentes sur les programmes permettant de combattre tous les aspects du problème des substances stupéfiantes illicites ...". Des prémisses encourageantes qui auraient pu conduire à des conclusions semblables à celles de nombreux participants à ce Colloque si elles n'avaient pas été tout de suite démenties par l'irruption du vice du spécialiste: "... en particulier la production, le trafic et le financement du commerce de la drogue".

Corrompre et acheter les gouvernements

Un autre document récent, le rapport sur les stupéfiants du département d'Etat américain déclare que "la production, la consommation et le trafic sont hors contrôle et au-delà de la capacité de chaque gouvernement de les supprimer" et il ajoute que "les trafiquants de drogues peuvent utiliser leurs milliards pour corrompre et même pour acheter les gouvernements de l'Occident". En 1986, une commission d'enquête du Parlement européen est arrivée aux mêmes conclusions. Stewart Clarck, conservateur anglais, rapporteur de cette commission affirmait entre autres que le trafic de drogues illégales s'est tellement soustrait au contrôle que les drogues sont en réalité en vente libre. La conclusion de ces deux groupes de travail: poursuivre dans la voie suivie jusqu'à maintenant. Et voilà aux Etats-Unis les lois qui réintroduisent la peine de mort au niveau fédéral, les propositions d'utiliser l'armée, les projets de coordination entre l'Europe et les USA.

En somme, c'est une question d'ordre moral et pénal qui s'est terriblement gonflée jusqu'à devenir un problème géo-politique de premier ordre, et personne ne veut s'en rendre compte.

République bananière?

Voici une situation que je ne tire pas des mésaventures de quelque république bananière, mais qui appartient au coeur de l'Occident démocratique, capitaliste et industriel. Ces dernières années, dans certaines régions italiennes, comme la ville de Naples et ses alentours, la Calabre, la Sicile, l'introduction du trafic d'héroïne (et aujourd'hui aussi de cocaïne) et les profits qu'il procure ont accru dans des proportions terrifiantes le pouvoir et l'arrogance de la mafia, de la camorra, de la 'ndrangheta et des organisations criminelles traditionnelles.

Durant ces dix dernières années, ont succèssivement été tués en Sicile, le secrétaire provincial de la Démocratie Chrétienne de Palerme, un chroniqueur judiciaire palermitain, le chef de la brigade mobile de Palerme, un juge palermitain, un député membre de la Commission anti-mafia du Parlement, le Président démocrate-chrétien de la région, le commandant des carabiniers de Monreale, le Procureur de la République de Palerme, le Secrétaire régional du PCI, un expert du Tribunal de Palerme, le général des carabiniers le plus connu et le plus compétent à quil'on venait de confier des pouvoirs spéciaux dans le cadre de la lutte anti-mafia, un substitut du procureur de la République de Trapina, le nouveau commandant des carabiniers de Monreale, un juge d'instruction du Tribunal de Palerme, un journaliste de Catane, un commissaire palermitain chef de la brigade spéciale anti-mafia, un vice-questeur de Palerme, un ancien maire de Palerme et plusieurs milliers d'autres personnes. Tout dernièrement, cette liste s'est

encore allongée du nom d'un ancien Président du Tribunal de Trapina, un juge du Tribunal de Palerme et un ancien leader du '68 italien, fondateur d'une Communauté thérapeutique libertaire, qui depuis longtemps menait une campagne de presse contre les boss politiciens et mafieux liés au trafic d'héroïne. La mafia sicilienne est aujourd'hui une organisation capable d'agir à l'intérieur d'un Etat démocratique comme une armée clandestine, en utilisant d'une part, les techniques de la guerrilla, et d'autre part celles de la corruption systématique.

La lutte entre les groupes rivaux pour le contrôle du riche butin s'avère toujours plus féroce: en 1987 en Calabre, région contrôlée par la 'Ndrangheta, on a dénombré 204 homicides volontaires, soit une augmentation de 47,8% par rapport à l'année précédente. Une grande partie de la région échappe au contrôle des autorités de l'Etat. Un récent rapport du Conseil supérieur de la Magistrature a parlé d'une "aggravation de la situation pour ce qui tient aux conditions socio-économiques, à l'augmentation démesurée et incontrôlée des manifestations de criminalité organisée, à la dégradation des moeurs, à l'expansion de l'illégalité diffuse également dans tous le secteur de l'administration publique".

La siuation n'est pas différente dans de nombreuses zones de la banlieue surpeuplée de Naples, où au cours de l'année les luttes entre les familles camorristes qui se disputent le contrôle du territoire ont provoqué un homicide tous les deux jours environ.

Dans une grande partie du Mezzogiorno en effet, les organisations criminelles, grâce justement aux énormes revenus résultant du trafic de drogue, se présentent toujours plus comme de véritables holdings d'entreprises qui agissent et investissent dans tous les secteurs de l'économie légale. Que ce soit en Sicile en Calabre ou en Campanie, il existe une étroite interconnexion entre le contrôle du trafic de drogue et les destinations du flux des dépenses publiques.

Une analyse de cette économie parallèle a été tentée par le principal quotidien économique italien, Il Sole 24 Ore, propriété de l'Association des Industriels. Il a évalué à environ 33 milliards d'écus le chiffre d'affaires annuel de l'industrie criminelle italienne, dont 25 relatifs au commerce de la drogue qui entre en Italie. Un chiffre qui avoisine le chiffre d'affaires de la Fiat, la première entreprise privée italienne.

Il faudrait ajouter à ce chiffre les produits de la mafia italienne qui oeuvre au niveau international en tant qu'intermédiaire entre les pays producteurs d'opiacées et les pays d'Europe et d'Amérique du Nord qui en sont consommateurs.

Admettre la faillite du prohibitionnisme

En résumé, le trafic de la drogue est donc une arme pointée contre la planète tout entière. Nous avons vu que c'est désormais reconnu par des documents officiels des gouvernements, par des enquêtes de la Communauté européenne, les rapports de l'organisme de contrôle sur les stupéfiants de l'ONU. Pourtant, jusqu'à maintenant aucun gouvernement n'a eu le courage de modifier la politique de répression pénale de la consommation et du commerce de drogues. Admettre la faillite du prohibitionnisme signifierait pour beaucoup reconnaitre une erreur de presque trente ans, continuer dans la politique de prohibition justifie le passé et permet en même temps de préserver les privilèges exceptionnels, en termes économiques et de statut que les organisations supra-nationales et les Etats assignent aux professionels de l'anti-drogue.

La source principale de violence

Les énormes capitaux que la criminalité organisée produit par l'industrie de la drogue sont devenus aujourd'hui la source principale de violence, de corruption et de dégradation sociale dans le monde. Ils constituent en même temps un très grave obstacle au développement des zones les plus pauvres du monde et des pays industrialisés. Les profits de la drogues sont tels qu'avec le budget de deux ou trois ans de cette industrie, la dette extérieure totale des pays en voie de développement seraient effacée. Elle se chiffre pourtant à un peu plus de mille milliards de dollars. L'argent de la drogue envahit les institutions de la société civile, les banques, la Bourse, les activités économiques légales et illégales. Cet argent sert à la corruption, au chantage, à la violence armée envers les institutions judiciaires et politiques.

L'argent de la drogue alimente la criminalité, la criminalité alimente le marché de la drogue. Le nombre d'héroïnomanes augmente d'année en année, parce que chaque nouvel arrivé est contraint, pour se payer sa dose quotidienne à devenir immédiatement le commis voyageur de l'héroïne, ou bien à voler, à tuer, à se prostituer. De l'Allemagne aux Etats-Unis, de l'Espagne à l'Italie, du Canada aux mégalopoles latino-américaines, le trafic de la drogue est considéré comme étant à l'origine de la grande majorité des délits pénaux, jusqu'à 80% des vols et des homicides. On compte chaque année par millions dans le monde les victimes d'une violence insensée, qui ne relève pas de la nature de la drogue ou des drogués, mais d'un énorme besoin d'argent provoqué par une loi folle et inhumaine. Des millions de personnes sans voix pour lesquels l'impératif chrétien ou humanitaire de se mettre du côté des victimes ne compte pas. Un prix en terme de violence que de nombreux Etats sont disposés à faire payer au nom de l'idée a

bstraite et velléitaire de la guerre à la drogue. C'est l'argent de ces millions de contribuables anonymes qui va enrichir et rendre toujours plus fort et invincible ce même ennemi que la prohibition voudrait vaincre et dont elle ne parvient même pas à entamer la puissance.

Effacer la raison d'être de millions d'actes de violence

Je pose enfin sous forme d'assertion la question dont cette partie du débat est appelée à donner les premières réponses. La légalisation de la production, du commerce et de la vente des drogues aujourd'hui interdites, de la marijuana à l'héroïne et à la cocaïne aurait pour effet de mettre ces substances sur le même pied que les drogues déjà légalisées dans de nombreux pays, comme le tabac et l'alcool (du vin aux alcools forts). Leur prix diminuerait de 99% et il sera du devoir de l'Etat de fixer des taxes adéquates pour décourager la consommation et garantir en même temps la qualité afin d'en réduire au minimum les effets dangereux, y compris les risques d'infection par le SIDA ou autres maladies. La mafia internationale subirait une défaite que la coalition de toutes les armées de l'Est et de l'Ouest ne pourrait même pas lui imposer aujourd'hui. De même, elle se verrait coupée d'un seul coup la source essentielle de sa richesse et privée de la cause de son invincibilité. La légalisation et la réglementation

effaceraient du jour au lendemain la raison d'être de millions d'actes de violence accomplis aux dépens des personnes les plus faibles et sans défense.

Elle libérerait les forces de l'ordre et la magistrature du poids des délits en lui donnant automatiquement l'efficacité et la capacité d'intervention pour garantir la sécurité des citoyens.

Elle rendra disponibles des sommes énormes actuellement dépensées dans une inutile chasse à l'homme pour mener des campagnes de dissuasion et pour organiser les soins aux toxicomanes.

Aujourd'hui, la violence dans les villes du monde est la fille du prohibitionnisme en matière de drogues, comme ce fut déjà le cas dans la Chicago d'Al Capone. Mais le prohibitionnisme, qui a démontré son échec, est devenu une menace mortelle pour la vie des gens, les libertés, la paix, le droit des Etats et l'état de droit, qui est mis en danger par des lois toujours moins respectueuses des droits de l'homme (à commencer par la réintroduction de la peine de mort dans de nombreux Etats américains qui l'avaient abolie) et des garanties légales lors des procès.

 
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