Marie-Andrée BertrandMarie-Andrée Bertrand est professeur de criminologie à l'Université de Montréal. Consultante auprès du gouvernement canadien, elle fit partie, avec quatre autres experts, de la Commission gouvernementale qui analysa au début des années '70 le phénomène de la diffusion des drogues au Canada et publia trois rapports qui font toujours autorité aujourd'hui pour tous ceux qui étudient ce phénomène. Se dissociant des conclusions de cette commission, Marie-Andrée Bertrand prône depuis 1973 la légalisation de la marijuana et la distribution contrôlée de l'héroïne. Depuis quelques années, elle mène une campagne acharnée contre la "war on drugs" chère à l'administration américaine. Elle a publié en 1986 un rapport sur "la Politique des drogues" - "Persistance des effets pervers et résistance au changement des lois sur les drogues". Nous publions ici l'intervention qu'elle présenta au Colloque que le Parti radical organisa à Bruxelles, fin septembre dernier sur l'antiprohibitionnisme en matière de drogue. Signalons que
suite à ce colloque, Marie-Andrée Bertrand s'est récenment inscrite au Parti radical.
SOMMAIRE: La prohibition en matière de drogues trouve son origine dans des groupes de pression défendant le plus souvent des intérêts corporatifs, nullement représentatifs des intérêts de la collectivité. Par ailleurs, cette prohibition a fait montre à la fois d'inefficacité et de multiples effets pervers. Une politique plus réaliste et moins immorale en matière de drogues implique qu'en ce domaine le pouvoir ne soit plus laissé entre les seules mains de quelques fonctionnaires et corps de police. Il importe que la société entière s'implique dans la recherche de nouvelles politiques.
("Les coùts du prohibitionnisme", Actes du Colloque international sur l'antiprohibitionnisme en matiére de drogues, Bruxelles, 29 septembre - 1 octobre 1988; Ed. PSYCHOTROPES, volume V, numéros 1 et 2, 1989).
Lorsque, il y a quinze ans, au terme de quatre années d'étude et d'enquête à travers tout le pays et à l'étranger, j'ai présenté au gouvernement canadien un rapport minoritaire réclamant l'abolition du contrôle sur les drogues, j'étais motivée par les raisons suivantes.
Le délit de simple possession est un moyen futile de dissuasion. Plus généralement, l'utilisation du droit pénal contre les crimes sans victimes est inefficace, entraîne le recours à des procédés qui vont contre le droit des personnes : fouille, perquisitions sans mandat, délateurs, agents doubles et est toujours hautement arbitraire puisque les moyens de détection habituels font défaut et que seule une frange naïve ou démunie est sujette à la répression. Nombreux d'ailleurs sont les philosophes du droit et les hommes d'Etat qui ont reconnu que le recours au droit criminel pour réduire les "crimes sans victimes" est illégitime .Le coût de la prohibition, les COUTS plus exactement, sont énormes: coût sociaux, moraux économiques; les Etats y gaspillent leur honneur, les fonds publics et ces coûts sont sans proportion avec l'efficacité improbable et minimales de la loi.
La fonction pédagogique du droit pénal, qui doit rappeler aux citoyens les valeurs les plus chères au groupe social se trouve pervertie par l'inclusion, pêle-mêle, dans une même loi, de substances de nocivité très variable et de comportements de gravité fort différente. En effet, les statuts sur les drogues prévoient encore, dans plusieurs pays, des peines sévères allant jusqu'à l'emprisonnement pour des actes sans réelle gravité et qui ne nuisent pas à autrui, et des sanctions équivalentes pour la possession et le trafic de substances sans grande nocivité avérée et de drogues plus propices aux intoxications sérieuses; de plus, les Etats invoquent leur devoir de protéger la santé des citoyens pour fonder le contrôle pénal de certaines substances en même temps qu'ils touchent des revenus considérables de la vente d'autres drogues jugées tout à fait nocives comme le tabac et l'alcool.
La prohibition crée et fait proliférer les marchés illicites et tous les vices qui y sont attachés. Le délit de simple possession ou d'usage, comme en France par exemple, autorise certains Etats à recourir au traitement obligatoire à l'égard des accusés, autre violation des droits de la personne mais surtout comble d'ignorance ou d'hypocrisie car on n'a jamais vu que le traitement obligatoire ait amené qui que ce soit à modifier son comportement; on sait d'autre part que les prisons et pénitenciers où sont détenus un certain nombre d'usagers regorgent de substances psychotropes de toutes natures et qu'il s'y pratique un trafic aussi important sinon plus important que celui qui a cours dans le monde libre.
Tous ces arguments militant en faveur de l'abolition des lois sur les drogues sont encore valides. Bien plus, les années en ont accru la portée. En effet, et en les reprenant un à un, on voit que l'effet de dissuasion s'est avéré nul, sinon sur quelques usagers en particulier, du moins sur l'ensemble des populations visées. Le nombre des usagers a augmenté, le trafic s'est raffiné dans les cas où cela était nécessaire mais le plus souvent une grande partie des transactions illicites qui portent sur de petites quantités se fait au vu et au su des autorités policières qui ont renoncé à intervenir; il se peut que la consommation de certaines drogues populaires dans les années soixante et soixante-dix ait décru (le LSD, la colle, les hallucinogènes puissants) mais nous savons tous que le droit pénal n'y est pour rien. Ce sont les usagers eux-mêmes et l'opinion publique qui ont rendu ces substances impopulaires, en dénonçant efficacement les effets nocifs avérés.
Le contrôle pénal de l'usage et du trafic s'est révélé hautement discriminatoire, frappant d'abord, dans les années soixante, les jeunes et les personnes à l'apparence non conformistes; puis les membres des minorités ethniques, et récemment les étrangers dans plusieurs pays européens, ainsi que les pauvres et les sans emploi.
Le coût de l'application des lois sur les drogues n'a cessé de grimper; ces lois ont entraîné la création de services spéciaux de police, ont surchargé les tribunaux, les prisons, les services de cure et de post-cure pénale;
Les prophéties épidémiologiques se sont avérées sans fondement; certes, il y a des toxicomanes qui ont besoin d'aide mais les urgences des hôpitaux sont moins encombrées qu'elles ne l'étaient dans les années soixante-dix par les patients souffrant de "bad trips".
La politique abolitionniste a en effet, et comme prévu, fait se développer les marchés illicites; le commerce international s'intensifie; les corps policiers de tous les pays ont perdu la guerre à la drogue.
Le traitement non volontaire et l'emprisonnement des toxicomanes pour réduire leur habitude se sont soldés par des échecs retentissants.
D'autre part, des faits nouveaux sont venus s'ajouter aux raisons que j'avais, il y a quinze, de recommander l'abolition des lois sur les drogues.
Dans plusieurs pays occidentaux, on est arrivé à la conclusion que plusieurs drogues licites causent un tort certain à la santé des citoyens et que les coûts entraînés par l'abus de ces substances dépassent le seuil tolérable. Cette constatation a deux effets. premièrement, elle montre bien l'incohérence des Etats qui se préoccupent de quelques substances pour en faire l'objet d'interdiction dans le code pénal mais en même temps encouragent secrètement et tolèrent publiquement la consommation de nicotine et d'alcool; deuxièmement, les réactions sociales aux méfaits de ces deux drogues s'avèrent beaucoup plus saines et efficaces que celles qui prévalent dans le domaine des drogues illicites. Les Etats certains, en tout cas, interdisent sur les ondes de la radio et de la télévision d'Etat, la promotion de ces substances ou exigent qu'on assortisse cette publicité de mises en garde; le public et les associations de citoyens se mobilisent pour limiter les méfaits de la consommation aux seuls usagers dans le cas
de la cigarette. Touchant l'alcool, la réaction est aussi intéressante. Puisque c'est la conduite en état d'ébriété qui constitue un danger social, c'est à cela qu'on s'attaque et non à la consommation; des campagnes intelligentes permettent à l'usager de consommer sans mettre la vie des autres citoyens en danger (l'opération Nez Rouge, par exemple).
Comme tant d'autres, j'ai été frappée par la montagne de résistances à laquelle se sont heurtées les conclusions et recommandations de toutes les commissions d'enquête, de tous les pays, sur la question des drogues. En effet, à la fin des années soixante ou au début des années soixante-dix, pas moins d'une douzaine de pays avaient procédé, par l'intermédiaire de Comités nationaux de pays ou de Commissions d'enquête, à l'examen de ce qu'on appelait alors "le problème de la drogue": son étendue, ses causes, les moyens d'y porter remède. Aucun de ces comité, aucune de ces commissions, sauf peut-être le Comité Pelletier en France, n'avait recommandé à son Parlement de s'en tenir au statu quo. L'un plaidait pour la décriminalisation de certaines substances, l'autre pour l'abolition du crime de simple possession, etc.
Pourtant, nulle part, dans aucun pays, les rapports de ces comités, n'ont eu d'effets importants sur la législation. Il est vrai que la pratique s'est modifiée en plusieurs endroits, et qu'on a assisté à une certaine dépénalisation
de facto, mais avec tout l'arbitraire que cela implique, c'est-à-dire la continuation des poursuites lorsque le consommateur ou le petit trafiquant, le petit dealer, est un étranger, un marginal ou tout simplement lorsque sa tête ne revient pas au policier ou au juge.
C'est en analysant les sources de ces résistances au changement des los sur les drogues que me sont apparues clairement L'IMMORALITE, L'HYPOCRISIE ET L'ILLEGITIMITE de la prohibition.
Ces résistances se situent au niveau national et au niveau international. Tous ceux qui ont à coeur de faire changer les lois actuelles se doivent de les analyser pour les combattre.
Les résistances au niveau national
Les recommandations des commissions nationales étaient bien rarement ou à peu près jamais radicales mais malgré cela les parlements les ont ignorées ou diluées jusqu'à les rendre à peu près ridicules ou méconnaissables. Pourtant les commissions et comités étaient généralement composés de personnes respectables et dont l'opinion scientifique ou ou morale ou les deux, était difficilement contournable. De plus, les enquêtes s'étaient souvent étendues sur plusieurs années ou même de nombreuses commissions s'étaient penchées sur le même problème comme c'était le cas aux Etats Unis et en Angleterre, et les études avaient coûté plusieurs millions de dollars.
A quoi fallait-il donc attribuer l'inertie des parlements ou des gouvernements face aux recommandations de leurs comités et commissions?
Il faut bien constater que des groupes sociaux nombreux et influents avaient intérêt, dans chacun de nos pays, à ce que soit maintenue la prohibition qui touche quelques substances. M'appuyant sur mon analyse de la situation canadienne et des Etats-Unis, j'énumérais ces groupes dans l'ordre où ils sont apparus avec leurs intérêts particuliers sur la scène publique des audiences ou dans les corridors du pouvoir politique.
Le premier groupe à manifester bruyamment son opposition à toute libéralisation des lois sur les drogues a été la police, les corps policiers de tous niveaux: fédéral, provincial, municipal, les escouades spéciales travaillant dans le domaine des stupéfiants, surtout. Ces dernières, comme on sait, tirent un prestige non négligeable de leurs contacts internationaux et des effets médiatiques de leurs "prises". Le discours des corps de police s'est avéré d'une grande hypocrisie (leurs affirmations à l'effet que la situation était sous contrôle ou pouvait l'être ne se comptent pas) et d'un fondamentalisme moral difficile à imaginer pour ceux qui ne les ont pas entendus. L'influence des corps de police sur les gouvernants n'est plus à démontrer: les ministères de la justice, de l'intérieur, etc. ont souvent un contrôle secret et particulier sur les autres départements d'Etat. Le lobby qu'exercent les corps de police au niveau national a souvent des ramifications internationales. Enfin, tous les moyens ont paru bo
ns, aux policiers de certains pays pour discréditer les tenants de la libéralisation des lois sur les drogues: dossiers montés de toutes pièces, accusations sur la place publique.
Le deuxième bastion de résistance au changement était composé de médecins: la profession médicale s'était indignée, dans les années soixante, que des jeunes et des citoyens d'apparence douteuse se prétendent capables de distinguer les vertus enivrantes, analgésiques ou euphorisantes de quelques drogues et même découvrent des contre-poisons dans les pharmacies des parents sous forme de valiums, par exemple, en cas de "mauvais voyage". Cette même profession n'a pas consenti à s'intéresser vraiment aux nouvelles questions que posaient les usagers. Seul, un très petit nombre de médecins omnipraticiens et quelques psychiatres et pharmacologues, d'ailleurs jugés sévèrement par leurs confrères, sont "descendus dans la rue" et ont aidé les usagers, les travailleurs sociaux à mettre sur pied quelques centres d'information, quelques cliniques d'urgence, des services ambulants. Pour l'ensemble, la profession a nié le problème ou plutôt nié qu'il s'agissait d'une question qui la concernait et renvoyé les usagers au trib
unal pénal, contribuant à raffermir les positions des prohibitionnistes.
Les pharmaciens étaient aussi particulièrement vexés qu'on puisse se droguer sans leurs conseils et avec des substances n'appartenant pas à leur rayon de compétence. Ajoutons que ce corps professionnel avait des raisons supplémentaires de se sentir menacé car une certaine portion des usagers tentait de détourner le public de l'usage des "drogues chimiques" au profit des "drogues naturelles"; d'autre part, nombreux étaient les usagers et les membres de la contre-culture qui, devant les accusations de nocivité lancées contre les "drogues de rue" ou drogues illégales, répliquaient en dénonçant les méfaits bien réels des médicaments.
Parmi les groupes corporatifs les plus menacés et dont la voix s'est fait entendre sur le registre aigu et les pressions politiques sous forme de chantage, il faut compter les laboratoires de produits pharmaceutiques, les représentants de grandes compagnies, comme Roche, ont même pris la peine de venir se défendre devant quelques commissions d'enquête qui s'apprêtaient à dénoncer l'effet d'accoutumance de leurs médicaments.
Les distillateurs et brasseurs, en plus d'exercer les lobbies que l'on imagine auprès d'hommes politiques qui sont tous déjà gagnés aux vertus de l'alcool, tâchaient de corriger l'impression d'irresponsabilité qu'ils pouvaient laisser à la population et de faire preuve de bonne volonté: dans les années soixante-dix, après que les rapports des différentes commissions d'enquête eussent dénoncé les méfaits de l'alcool, certains ont commencé à prôner la modération... bien entendu en même temps que la consommation!
Les compagnies de tabac ont exercé sur les hommes politiques des pressions comparables. En effet, lorsque le témoins s'attaquaient trop ouvertement aux méfaits de la cigarette, certaines sont venues se défendre en arguant qu'elles avaient beaucoup réduit la teneur en nicotine de leur produit et que d'ailleurs il était injuste de comparer une drogue entrée dans les moeurs et donc subissant les effets des contrôles sociaux, à des substances dont la nocivité était encore inconnue et l'usage encore marginal. Mais l'argument majeur des compagnies de tabac en a été probablement un qui frappait les gouvernements là où ils sont le plus sensibles: de larges secteurs d'emploi disparaîtraient si l'on diminuait la consommation de tabac et si la cigarette de nicotine souffrait de la compétition avec, par exemple, une cigarette de cannabis.
Enfin, on a vu apparaître devant les commissions nationales chargées d'étudier le problème de la drogue ceux que j'appellerai les entrepreneurs moraux: les A.A., les N.A., des groupes de parents, des représentants de certaines églises et même des membres ou des représentants de quelques professions sociales (associations de travailleurs sociaux, de psycho-éducateurs, de psychologues, de psychiatres, d'avocats, de magistrats de la jeunesse) clamant leur indignation, leur scandale devant la possibilité qu'on relâche les lois sur les drogues: il fallait à tout prix s'opposer à toute libéralisation.
Tous ces groupes représentaient non seulement beaucoup de monde, mais surtout beaucoup d'influence et de pouvoir de pression politique. En plus de leur capacité de convaincre, les distillateurs, les brasseurs, les laboratoires pharmaceutiques, les compagnies de tabac, disposaient de moyens terriblement efficaces de faire pencher les partis politiques du côté qui servait leurs intérêts: les caisses électorales sont en effet souvent redevables à ces entreprises. D'autre part, en ce qui touche aux grandes corporations professionnelles, rares sont les gouvernements qui peuvent se permettre de les indisposer sérieusement. Quant aux entrepreneurs moraux et aux professions sociales qui étaient quelques fois, les groupes mêmes qui avaient sonné l'alarme et fait mettre sur pied les enquêtes nationales, impossible de passer complètement outre à leurs préoccupations qui étaient vraisemblablement celles d'une petite partie de l'électorat.
Ces groupes de pouvoir, ces groupes d'intérêt, qui se sont exprimés avec force pour le contrôle pénal de l'usage et du commerce de certaines substances, il y dix ans en France, 15 ans au Canada, aux Etats Unis, en Grande Bretagne, aux Pays-Bas, en Nouvelle Zélande, en Australie, etc. - ces groupes tiendraient-ils le même langage aujourd'hui? Si oui, les Etats leur prêteraient-ils une oreille aussi attentive? D'autres groupes tenant un langage différent, plus ouvert à la décriminalisation ou à l'abolition de la prohibition réussiraient-ils à se faire entendre? - Je le crois. Mais l'analyse, pour être sérieuse et probante, doit tenir compte des situations particulières dans chaque pays et les réponses ne seront sans doute pas les mêmes partout. Une chose est certaine, il faut faire cette analyse, repérer nos alliés et ceux qui se comportent encore comme les partisans de la prohibition pure et dure, si l'on veut faire changer la loi.
LES RESISTANCE SUR LA SCENE INTERNATIONALE.
Voilà déjà plus de 70 ans que les premiers traités internationaux sur les drogues ont été signés (1912): on se rappellera qu'avant cette date, plusieurs pays européens, la France et les Pays-Bas notamment, ne criminalisaient pas l'usage de plusieurs substances maintenant prohibées, tandis que les pays scandinaves et anglo-saxons recouraient déjà au droit pénal pour interdire l'usage de plusieurs drogues par le délit de simple possession.
Depuis 1912, date du premier trait, on a vu sans cesse croître le nombre de pays signant les ententes internationales sur le contrôle des drogues; le nombre de substances incriminées; le nombre des actes défendus dans les statuts nationaux sur les drogues.
Progressivement, les appareils de contrôle policier, judiciaire et pénal, dans les pays ayant signé les ententes, se développent et se mettent à échanger; l'objet du contrôle passe du trafic au consommateur; la politique des drogues devient centralisée et émane de plus en plus des Nations Unies: c'est le modèle de la politique des drogues américaine qui se généralise dans les pays signataires. La Drug Enforcement Administration devient le modèle international des contrôles policiers en matière de drogue (Hulsam, 1983, 273).
La Convention de 1961, en particulier, mais d'autres aussi, constituent maintenant une source de résistance fondamentale aux changements des lois sur les drogues dans les différentes sociétés nationales signataires et même dans les autres car l'impérialisme américain ou même la pression morale des Etats membres jouent sur les pays producteurs, à travers ces ententes internationales.
Dans un article remarquable sur la politique des drogues et ses effets pervers, Louk Hulsam, professeur de droit pénal à l'Université Erasmus de Rotterdam, rappelle qu'il est bien important de ne pas perdre de vue le contexte international dans lequel s'est déroulé et se déroule encore le processus législatif de chaque Etat si l'on veut comprendre la politique des drogues et ce qui la soutient. Toutes sortes de groupes pour toutes sortes de motifs divers, les uns religieux et moraux, les autres obéissant à des intérêts commerciaux ou professionnels, sont responsables de la prohibition:
"des missionnaires et des gens qui, au nom de principes humanitaires et moraux, ont engagé la lutte contre l'opium; des plénipotentiaires des pays comme la Chine et l'Amérique qui avaient des intérêts commerciaux à la régulation de la production et du trafic; des gens qui, par principe, sont en faveur d'une collaboration internationale; des fonctionnaires américains qui voulaient que leur position, obtenue au temps de la prohibition de l'alcool, soit assurée et des plénipotentiaires des pays du tiers monde qui faisaient partie de l'aile moderniste dans leur pays". (1983, 276).
Selon Hulsman, "il est difficile de comprendre comment ces groupes de pression, à certaines époques des groupes très petits, ont pu imposer leur approche à l'échelle mondiale contre l'intérêt de populations importantes. Pour le comprendre, il faut à nouveau examiner le contexte international" : il est extrêmement difficile, pour des groupes de citoyens nationaux, d'être informés correctement de ce qui se passe aux Nations Unies, lors des discussions des grandes conventions sur les drogues. Il est encore plus difficile de se mobiliser pour faire valoir les opinions de groupes, fussent-ils majoritaires. Or il ne devient possible d'influencer le processus législatif international que dans des cas où les groupes de contre-pression disposent d'assez de pouvoir et maîtrisent le langage politique international (Ibid. 277).
Parmi les facteurs qui ont entraîné les pays du Nord et les pays développés dans la lutte contre les drogues ou plutôt contre certaines drogues, il faut bien reconnaître l'opposition Nord-Sud, pays développés versus pays en voie de développement. Ainsi, au début, comme le remarque encore Hulsman, les conventions s'occupaient exclusivement de drogues du tiers monde et maintenant encore, au Canada et aux Etats-Unis, c'est contre "leur drogue" que se maintient la prohibition. Plus récemment, au nombre des facteurs de résistance internationale et nationale à l'abolition de la prohibition, il faut compter la fait que "des secteurs de nos sociétés nationales bénéficient de l'illégalité de certaines substances, entre autres des groupes terroristes, et aussi des pouvoirs publics qui utilisent ce circuit noir du trafic des drogues, des armes "(souvent les mêmes circuits) pour appuyer leurs demandes et leurs décisions. (Hulsman, op.cit, 277).
AU LIEU DE LA PROHIBITION
Il faut absolument instaurer, en lieu et place de la prohibition qui a fait ses preuves d'inefficacité et d'effets pervers, un système de licence, un système étatique qui exerce un contrôle sur l'approvisionnement, la qualité, la circulation des drogues aujourd'hui prohibées.
Cette transformation doit se faire sur une échelle nationale et peut-être internationale si on veut éliminer les risques que perdure le commerce illicite et que tous les malheurs associés à celui-ci se perpétuent.
Il appartient au groupe social, aux citoyens, de prendre en mains l'information correcte sur les drogues, de faire cesser la désinformation, de faire naître les contrôles estimés adéquats, comme dans le cas de la cigarette et de l'alcool et d'en garder la maîtrise plutôt que de laisser ce pouvoir entre les mains de fonctionnaires internationaux et de corps de police. C'est un fait maintenant bien établi: les lois sur les drogues ont fait beaucoup plus de tort que les drogues elles-mêmes dans chacun de nos pays.